Certains les considèrent comme des «rescapés», tandis que d’autres, comme Bakary Diakité, le coordonnateur des Forces vives section France, les prennent tout simplement pour des «héros». Tous ont vécu à distance cette page sombre de l’histoire de leur pays. C’est dire que quelque part, la diaspora guinéenne n’a pas encore fini de réaliser ce qui s’est réellement passé à Conakry, il y a trois semaines.
Mais depuis samedi, cela doit être le cas. Puisqu’ils ont eu droit à deux récits poignants, comme s’ils y étaient. Jusque-là, ils s’étaient contentés des horribles images qui tournent encore en boucle sur les chaînes de télévision du monde. Et c’était au cours d’un grand meeting unitaire organisé par le Forum des «Forces vives» section France. La rencontre était animée par deux des héros du «lundi noir», en l’occurrence Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré. Mais sur le présidium, tous les autres partis de l’opposition étaient aussi représentés, notamment le Rassemblement du peuple de Guinée (Rpg) de Alpha Condé.
WADE A CELLOU DALEIN : «IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR»
A la maison de l’enfance de La Courneuve, près de Paris, ils étaient plusieurs centaines de Guinéens, avant-hier, à venir écouter les témoignages tantôt émouvants, tantôt drôles, des deux anciens Premiers ministres sous le régime du défunt Conté. Ils étaient venus de Paris et de sa région, mais aussi de province (Bordeaux, Lyon, Strasbourg...) et d’Europe.
Dans leur soif de compréhension, ils étaient venus pour entendre un récit fidèle, ils l’ont entendu. Puisque jusque dans les plus petits détails, les leaders respectifs de l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg) et de l’Union des forces républicaines (Ufr) ont tout raconté. Ils ont dit ce qu’ils ont vu, ce jour-là à Conakry, ils ont dit ce qu’ils ont entendu. Bref, ils ont raconté leur calvaire, comment a-t-on atteint ce point de non retour, comment tout a dégénéré d’un coup.
C’est Cellou Dalein Diallo, toujours en convalescence à Paris, qui a témoigné en premier. Du départ de la marche, qui menait les leaders au stade, à son évacuation à l’hôpital militaire de Percy, en région parisienne, il a délivré un récit qui a ému plus d’un. Notamment quand il dit : «A un certain moment, j’ai réalisé qu’ils voulaient vraiment me tuer. J’ai alors fait l’effort de m’abstenir de gémir, pour faire le mort, parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions.»
Dans une interview accordée au Quotidien il y a quelques jours, le leader du l’Ufdg était déjà longuement revenu sur son calvaire. Dans sa narration de samedi, il a aussi détaillé les minutes de négociations du Président Wade qui lui ont permis de sortir de l’enfer de Conakry pour venir recevoir des soins appropriés en France. Il ressort qu’après sa parole donnée à Wade, Dadis semblait pourtant traîner le pas. Car, alors que Cellou Dalein était sur le point de rallier l’aéroport, il y avait à ce même aéroport, raconte-t-il, «un déploiement inhabituel de bérets rouges». Une personnalité diplomatique lui conseille de ne pas y aller. Cellou Dalein Diallo : «J’appelle le Président Wade pour lui dire que Dadis ne semble pas avoir donné des instructions pour l’accord qu’il a donné. Il m’a dit non, il m’a dit : ‘’C’est bon tu peux aller, il ne faut pas avoir peur’’.»
L’opposant joue la prudence. Il envoie son entourage à l’enregistrement. Résultat : passeport et billet confisqués. Les négociations se poursuivront jusqu’à ce que Dadis accepte enfin de le laisser sortir. Mais, au préalable, il aura signé un engagement de retourner au pays, si toutefois la Commission d’enquête nationale veut l’interroger.
«IL SE PASSE QUELQUE CHOSE»
Après Cellou Dalein, Sidya son camarade d’infortune y est allé avec son récit. Il sera plus prolixe en détails. Sidiya Touré raconte : «Quand les jeunes drogués sont arrivés, ils nous ont attrapés comme si nous étions des voleurs et puis, ce sont des gifles, des coups de crosse. On nous a trimbalés jusqu’en bas. Quelqu’un est venu en me regardant tout droit et me dit : ‘’on va vous tuer (…)’’». Il poursuit, sous les cris d’étonnement de la salle : «Quand je me suis levé du coup que j’avais reçu à la tête, alors que je perdais beaucoup de sang, j’ai vu des scènes qui m’ont complètement bouleversé (…) J’ai vu à Conakry en plein meeting, ce jour-là, alors qu’il y avait du sang partout, des militaires se préoccuper de violer des femmes. Oui, c’est vrai, je l’ai vu sur la pelouse. Et quand je prenais des gifles en sortant, j’ai vu des choses plus graves : des militaires qui coupaient des morceaux de branche et qui les introduisaient dans le sexe des femmes, d’autres qui y mettaient le canon de leur fusil. A partir de là, je me suis arrêté et j’ai dit : ‘’qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?’’ Ça m’a valu une gifle.» Avant de conclure : «A partir de ce jour-là, vous ne pouvez plus dormir chez vous (…) Nous sommes restés comme ça en semi clandestinité à Conakry tous les soirs. Le mercredi, quand Cellou devait partir, j’ai alerté de mon côté le Président Wade pour lui dire qu’il se passe quelque chose, que Cellou devait partir mais il n’est pas parti. Il m’a dit : ‘’Moi, je ne comprends pas. On m’avait dit que c’était bon il pouvait partir’’.» Je lui ai dit : «’’C’est vous qui croyez ce qu’on vous dit. Il faut quand même vérifier’’.» Il m’a rappelé vers les coups de 11h pour dire : ‘’Je n’arrive pas à trouver votre Président, on m’a dit qu’il n’est pas au camp’’. Je lui réponds : «’’Président, il faut insister, il ne peut être nulle part à Conakry si ce n’est au camp’’.»
Finalement, Cellou Dalein rejoindra Paris via Dakar. Les autres leaders politiques seront aussi «libérés» quelques jours plus tard par Dadis pour prendre part au sommet de la Cedeao à Abuja.
Aujourd’hui, tous appellent à surfer sur la dynamique de l’unité. Seule condition pour espérer sortir la Guinée de l’ornière.
Par Thierno DIALLO - Correspondant
source le quotidien
Mais depuis samedi, cela doit être le cas. Puisqu’ils ont eu droit à deux récits poignants, comme s’ils y étaient. Jusque-là, ils s’étaient contentés des horribles images qui tournent encore en boucle sur les chaînes de télévision du monde. Et c’était au cours d’un grand meeting unitaire organisé par le Forum des «Forces vives» section France. La rencontre était animée par deux des héros du «lundi noir», en l’occurrence Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré. Mais sur le présidium, tous les autres partis de l’opposition étaient aussi représentés, notamment le Rassemblement du peuple de Guinée (Rpg) de Alpha Condé.
WADE A CELLOU DALEIN : «IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR»
A la maison de l’enfance de La Courneuve, près de Paris, ils étaient plusieurs centaines de Guinéens, avant-hier, à venir écouter les témoignages tantôt émouvants, tantôt drôles, des deux anciens Premiers ministres sous le régime du défunt Conté. Ils étaient venus de Paris et de sa région, mais aussi de province (Bordeaux, Lyon, Strasbourg...) et d’Europe.
Dans leur soif de compréhension, ils étaient venus pour entendre un récit fidèle, ils l’ont entendu. Puisque jusque dans les plus petits détails, les leaders respectifs de l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg) et de l’Union des forces républicaines (Ufr) ont tout raconté. Ils ont dit ce qu’ils ont vu, ce jour-là à Conakry, ils ont dit ce qu’ils ont entendu. Bref, ils ont raconté leur calvaire, comment a-t-on atteint ce point de non retour, comment tout a dégénéré d’un coup.
C’est Cellou Dalein Diallo, toujours en convalescence à Paris, qui a témoigné en premier. Du départ de la marche, qui menait les leaders au stade, à son évacuation à l’hôpital militaire de Percy, en région parisienne, il a délivré un récit qui a ému plus d’un. Notamment quand il dit : «A un certain moment, j’ai réalisé qu’ils voulaient vraiment me tuer. J’ai alors fait l’effort de m’abstenir de gémir, pour faire le mort, parce qu’il n’y avait pas d’autres solutions.»
Dans une interview accordée au Quotidien il y a quelques jours, le leader du l’Ufdg était déjà longuement revenu sur son calvaire. Dans sa narration de samedi, il a aussi détaillé les minutes de négociations du Président Wade qui lui ont permis de sortir de l’enfer de Conakry pour venir recevoir des soins appropriés en France. Il ressort qu’après sa parole donnée à Wade, Dadis semblait pourtant traîner le pas. Car, alors que Cellou Dalein était sur le point de rallier l’aéroport, il y avait à ce même aéroport, raconte-t-il, «un déploiement inhabituel de bérets rouges». Une personnalité diplomatique lui conseille de ne pas y aller. Cellou Dalein Diallo : «J’appelle le Président Wade pour lui dire que Dadis ne semble pas avoir donné des instructions pour l’accord qu’il a donné. Il m’a dit non, il m’a dit : ‘’C’est bon tu peux aller, il ne faut pas avoir peur’’.»
L’opposant joue la prudence. Il envoie son entourage à l’enregistrement. Résultat : passeport et billet confisqués. Les négociations se poursuivront jusqu’à ce que Dadis accepte enfin de le laisser sortir. Mais, au préalable, il aura signé un engagement de retourner au pays, si toutefois la Commission d’enquête nationale veut l’interroger.
«IL SE PASSE QUELQUE CHOSE»
Après Cellou Dalein, Sidya son camarade d’infortune y est allé avec son récit. Il sera plus prolixe en détails. Sidiya Touré raconte : «Quand les jeunes drogués sont arrivés, ils nous ont attrapés comme si nous étions des voleurs et puis, ce sont des gifles, des coups de crosse. On nous a trimbalés jusqu’en bas. Quelqu’un est venu en me regardant tout droit et me dit : ‘’on va vous tuer (…)’’». Il poursuit, sous les cris d’étonnement de la salle : «Quand je me suis levé du coup que j’avais reçu à la tête, alors que je perdais beaucoup de sang, j’ai vu des scènes qui m’ont complètement bouleversé (…) J’ai vu à Conakry en plein meeting, ce jour-là, alors qu’il y avait du sang partout, des militaires se préoccuper de violer des femmes. Oui, c’est vrai, je l’ai vu sur la pelouse. Et quand je prenais des gifles en sortant, j’ai vu des choses plus graves : des militaires qui coupaient des morceaux de branche et qui les introduisaient dans le sexe des femmes, d’autres qui y mettaient le canon de leur fusil. A partir de là, je me suis arrêté et j’ai dit : ‘’qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?’’ Ça m’a valu une gifle.» Avant de conclure : «A partir de ce jour-là, vous ne pouvez plus dormir chez vous (…) Nous sommes restés comme ça en semi clandestinité à Conakry tous les soirs. Le mercredi, quand Cellou devait partir, j’ai alerté de mon côté le Président Wade pour lui dire qu’il se passe quelque chose, que Cellou devait partir mais il n’est pas parti. Il m’a dit : ‘’Moi, je ne comprends pas. On m’avait dit que c’était bon il pouvait partir’’.» Je lui ai dit : «’’C’est vous qui croyez ce qu’on vous dit. Il faut quand même vérifier’’.» Il m’a rappelé vers les coups de 11h pour dire : ‘’Je n’arrive pas à trouver votre Président, on m’a dit qu’il n’est pas au camp’’. Je lui réponds : «’’Président, il faut insister, il ne peut être nulle part à Conakry si ce n’est au camp’’.»
Finalement, Cellou Dalein rejoindra Paris via Dakar. Les autres leaders politiques seront aussi «libérés» quelques jours plus tard par Dadis pour prendre part au sommet de la Cedeao à Abuja.
Aujourd’hui, tous appellent à surfer sur la dynamique de l’unité. Seule condition pour espérer sortir la Guinée de l’ornière.
Par Thierno DIALLO - Correspondant
source le quotidien