12 heures 45 minutes. Entrée de la décharge de Mbeubeuss, à Malika Montagne. Des camions remplis d’ordures font la queue pour d’abord s’acquitter des formalités de décharge. D’autres véhicules revenant de la plate-forme, retirent leur bon de décharge au guichet en face du pont. Des agents de l’Entente Cadak Car s’activent autour de cette tache. Des apprentis chauffeurs vont et viennent, les uns pour retirer des bons d’accès à la plate-forme, les autres, munis du visa de l’agent contrôleur sur place, retirent des bons de décharge.
En face du pont-bascule en panne depuis plusieurs jours, des gargotes, des chauffeurs se reposant sous des tentes, des marchands et des mécaniciens vaquent à leurs occupations. La rue est impraticable. Boue noirâtre, poussière, eau rougeâtre, noirâtre, verdâtre. Difficile de déterminer la couleur. Le tout ajouté à une odeur pestilentielle qui « agresse » les narines. Des montagnes d’ordures de part et d’autre encadrent la chaussée. Des individus installés sur ces déchets s’activent au tri des objets récupérés.
Camions de sable et d’ordure se partage la chaussée. Après quelques minutes de marche, blocage. Un camion d’ordures apporte son secours et nous sort du bourbier. Mais, pas pour longtemps, car lui aussi sera coincé au bout de quelques centaines de mètres par l’embouteillage qui prend source à l’entrée de la décharge. Retour à la case départ, la marche sur des centaines de mètres.
13 heures 15 minutes. La décharge se dévoile. Difficile d’accéder à l’intérieur à cause non seulement du nombre impressionnant de camions alignés en une seule file à travers un chemin très étroit, mais aussi des ordures et des véhicules qui en sortent. Une odeur nauséabonde, mélangée à la poussière, eau et boue noirâtre et puante, aliments pourris piétinés, fumée noire et âcre s’élevant de partout du fait du méthane (gaz produit par les ordures) qui brûle : à côté des vers, moustiques, mouches et autres insectes bien à l’aise dans leur territoire assaillent les narines et le regard. Un chauffeur accepte de nous y conduire.
Les ordures
Un problème de géopolitique urbaine
A bord du camion, bonjour les complaintes. « Le problème des ordures à Dakar, c’est une question de gestion à Mbeubeuss. Quand on pesait les ordures, il n’y avait pas d’embouteillage comme c’est le cas ces derniers jours. Les véhicules collectaient normalement les ordures, suivant les circuits, dans toute la région de Dakar ». Mais, s’empresse-t-il de préciser, « Aujourd’hui qu’il n’y a rien qui puisse justifier le chargement, le pont-bascule étant en panne, des camions à moitié vide débarquent. D’autres ne vident que la moitié de leur contenu ou retournent tout bonnement avec la charge, après le retrait du visa du bon de décharge pour revenir quelques minutes après. Un véritable business se développe autour des ordures ».
Un autre, « Prince » de son surnom, enfonce le clou. « C’est une affaire de gros sous, une mafia qui ne dit pas son nom. Trois entreprises concessionnaires qui ont gagné le marché de la plate-forme se partagent trente (30) millions de FCfa chaque mois alors qu’ils ne fournissent même pas la moitié de leur potentialité et n’investissent pas dans le matériel. Presque tous les engins remblayeuses sont en panne ». Et de poursuivre : « pis, depuis jeudi, dernier Mbeubeuss est devenu infernal. La plate-forme a cédé. Le site est inaccessible. La nouvelle place aménagée est très étroites. Les camions n’y accèdent qu’au compte goutte. La route est impraticable. D’ailleurs, avant-hier, j’ai passé toute la journée ici », se désole-t-il, la mine triste. Dans ces conditions, « comment voulez-vous que les ordures n’envahissent pas Dakar » ? s’interroge-t-il.
Sur place, deux engins fonctionnent ; les neuf étant en panne, font le remblai des ordures après chaque décharge d’un camion. Deux agents, un de l’ex société Ama, actuellement en service pour le ministère de l’Environnement et de la Protection de la Nature et un de « l’Entente Cadak Car » supervise et contrôle les opérations. Selon le premier, Mady Ndiaye, qui confirme le cas des véhicules à moitié vide et ceux qui retournent avec leur charge, « environ 170 camions d’ordures sont déchargés en moyenne sur le site de Mbeubeuss par jour ».
Si les camions pouvaient peser entre 10 et 12 tonnes à l’entrée, aujourd’hui, avec la panne du pont-bascule, les charges sont estimées, fait remarquer son voisin, le contrôleur de l’Entente Cadak Car, qui signe les bons d’accès en vue de l’obtention d’un bon de décharge. Pendant que ce dernier expliquait son calvaire quotidien, des jeunes habillés en haillons, très sales, accourent. « Celui-ci n’a pas totalement vidé sa charge. Celui-là n’a rien déversé. Ils s’apprêtent à partir et ne signent pas leurs bons » crient-ils d’une seule voix.
L’agent, stupéfait, après avoir contraint ces derniers de vider toutes les charges, nous fixe longtemps. « C’est pourquoi nous sommes ici. Nous travaillons 24 heures sur 24 ces derniers jours, sans sécurité ni protection médicale. Du temps de l’Agence pour la propreté de Dakar (Aprodak) nous bénéficions de Certificat de prise en charge (à la charge de l’employé) en cas de maladie pour nous soigner. Mais, aujourd’hui, nous somme plus qu’exposés » reconnaît-il.
Et d’ajouter « Vous voyez que je mets sur certains tickets « C.I (chargement insuffisant) » ou « Privé » ; en délivrant le bon de décharge à la sortie, on tient compte de ces informations. Si l’on ne reste pas vigilent, des camions retournent avec des ordures pour revenir des heures après. D’autres, appartenant au système, collectent des déchets industriels, moyennant des billets de banque. Ce qui constitue une perte énorme pour les autorités qui paient pour le ramassage des ordures ménagères » déplore-t-il.
Un monde en folie sans loi
La forte odeur étouffante, la canicule, bref, tout le désordre décrit ci-haut n’entament en rien la détermination de centaines de personnes, adultes et enfants, hommes et femmes, garçons et filles qui s’activent, sans masque, pour la plupart, autour des charges des camions qui débarquent par cinq au maximum. D’autres bien installés sur les montagnes de déchets, sous des tentes de fortune, trient des objets récupérés. Ce sont des récupérateurs ou « boudioumanes » qui se frottent les mains du fait de « l’augmentation de la quantité d’ordures en période d’hivernage ».
Récupérateurs d’objets en bois, en plastique, de bouteilles, de sacs, ferrailleurs, etc. tous y trouvent leur compte. Les objets récupérés sont revendus aux « Baol baol » et au niveau des marchés du rail de Thiaroye, de Castors, Syndicat de Pikine, etc. Avec ce business qui se développe autour de Mbeubeuss, une bonne partie des ordures collectées reviennent dans les ménages. Ce qui fait de la délocalisation programmée de cette décharge par les autorités une véritable menace pour ces centaines de pères, mères et soutiens de familles évoluant sur ce site.
14 heures 40 minutes. Fin de la visite de ce site hors du commun et retour au lieu de départ. C’est le moment de trouver des explications à ce que l’on a vu, constaté et entendu le long du périple. Pour cela, le bureau de délivrance des bons semble l’endroit le mieux indiqué. A l’intérieur, quatre agents, assis sur des chaises, se partagent les rôles. Ce sont des employés de l’Entente Cadak Car. L’un, un registre sur lequel sont enregistrés des numéros de véhicule posé sur les cuisses, gèrent les apprentis chauffeurs retirant des bons. L’une des trois personnes qui le seconde nous interpelle sur l’objet de notre visite. Mis au courant, il met un terme à la conversation. « Désolé, monsieur, nous ne sommes pas habilités à vous donner les informations que vous désirez » confie-t-il.
A QUAND LE TRANSFERT DE MBEBEUSS
Diass refuse la bombe écologique
Depuis plusieurs années maintenant, les autorités, au vu de la menace que constitue la décharge de Mbeubeuss pour l’environnement et la santé des populations, ont avancé sa délocalisation. Le centre d’enfouissement de Diass, dans la Communauté rurale du même nom, avait été retenus pour remplacer cette bombe écologique.
Le ministère de l’Environnement qui pilotait ce projet, avec à sa tête Modou Diagne Fada, avait envoyé le matériel sur place.
Mais, c’était sans compter avec la détermination des populations de rejeter ce projet. Des manifestations, une marche de protestation contre le projet s’en suivirent. Et depuis, on en entend plus parler.
Pendant ce temps, Souleymane Diédhiou, étudiant en quatrième année à l’Institut de formation et de recherche en population développement et santé de la reproduction (IPDRS) présentait les résultats des enquêtes, dans le cadre de son mémoire intitule « Fermeture de la décharge de Mbeubeuss : quelles alternatives pour les récupérateurs ». Cette enquête montrait qu’avant de fermer la décharge de Mbeubeuss qui devient de plus en plus une menace pour la santé des populations, le gouvernement « doit s’atteler à la mise en œuvre de projets de fabrication de terreau et de production de bio gaz ».
Cette « seule alternative » à l’après-mbeubeuss devrait servir de substitut à l’activité des récupérateurs ou « Boudioumane » qui voient ce projet comme une menace pour leurs « emplois » et à relancer l’agriculture périurbaine.
En face du pont-bascule en panne depuis plusieurs jours, des gargotes, des chauffeurs se reposant sous des tentes, des marchands et des mécaniciens vaquent à leurs occupations. La rue est impraticable. Boue noirâtre, poussière, eau rougeâtre, noirâtre, verdâtre. Difficile de déterminer la couleur. Le tout ajouté à une odeur pestilentielle qui « agresse » les narines. Des montagnes d’ordures de part et d’autre encadrent la chaussée. Des individus installés sur ces déchets s’activent au tri des objets récupérés.
Camions de sable et d’ordure se partage la chaussée. Après quelques minutes de marche, blocage. Un camion d’ordures apporte son secours et nous sort du bourbier. Mais, pas pour longtemps, car lui aussi sera coincé au bout de quelques centaines de mètres par l’embouteillage qui prend source à l’entrée de la décharge. Retour à la case départ, la marche sur des centaines de mètres.
13 heures 15 minutes. La décharge se dévoile. Difficile d’accéder à l’intérieur à cause non seulement du nombre impressionnant de camions alignés en une seule file à travers un chemin très étroit, mais aussi des ordures et des véhicules qui en sortent. Une odeur nauséabonde, mélangée à la poussière, eau et boue noirâtre et puante, aliments pourris piétinés, fumée noire et âcre s’élevant de partout du fait du méthane (gaz produit par les ordures) qui brûle : à côté des vers, moustiques, mouches et autres insectes bien à l’aise dans leur territoire assaillent les narines et le regard. Un chauffeur accepte de nous y conduire.
Les ordures
Un problème de géopolitique urbaine
A bord du camion, bonjour les complaintes. « Le problème des ordures à Dakar, c’est une question de gestion à Mbeubeuss. Quand on pesait les ordures, il n’y avait pas d’embouteillage comme c’est le cas ces derniers jours. Les véhicules collectaient normalement les ordures, suivant les circuits, dans toute la région de Dakar ». Mais, s’empresse-t-il de préciser, « Aujourd’hui qu’il n’y a rien qui puisse justifier le chargement, le pont-bascule étant en panne, des camions à moitié vide débarquent. D’autres ne vident que la moitié de leur contenu ou retournent tout bonnement avec la charge, après le retrait du visa du bon de décharge pour revenir quelques minutes après. Un véritable business se développe autour des ordures ».
Un autre, « Prince » de son surnom, enfonce le clou. « C’est une affaire de gros sous, une mafia qui ne dit pas son nom. Trois entreprises concessionnaires qui ont gagné le marché de la plate-forme se partagent trente (30) millions de FCfa chaque mois alors qu’ils ne fournissent même pas la moitié de leur potentialité et n’investissent pas dans le matériel. Presque tous les engins remblayeuses sont en panne ». Et de poursuivre : « pis, depuis jeudi, dernier Mbeubeuss est devenu infernal. La plate-forme a cédé. Le site est inaccessible. La nouvelle place aménagée est très étroites. Les camions n’y accèdent qu’au compte goutte. La route est impraticable. D’ailleurs, avant-hier, j’ai passé toute la journée ici », se désole-t-il, la mine triste. Dans ces conditions, « comment voulez-vous que les ordures n’envahissent pas Dakar » ? s’interroge-t-il.
Sur place, deux engins fonctionnent ; les neuf étant en panne, font le remblai des ordures après chaque décharge d’un camion. Deux agents, un de l’ex société Ama, actuellement en service pour le ministère de l’Environnement et de la Protection de la Nature et un de « l’Entente Cadak Car » supervise et contrôle les opérations. Selon le premier, Mady Ndiaye, qui confirme le cas des véhicules à moitié vide et ceux qui retournent avec leur charge, « environ 170 camions d’ordures sont déchargés en moyenne sur le site de Mbeubeuss par jour ».
Si les camions pouvaient peser entre 10 et 12 tonnes à l’entrée, aujourd’hui, avec la panne du pont-bascule, les charges sont estimées, fait remarquer son voisin, le contrôleur de l’Entente Cadak Car, qui signe les bons d’accès en vue de l’obtention d’un bon de décharge. Pendant que ce dernier expliquait son calvaire quotidien, des jeunes habillés en haillons, très sales, accourent. « Celui-ci n’a pas totalement vidé sa charge. Celui-là n’a rien déversé. Ils s’apprêtent à partir et ne signent pas leurs bons » crient-ils d’une seule voix.
L’agent, stupéfait, après avoir contraint ces derniers de vider toutes les charges, nous fixe longtemps. « C’est pourquoi nous sommes ici. Nous travaillons 24 heures sur 24 ces derniers jours, sans sécurité ni protection médicale. Du temps de l’Agence pour la propreté de Dakar (Aprodak) nous bénéficions de Certificat de prise en charge (à la charge de l’employé) en cas de maladie pour nous soigner. Mais, aujourd’hui, nous somme plus qu’exposés » reconnaît-il.
Et d’ajouter « Vous voyez que je mets sur certains tickets « C.I (chargement insuffisant) » ou « Privé » ; en délivrant le bon de décharge à la sortie, on tient compte de ces informations. Si l’on ne reste pas vigilent, des camions retournent avec des ordures pour revenir des heures après. D’autres, appartenant au système, collectent des déchets industriels, moyennant des billets de banque. Ce qui constitue une perte énorme pour les autorités qui paient pour le ramassage des ordures ménagères » déplore-t-il.
Un monde en folie sans loi
La forte odeur étouffante, la canicule, bref, tout le désordre décrit ci-haut n’entament en rien la détermination de centaines de personnes, adultes et enfants, hommes et femmes, garçons et filles qui s’activent, sans masque, pour la plupart, autour des charges des camions qui débarquent par cinq au maximum. D’autres bien installés sur les montagnes de déchets, sous des tentes de fortune, trient des objets récupérés. Ce sont des récupérateurs ou « boudioumanes » qui se frottent les mains du fait de « l’augmentation de la quantité d’ordures en période d’hivernage ».
Récupérateurs d’objets en bois, en plastique, de bouteilles, de sacs, ferrailleurs, etc. tous y trouvent leur compte. Les objets récupérés sont revendus aux « Baol baol » et au niveau des marchés du rail de Thiaroye, de Castors, Syndicat de Pikine, etc. Avec ce business qui se développe autour de Mbeubeuss, une bonne partie des ordures collectées reviennent dans les ménages. Ce qui fait de la délocalisation programmée de cette décharge par les autorités une véritable menace pour ces centaines de pères, mères et soutiens de familles évoluant sur ce site.
14 heures 40 minutes. Fin de la visite de ce site hors du commun et retour au lieu de départ. C’est le moment de trouver des explications à ce que l’on a vu, constaté et entendu le long du périple. Pour cela, le bureau de délivrance des bons semble l’endroit le mieux indiqué. A l’intérieur, quatre agents, assis sur des chaises, se partagent les rôles. Ce sont des employés de l’Entente Cadak Car. L’un, un registre sur lequel sont enregistrés des numéros de véhicule posé sur les cuisses, gèrent les apprentis chauffeurs retirant des bons. L’une des trois personnes qui le seconde nous interpelle sur l’objet de notre visite. Mis au courant, il met un terme à la conversation. « Désolé, monsieur, nous ne sommes pas habilités à vous donner les informations que vous désirez » confie-t-il.
A QUAND LE TRANSFERT DE MBEBEUSS
Diass refuse la bombe écologique
Depuis plusieurs années maintenant, les autorités, au vu de la menace que constitue la décharge de Mbeubeuss pour l’environnement et la santé des populations, ont avancé sa délocalisation. Le centre d’enfouissement de Diass, dans la Communauté rurale du même nom, avait été retenus pour remplacer cette bombe écologique.
Le ministère de l’Environnement qui pilotait ce projet, avec à sa tête Modou Diagne Fada, avait envoyé le matériel sur place.
Mais, c’était sans compter avec la détermination des populations de rejeter ce projet. Des manifestations, une marche de protestation contre le projet s’en suivirent. Et depuis, on en entend plus parler.
Pendant ce temps, Souleymane Diédhiou, étudiant en quatrième année à l’Institut de formation et de recherche en population développement et santé de la reproduction (IPDRS) présentait les résultats des enquêtes, dans le cadre de son mémoire intitule « Fermeture de la décharge de Mbeubeuss : quelles alternatives pour les récupérateurs ». Cette enquête montrait qu’avant de fermer la décharge de Mbeubeuss qui devient de plus en plus une menace pour la santé des populations, le gouvernement « doit s’atteler à la mise en œuvre de projets de fabrication de terreau et de production de bio gaz ».
Cette « seule alternative » à l’après-mbeubeuss devrait servir de substitut à l’activité des récupérateurs ou « Boudioumane » qui voient ce projet comme une menace pour leurs « emplois » et à relancer l’agriculture périurbaine.