En dehors des corticoïdes et de l’hydroquinone, divers autres produits sont également utilisés il s’agit du carotène, de la vitamine C, des acides de fruits et du mercure.
2. Les corticoïdes
Les corticoïdes sont des hormones naturelles qui remplissent de nombreuses fonctions. Synthétisées par les glandes surrénales situées au pôle supérieur de chaque rein, ces hormones constituent les anti-inflammatoires les plus puissants connus.
2.1 Historique
Le premier corticoide isolé fut la cortisone par Kendall en 1935. Un an plus tard, en 1936, des extraits de la surrénale de porc ont été utilisés dans la maladie d’Addison qui est une insuffisance surrénalienne. En 1948, les propriétés anti-inflammatoires des corticoïdes sont utilisées en thérapeutique, depuis la corticothérapie générale a constitué une révolution dans la prise en charge de nombreuses maladies inflammatoires et auto-immunes.
L’utilisation des corticoïdes comme topique médicamenteux a commencé au début des années 1950, avec Sulzberg qui découvrit l’efficacité de l’hydrocortisone en application locale dans certaines maladies cutanées inflammatoires. Ensuite, des composés de synthèse sont élaborés et les indications des dermocorticoïdes se sont multipliées.
2.2 Aspects législatifs
Les corticoïdes sont des médicaments et comme tels soumis aux normes régissant de tels produits. Ainsi ils ne peuvent être obtenus que sur prescription médicale.
3. La corticothérapie
La corticothérapie est définie comme le traitement par les corticoïdes, ces derniers existent sous plusieurs formes.
3.1 La corticothérapie générale
Il s’agit d’une corticothérapie par voie orale (comprimés) ou par voie injectable (ampoules injectables) ; cette dernière voie est constituée soit par la voie intramusculaire ou intraveineuse.
3.2 La corticothérapie locale
Cette forme comporte soit des collyres, des gouttes intra nasales, soit des produits inhales, signalons également les produits par voie intra lésionnelle.
La corticothérapie locale en dermatologie
C’est l’utilisation par voie locale ou topique des corticostéroïdes, dérivés de synthèse du cortisone doués d’activité supérieure à celle des hormones cortico-surrénaliennes naturelles.
Les dermocorticoïdes font partie des corticoïdes locaux ; ils sont utilisés par voie topique ou voie cutanée et constituent des traitements incontournables en dermatologie. Leurs indications sont nombreuses. Leur efficacité est remarquable, mais leurs effets secondaires sont importants parmi lesquels une atrophie cutanée, une dépigmentation de la peau. L’action anti prolifératif des dermocorticoïdes sur les mélanocytes par la synthèse d’ADN et leur action sur toutes les composantes cellulaires de la peau entraine un effet dépigmentant. C’est cet effet secondaire qui fait qu’il est détourné de son rôle de médicament et utilisé à visée cosmétique.
Classification des dermocorticoïdes
Il existe 4 classes de dermocorticoïdes définies en fonction de l’intensité de leur activité.
Classe I : très forte
Classe II : forte Classe III : modérée Classe IV : faible
La classe d’un dermocorticoïde dépend de sa puissance d’activité (définie in vitro par le test de vasoconstriction).
4. Les dermocorticoïdes locaux au Sénégal
4.1 Aspects législatifs
Il n’existe pas, à notre connaissance, de législation spécifique aux dermocorticoïdes, et leur commercialisation est soumise aux mêmes textes que ceux en vigueur pour les médicaments.
4.2 Aspects économiques
Plus de 600 boites de dermocorticoïdes seraient importés par an, au Sénégal au niveau de la direction nationale de la pharmacie. Le coût économique moyen d’un tube de dermocorticoïde en officine est de 2000F CFA.
5. Le mésusage des dermocorticoïdes : utilisation en cosmétologie
Dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne où il n’existe pas un système de cosmétovigilance adéquat ou performant la majorité des produits cosmétiques retrouvés sur les marchés de ces pays échappe à toute réglementation. C’est ainsi que l’utilisation à visée cosmétique des dermocorticoïdes est une pratique courante chez les femmes originaires d’Afrique sub-saharienne. Les dermocorticoïdes utilisés appartiennent à la classe I et à la classe II c’est-à-dire respectivement d’activité très forte. Le propionate de clobetasol et la béthamethasone sont les plus utilisés. Ces dermocorticoïdes sont souvent associés à d’autres produits dépigmentants essentiellement l’hydroquinone. Les acides de fruits, la vitamine C et le carotène sont également utilisés.
A côté de ces produits de fabrication industrielle, il existe de nombreux produits de fabrication artisanale confectionnés par les adeptes de la dépigmentation artificielle.
6. La dépigmentation artificielle (DA) ou dépigmentation cosmétique ou dépigmentation volontaire
Elle se défini comme l’ensemble des procédés et procédures visant à obtenir une dépigmentation de la peau par l’usage de produits utilisés par voie locale et ou générale.
6.1 Epidémiologie
La DA est une pratique n’est pas l’apanage des populations mélanodermes ; elle est également retrouvée chez les asiatiques, les mauresques... En Afrique, la DA intéresse surtout les femmes africaines au sud du Sahara : Mali, Togo, Burkina- Faso, Nigeria et Sénégal. En Europe et aux Etats-Unis, à la faveur de l’immigration, la dépigmentation cosmétique est également retrouvée dans toutes les grandes villes.
En Afrique subsaharienne, les prévalences varient de 25 à 92 p. 100 selon le type d’échantillonnage et le recrutement. Toutes les études de prévalence sont réalisées en zone urbaine, ce qui fait que l’on dispose de peu de données chiffrées concernant la pratique dans les zones rurales. Elle serait un marqueur d’ascension du statut social et surtout d’une augmentation des revenus économiques. La DA est une pratique surtout féminine, mais dans certains pays, tels que le Congo ou le Nigeria, des hommes s’adonnent également à la pratique. Par ailleurs, des observations isolées rapportent des complications dermatologiques chez des hommes utilisant des produits
cosmétiques de leur entourage féminin (épouses, soeurs) dans un but émollient ou hydratant en période de froid.
La tranche d’âge la plus concernée par la DA est celle de20 à 40 ans, mais des femmes de la cinquantaine adhèrent aussi à la pratique. Au Sénégal, Wone et al. retrouvent une prévalence de 72,2 p. 100 chez les femmes mariées contre 63,9 p. 100 chez les célibataires. La DA est pratiquée par les femmes indépendamment de leur niveau d’instruction.
Les études épidémiologiques réalisées en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Togo, Mali) montrent que ce sont les femmes sachant lire qui utilisent surtout les produits dépigmentants (PD) comparativement aux femmes illettrées. Mais en pratique courante, elle est retrouvée quel que soit le niveau d’instruction (primaire, secondaire, ou supérieure), la différence concerne la nature des produits utilisés. En effet, les femmes ayant un niveau d’instruction secondaire ou supérieur utiliseraient des produits réputés moins nocifs (laits), tandis que celles dont le niveau d’instruction ne dépasse pas l’école primaire auraient plutôt tendance à utiliser les crèmes contenant des corticoïdes. De même, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées ; les élèves et les étudiants constituant 44,6 p. 100 de la taille de l’échantillon.
6.2 Le coût économique
Une étude réalisée à Dakar montre que le cout de la DA représente 18% du revenu des ménages. En moyenne les femmes dépenses jusqu’à 10000F CFA par mois rien que pour l’achat des produits.
6.3 Les produits et procédés
Les produits sont de nature et de composition variée ; on distingue les produits de fabrication artisanale et les produits modernes.
6.3.1 Les produits de fabrication artisanale
Ils sont confectionnés par les femmes qui mélangent des produits divers à base d’huile de palme, d’oeufs, de savon, de shampoing et de dermocorticoïdes (propionate de clobetasol ou dipropionate de béthamethasone). Ce mélange est porté à ébullition. Les ingrédients de base varient et chaque femme détient jalousement ses secrets de fabrication. De nombreux produits de fabrication artisanale inondent les marchés africains et leur composition est inconnue la plupart des temps.
6.3.2. Les corticostéroïdes en topiques
Le mécanisme d’action consiste en une inhibition de la pro-opiomélanocortine qui est le précurseur de la Mélanocyte Stimulating Hormone (α MSH) qui est produite dans le lobe intermédiaire de l’hypophyse et qui stimule la production de mélanine au niveau épidermique. Ces produits se présentent sous à type de gel, de crème et sont commercialisés sous forme de tubes de 20 à 30 g avec des noms de spécialités très évocateurs (Vit-Fée...). Ils sont importés à partir du marché européen mais sont également contrefaits en Asie. Une liste exhaustive des produits dépigmentants à base de dermocorticoïdes et d’hydroquinone était récemment publiée par le groupe thématique peau noire de la Société Française de Dermatologie. Nous publions cette liste en annexe.
6.3.3. L’hydroquinone
Il s’agit d’un composé phénolique encore appelé 1-4 dihydrobenzéne, la démonstration de l’activité dépigmentante de l’hydroquinone a été rapportée pour la première fois par Oettel en 1936. Le mécanisme d’action est double une inhibition : directe de la mélanogénese par suppression de la tyrosinase et indirecte par la libération de radicaux libres de semi quinone qui sont toxiques pour les mélanosomes. Des études menées chez le rat et sur la peau humaine in vitro ont montré une pénétration de l’hydroquinone au niveau de toutes les couches cutanées et son passage au niveau de la circulation sanguine. En 1941, Martin et Ansbacher ont démontré que l’ingestion d’hydroquinone induisait un aspect grisonnant de la chevelure de la souris. En 1950, l’hydroquinone était utilisée comme écran solaire aux Etats –Unis et les utilisateurs ont signalé une complication à type d’une dépigmentation. Depuis 1956 l’Hydroquinone est disponible dans de nombreux produits à visée dépigmentante aux Etats –Unis. En 1961 Spencer rapporte le premier essai thérapeutique évaluant l’hydroquinone comme agent dépigmentant et depuis il est le traitement de première intention des troubles pigmentatires tels que le melasma, les lentigines.
6.3.4 Le mercure
Le mercure existe sous deux formes organique et inorganique ; les crèmes et pommades à base de mercure sont utilisés depuis de nombreux siècles à visée thérapeutique. Récemment, ils sont utilisés à visée dépigmentante dans de nombreuses spécialités. Leur mécanisme d’action est le suivant : inhibition des enzymes sulfhydryl ou de mercaptans avec comme résultante une suppression de la tyrosinase et une diminution de la mélanogénese ; on le retrouve sous forme de savon et de crème.
6.3.5 Les autres PD
Vaseline salicylée (5%- 50%) Elle est commercialisée dans différentes officines sans prescription médicale, elle est alors utilisée à la phase intensive de la pratique de la dépigmentation artificielle.
Le Carotène, sous forme de lait ou de crème, les acides de fruits sont également utilisés sous formes de laits corporels à visée dépigmentante. Dans la plupart des cas divers produits de composition inconnue sont retrouvés sur les marchés et leurs propriétés dépigmentantes sont mises en évidence après une utilisation prolongée.
6.3.6 Les modalités d’utilisation des produits dépigmentants
Habituellement deux phases sont décrites : une première phase intensive suivie d’une phase d’entretien durant laquelle l’application des produits est plus espacée. Les modalités sont variables : le nombre de produits utilisés est en moyenne de 2, parfois les femmes utilisent jusqu’à 7 produits. Ces derniers peuvent être mélangés dans un récipient et conservés durant une période plus ou moins longue.
Généralement une seule application est effectuée directement sur la peau suivie ou non d’une occlusion en fonction de l’intensité de la dépigmentation souhaitée. Ainsi pour la dépigmentation intense une occlusion est effectuée et il arrive dans les cas extrêmes que le produit reste en contact plusieurs jours avec la peau sans lavage. L’application peut s’effectuer sur une partie (visage) ou sur la totalité de la peau humide (92%) avec un nombre d’application variable de une à deux par jour. Il existe des variations saisonnières le nombre d’application étant réduit en période d’hivernage en raison de la forte canicule ; à l’inverse de la saison sèche ou il fait plus froid avec une accentuation de xérose le nombre d’application est augmenté. De même au cours de la grossesse, il peut y avoir un renforcement de la pratique surtout au cours du dernier trimestre. La durée moyenne de la pratique chez des patientes présentant des complications est de 10 ans et la quantité mensuelle de dermocorticoïdes de niveau 1 utilisée est de 350 g .
7. Complications médicales de la Dépigmentation artificielle
7.1 Complications liées à l utilisation des dermocorticoïdes à visée cosmétique
Les infections cutanées qu’elles soient bactériennes, mycosiques, parasitaires ou virales sont fréquemment observées avec l’usage de PD. Ces infections sont caractérisées tout d’abord par une modification de leurs caractéristiques sémiologiques habituelles ensuite par leur caractère récidivant et enfin par la résistance aux traitements usuels.
Les mycoses ont une fréquence élevée à 22%, les dermatophyties de la peau glabre sont volontiers étendues profuses avec une bordure papuleuse leur topographie au visage est classique et leur extension au cuir chevelu habituelle. Le pityriasis versicolor présente un caractère achromique et siège aux membres inferieurs ou supérieurs. Les dermohypodermites bactériennes constituent la première cause d’hospitalisation en dermatologie à Dakar, elles siègent préférentiellement aux membres inferieurs elles peuvent s’accompagner de choc septique en cas de prise en charge tardive ou de comorbidité.
La gale profuse croûteuse chronique est l’apanage des femmes utilisant des corticoïdes d’activité très forte. Elle est très contagieuse et nécessite un traitement plus long.
Des troubles esthétiques observés au long cours sont les suivants : les vergetures, l’atrophie cutanée, l’ichtyose pré tibiale, la kératose pilaire. Les vergetures sont larges, profondes et profuses irréversibles elles constituent rarement un motif de consultation.
7.2 Complications liées à l’utilisation de l’hydroquinone à visée cosmétique Les dyschromies
Les produits dépigmentants à base d’hydroquinone sont à l’origine de troubles pigmentaires qui siègent avec prédilection sur les zones photo-exposées. Parmi ceux-ci, l’ochronose exogène est l’une des complications les plus redoutées, car son traitement est difficile et inaccessible dans les pays à ressources limitées. Elle est relativement fréquente, de 4 p. 100 à Bamako à 9,6 p. 100 dans la série de Raynaud].
Décrite pour la première fois par Findlay en 1975, elle survient chez la femme entre 30 et 39 ans, en moyenne après 8 ans d’utilisation de produits à base d’hydroquinone.
Elle n’a pas été rapportée par Marchand en 1976 dans sa série dakaroise, en raison probablement de ce long délai, les premiers cas d’ochronose exogène n’étant apparus que beaucoup plus tardivement.
Une autre variante clinique de ces troubles dyschromiques est représentée par la miliaire colloïde, qui réalise des papules et des micro-papules groupées ou confluentes, tendues, généralement plus foncées que la peau normale, donnant une couleur grisâtre inhomogène. Les lésions siègent aux tempes, à la région jugale au-dessus du masséter et à la nuque.
Les dermatoses lichenoïdes
Des aspects cliniques secondaires à l’usage de PD à base d’hydroquinone méritent une attention particulière en raison du diagnostic différentiel fréquent avec le lupus érythémateux discoïde ou du lichen annulaire . Il s’agit des dermatoses lichenoïdes décrites initialement en 1975 par Marchand et Ndiaye, qui en individualisèrent deux formes principales.
La forme lichénoide disséminée réalise une éruption de papules ovalaires bleutées, disséminées sur le visage et le décolleté, avec une bordure surélevée, un centre hyperpigmenté et une extension centrifuge donnant un aspect de lichen annulaire ou de lupus érythémateux chronique s’il existe des squames. La forme « violine » péri oculaire siège à la paupière inférieure et la région sous orbitaire ; elle débute par un prurit à un angle de l’oeil associé à une lésion surélevée à limites nettes en forme de bourrelet ou de liseré rosé. L’extension est centrifuge, laissant un centre violacé à épiderme normal. La régression spontanée est habituelle, avec possibilité de reprise évolutive.
7.3 Complications liées à l’utilisation de mercure à visée cosmétique
Les crèmes dépigmentantes à base de mercure contiennent habituellement du chlorure de mercure ou calomel et du chlorure de mercure ammoniaqué qui sont des sels organiques.
L’exposition aigue ou chronique au mercure peut s’accompagner de désordres cutanés, rénaux et neurologiques. Classiquement l’intoxication au mercure est rencontrée chez les chapeliers qui fabriquent les chapeaux avec le feutre connu sous le nom de la maladie des chapeliers fous. Cependant les crèmes éclaircissantes à base de mercure constituent des une cause émergente de toxicité mercurielle.
Les complications dermatologiques communes sont les suivantes : eczéma de contact allergique, flushing, érythrodermie, purpura, gingivo-stomatite, et la décoloration des ongles. Quant à l’intoxication chronique elle peut s’accompagner d’une hyperpigmentation paradoxale qui pourrait résulter d’un granulome à corps étrangers contenant du mercure.
7.4 Autres complications cutanées
A ce jour, 07 Cas de cancers associés à la dépigmentation artificielle sont rapportés, la localisation de ces cancers sur des zones photo exposés, le rôle cancérigène de l’hydroquinone et le rôle immunosuppresseur des dermocorticoïdes sont en faveur du rôle des PD dans l’apparition de ces cancers.
Les autres complications dermatologiques des PD comprennent des eczémas de contact allergiques et des dermites caustiques. Elles sont fréquentes, aussi bien avec les dermocorticoïdes qu’avec l’hydroquinone. Quant aux dermatites caustiques, elles sont souvent observées à la phase d’attaque de la dépigmentation artificielle, avec des lésions érosives liées à une nécrose épidermique. Elles sont responsables d’hyperchromie séquellaire ou d’un aspect bigarré alternant des zones d’hyperpigmentation et d ’hypo pigmentation.
Certaines complications sont souvent observées même si elles ne suscitent que rarement une consultation. Il s’agit de la coloration brunâtre des ongles secondaire à l’usage d’hydroquinone ; de la dermatite péri-orale secondaire à l’utilisation de dermocorticoïdes, au cours de laquelle la peau est recouverte de papules ou de papulo-pustules ; de la xérose ou de l’ichtyose pré tibiale ; et de la kératose pilaire pigmentée, dont la topographie préférentielle se situe aux membres inférieurs. L’hirsutisme est également observé souvent chez les femmes ayant utilisé des corticoïdes pendant plusieurs années.
Les complications trophiques telles que l’atrophie cutanée et les vergetures sont des effets secondaires bien connus de l’application prolongée des dermocorticoïdes. Elles s’accompagnent d’une fragilité capillaire. Les vergetures sont particulièrement profuses, larges, atrophiques ou pigmentées.
Elles motivent rarement la consultation, considérées par les utilisatrices comme la rançon de l’efficacité de la DA. Enfin, il est important de mentionner que la DA entraîne une modification de la sémiologie de certaines dermatoses. C’est ainsi que des lésions de lèpre furent masquées par l’usage à visée cosmétique de dermocorticoïdes retardant le diagnostic de lèpre qui ne fut porté qu’au stade de troubles neurologiques.
7.5 Complications extra dermatologiques
En dehors des complications dermatologiques, des affections générales comme le diabète et l’HTA ont été associées à la DA. Dans une étude réalisée à l’hôpital principal de Dakar, Raynaud et al. ont montré une fréquence élevée du diabète et de l’hypertension artérielle dans le groupe des femmes utilisant les produits dépigmentants comparativement au groupe qui n’en utilisait pas. Cependant, il existait dans cette étude certains biais dont l’imprécision de la nature des produits utilisés (corticoïdes ou non).
On sait que les applications de dermocorticoïdes s’accompagnent d’effets biologiques à partir de 30 g/mois, pouvant réaliser un véritable syndrome de Cushing ; leur arrêt brutal peut entraîner une insuffisance surrénalienne. Chez la femme enceinte, le passage transplacentaire du mercure peut être responsable d’une intoxication du nouveau-né avec une anémie, une insuffisance rénale et une cataracte, comme l’ont rapporté Lauwerys et al.
Les complications classiques des dermocorticoïdes : défaut de cicatrisation en cas de césarienne, surinfection des plaies opératoires, sont bien connues des adeptes de la DC. Aussi, évitent-elles lors de la grossesse d’appliquer les produits sur la région abdomino-pelvienne. Le renforcement de la dépigmentation artificielle au dernier tiers de la grossesse est un phénomène fréquent à Dakar, qui a pour but l’obtention d’une peau claire lors de la cérémonie de baptême qui a lieu généralement une semaine après l’accouchement.
Dans une thèse effectuée à Dakar en 2005, il a été noté que la prévalence de la DA chez la femme enceinte était de 67 p. 100. Par ailleurs, il existait une association statistiquement significative entre l’utilisation à visée dépigmentante de dermocorticoïdes de niveau 4 et un placenta de faible poids d’une part et d’autre part un nouveau-né de petit poids.
8. Plaidoyer pour une cosmétovigilance
Au vu de la prévalence élevée de la dépigmentation artificielle, de la morbidité et de la mortalité importante qui sont associées à cette pratique, une cosmétovigilance s’impose. C’est dans cette optique que s’inscrit la démarche d’AIIDA (Association Internationale d’ Information sur la Dépigmentation Artificielle) créée le 19 Janvier 2002 à Dakar.
Tous les produits dépigmentants sont nocifs, mais les dermocorticoïdes, parce qu’ils induisent des infections sévères les dermohypodermites bactériennes, parce qu’ils sont des médicaments détournés de leur usage doivent être retirés du marché des cosmétiques.
De plus, leur publicité doit être interdite dans les médias publics et privés à l’instar des mesures prises dans certains pays africains (Burkina Faso) et de l’Union Européenne.
Les produits cosmétiques doivent faire l’objet de tests toxicologiques rigoureux avant leur autorisation de commercialisation.
9. Recommandations
9.1 A l’endroit des autorités politiques
Instituer une loi sur la cosmétovigilance ou si elle existe veiller à son application au Sénégal Interdire la vente de dermocorticoïdes comme produits dépigmentants
9.2 A l’endroit des autorités sanitaires
Introduire dans les programmes de formation sanitaires les complications médicales de la DA
Promouvoir l’IEC dans les programmes d’éducation sanitaire au niveau du ministère de la santé
9.3 A l‘endroit des consommateurs
Exiger le label qualité sur les produits cosmétiques
10. Conclusion
Des pratiques cosmétiques nocives en l’occurrence l’usage à visée cosmétique de produits dépigmentants sont fréquentes chez les femmes originaires d’Afrique sub-saharienne. Elles sont souvent associées à des complications médicales dermatologiques ou non. L’absence de directives claires et de cadre législatif de cosmétovigilance en Afrique sub-saharienne rendent obsolète toute tentative de prévention de ces accidents cosmétiques. Aussi une coordination des activités préventives est nécessaire pour une lutte collective dans un cadre régional ou sous régional. La cosmétovigilance s’impose pour une meilleure prévention de ce phénomène de mode devenu problème de santé publique.
2. Les corticoïdes
Les corticoïdes sont des hormones naturelles qui remplissent de nombreuses fonctions. Synthétisées par les glandes surrénales situées au pôle supérieur de chaque rein, ces hormones constituent les anti-inflammatoires les plus puissants connus.
2.1 Historique
Le premier corticoide isolé fut la cortisone par Kendall en 1935. Un an plus tard, en 1936, des extraits de la surrénale de porc ont été utilisés dans la maladie d’Addison qui est une insuffisance surrénalienne. En 1948, les propriétés anti-inflammatoires des corticoïdes sont utilisées en thérapeutique, depuis la corticothérapie générale a constitué une révolution dans la prise en charge de nombreuses maladies inflammatoires et auto-immunes.
L’utilisation des corticoïdes comme topique médicamenteux a commencé au début des années 1950, avec Sulzberg qui découvrit l’efficacité de l’hydrocortisone en application locale dans certaines maladies cutanées inflammatoires. Ensuite, des composés de synthèse sont élaborés et les indications des dermocorticoïdes se sont multipliées.
2.2 Aspects législatifs
Les corticoïdes sont des médicaments et comme tels soumis aux normes régissant de tels produits. Ainsi ils ne peuvent être obtenus que sur prescription médicale.
3. La corticothérapie
La corticothérapie est définie comme le traitement par les corticoïdes, ces derniers existent sous plusieurs formes.
3.1 La corticothérapie générale
Il s’agit d’une corticothérapie par voie orale (comprimés) ou par voie injectable (ampoules injectables) ; cette dernière voie est constituée soit par la voie intramusculaire ou intraveineuse.
3.2 La corticothérapie locale
Cette forme comporte soit des collyres, des gouttes intra nasales, soit des produits inhales, signalons également les produits par voie intra lésionnelle.
La corticothérapie locale en dermatologie
C’est l’utilisation par voie locale ou topique des corticostéroïdes, dérivés de synthèse du cortisone doués d’activité supérieure à celle des hormones cortico-surrénaliennes naturelles.
Les dermocorticoïdes font partie des corticoïdes locaux ; ils sont utilisés par voie topique ou voie cutanée et constituent des traitements incontournables en dermatologie. Leurs indications sont nombreuses. Leur efficacité est remarquable, mais leurs effets secondaires sont importants parmi lesquels une atrophie cutanée, une dépigmentation de la peau. L’action anti prolifératif des dermocorticoïdes sur les mélanocytes par la synthèse d’ADN et leur action sur toutes les composantes cellulaires de la peau entraine un effet dépigmentant. C’est cet effet secondaire qui fait qu’il est détourné de son rôle de médicament et utilisé à visée cosmétique.
Classification des dermocorticoïdes
Il existe 4 classes de dermocorticoïdes définies en fonction de l’intensité de leur activité.
Classe I : très forte
Classe II : forte Classe III : modérée Classe IV : faible
La classe d’un dermocorticoïde dépend de sa puissance d’activité (définie in vitro par le test de vasoconstriction).
4. Les dermocorticoïdes locaux au Sénégal
4.1 Aspects législatifs
Il n’existe pas, à notre connaissance, de législation spécifique aux dermocorticoïdes, et leur commercialisation est soumise aux mêmes textes que ceux en vigueur pour les médicaments.
4.2 Aspects économiques
Plus de 600 boites de dermocorticoïdes seraient importés par an, au Sénégal au niveau de la direction nationale de la pharmacie. Le coût économique moyen d’un tube de dermocorticoïde en officine est de 2000F CFA.
5. Le mésusage des dermocorticoïdes : utilisation en cosmétologie
Dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne où il n’existe pas un système de cosmétovigilance adéquat ou performant la majorité des produits cosmétiques retrouvés sur les marchés de ces pays échappe à toute réglementation. C’est ainsi que l’utilisation à visée cosmétique des dermocorticoïdes est une pratique courante chez les femmes originaires d’Afrique sub-saharienne. Les dermocorticoïdes utilisés appartiennent à la classe I et à la classe II c’est-à-dire respectivement d’activité très forte. Le propionate de clobetasol et la béthamethasone sont les plus utilisés. Ces dermocorticoïdes sont souvent associés à d’autres produits dépigmentants essentiellement l’hydroquinone. Les acides de fruits, la vitamine C et le carotène sont également utilisés.
A côté de ces produits de fabrication industrielle, il existe de nombreux produits de fabrication artisanale confectionnés par les adeptes de la dépigmentation artificielle.
6. La dépigmentation artificielle (DA) ou dépigmentation cosmétique ou dépigmentation volontaire
Elle se défini comme l’ensemble des procédés et procédures visant à obtenir une dépigmentation de la peau par l’usage de produits utilisés par voie locale et ou générale.
6.1 Epidémiologie
La DA est une pratique n’est pas l’apanage des populations mélanodermes ; elle est également retrouvée chez les asiatiques, les mauresques... En Afrique, la DA intéresse surtout les femmes africaines au sud du Sahara : Mali, Togo, Burkina- Faso, Nigeria et Sénégal. En Europe et aux Etats-Unis, à la faveur de l’immigration, la dépigmentation cosmétique est également retrouvée dans toutes les grandes villes.
En Afrique subsaharienne, les prévalences varient de 25 à 92 p. 100 selon le type d’échantillonnage et le recrutement. Toutes les études de prévalence sont réalisées en zone urbaine, ce qui fait que l’on dispose de peu de données chiffrées concernant la pratique dans les zones rurales. Elle serait un marqueur d’ascension du statut social et surtout d’une augmentation des revenus économiques. La DA est une pratique surtout féminine, mais dans certains pays, tels que le Congo ou le Nigeria, des hommes s’adonnent également à la pratique. Par ailleurs, des observations isolées rapportent des complications dermatologiques chez des hommes utilisant des produits
cosmétiques de leur entourage féminin (épouses, soeurs) dans un but émollient ou hydratant en période de froid.
La tranche d’âge la plus concernée par la DA est celle de20 à 40 ans, mais des femmes de la cinquantaine adhèrent aussi à la pratique. Au Sénégal, Wone et al. retrouvent une prévalence de 72,2 p. 100 chez les femmes mariées contre 63,9 p. 100 chez les célibataires. La DA est pratiquée par les femmes indépendamment de leur niveau d’instruction.
Les études épidémiologiques réalisées en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Togo, Mali) montrent que ce sont les femmes sachant lire qui utilisent surtout les produits dépigmentants (PD) comparativement aux femmes illettrées. Mais en pratique courante, elle est retrouvée quel que soit le niveau d’instruction (primaire, secondaire, ou supérieure), la différence concerne la nature des produits utilisés. En effet, les femmes ayant un niveau d’instruction secondaire ou supérieur utiliseraient des produits réputés moins nocifs (laits), tandis que celles dont le niveau d’instruction ne dépasse pas l’école primaire auraient plutôt tendance à utiliser les crèmes contenant des corticoïdes. De même, toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées ; les élèves et les étudiants constituant 44,6 p. 100 de la taille de l’échantillon.
6.2 Le coût économique
Une étude réalisée à Dakar montre que le cout de la DA représente 18% du revenu des ménages. En moyenne les femmes dépenses jusqu’à 10000F CFA par mois rien que pour l’achat des produits.
6.3 Les produits et procédés
Les produits sont de nature et de composition variée ; on distingue les produits de fabrication artisanale et les produits modernes.
6.3.1 Les produits de fabrication artisanale
Ils sont confectionnés par les femmes qui mélangent des produits divers à base d’huile de palme, d’oeufs, de savon, de shampoing et de dermocorticoïdes (propionate de clobetasol ou dipropionate de béthamethasone). Ce mélange est porté à ébullition. Les ingrédients de base varient et chaque femme détient jalousement ses secrets de fabrication. De nombreux produits de fabrication artisanale inondent les marchés africains et leur composition est inconnue la plupart des temps.
6.3.2. Les corticostéroïdes en topiques
Le mécanisme d’action consiste en une inhibition de la pro-opiomélanocortine qui est le précurseur de la Mélanocyte Stimulating Hormone (α MSH) qui est produite dans le lobe intermédiaire de l’hypophyse et qui stimule la production de mélanine au niveau épidermique. Ces produits se présentent sous à type de gel, de crème et sont commercialisés sous forme de tubes de 20 à 30 g avec des noms de spécialités très évocateurs (Vit-Fée...). Ils sont importés à partir du marché européen mais sont également contrefaits en Asie. Une liste exhaustive des produits dépigmentants à base de dermocorticoïdes et d’hydroquinone était récemment publiée par le groupe thématique peau noire de la Société Française de Dermatologie. Nous publions cette liste en annexe.
6.3.3. L’hydroquinone
Il s’agit d’un composé phénolique encore appelé 1-4 dihydrobenzéne, la démonstration de l’activité dépigmentante de l’hydroquinone a été rapportée pour la première fois par Oettel en 1936. Le mécanisme d’action est double une inhibition : directe de la mélanogénese par suppression de la tyrosinase et indirecte par la libération de radicaux libres de semi quinone qui sont toxiques pour les mélanosomes. Des études menées chez le rat et sur la peau humaine in vitro ont montré une pénétration de l’hydroquinone au niveau de toutes les couches cutanées et son passage au niveau de la circulation sanguine. En 1941, Martin et Ansbacher ont démontré que l’ingestion d’hydroquinone induisait un aspect grisonnant de la chevelure de la souris. En 1950, l’hydroquinone était utilisée comme écran solaire aux Etats –Unis et les utilisateurs ont signalé une complication à type d’une dépigmentation. Depuis 1956 l’Hydroquinone est disponible dans de nombreux produits à visée dépigmentante aux Etats –Unis. En 1961 Spencer rapporte le premier essai thérapeutique évaluant l’hydroquinone comme agent dépigmentant et depuis il est le traitement de première intention des troubles pigmentatires tels que le melasma, les lentigines.
6.3.4 Le mercure
Le mercure existe sous deux formes organique et inorganique ; les crèmes et pommades à base de mercure sont utilisés depuis de nombreux siècles à visée thérapeutique. Récemment, ils sont utilisés à visée dépigmentante dans de nombreuses spécialités. Leur mécanisme d’action est le suivant : inhibition des enzymes sulfhydryl ou de mercaptans avec comme résultante une suppression de la tyrosinase et une diminution de la mélanogénese ; on le retrouve sous forme de savon et de crème.
6.3.5 Les autres PD
Vaseline salicylée (5%- 50%) Elle est commercialisée dans différentes officines sans prescription médicale, elle est alors utilisée à la phase intensive de la pratique de la dépigmentation artificielle.
Le Carotène, sous forme de lait ou de crème, les acides de fruits sont également utilisés sous formes de laits corporels à visée dépigmentante. Dans la plupart des cas divers produits de composition inconnue sont retrouvés sur les marchés et leurs propriétés dépigmentantes sont mises en évidence après une utilisation prolongée.
6.3.6 Les modalités d’utilisation des produits dépigmentants
Habituellement deux phases sont décrites : une première phase intensive suivie d’une phase d’entretien durant laquelle l’application des produits est plus espacée. Les modalités sont variables : le nombre de produits utilisés est en moyenne de 2, parfois les femmes utilisent jusqu’à 7 produits. Ces derniers peuvent être mélangés dans un récipient et conservés durant une période plus ou moins longue.
Généralement une seule application est effectuée directement sur la peau suivie ou non d’une occlusion en fonction de l’intensité de la dépigmentation souhaitée. Ainsi pour la dépigmentation intense une occlusion est effectuée et il arrive dans les cas extrêmes que le produit reste en contact plusieurs jours avec la peau sans lavage. L’application peut s’effectuer sur une partie (visage) ou sur la totalité de la peau humide (92%) avec un nombre d’application variable de une à deux par jour. Il existe des variations saisonnières le nombre d’application étant réduit en période d’hivernage en raison de la forte canicule ; à l’inverse de la saison sèche ou il fait plus froid avec une accentuation de xérose le nombre d’application est augmenté. De même au cours de la grossesse, il peut y avoir un renforcement de la pratique surtout au cours du dernier trimestre. La durée moyenne de la pratique chez des patientes présentant des complications est de 10 ans et la quantité mensuelle de dermocorticoïdes de niveau 1 utilisée est de 350 g .
7. Complications médicales de la Dépigmentation artificielle
7.1 Complications liées à l utilisation des dermocorticoïdes à visée cosmétique
Les infections cutanées qu’elles soient bactériennes, mycosiques, parasitaires ou virales sont fréquemment observées avec l’usage de PD. Ces infections sont caractérisées tout d’abord par une modification de leurs caractéristiques sémiologiques habituelles ensuite par leur caractère récidivant et enfin par la résistance aux traitements usuels.
Les mycoses ont une fréquence élevée à 22%, les dermatophyties de la peau glabre sont volontiers étendues profuses avec une bordure papuleuse leur topographie au visage est classique et leur extension au cuir chevelu habituelle. Le pityriasis versicolor présente un caractère achromique et siège aux membres inferieurs ou supérieurs. Les dermohypodermites bactériennes constituent la première cause d’hospitalisation en dermatologie à Dakar, elles siègent préférentiellement aux membres inferieurs elles peuvent s’accompagner de choc septique en cas de prise en charge tardive ou de comorbidité.
La gale profuse croûteuse chronique est l’apanage des femmes utilisant des corticoïdes d’activité très forte. Elle est très contagieuse et nécessite un traitement plus long.
Des troubles esthétiques observés au long cours sont les suivants : les vergetures, l’atrophie cutanée, l’ichtyose pré tibiale, la kératose pilaire. Les vergetures sont larges, profondes et profuses irréversibles elles constituent rarement un motif de consultation.
7.2 Complications liées à l’utilisation de l’hydroquinone à visée cosmétique Les dyschromies
Les produits dépigmentants à base d’hydroquinone sont à l’origine de troubles pigmentaires qui siègent avec prédilection sur les zones photo-exposées. Parmi ceux-ci, l’ochronose exogène est l’une des complications les plus redoutées, car son traitement est difficile et inaccessible dans les pays à ressources limitées. Elle est relativement fréquente, de 4 p. 100 à Bamako à 9,6 p. 100 dans la série de Raynaud].
Décrite pour la première fois par Findlay en 1975, elle survient chez la femme entre 30 et 39 ans, en moyenne après 8 ans d’utilisation de produits à base d’hydroquinone.
Elle n’a pas été rapportée par Marchand en 1976 dans sa série dakaroise, en raison probablement de ce long délai, les premiers cas d’ochronose exogène n’étant apparus que beaucoup plus tardivement.
Une autre variante clinique de ces troubles dyschromiques est représentée par la miliaire colloïde, qui réalise des papules et des micro-papules groupées ou confluentes, tendues, généralement plus foncées que la peau normale, donnant une couleur grisâtre inhomogène. Les lésions siègent aux tempes, à la région jugale au-dessus du masséter et à la nuque.
Les dermatoses lichenoïdes
Des aspects cliniques secondaires à l’usage de PD à base d’hydroquinone méritent une attention particulière en raison du diagnostic différentiel fréquent avec le lupus érythémateux discoïde ou du lichen annulaire . Il s’agit des dermatoses lichenoïdes décrites initialement en 1975 par Marchand et Ndiaye, qui en individualisèrent deux formes principales.
La forme lichénoide disséminée réalise une éruption de papules ovalaires bleutées, disséminées sur le visage et le décolleté, avec une bordure surélevée, un centre hyperpigmenté et une extension centrifuge donnant un aspect de lichen annulaire ou de lupus érythémateux chronique s’il existe des squames. La forme « violine » péri oculaire siège à la paupière inférieure et la région sous orbitaire ; elle débute par un prurit à un angle de l’oeil associé à une lésion surélevée à limites nettes en forme de bourrelet ou de liseré rosé. L’extension est centrifuge, laissant un centre violacé à épiderme normal. La régression spontanée est habituelle, avec possibilité de reprise évolutive.
7.3 Complications liées à l’utilisation de mercure à visée cosmétique
Les crèmes dépigmentantes à base de mercure contiennent habituellement du chlorure de mercure ou calomel et du chlorure de mercure ammoniaqué qui sont des sels organiques.
L’exposition aigue ou chronique au mercure peut s’accompagner de désordres cutanés, rénaux et neurologiques. Classiquement l’intoxication au mercure est rencontrée chez les chapeliers qui fabriquent les chapeaux avec le feutre connu sous le nom de la maladie des chapeliers fous. Cependant les crèmes éclaircissantes à base de mercure constituent des une cause émergente de toxicité mercurielle.
Les complications dermatologiques communes sont les suivantes : eczéma de contact allergique, flushing, érythrodermie, purpura, gingivo-stomatite, et la décoloration des ongles. Quant à l’intoxication chronique elle peut s’accompagner d’une hyperpigmentation paradoxale qui pourrait résulter d’un granulome à corps étrangers contenant du mercure.
7.4 Autres complications cutanées
A ce jour, 07 Cas de cancers associés à la dépigmentation artificielle sont rapportés, la localisation de ces cancers sur des zones photo exposés, le rôle cancérigène de l’hydroquinone et le rôle immunosuppresseur des dermocorticoïdes sont en faveur du rôle des PD dans l’apparition de ces cancers.
Les autres complications dermatologiques des PD comprennent des eczémas de contact allergiques et des dermites caustiques. Elles sont fréquentes, aussi bien avec les dermocorticoïdes qu’avec l’hydroquinone. Quant aux dermatites caustiques, elles sont souvent observées à la phase d’attaque de la dépigmentation artificielle, avec des lésions érosives liées à une nécrose épidermique. Elles sont responsables d’hyperchromie séquellaire ou d’un aspect bigarré alternant des zones d’hyperpigmentation et d ’hypo pigmentation.
Certaines complications sont souvent observées même si elles ne suscitent que rarement une consultation. Il s’agit de la coloration brunâtre des ongles secondaire à l’usage d’hydroquinone ; de la dermatite péri-orale secondaire à l’utilisation de dermocorticoïdes, au cours de laquelle la peau est recouverte de papules ou de papulo-pustules ; de la xérose ou de l’ichtyose pré tibiale ; et de la kératose pilaire pigmentée, dont la topographie préférentielle se situe aux membres inférieurs. L’hirsutisme est également observé souvent chez les femmes ayant utilisé des corticoïdes pendant plusieurs années.
Les complications trophiques telles que l’atrophie cutanée et les vergetures sont des effets secondaires bien connus de l’application prolongée des dermocorticoïdes. Elles s’accompagnent d’une fragilité capillaire. Les vergetures sont particulièrement profuses, larges, atrophiques ou pigmentées.
Elles motivent rarement la consultation, considérées par les utilisatrices comme la rançon de l’efficacité de la DA. Enfin, il est important de mentionner que la DA entraîne une modification de la sémiologie de certaines dermatoses. C’est ainsi que des lésions de lèpre furent masquées par l’usage à visée cosmétique de dermocorticoïdes retardant le diagnostic de lèpre qui ne fut porté qu’au stade de troubles neurologiques.
7.5 Complications extra dermatologiques
En dehors des complications dermatologiques, des affections générales comme le diabète et l’HTA ont été associées à la DA. Dans une étude réalisée à l’hôpital principal de Dakar, Raynaud et al. ont montré une fréquence élevée du diabète et de l’hypertension artérielle dans le groupe des femmes utilisant les produits dépigmentants comparativement au groupe qui n’en utilisait pas. Cependant, il existait dans cette étude certains biais dont l’imprécision de la nature des produits utilisés (corticoïdes ou non).
On sait que les applications de dermocorticoïdes s’accompagnent d’effets biologiques à partir de 30 g/mois, pouvant réaliser un véritable syndrome de Cushing ; leur arrêt brutal peut entraîner une insuffisance surrénalienne. Chez la femme enceinte, le passage transplacentaire du mercure peut être responsable d’une intoxication du nouveau-né avec une anémie, une insuffisance rénale et une cataracte, comme l’ont rapporté Lauwerys et al.
Les complications classiques des dermocorticoïdes : défaut de cicatrisation en cas de césarienne, surinfection des plaies opératoires, sont bien connues des adeptes de la DC. Aussi, évitent-elles lors de la grossesse d’appliquer les produits sur la région abdomino-pelvienne. Le renforcement de la dépigmentation artificielle au dernier tiers de la grossesse est un phénomène fréquent à Dakar, qui a pour but l’obtention d’une peau claire lors de la cérémonie de baptême qui a lieu généralement une semaine après l’accouchement.
Dans une thèse effectuée à Dakar en 2005, il a été noté que la prévalence de la DA chez la femme enceinte était de 67 p. 100. Par ailleurs, il existait une association statistiquement significative entre l’utilisation à visée dépigmentante de dermocorticoïdes de niveau 4 et un placenta de faible poids d’une part et d’autre part un nouveau-né de petit poids.
8. Plaidoyer pour une cosmétovigilance
Au vu de la prévalence élevée de la dépigmentation artificielle, de la morbidité et de la mortalité importante qui sont associées à cette pratique, une cosmétovigilance s’impose. C’est dans cette optique que s’inscrit la démarche d’AIIDA (Association Internationale d’ Information sur la Dépigmentation Artificielle) créée le 19 Janvier 2002 à Dakar.
Tous les produits dépigmentants sont nocifs, mais les dermocorticoïdes, parce qu’ils induisent des infections sévères les dermohypodermites bactériennes, parce qu’ils sont des médicaments détournés de leur usage doivent être retirés du marché des cosmétiques.
De plus, leur publicité doit être interdite dans les médias publics et privés à l’instar des mesures prises dans certains pays africains (Burkina Faso) et de l’Union Européenne.
Les produits cosmétiques doivent faire l’objet de tests toxicologiques rigoureux avant leur autorisation de commercialisation.
9. Recommandations
9.1 A l’endroit des autorités politiques
Instituer une loi sur la cosmétovigilance ou si elle existe veiller à son application au Sénégal Interdire la vente de dermocorticoïdes comme produits dépigmentants
9.2 A l’endroit des autorités sanitaires
Introduire dans les programmes de formation sanitaires les complications médicales de la DA
Promouvoir l’IEC dans les programmes d’éducation sanitaire au niveau du ministère de la santé
9.3 A l‘endroit des consommateurs
Exiger le label qualité sur les produits cosmétiques
10. Conclusion
Des pratiques cosmétiques nocives en l’occurrence l’usage à visée cosmétique de produits dépigmentants sont fréquentes chez les femmes originaires d’Afrique sub-saharienne. Elles sont souvent associées à des complications médicales dermatologiques ou non. L’absence de directives claires et de cadre législatif de cosmétovigilance en Afrique sub-saharienne rendent obsolète toute tentative de prévention de ces accidents cosmétiques. Aussi une coordination des activités préventives est nécessaire pour une lutte collective dans un cadre régional ou sous régional. La cosmétovigilance s’impose pour une meilleure prévention de ce phénomène de mode devenu problème de santé publique.