La manière dont nous percevons, parlons ou traitons les maladies mentales n’est pas la même partout. Nous avons demandé à des journalistes de BuzzFeed originaires de neuf pays différents de nous raconter comment ce sujet est abordé chez eux.
Dans un même pays, le regard des autres ou l’accès aux soins dépend bien souvent du genre, de l’âge, de la culture, des origines, des revenus, de la profession et d’autres facteurs encore. Cette discussion est donc un point de départ, basé sur nos recherches ainsi que nos propres expériences.
Comment les médias parlent -ils de santé mentale?
Dani Beck: Ça dépend vraiment du milieu. Il y a des gens très ouverts et compréhensifs, et d’autres qui vont être complètement désemparés. Si vous êtes en confiance, vous pouvez tout à fait demander conseil à un ami. Si vous travaillez dans une boîte soucieuse de la santé mentale de ses employés, vous pouvez même être ouvert à ce sujet au boulot. Mais le plus souvent, les gens gardent ça pour eux. Et leur entourage tombe souvent dans le piège des clichés véhiculés par certains médias, qui disent par exemple que les gens dépressifs devraient se «ressaisir».
Jenna Guillaume: C’est un sujet encore très tabou. Les gens s’en libèrent de plus en plus, surtout les jeunes, et des campagnes de prévention comme la semaine de la Santé mentale (qui a lieu en octobre en Australie) ou des organisations commeHeadspace ou le Black Dog Institute aident à déstigmatiser les questions de santé mentale, mais les gens ont encore du mal à en parler.
Personnellement, j’ai déjà évoqué mon anxiété avec mon entourage proche, et j’ai aussi demandé à une très bonne amie qui souffrait des mêmes problèmes le nom de son psychothérapeute. Mais j’ai longtemps eu honte d’en parler, en partie parce que les préjugés sont très persistants en Australie.
Iran Giusti: C’est difficile. En général, si on prend des médicaments ou qu’on suit une thérapie, ce n’est pas quelque chose dont on parle librement. Et quand on le fait, on essaie de dédramatiser, genre «Oh la la! Je suis trop angoissé-e!»
On ne demande pas à ses amis ou sa famille le numéro d’un psy, et à moins de faire explicitement la démarche, même les médecins ne vous informent pas sur les traitements psychiatriques qui existent.
Kat Angus: Les questions autour de la santé mentale font toujours l’objet de préjugés au Canada, mais j’ai l’impression que les gens réalisent petit à petit que ça concerne tout le monde, et qu’il n’y a aucune raison d’en avoir honte. Je ne dis pas que tout le monde s’est mis à en parler librement, mais quand j’ai évoqué mon combat contre la dépression et ma tentative de suicide avec mes amis et ma famille, j’ai découvert que beaucoup avaient également souffert de maladies mentales. C’est important pour réaliser qu’on n’est pas tout seul.
Elamin Abdelmahmoud: Récemment, il y a eu pas mal de campagnes de prévention au Canada pour déstigmatiser les troubles mentaux, et je trouve ça très positif. On a besoin de ces initiatives, parce qu’ici personne n’est vraiment à l’aise pour en parler.
Beatriz Serrano: Beaucoup sont encore gênés de raconter qu’ils voient un psy et généralement, quand on aborde les questions de santé mentale, c’est avec ses amis proches ou sa famille.
La perception des gens a pas mal changé ces dernières années, mais si vous consultez quelqu’un après un «événement traumatisant» (un décès ou un divorce, par exemple), ils trouvent ça plus normal que pour une maladie mentale «qui sort de nulle part». Je crois qu’il y a un vrai manque d’information sur le sujet.
Marie Telling: Ce n’est pas vraiment un sujet qu’on aborde ouvertement, même si les gens en parlent un peu plus dans les grandes villes, surtout à Paris, où on dit plus facilement à ses amis qu’on voit un psy.
Mais la santé mentale est une question qui reste très stigmatisée et associée au danger, à l’exclusion sociale, à un manque de fiabilité ou de responsabilité. D’après une étude parue en 2009, presque 70% des Français pensent que les maladies mentales «ne sont pas comme les autres maladies».
Il y a donc toujours une certaine honte, une certaine pudeur autour de leur reconnaissance et leur traitement, qui fait que beaucoup de gens ne sont pas pris en charge à temps —voire pas du tout. Et quand on est dépressif ou qu’on souffre d’anxiété, il y a aussi l’idée qu’il faut «être fort» ou «prendre sur soi» plutôt que de «médicaliser».
Andre Borges: Il y a certainement en Inde des gens prêts à parler ouvertement de dépression, du stress post-traumatique, d’addiction ou d’anxiété sociale, mais pour la majorité, ces troubles mentaux restent pas mal stigmatisés. Je crois que les gens cherchent plutôt à le cacher non pas à leurs parents, mais plutôt à leurs pairs et à leurs amis. Et ceux qui suivent une psychothérapie auront davantage tendance à en parler une fois que c’est terminé.
Ce qui reste le plus problématique, c’est qu’une fois que le gens savent que vous souffrez d’une maladie mentale, ils pensent que vous êtes fou. Ils ne voient pas ça comme un problème médical, pour eux ça relève de l’anomalie. D’où le fait d’être parfois traité comme un paria.
Baxter Aceves: Suivre une psychothérapie ou reconnaître qu’on a besoin d’aide est de plus en plus ~accepté~. Mais il y a toujours des situations (avec des conditions plus complexes, comme l’autisme) où les familles décident de «cacher» le patient et de garder ça secret. Donc oui, les gens sont un peu plus ouverts à ces questions, mais il y a encore du chemin à faire.
Susie Armitage: Je ne peux parler qu’en tant que femme blanche née aux États-Unis, alors que ces témoignages de journalistes de couleur montrent un vaste échantillon d’expériences, qui prouvent que le racisme et notre système d’immigration peuvent avoir un impact sur la santé mentale.
Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai consulté car je souffrais d’anxiété et de dépression. Un jour, un ami qui savait m’a demandé le nom de mon médecin. Mais de manière générale, je ressentais le besoin de cacher ça aux autres. Je vivais à Washington, DC, où la plupart des employeurs vérifient de manière détaillée vos antécédents. Ça ne m’est jamais arrivé, mais j’avais l’impression que tout le monde était «fiché» et j’avais peur que mes employeurs découvrent mes problèmes.
Je pense que la culture américaine est très axée sur le développement personnel, donc même si les maladies mentales restent stigmatisées, consulter est de plus en plus considéré comme quelque chose de positif.
Comment envisage -t-on la santé mentale des enfants?
DB: Qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes, c’est la même chose. Durant toute ma scolarité, de 1992 à 2005, jamais personne ne nous a parlé de santé mentale. On savait qu’on pouvait demander conseil à certains profs, mais c’est tout.
JG: En 2014, un sondage national sur la santé mentale et le bien-être a montré que près d’un Australien sur sept (14%) âgé de 4 à 17 ans a été diagnostiqué comme souffrant de troubles mentaux au cours des 12 mois précédents. Heureusement, il devient de plus en plus facile de se faire aider.
Pour les jeunes, la meilleure solution reste leur médecin généraliste. Ils peuvent aussi contacter la Kids Helpline, où un conseiller leur répond 24h/24, 7j/7. Plus de 5500 jeunes appellent chaque semaine.
Au lycée, il y a des conseillers à qui les jeunes peuvent parler. Ceci dit, quand j’étais à l’école, c’était mal vu et quand vous y alliez, les gens en parlaient derrière votre dos. J’imagine que c’est moins le cas aujourd’hui, mais avec les téléphones portables et internet, j’ai l’impression que les situations de harcèlement et les troubles mentaux qui en résultent ont empiré.
NF: Des enfants chez le psy, ce n’est pas quelque chose d’habituel. Si les parents divorcent, peut-être, mais ça reste l’apanage des classes très aisées.
En général, il n’y a pas de conseillers à qui parler à l’école. Et si un enfant «pose problème», l’école convoque ses parents.
EA: Ce qui est ahurissant, c’est qu’au Canada, 70% des jeunes adultes qui souffrent d’une maladie mentale disent que ces troubles remontent à leur enfance. C’est un chiffre énorme et personne n’en parle. Le pays est (doucement) en train de changer sa façon d’aborder cette problématique, mais la santé mentale des enfants n’est pas une grosse partie du débat.
KA: Quand j’étais une ado dépressive et suicidaire, en Ontario, j’ai pu obtenir de l’aide assez facilement. Mes conseillers d’orientation étaient plutôt ouverts sur ces questions et m’ont aidée à en parler à mes parents. À partir de là, on m’a recommandé des assistants sociaux, des psychiatres et des thérapeutes qui m’ont sauvé la vie. Et l’université où je suis allée proposait des consultations de santé mentale aux étudiants, même si la liste d’attente était longue. Comme c’est souvent le cas, la demande dépasse largement l’offre.
BS: Nous, on avait des «conseillers». C’est marrant, parce que tous étaient des psy, mais personne ne les appelait comme ça. La santé mentale n’est pas du tout abordée à l’école. Si un enfant a un problème, il va voir le conseiller et après, peut-être, un psy. Mais personne n’en parle à l’école.
MT: Il y a une vraie crainte de surmédicaliser le comportement de certains enfants. L’autre défi, idéologique, et qui prête beaucoup à débat, c’est que la majorité des pédopsychiatres se réclament du mouvement psychanalytique et sont donc opposés à la thérapie comportementale et cognitive, pourtant utilisée dans bon nombre de pays pour traiter les enfants et les ados qui souffrent de troubles mentaux.
Une étude de 2012 souligne également l’absence de spécialistes dans les écoles ou les lacunes dans leur formation. Il y a des psychologues scolaires en France, mais pas dans tous les établissements. Je n’ai pas le souvenir d’en avoir eu à l’école, ni que quiconque ait abordé la question de la santé mentale en classe.
AB: Tout ça a beaucoup changé. Il y a aujourd’hui des procédures en place pour signaler certains enfants qui pourraient avoir des problèmes, et de nombreux établissements scolaires ont des programmes de tutorat, où des étudiants plus âgés sont formés pour aider les plus jeunes. Les écoles se mettent aussi à embaucher des conseillers pour discuter avec les élèves qui ont du mal à se concentrer, en trouver la cause et peut-être le problème sous-jacent.
BA: Il y a un psy dans chaque école, puisque c’est obligatoire au collège. Mais ils ne sont pas là pour proposer une thérapie aux enfants qui en auraient besoin, leur travail consiste plutôt à identifier les problèmes dont peuvent souffrir certains élèves et les diriger vers des spécialistes. Seulement, bien sûr, si la famille en a les moyens.
Le plus souvent, les enfants vont chez le psy à cause des problèmes de leurs parents: violences conjugales, divorce, séparation pour des raisons financières…
SA: Mon lycée avait mis en place un programme de soutien, où les élèves étaient formés à parler à leurs camarades, mais également à prévenir un adulte en cas de problème grave.
D’après le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, 20% des enfants américains «souffrent d’un trouble mental au cours d’une année». Une étude sur l’accès aux traitements pour ces maladies montre que beaucoup d’enfants qui en ont besoin ne reçoivent pas ces soins, et, quand c’est le cas, pas forcément avec les spécialistes adéquats, ou bien ça ne dure pas assez longtemps.
Les soins de santé mentale sont -ils accessibles?
DB: Pour trouver quelqu’un, en général on s’y prend soi-même, on consulte Google, mais les assurances santé peuvent aussi vous adresser à plusieurs spécialistes. C’est ce que j’ai fait, en plus de demander conseil à des amis. D’ailleurs, j’ai remarqué que quand les gens savent que vous avez besoin d’aide, ils ont souvent quelqu’un à vous recommander.
Notre couverture santé prend tous les frais en charge et on peut même consulter un thérapeute ou un psychiatre jusqu’à cinq fois avant de décider si on veut commencer une vraie thérapie. On peut donc en voir plusieurs avant de choisir celui avec qui le courant passe le mieux, et une fois que qu’on a décidé, c’est le médecin qui remplit les papiers nécessaires.
JG: C’est facile de trouver un thérapeute… si on sait comment s’y prendre! Vous pouvez commencer par aller voir votre généraliste, qui jugera si vous avez besoin de consulter un spécialiste et vous orientera vers ce dernier le cas échéant. Cela implique un régime d’assurance maladie, qui propose habituellement jusqu’à dix séances gratuites par an. Le généraliste peut vous recommander quelqu’un, mais vous pouvez aussi choisir tout seul votre psy. La plupart des gens ne réalisent pas que les généralistes peuvent aussi bien vous aider avec vos problèmes physiques que mentaux. Là encore, il faut informer et sensibiliser la population.
C’est dommage, parce qu’on a tout un tas d’options pour se faire aider, des associations spécialisées aux séances de thérapie subventionnées par l’État, mais parce qu’on en parle rarement, j’ai l’impression que les gens ne savent pas vers qui se tourner. Cela dit, je trouve que la situation s’est améliorée et que les gens ont de moins en moins de préjugés sur les troubles mentaux, même s’il y a encore beaucoup à faire.
NF: Quand on cherche un spécialiste de la santé mentale, on regarde le plus souvent en ligne ou sur des sites de services de santé privés. Le secteur privé, lui, fixe la limite à une dizaine de séances par an et pour en bénéficier, il faut la recommandation d’un médecin.
Quant à la psychiatrie, il n’y a pas grande différence entre public et privé: vous y allez pour récupérer votre ordonnance et c’est tout, pas vraiment pour parler.
KA: Les Canadiens ont beau bénéficier d’une couverture sociale universelle, les soins spécifiques aux maladies mentales ne sont en général pas pris en charge, les patients doivent tout payer de leur poche.
Certaines entreprises couvrent ces traitements, mais l’envergure de la couverture dépend de l’employeur. Ça peut être juste de quoi payer quelques séances avec un psy ou un thérapeute, mais pas assez pour un vrai suivi au long cours.
L’accès à des soins gratuits dépend aussi de votre lieu de résidence; les régions rurales ont bien souvent du mal à fournir l’aide médicale nécessaire. Le territoire de Nunavut, dans le Nord du Canada, a le taux de suicide le plus élevé du pays, et sa situation reculée rend l’accès aux soins encore plus compliqué pour ses habitants.
BS: Les gens vont dans le privé, parce que c’est plus simple; vous demandez à un ami, ou à quelqu’un de votre famille, de vous recommander. Une séance d’une heure coûte entre 50 et 90 euros. Vous pouvez aussi consulter un médecin couvert par la sécu, qui vous trouvera un thérapeute, mais ça prend du temps. C’est pour ça que les gens choisissent la première option.
MT: Le nombre de praticiens dans les grandes villes comme Paris est beaucoup plus élevé qu’ailleurs, ce qui rend l’accès aux soins bien moins évident dans les régions plus rurales.
La sécurité sociale française couvre les séances avec un psychiatre, mais pas celles avec un psychologue, ce qui complique l’accès à thérapie. Et même avec un psychiatre, si ses honoraires sont plus élevés que la base de remboursement de la sécu, c’est vous qui payez la différence.
Pour faire évoluer les mentalités, il faut avant tout informer, car les préjugés sur les troubles mentaux persistent et les gens ne pensent pas à consulter un thérapeute pour aller mieux. 85% des psychotropes vendus en France sont prescrits par des généralistes qui préfèrent parfois prescrire eux-mêmes plutôt que d’orienter leurs patients anxieux ou dépressifs vers des spécialistes.
AB: Ici, la couverture santé ne prend pas en charge les soins spécifiques aux troubles mentaux, donc les gens consultent à leurs frais.
Certains hôpitaux ont des spécialistes, mais la plupart des patients vont dans des cliniques privées, même s’il en existe peu. Les gens cherchent d’abord sur Google, mais encore une fois, comme il y a peu d’établissements privés, le meilleur moyen reste le bouche-à-oreille.
BA: La prise en charge dépend de l’assurance à laquelle vous avez souscrit, mais rares sont celles qui couvrent ces frais. Et puis au Mexique, tout le monde a recours à l’automédication. Les gens se soignent avec des traitements traditionnels utilisés depuis des milliers d’années et n’ont pas besoin d’aller chez le médecin pour acheter des médicaments. Ces dernières années, la loi s’est durcie, mais on peut toujours se procurer des médicaments normalement disponibles uniquement sur ordonnance un peu partout.
SA: Aux États-Unis, c’est, comment dire, ~compliqué~. La mise en œuvre de l’Affordable Care Act, c’est-à-dire Obamacare, a permis à plus de gens de bénéficier d’une couverture santé.
Mais en pratique, il faut beaucoup d’énergie et de persévérance pour s’y retrouver — ce qui peut être compliqué pour quelqu’un qui souffre d’une maladie mentale.
buzzfeed