Ouakam. Il est 12 h en cette journée du 27 octobre. Une chaleur d’étuve s’abat sur la capitale. Malgré les reflets d’un soleil ardent, des ouvriers s’activent. Ils ont encore de l’ouvrage à faire pour donner corps à la voirie et aux marches qui mènent à l’imposante oeuvre d’art, haute de 150 mètres, érigée sur l’une des collines des mamelles. Le Monument de la renaissance africaine commence à prendre forme. Pour autant, les alentours donnent l’image d’un vaste chantier que des ouvriers coréens et sénégalais s’attellent à finir avant le 12 décembre, date retenue pour l’inauguration de ce grand Monument qui a nécessité, dit-on, 18 milliards de F Cfa pour sortir de terre. La verdure n’a pas encore poussé, aux alentours, comme dans la maquette. À la place, du ciment mélangé à du sable rougeâtre recouvre le sol. Chez les ouvriers, aucune information ne filtre sur l’état d’avancement des travaux qui doivent finir, dans les normes, au mois de novembre prochain. Quand des Sénégalais acceptent d’indiquer des voix autorisées à se prononcer sur « l’état des lieux », leurs collègues coréens nous soupèsent du regard. Et pour cause, des visiteurs tant attendus pour l’inauguration de cette statue qui « permettrait à l’Afrique de renaître de ses cendres et de marquer une rupture avec l’ère des ténèbres pour plonger dans celle de la lumière », ne sont pas, pour le moment, les bienvenus. Un regard plein d’étincelles est dardé sur celui qui ose s’aventurer sur les lieux. Les ouvriers, tenus par les rigueurs du temps, donnent l’impression de ne pas supporter d’être dérangés à l’heure du travail. A quelques jours de l’inauguration, chaque minute semble précieuse.
Mot d’ordre : interdiction de parler à la presse
Difficile d’échanger ou de soutirer la moindre information aux ouvriers de même que des responsables du chantier. « Nous ne sommes pas habilités à nous entretenir avec la presse. Il nous a été interdit de communiquer avec vous. Il y a un responsable coréen, qui a été désigné à cet effet », lâche l’homme choisi par ses pairs comme étant le chef de chantier. C’est aussi la croix et la bannière pour accéder à son collègue coréen logé dans le camp militaire de Ouakam. Lequel représente la société nord-coréenne « Mansudae Overseas Project Group of Companies », qui conduit les travaux. Quelques informations, glanées sur le chantier, font, par ailleurs, comprendre que les travaux avancent à grands pas, que l’œuvre sera livrée à date échue. Pour les curieux, le mystère continue d’entourer ce symbole de la renaissance africaine. Point d’information pour savoir ce qui se cache derrière cette majestueuse sculpture, qui devrait « abriter des infrastructures modernes et sophistiquées ». Un centre commercial, des musées, des centres d’affaires, des salles de conférence, des restaurants devront être aménagés sur ce site, qui va donner un nouveau visage à la commune d’arrondissement de Ouakam où il est logé.
Au village de Ouakam, on prie…
Une statue qui a englouti une dizaine de milliards de F Cfa pour s’ériger sur un volcan qui dort à quelques mètres du village traditionnel de Ouakam. C’est un tissu de contradictions qui s’étire au fur et à mesure qu’on s’avance vers ce village, qui est au confluent du modernisme et de la tradition. Un calme plat régnait dans la matinée d’avant-hier, vers les coups de 12h, plus précisément dans cette localité aux allures de banlieue qui est loin de resplendir de santé financière. Les effets de la crise économique se font lourdement sentir dans ce secteur, où la plupart des jeunes n’ont pas d’activités génératrices de revenus, les chefs de famille étant, la plupart, à la retraite, des femmes ont inséré le milieu informel pour prendre en charge leurs familles. Malgré ce calme apparent, l’excitation est dans l’air chez les jeunes du village, lorsque le nom de leur « voisin » est évoqué. Chez un groupe de jeunes, assis à quelques mètres de l’Inspection départementale de l’éducation nationale (Iden), l’architecture, assise sur un volcan qui somnole, déchaîne une tempête. « Nous ne voulons pas de ce Monument », « nous souhaitons qu’il soit ravagé par une éruption volcanique », « il ne reflète pas nos valeurs ». Comme une ritournelle, ces mots teintés de hargne sortent à l’entame de la conversation avec une dizaine de jeunes dont la fourchette d’âge doit être comprise entre 25 et 35 ans. Confinés au chômage, ils sont pris d’une émotion vive, quand leurs pensées s’envolent vers « ce bijou wadien », qui a ingurgité des milliards de F Cfa. Pendant que leur quartier sombre dans la pauvreté, eux n’arrivent pas à trouver du travail, leurs parents ont du mal à joindre les deux bouts.
Des jeunes menacent de saboter l’inauguration
Quand on leur tend le micro, ils se bousculent pour faire le vide. Chacun veut s’exprimer pour crier « son indignation ». Ils estiment que des défis plus pressants interpellent les autorités. « Nous n’arrivons pas à nous insérer dans le marché du travail. Nous avons arrêté très tôt nos études, parce que nos parents n’avaient pas les moyens de nous offrir une scolarité normale. Nous sommes là, à ne rien faire, alors que nous ne souhaitons que travailler à défaut, bénéficier d’une formation professionnelle… », étouffe de rage un jeune, Pape Ndiaye. Ce dernier ne termine sa phrase, qu’un autre l’interrompt : « on est prêt à accepter le métier de balayeur, si vous voyez une offre d’emploi de ce genre, faîtes nous signe de grâce… ». Le ton de sa voix semble traduire une sincérité.
Wade wanted pour 3 milliards de F Cfa…
Pour autant, la note devient discordante, lorsque le Monument de la renaissance africaine s’invite de nouveau dans le débat. « C’est insensé. Wade devait proposer autre chose à sa jeunesse que cette statue, qui ne présente aucun enjeu pour elle, sinon aiguiser sa colère. Il aurait pu investir la somme allouée à ce Monument, à d’autres fins. Élaborer des projets de travail pour les jeunes est plus important et plus urgent que d’édifier cette structure en bronze », se rebelle Pape Fodé Ndiaye. Qui, à l’image d’autres jeunes de Ouakam, ne cache pas sa rage. Son camarade pousse lui le bouchon plus loin. « Wade a intérêt à nous rembourser nos 3 milliards de F Cfa. Nous lui avons vendu les terres pour construire son Monument à 150.000 F Cfa le mètre carré, jusque-là, il n’a rien versé.
…et menacé
S’il ne tient pas sa promesse d’ici là, il peut s’assurer qu’il n’y aura pas d’inauguration le 12 décembre prochain. Nous saurons comment nous y prendre pour saboter la cérémonie. Il nous a habitués à des promesses non tenues, mais pour cette fois, nous sommes vraiment décidés ». Des menaces en l’air d’un jeune qui ont mérité une salve d’applaudissements . Certains d’entre eux confient, par ailleurs, qu’ils ont été recrutés, il y a un an, pour travailler sur ce site. « Nous travaillions de 08h à 18h pour gagner 2000 F Cfa par jour. C’était éprouvant de déblayer toute une journée pour récolter des miettes, mais nous avions accepté cette offre juste pour nous occuper et gagner un peu d’argent, mais on nous a sommés d’arrêter les travaux par la suite. D’autres ont été cooptés. Nous espérons simplement que les jeunes de Ouakam ne seront pas en rade quand il s’agira de recruter du personnel pour cette structure en gestation qui va abriter de grandes infrastructures », confie Makhtar Fall. Par ailleurs, si ces jeunes estiment pouvoir se passer du monument, la position est divergente chez d’autres. Mafall Mbaye est membre du Collectif de Ouakam. Il est d’avis que ce Monument qui « surpasse des monuments comme la Tour Eiffel ou la statue de la liberté a le mérite de conférer à notre pays une grande dimension. » Mieux, elle est susceptible, à son avis, de générer des retombées financières qui vont donner un nouvel élan à l’économie nationale. Même son de cloche chez Pape Birame Diouf. Il nourrit la conviction que l’œuvre d’art, qui surplombe la corniche, permettra à sa localité de gagner en visibilité, vu le nombre de visiteurs attendus.
Les chefs de familles se concentrent sur la marmite à bouillir loin de cette « grosse farce »
C’est avec des sentiments frisant le mépris que des dames, habitant Ouakam Disso et qui se battent au quotidien pour faire bouillir la marmite, en parlent. L’idée du chef de l’Etat ne les emballe pas. Elle n’a jamais emporté leur adhésion surtout que, disent-elles, « les autorités ne nous avaient pas parlé de leur projet en des termes clairs. Nous nous attendions vraiment à tout, sauf à un monument si coûteux qui n’influe en rien sur notre quotidien. C’est une grosse farce ». Ces femmes, qui se sont investies dans le commerce, ont préféré s’exprimer sous le sceau de l’anonymat. Elles n’apprécient pas du tout ce joyau qui trône sur une des collines volcaniques des mamelles, mais elles se résignent. « Vous voyez, on n’a pas encore amassé jusqu’à cette heure assez d’argent pour préparer le repas, c’est dur, nos maris sont à la retraite, nos enfants ne travaillent pas. Quand le mois est creux, il nous est difficile de nourrir notre famille… ». À Ouakam, ils étaient nombreux à s’attendre à une amélioration de leurs conditions de vie. Mais, pour une dame qui doit tenir sur 70 berges, il faut positiver. Malgré le poids de son âge, elle vend des cacahuètes devant le Collège d’enseignement moyen, en vue de nourrir toute une famille, dont la majorité est sans activité rémunératrice. Diak Ndéki, c’est son nom, essaie de tempérer l’ardeur des jeunes du quartier. D’une voix caressante, elle souligne que le projet de Wade peut être porteur d’opportunités pour les générations futures, puisque, estime-t-elle, Wade n’ose pas investir à perte dans un pays frappé de plein fouet par la crise économique.
M. B
MONUMENT DE LA RENAISSANCE
Zut ! Mais où est donc passée la fille ?
Après Paris et sa Tour Eifel, New-York et sa statue de la liberté, Dakar étrenne son Monument de la renaissance. La crème fraîche de la culture se donne rendez-vous dans notre pays, le 12 décembre prochain, pour contempler l’ouvrage grandiose qui symbolise aux yeux des âmes taquines « Paa bi, Doom ji, Sokhna si ». Ou Pds si vous voulez. Le Monument de la renaissance africaine incarne, pour les novices, l’image de « Paa bi » ( expression qui désigne dans notre pays le père de famille) portant sur son bras gauche son héritier qu’il exhibe fièrement à la face du monde. Avec son bras droit, il enveloppe « Sokhna si », qui semble à la traîne, mais n’en joue pas moins un rôle indéniable pour l’ascension de leur fils vers le sommet (quel sommet ?). Pour l’inauguration de ce joyau, aux airs de famille, qui symbolise toute la destinée d’une famille conquérante, le tapage médiatique mérite bien d’être au rendez-vous, pour qu’au moins « Goorgoorlu », en déphasage de l’esprit caractéristique des dynasties, puisse réserver un accueil enthousiaste à l’érection d’une architecture qui surplombe l’Océan Atlantique et impulse l’image de la « famille africaine » au banquet des grandes nations. Au même moment, la famille sénégalaise, moulée dans d’autres réalités, endure, au quotidien, les coups de fouet portés par la crise économique. Au même moment, le Monument de la Place de l’Obélisque titube espérant bénéficier des retombées de la « nouvelle élue du cœur » pour se faire une cure de jouvence. Au même moment, la « fille », la belle et discrète princesse se fait désirer. Ni son image, ni son ombre ne figurent sur cette œuvre censée mener vers la Lumière. Elle n’oriente pas « Goorgoorlu » vers « de verts pâturages », ne tempère ni sa soif, ni sa faim, mais on ne se prive pas de se poser des questions : « une héritière n’a-t-elle pas voix au chapitre ? N’a-t-elle pas le droit de contribuer à la construction de cette « nouvelle » Afrique qui veut prendre sa revanche sur sa destinée ? Les militants des droits de la femme ne doivent pas apprécier…
DAME DE COEUR
source l'As
Mot d’ordre : interdiction de parler à la presse
Difficile d’échanger ou de soutirer la moindre information aux ouvriers de même que des responsables du chantier. « Nous ne sommes pas habilités à nous entretenir avec la presse. Il nous a été interdit de communiquer avec vous. Il y a un responsable coréen, qui a été désigné à cet effet », lâche l’homme choisi par ses pairs comme étant le chef de chantier. C’est aussi la croix et la bannière pour accéder à son collègue coréen logé dans le camp militaire de Ouakam. Lequel représente la société nord-coréenne « Mansudae Overseas Project Group of Companies », qui conduit les travaux. Quelques informations, glanées sur le chantier, font, par ailleurs, comprendre que les travaux avancent à grands pas, que l’œuvre sera livrée à date échue. Pour les curieux, le mystère continue d’entourer ce symbole de la renaissance africaine. Point d’information pour savoir ce qui se cache derrière cette majestueuse sculpture, qui devrait « abriter des infrastructures modernes et sophistiquées ». Un centre commercial, des musées, des centres d’affaires, des salles de conférence, des restaurants devront être aménagés sur ce site, qui va donner un nouveau visage à la commune d’arrondissement de Ouakam où il est logé.
Au village de Ouakam, on prie…
Une statue qui a englouti une dizaine de milliards de F Cfa pour s’ériger sur un volcan qui dort à quelques mètres du village traditionnel de Ouakam. C’est un tissu de contradictions qui s’étire au fur et à mesure qu’on s’avance vers ce village, qui est au confluent du modernisme et de la tradition. Un calme plat régnait dans la matinée d’avant-hier, vers les coups de 12h, plus précisément dans cette localité aux allures de banlieue qui est loin de resplendir de santé financière. Les effets de la crise économique se font lourdement sentir dans ce secteur, où la plupart des jeunes n’ont pas d’activités génératrices de revenus, les chefs de famille étant, la plupart, à la retraite, des femmes ont inséré le milieu informel pour prendre en charge leurs familles. Malgré ce calme apparent, l’excitation est dans l’air chez les jeunes du village, lorsque le nom de leur « voisin » est évoqué. Chez un groupe de jeunes, assis à quelques mètres de l’Inspection départementale de l’éducation nationale (Iden), l’architecture, assise sur un volcan qui somnole, déchaîne une tempête. « Nous ne voulons pas de ce Monument », « nous souhaitons qu’il soit ravagé par une éruption volcanique », « il ne reflète pas nos valeurs ». Comme une ritournelle, ces mots teintés de hargne sortent à l’entame de la conversation avec une dizaine de jeunes dont la fourchette d’âge doit être comprise entre 25 et 35 ans. Confinés au chômage, ils sont pris d’une émotion vive, quand leurs pensées s’envolent vers « ce bijou wadien », qui a ingurgité des milliards de F Cfa. Pendant que leur quartier sombre dans la pauvreté, eux n’arrivent pas à trouver du travail, leurs parents ont du mal à joindre les deux bouts.
Des jeunes menacent de saboter l’inauguration
Quand on leur tend le micro, ils se bousculent pour faire le vide. Chacun veut s’exprimer pour crier « son indignation ». Ils estiment que des défis plus pressants interpellent les autorités. « Nous n’arrivons pas à nous insérer dans le marché du travail. Nous avons arrêté très tôt nos études, parce que nos parents n’avaient pas les moyens de nous offrir une scolarité normale. Nous sommes là, à ne rien faire, alors que nous ne souhaitons que travailler à défaut, bénéficier d’une formation professionnelle… », étouffe de rage un jeune, Pape Ndiaye. Ce dernier ne termine sa phrase, qu’un autre l’interrompt : « on est prêt à accepter le métier de balayeur, si vous voyez une offre d’emploi de ce genre, faîtes nous signe de grâce… ». Le ton de sa voix semble traduire une sincérité.
Wade wanted pour 3 milliards de F Cfa…
Pour autant, la note devient discordante, lorsque le Monument de la renaissance africaine s’invite de nouveau dans le débat. « C’est insensé. Wade devait proposer autre chose à sa jeunesse que cette statue, qui ne présente aucun enjeu pour elle, sinon aiguiser sa colère. Il aurait pu investir la somme allouée à ce Monument, à d’autres fins. Élaborer des projets de travail pour les jeunes est plus important et plus urgent que d’édifier cette structure en bronze », se rebelle Pape Fodé Ndiaye. Qui, à l’image d’autres jeunes de Ouakam, ne cache pas sa rage. Son camarade pousse lui le bouchon plus loin. « Wade a intérêt à nous rembourser nos 3 milliards de F Cfa. Nous lui avons vendu les terres pour construire son Monument à 150.000 F Cfa le mètre carré, jusque-là, il n’a rien versé.
…et menacé
S’il ne tient pas sa promesse d’ici là, il peut s’assurer qu’il n’y aura pas d’inauguration le 12 décembre prochain. Nous saurons comment nous y prendre pour saboter la cérémonie. Il nous a habitués à des promesses non tenues, mais pour cette fois, nous sommes vraiment décidés ». Des menaces en l’air d’un jeune qui ont mérité une salve d’applaudissements . Certains d’entre eux confient, par ailleurs, qu’ils ont été recrutés, il y a un an, pour travailler sur ce site. « Nous travaillions de 08h à 18h pour gagner 2000 F Cfa par jour. C’était éprouvant de déblayer toute une journée pour récolter des miettes, mais nous avions accepté cette offre juste pour nous occuper et gagner un peu d’argent, mais on nous a sommés d’arrêter les travaux par la suite. D’autres ont été cooptés. Nous espérons simplement que les jeunes de Ouakam ne seront pas en rade quand il s’agira de recruter du personnel pour cette structure en gestation qui va abriter de grandes infrastructures », confie Makhtar Fall. Par ailleurs, si ces jeunes estiment pouvoir se passer du monument, la position est divergente chez d’autres. Mafall Mbaye est membre du Collectif de Ouakam. Il est d’avis que ce Monument qui « surpasse des monuments comme la Tour Eiffel ou la statue de la liberté a le mérite de conférer à notre pays une grande dimension. » Mieux, elle est susceptible, à son avis, de générer des retombées financières qui vont donner un nouvel élan à l’économie nationale. Même son de cloche chez Pape Birame Diouf. Il nourrit la conviction que l’œuvre d’art, qui surplombe la corniche, permettra à sa localité de gagner en visibilité, vu le nombre de visiteurs attendus.
Les chefs de familles se concentrent sur la marmite à bouillir loin de cette « grosse farce »
C’est avec des sentiments frisant le mépris que des dames, habitant Ouakam Disso et qui se battent au quotidien pour faire bouillir la marmite, en parlent. L’idée du chef de l’Etat ne les emballe pas. Elle n’a jamais emporté leur adhésion surtout que, disent-elles, « les autorités ne nous avaient pas parlé de leur projet en des termes clairs. Nous nous attendions vraiment à tout, sauf à un monument si coûteux qui n’influe en rien sur notre quotidien. C’est une grosse farce ». Ces femmes, qui se sont investies dans le commerce, ont préféré s’exprimer sous le sceau de l’anonymat. Elles n’apprécient pas du tout ce joyau qui trône sur une des collines volcaniques des mamelles, mais elles se résignent. « Vous voyez, on n’a pas encore amassé jusqu’à cette heure assez d’argent pour préparer le repas, c’est dur, nos maris sont à la retraite, nos enfants ne travaillent pas. Quand le mois est creux, il nous est difficile de nourrir notre famille… ». À Ouakam, ils étaient nombreux à s’attendre à une amélioration de leurs conditions de vie. Mais, pour une dame qui doit tenir sur 70 berges, il faut positiver. Malgré le poids de son âge, elle vend des cacahuètes devant le Collège d’enseignement moyen, en vue de nourrir toute une famille, dont la majorité est sans activité rémunératrice. Diak Ndéki, c’est son nom, essaie de tempérer l’ardeur des jeunes du quartier. D’une voix caressante, elle souligne que le projet de Wade peut être porteur d’opportunités pour les générations futures, puisque, estime-t-elle, Wade n’ose pas investir à perte dans un pays frappé de plein fouet par la crise économique.
M. B
MONUMENT DE LA RENAISSANCE
Zut ! Mais où est donc passée la fille ?
Après Paris et sa Tour Eifel, New-York et sa statue de la liberté, Dakar étrenne son Monument de la renaissance. La crème fraîche de la culture se donne rendez-vous dans notre pays, le 12 décembre prochain, pour contempler l’ouvrage grandiose qui symbolise aux yeux des âmes taquines « Paa bi, Doom ji, Sokhna si ». Ou Pds si vous voulez. Le Monument de la renaissance africaine incarne, pour les novices, l’image de « Paa bi » ( expression qui désigne dans notre pays le père de famille) portant sur son bras gauche son héritier qu’il exhibe fièrement à la face du monde. Avec son bras droit, il enveloppe « Sokhna si », qui semble à la traîne, mais n’en joue pas moins un rôle indéniable pour l’ascension de leur fils vers le sommet (quel sommet ?). Pour l’inauguration de ce joyau, aux airs de famille, qui symbolise toute la destinée d’une famille conquérante, le tapage médiatique mérite bien d’être au rendez-vous, pour qu’au moins « Goorgoorlu », en déphasage de l’esprit caractéristique des dynasties, puisse réserver un accueil enthousiaste à l’érection d’une architecture qui surplombe l’Océan Atlantique et impulse l’image de la « famille africaine » au banquet des grandes nations. Au même moment, la famille sénégalaise, moulée dans d’autres réalités, endure, au quotidien, les coups de fouet portés par la crise économique. Au même moment, le Monument de la Place de l’Obélisque titube espérant bénéficier des retombées de la « nouvelle élue du cœur » pour se faire une cure de jouvence. Au même moment, la « fille », la belle et discrète princesse se fait désirer. Ni son image, ni son ombre ne figurent sur cette œuvre censée mener vers la Lumière. Elle n’oriente pas « Goorgoorlu » vers « de verts pâturages », ne tempère ni sa soif, ni sa faim, mais on ne se prive pas de se poser des questions : « une héritière n’a-t-elle pas voix au chapitre ? N’a-t-elle pas le droit de contribuer à la construction de cette « nouvelle » Afrique qui veut prendre sa revanche sur sa destinée ? Les militants des droits de la femme ne doivent pas apprécier…
DAME DE COEUR
source l'As