Depuis qu’elle est entrée, un jour de 1957, dans le saint état du mariage avec le député Senghor, la vie n’a pas souvent laissé tranquille Colette Hubert, la secrétaire parlementaire. En déroulant 44 ans de vie commune avec celui qu’elle appelait amoureusement « Léopold », elle pensera en même temps à un autre homme de sa vie : Philippe son fils, né un an après leur union et décédé un jour de juin 1981, dans la force de l’âge. Une blessure très profonde… Leur grand amour - source inépuisable de souverain réconfort - a surmonté cette épreuve.
A la politique. Où à côté de son mari, elle a subi de toutes parts, les assauts du destin ce qui l’a durement pétrie et rendue, sans doute, inflexible.
A la mort de Léopold. La perte d’un être très cher. Depuis le 20 décembre 2000, sa peine est grande. Le peuple sénégalais aussi. Elle qui a entouré d’affection son mari, pendant de longues années de son intense vie politique et intellectuelle.
A quoi songera-t-elle ? Aux obsèques nationales organisées par Me Abdoulaye Wade : une reconnaissance éternelle de la Nation à son époux ? Le départ de Caen pour Dakar, l’arrivée à Yoff-militaire, les honneurs de la République, le cortège funèbre, l’inhumation dans l’intimité à Bel-Air. Un souvenir impérissable.
Elle verra aussi dans ce moment de solitude, l’image de Dakar qu’elle n’a pas vu depuis belle lurette. Dans la limousine noire qui l’amenait, Mme Colette Hubert Senghor a laissé dérouler sa mémoire devant une oreille amie : celle de Mme Viviane Vert Wade.
Les deux dames de cœur entretenaient des relations distances mais courtoises. Elles se croisaient lors des cérémonies organisées par le Président Senghor. Sans plus. « Nous ne nous connaissions pas avant cette douloureuse épreuve. Mais nous savions ce que veut dire être épouse de chef d’Etat » nous a confié Mme Wade, tout en avouant aussi qu’elle « était également pleine d’admiration et de compassion pour [elle] quand elle a perdu son fils Philippe ». C’est à la suite du décès du père de la Nation qu’elles ont appris à se connaître. Viviane appelait régulièrement Colette et avait même voulu que sa « sœur » passe son séjour funèbre au Palais de la République.
Senghor et les défis
Tout au long du parcours funèbre, « je savais que c’est toujours difficile de réconforter la perte d’un être cher. Dans un grand chagrin, on a besoin d’être seul. C’est une blessure profonde qui ne se refermera jamais. Mme Senghor est une dame digne et formidable qui a couvert son mari d’affection minute par minute jusqu’à sa mort », nous a confié Mme Viviane Wade.
Son rôle n’était pas de parler mais d’écouter, avec une sorte de sympathie naturelle dont les manifestations discrètes n’en sont pas moins consolantes. Elle a donc été une confidente : « nous avions beaucoup évoqué la vie du Président Senghor, l’école des beaux-arts, le musée dynamique auquel il était particulièrement attaché, l’école Mariama Bâ », nous a dit Mme Wade, d’une voix confidentielle.
Les deux « blondes sénégalaises » ont en outre parlé du Palais de Justice. Une noblesse architecturale ! Un site historique ! Elles ont tiré de ce commerce, un plaisir réconfortant résultant d’un parfait accord de goût et d’une complicité esthétique.
Colette Hubert n’a pas oublié d’évoquer aussi le premier festival des arts nègres organisé en 1966. Pour son époux, il s’agissait de montrer la vitalité et l’excellence de la culture africaine. Une occasion pour le poète-président de re-préciser sa pensée sur les arts plastiques. « Au début, j’avoue que je n’y croyais pas trop mais Senghor relevait tous les défis » a confié Colette Hubert. Saisissez toute la force de cette expression ! Parce qu’il y avait une farouche adversité entre d’une part, Wolé Soyinka [le tigre ne proclame pas sa tigritude] Stanislas Adotévi [auteur de négritude et négrophologue] Marcel Twa [Négritude ou servitude] et Léopold Sédar Senghor d’autre part. Les premiers, forts de leur fougue intellectuelle avaient décrié le festival.
Colette Hubert Senghor aura aussi des mots d’une simplicité bouleversante : « que devient le Musée dynamique ? ». Une question judicieuse. C’est à Senghor que le doit le Musée dynamique inauguré en présence d’André Malraux, Ministre d’Etat, Ministre de la Culture du Général Charles De Gaulle. C’est maintenant le siège de l’actuelle Cour de Cassation sur la Corniche.
Longtemps dirigé par l’ethno-muséologue Ousmane Sow Huchard dit Soleya Mama (actuel député des écolos), le musée a aussi abrité le Mudra Afrique dirigé par Germaine Acognini. Malgré la levée de boucliers, le processus de Désenghorisation l’a emporté.
Colette Hubert a pensé aussi au théâtre Daniel Sorano et au Conservatoire des Arts (l’orchestre national et celui des aveugles y répétaient, Douta Seck avait sa résidence dans l’enceinte). Après le départ de Senghor, le théâtre est tombé en décrépitude. Des coupes claires du budget du Ministère de la Culture sont passées par là. Ce matin du 20 décembre 2011, après une nuit de tourment, elle se réveillera de meilleure heure et pensera encore aux deux hommes de sa vie : Léopold et Philippe, auprès de qui, elle souhaite se reposer un jour au cimetière de Bel-Air à Dakar. Ce sera son seul réconfort.
« Des reines ont été vues pleurant comme de simples femmes ». Mais personne n’a pu photographier la détresse de Mme Senghor. On ne peut parler d’elle qu’avec emportement. Elle a des habitudes que mon père, s’il vivait, qualifierait de raffinées.
Ps. J’ai écrit ce texte il y a dix ans lorsque j’étais au quotidien national Le Soleil. Au fond de moi, coulaient des larmes. J’ai aimé Colette Hubert Senghor comme un orphelin aime sa défunte mère. Pour toujours !
CHEIKH DIALLO
A la politique. Où à côté de son mari, elle a subi de toutes parts, les assauts du destin ce qui l’a durement pétrie et rendue, sans doute, inflexible.
A la mort de Léopold. La perte d’un être très cher. Depuis le 20 décembre 2000, sa peine est grande. Le peuple sénégalais aussi. Elle qui a entouré d’affection son mari, pendant de longues années de son intense vie politique et intellectuelle.
A quoi songera-t-elle ? Aux obsèques nationales organisées par Me Abdoulaye Wade : une reconnaissance éternelle de la Nation à son époux ? Le départ de Caen pour Dakar, l’arrivée à Yoff-militaire, les honneurs de la République, le cortège funèbre, l’inhumation dans l’intimité à Bel-Air. Un souvenir impérissable.
Elle verra aussi dans ce moment de solitude, l’image de Dakar qu’elle n’a pas vu depuis belle lurette. Dans la limousine noire qui l’amenait, Mme Colette Hubert Senghor a laissé dérouler sa mémoire devant une oreille amie : celle de Mme Viviane Vert Wade.
Les deux dames de cœur entretenaient des relations distances mais courtoises. Elles se croisaient lors des cérémonies organisées par le Président Senghor. Sans plus. « Nous ne nous connaissions pas avant cette douloureuse épreuve. Mais nous savions ce que veut dire être épouse de chef d’Etat » nous a confié Mme Wade, tout en avouant aussi qu’elle « était également pleine d’admiration et de compassion pour [elle] quand elle a perdu son fils Philippe ». C’est à la suite du décès du père de la Nation qu’elles ont appris à se connaître. Viviane appelait régulièrement Colette et avait même voulu que sa « sœur » passe son séjour funèbre au Palais de la République.
Senghor et les défis
Tout au long du parcours funèbre, « je savais que c’est toujours difficile de réconforter la perte d’un être cher. Dans un grand chagrin, on a besoin d’être seul. C’est une blessure profonde qui ne se refermera jamais. Mme Senghor est une dame digne et formidable qui a couvert son mari d’affection minute par minute jusqu’à sa mort », nous a confié Mme Viviane Wade.
Son rôle n’était pas de parler mais d’écouter, avec une sorte de sympathie naturelle dont les manifestations discrètes n’en sont pas moins consolantes. Elle a donc été une confidente : « nous avions beaucoup évoqué la vie du Président Senghor, l’école des beaux-arts, le musée dynamique auquel il était particulièrement attaché, l’école Mariama Bâ », nous a dit Mme Wade, d’une voix confidentielle.
Les deux « blondes sénégalaises » ont en outre parlé du Palais de Justice. Une noblesse architecturale ! Un site historique ! Elles ont tiré de ce commerce, un plaisir réconfortant résultant d’un parfait accord de goût et d’une complicité esthétique.
Colette Hubert n’a pas oublié d’évoquer aussi le premier festival des arts nègres organisé en 1966. Pour son époux, il s’agissait de montrer la vitalité et l’excellence de la culture africaine. Une occasion pour le poète-président de re-préciser sa pensée sur les arts plastiques. « Au début, j’avoue que je n’y croyais pas trop mais Senghor relevait tous les défis » a confié Colette Hubert. Saisissez toute la force de cette expression ! Parce qu’il y avait une farouche adversité entre d’une part, Wolé Soyinka [le tigre ne proclame pas sa tigritude] Stanislas Adotévi [auteur de négritude et négrophologue] Marcel Twa [Négritude ou servitude] et Léopold Sédar Senghor d’autre part. Les premiers, forts de leur fougue intellectuelle avaient décrié le festival.
Colette Hubert Senghor aura aussi des mots d’une simplicité bouleversante : « que devient le Musée dynamique ? ». Une question judicieuse. C’est à Senghor que le doit le Musée dynamique inauguré en présence d’André Malraux, Ministre d’Etat, Ministre de la Culture du Général Charles De Gaulle. C’est maintenant le siège de l’actuelle Cour de Cassation sur la Corniche.
Longtemps dirigé par l’ethno-muséologue Ousmane Sow Huchard dit Soleya Mama (actuel député des écolos), le musée a aussi abrité le Mudra Afrique dirigé par Germaine Acognini. Malgré la levée de boucliers, le processus de Désenghorisation l’a emporté.
Colette Hubert a pensé aussi au théâtre Daniel Sorano et au Conservatoire des Arts (l’orchestre national et celui des aveugles y répétaient, Douta Seck avait sa résidence dans l’enceinte). Après le départ de Senghor, le théâtre est tombé en décrépitude. Des coupes claires du budget du Ministère de la Culture sont passées par là. Ce matin du 20 décembre 2011, après une nuit de tourment, elle se réveillera de meilleure heure et pensera encore aux deux hommes de sa vie : Léopold et Philippe, auprès de qui, elle souhaite se reposer un jour au cimetière de Bel-Air à Dakar. Ce sera son seul réconfort.
« Des reines ont été vues pleurant comme de simples femmes ». Mais personne n’a pu photographier la détresse de Mme Senghor. On ne peut parler d’elle qu’avec emportement. Elle a des habitudes que mon père, s’il vivait, qualifierait de raffinées.
Ps. J’ai écrit ce texte il y a dix ans lorsque j’étais au quotidien national Le Soleil. Au fond de moi, coulaient des larmes. J’ai aimé Colette Hubert Senghor comme un orphelin aime sa défunte mère. Pour toujours !
CHEIKH DIALLO