J’ai eu la chance, l’honneur et le bonheur d’avoir connu Nelson Mandela, d’avoir passé de longues heures à échanger avec lui sur l’Afrique, le Sénégal et sur Léopold Sédar Senghor. J’ai eu l’immense privilège – et je rends Grâces à Dieu – d’avoir été, avec mon ami Benoît Ngom, Président de l’Association des Juristes Africains, parmi les tout-premiers sénégalais à l’avoir rencontré, en Afrique du Sud, à Johannesburg, quelques semaines seulement après sa libération. C’est d’ailleurs au cours de cette première rencontre que nous lui fîmes la proposition d’un hommage à lui rendu, à Dakar, par la jeunesse sénégalaise. Ce sera le Méga-Concert du Stade de l’Amitié, devenu plus tard Stade Léopold Sédar Senghor. Youssou Ndour que j’avais rencontré à Roissy à mon retour de Jobourg et avec qui je prendrai le vol Air France vers Dakar, nous rejoindra dans le projet aux côtés d’Abdoul Aziz Dièye, Expert comptable, Moussa Touré, ancien ministre, Idrissa Seck, ancien premier ministre, Aly Guèye, actuellement aux USA, Moustapha Ly de l’USAID, Baba Wone, ancien ministre et tant d’autres. Youssou s’en souviendra, Abdoulaye Mactar Diop, Ministre de la jeunesse et des sports aussi, les Sénégalais aussi.
Les faits se comprennent mieux lorsqu’on les replace dans leur résonnance historique. Or donc, si au cours de cette première rencontre avec Mandela, nous parlâmes longuement du Sénégal et de Senghor, c’est parce que, recevant deux fils du Sénégal, dont l’un, lui avait-on dit, était proche de Senghor, avait surgi de sa prodigieuse mémoire le souvenir de son passage au Sénégal en juin 1962 et sa rencontre avec Senghor, au terme d’une tournée africaine, juste avant son arrestation et ses 27 douloureuses années carcérales.
Je voudrais, sans trop tarder, préciser que cette rencontre - Don du Ciel -, nous la devions, sur terre, à l’extraordinaire amitié d’un homme politique sud-africain, lui aussi aujourd’hui disparu, le Dr Frederik Van Zyl Slabbert, à qui il me plaît, en ces jours de deuil, de rendre un vibrant hommage et de saluer en lui un ami fidèle mais aussi un homme d’engagement qui contribua grandement à démanteler un système dont il était lui-même le produit. Van Zyl, enfant rebelle, était un pur produit de Stellenbosch, cette université située dans la banlieue de Cape Town où se formait l’élite de la société raciste de l’Afrique du sud de l’Apartheid.
Député solitaire dans une assemblée fermée à la majorité noire, Dr Slabbert avait claqué la porte de l’institution pour trouver d’autres formes de combat pour mieux contribuer à démanteler l’odieux système. C’est ce libéral blanc, homme engagé que j’ai le bonheur de recevoir plusieurs fois chez moi à Dakar, qui m’introduira auprès de Helen Suzman, amie de Senghor, symbole de la lutte des Blancs progressistes contre l’apartheid, Alex Boraine, qui avec Desmond Tutu présida aux destinées de la Commission Vérité et Réconciliation, le Dr Motlana, grande figure politique de Soweto. Il me présenta aussi à homme répondant au nom de Thabo Mbeki qui deviendra le 2ème Président de la République de la nouvelle Afrique du Sud post Apartheid. De retour à Dakar, j’avais transmis aux Savané (Landing et Marie-Angélique) le bonjour de Madame Mbeki. Ils s’en souviendront.
Ce jour-là, jour du rendez-vous historique avec le grand Nelson Mandela, Benoît Ngom et moi avons été accueillis par Barbara Massekela (futur Ambassadeur de son pays en France), la sœur du grand trompettiste Hugh Massekela, un temps époux de la Mama Africa Myriam Makeba, que j’ai bien connue, et jeune lycéen j’ai entretenu une correspondance soutenue avec elle et son mari Stokely Carmichael, leader des Black Panthers ; mon ami le réalisateur Ousmane William Mbaye peux en témoigner.
Ce jour-là, Mandela nous parla de Senghor, homme pour lequel il avait beaucoup d’a priori. Il est vrai que Senghor n’était pas Sékou Touré ou Ben Bella ou Nkrumah. Effectuant une grande tournée africaine pour collecter des fonds destinés au financement de la lutte armée, il arriva à Dakar les poches pleines de l’appui de quelques grands leaders africains de l’époque. Il était avec Olivier Thambo qui, chez nous, eut une grave crise d’asthme. Le médecin personnel de Senghor prit soin de lui au Palais et lorsqu’il se sentit mieux les discussions commencèrent. Mandela me dit qu’il fut surpris de voir Senghor refuser de mettre de l’argent dans la corbeille au motif qu’il n’était pas convaincu que la lutte armée soit le meilleur moyen d’abattre le système.
Il préconisa par contre le renforcement de l’alliance entre les libéraux blancs et les militants de l’ANC. Il lui fit part de sa ferme volonté de pousser la cause noire sur le plan diplomatique et proposa l’ouverture à Dakar d’un bureau de l’ANC, l’octroi de passeports diplomatiques sénégalais et un soutien logistique pour assurer la mobilité des militants de l’ANC qui iraient défendre leur cause aux quatre coins du monde. J’ai longuement pensé à Mandela et à cet échange lorsque j’ai vu à la télévision le Président Macky Sall, reçu il y a quelques mois en Namibie par des hôtes qui lui ont rappelé ce qu’ils devaient au Sénégal et à la vision de son premier Président qui avait ouvert un bureau de la SWAPO à Dakar et offert passeports diplomatiques et soutien logistique. Le passé est la racine de l’avenir. Puisse le Président Sall, dans la continuité d’une tradition bien sénégalaise, par son action de tous les jours, maintenir haut le flambeau de la lutte pour les libertés, la démocratie et la réconciliation.
Et Léopold Sédar Senghor fit ce qu’il promit à Mandela. Le Sénégal apporta son soutien (que certaines « consciences de gauche », au mieux, estiment timoré) et Abdou Diouf, Président de la République accueillit à Dakar en août 1987 la fameuse rencontre où, pour la première fois, des personnalités blanches sud-africaines venant de la société civile, des milieux universitaires et des cercles d’affaires, délégation dirigée par Van Zyl Slabbert, rencontrèrent une délégation de l’ANC dirigée par Thabo Mbeki Le Président Peter Botha critiqua violemment cette rencontre des « ennemis de l’Afrique du Sud » en terre sénégalaise. Benoît Ngom, cheville ouvrière de cette rencontre, saura dire mieux que moi l’impact déterminant de ce rendez-vous de Dakar sur le processus qui a conduit à la libération de Nelson Mandela et au démantèlement de l’apartheid. En effet, l’histoire a déjà retenu, pour l’instant et pour toujours, que c’est chez nous, dans ce Sénégal aux avants postes du combat diplomatique anti-apartheid que se rencontrèrent pour la première fois, de façon formelle, ces hommes et femmes de bonne volonté qui unirent leurs forces pour aller de l’avant.
Nelson Mandela avait tenu à nous raconter cela et à nous dire combien le Sénégal comptait pour lui et pour le peuple sud-africain. Il nous dit qu’à « Robben Island », lorsque les choses avaient commencé à bouger dans le sens du dénouement, très souvent il avait pensé à cette étape de Dakar et au précieux soutien du peuple sénégalais dans le combat douloureux que lui et son peuple avaient mené pour démanteler l’odieux système qui était une insulte à l’humanité tout entière.
Ce jour-là Mandela m’avait également parlé de poésie. Il se souvenait que Senghor l’avait reçu au Palais de la République au 1er étage, au bout de l’escalier central. Un moment il fit venir un de ses collaborateurs et Mandela se souvenait du nom de ce dernier : Gabriel D’Arboussier. Il me demanda s’il était encore en vie.
Le point qu’il évoqua ensuite me donna une idée plus précise de la personnalité de l’homme mais aussi et surtout de sa prodigieuse mémoire. Il me dit que Senghor avait profité de sa présence pour l’interroger longuement sur Chaka car il préparait quelque chose sur cette grande figure de la résistance africaine. Il me demanda des nouvelles de ce poème. Je lui dis que ce dernier est dans l’œuvre poétique de Senghor, dans le recueil Ethiopiques. Quelques semaines après ce voyage, j’ai eu l’occasion, à Verson, en Normandie, d’en rendre compte à Léopold Sédar Senghor qui me confirma ce qu’il avait recueilli auprès de Mandela lui avait été fort utile pour son Chaka, poème dramatique à plusieurs voix qu’il voulut comme un hommage aux martyrs de l’Afrique du Sud.
Par ces quelques lignes, j’ai voulu, modestement, mêler ma petite voix au concert des hommages rendus à l’une des plus grandes figures de notre temps et dire ma part de Mandela. Les faits sont têtus mais c’est ainsi.
Hamidou Sall, écrivain, fonctionnaire international.
Les faits se comprennent mieux lorsqu’on les replace dans leur résonnance historique. Or donc, si au cours de cette première rencontre avec Mandela, nous parlâmes longuement du Sénégal et de Senghor, c’est parce que, recevant deux fils du Sénégal, dont l’un, lui avait-on dit, était proche de Senghor, avait surgi de sa prodigieuse mémoire le souvenir de son passage au Sénégal en juin 1962 et sa rencontre avec Senghor, au terme d’une tournée africaine, juste avant son arrestation et ses 27 douloureuses années carcérales.
Je voudrais, sans trop tarder, préciser que cette rencontre - Don du Ciel -, nous la devions, sur terre, à l’extraordinaire amitié d’un homme politique sud-africain, lui aussi aujourd’hui disparu, le Dr Frederik Van Zyl Slabbert, à qui il me plaît, en ces jours de deuil, de rendre un vibrant hommage et de saluer en lui un ami fidèle mais aussi un homme d’engagement qui contribua grandement à démanteler un système dont il était lui-même le produit. Van Zyl, enfant rebelle, était un pur produit de Stellenbosch, cette université située dans la banlieue de Cape Town où se formait l’élite de la société raciste de l’Afrique du sud de l’Apartheid.
Député solitaire dans une assemblée fermée à la majorité noire, Dr Slabbert avait claqué la porte de l’institution pour trouver d’autres formes de combat pour mieux contribuer à démanteler l’odieux système. C’est ce libéral blanc, homme engagé que j’ai le bonheur de recevoir plusieurs fois chez moi à Dakar, qui m’introduira auprès de Helen Suzman, amie de Senghor, symbole de la lutte des Blancs progressistes contre l’apartheid, Alex Boraine, qui avec Desmond Tutu présida aux destinées de la Commission Vérité et Réconciliation, le Dr Motlana, grande figure politique de Soweto. Il me présenta aussi à homme répondant au nom de Thabo Mbeki qui deviendra le 2ème Président de la République de la nouvelle Afrique du Sud post Apartheid. De retour à Dakar, j’avais transmis aux Savané (Landing et Marie-Angélique) le bonjour de Madame Mbeki. Ils s’en souviendront.
Ce jour-là, jour du rendez-vous historique avec le grand Nelson Mandela, Benoît Ngom et moi avons été accueillis par Barbara Massekela (futur Ambassadeur de son pays en France), la sœur du grand trompettiste Hugh Massekela, un temps époux de la Mama Africa Myriam Makeba, que j’ai bien connue, et jeune lycéen j’ai entretenu une correspondance soutenue avec elle et son mari Stokely Carmichael, leader des Black Panthers ; mon ami le réalisateur Ousmane William Mbaye peux en témoigner.
Ce jour-là, Mandela nous parla de Senghor, homme pour lequel il avait beaucoup d’a priori. Il est vrai que Senghor n’était pas Sékou Touré ou Ben Bella ou Nkrumah. Effectuant une grande tournée africaine pour collecter des fonds destinés au financement de la lutte armée, il arriva à Dakar les poches pleines de l’appui de quelques grands leaders africains de l’époque. Il était avec Olivier Thambo qui, chez nous, eut une grave crise d’asthme. Le médecin personnel de Senghor prit soin de lui au Palais et lorsqu’il se sentit mieux les discussions commencèrent. Mandela me dit qu’il fut surpris de voir Senghor refuser de mettre de l’argent dans la corbeille au motif qu’il n’était pas convaincu que la lutte armée soit le meilleur moyen d’abattre le système.
Il préconisa par contre le renforcement de l’alliance entre les libéraux blancs et les militants de l’ANC. Il lui fit part de sa ferme volonté de pousser la cause noire sur le plan diplomatique et proposa l’ouverture à Dakar d’un bureau de l’ANC, l’octroi de passeports diplomatiques sénégalais et un soutien logistique pour assurer la mobilité des militants de l’ANC qui iraient défendre leur cause aux quatre coins du monde. J’ai longuement pensé à Mandela et à cet échange lorsque j’ai vu à la télévision le Président Macky Sall, reçu il y a quelques mois en Namibie par des hôtes qui lui ont rappelé ce qu’ils devaient au Sénégal et à la vision de son premier Président qui avait ouvert un bureau de la SWAPO à Dakar et offert passeports diplomatiques et soutien logistique. Le passé est la racine de l’avenir. Puisse le Président Sall, dans la continuité d’une tradition bien sénégalaise, par son action de tous les jours, maintenir haut le flambeau de la lutte pour les libertés, la démocratie et la réconciliation.
Et Léopold Sédar Senghor fit ce qu’il promit à Mandela. Le Sénégal apporta son soutien (que certaines « consciences de gauche », au mieux, estiment timoré) et Abdou Diouf, Président de la République accueillit à Dakar en août 1987 la fameuse rencontre où, pour la première fois, des personnalités blanches sud-africaines venant de la société civile, des milieux universitaires et des cercles d’affaires, délégation dirigée par Van Zyl Slabbert, rencontrèrent une délégation de l’ANC dirigée par Thabo Mbeki Le Président Peter Botha critiqua violemment cette rencontre des « ennemis de l’Afrique du Sud » en terre sénégalaise. Benoît Ngom, cheville ouvrière de cette rencontre, saura dire mieux que moi l’impact déterminant de ce rendez-vous de Dakar sur le processus qui a conduit à la libération de Nelson Mandela et au démantèlement de l’apartheid. En effet, l’histoire a déjà retenu, pour l’instant et pour toujours, que c’est chez nous, dans ce Sénégal aux avants postes du combat diplomatique anti-apartheid que se rencontrèrent pour la première fois, de façon formelle, ces hommes et femmes de bonne volonté qui unirent leurs forces pour aller de l’avant.
Nelson Mandela avait tenu à nous raconter cela et à nous dire combien le Sénégal comptait pour lui et pour le peuple sud-africain. Il nous dit qu’à « Robben Island », lorsque les choses avaient commencé à bouger dans le sens du dénouement, très souvent il avait pensé à cette étape de Dakar et au précieux soutien du peuple sénégalais dans le combat douloureux que lui et son peuple avaient mené pour démanteler l’odieux système qui était une insulte à l’humanité tout entière.
Ce jour-là Mandela m’avait également parlé de poésie. Il se souvenait que Senghor l’avait reçu au Palais de la République au 1er étage, au bout de l’escalier central. Un moment il fit venir un de ses collaborateurs et Mandela se souvenait du nom de ce dernier : Gabriel D’Arboussier. Il me demanda s’il était encore en vie.
Le point qu’il évoqua ensuite me donna une idée plus précise de la personnalité de l’homme mais aussi et surtout de sa prodigieuse mémoire. Il me dit que Senghor avait profité de sa présence pour l’interroger longuement sur Chaka car il préparait quelque chose sur cette grande figure de la résistance africaine. Il me demanda des nouvelles de ce poème. Je lui dis que ce dernier est dans l’œuvre poétique de Senghor, dans le recueil Ethiopiques. Quelques semaines après ce voyage, j’ai eu l’occasion, à Verson, en Normandie, d’en rendre compte à Léopold Sédar Senghor qui me confirma ce qu’il avait recueilli auprès de Mandela lui avait été fort utile pour son Chaka, poème dramatique à plusieurs voix qu’il voulut comme un hommage aux martyrs de l’Afrique du Sud.
Par ces quelques lignes, j’ai voulu, modestement, mêler ma petite voix au concert des hommages rendus à l’une des plus grandes figures de notre temps et dire ma part de Mandela. Les faits sont têtus mais c’est ainsi.
Hamidou Sall, écrivain, fonctionnaire international.