Jamais je n’ai autant souffert, pour mon pays, d’avoir vu juste et jamais je ne serai plus heureux d’avoir tort pour les manifestations à venir du 23 juillet et leurs conséquences.
Déjà reconnaissons sans ambages que le film des évènements du 23 juin a dépassé toutes les fictions imaginables et que j’ai attendu ce réveil brutal du peuple en d’autres circonstances avant de constater que le peuple avait d’autres préoccupations.
Comme beaucoup, je suis surpris par ce mouvement sans précédent et éminemment salutaire.
Toutefois, il me semble que nous ne sommes pas nombreux, après l’effet surprise, à essayer de comprendre les causes de ce tsunami qui a emporté sur son passage bien de nos certitudes, mais aussi et surtout de déterminer les conséquences directes et indirectes de la déferlante sur notre façon de concevoir et de faire la politique.
C’est donc l’urgence et la gravité du risque encouru par notre pays qui me poussent à suspendre cette réflexion pour livrer, non pas une analyse profonde mais le sentiment et la crainte qui m’animent et lancer un appel à Abdoulaye Wade, à l’opposition et au peuple sénégalais.
D’abord, à Abdoulaye Wade Président de la République du Sénégal je voudrais rappeler qu’il ne doit son inconfort face aux velléités d’une jeunesse avide de justice et de changement que parce qu’il semble avoir oublié sa propre histoire.
En effet, l’audace et le culot d’une jeunesse qui, les yeux dans les yeux, balance à la figure de son gouvernement et de ses élus le fameux « y en a marre » qui fait si peur ne sont, à mon avis, pas différents de l’aplomb et du courage qu’il a fallu, en 1974, pour lancer le SOPI et engager l’adversité contre un monstre politique de la trempe de Léopold S. Senghor.
Toutes proportions gardées, le toupet et la détermination des jeunes qui lui valent des nuits blanches sont l’exacte réplique du mouvement qu’il a fait naitre en marge du PDS et qui, devenant plus fort que ce dernier a fini par le porter au pouvoir.
Y en marre est une version plus brutale de dire stop et de réclamer le changement.
Autres temps, autres mœurs. Notre jeunesse ne s’embarrasse pas de fioritures pour dire sa conviction et il ne sert à rien de se jeter, tête baissée, dans un conflit de générations que l’usure du temps fait perdre aux vieux.
Je croyais qu’il avait compris que, du moins dans notre pays, un mouvement légitime porté par un slogan vrai fédère plus et mieux que n’importe quelle structure politique vouée, par son fonctionnement nécessairement clanique, à diviser plutôt qu’à unir.
En décidant de rameuter ses troupes le 23 juillet, soit un mois jour pour jour après le camouflet du 23 juin, Abdoulaye Wade donne l’impression du boxeur groggy, dans les cordes et qui crie faiblement son envie d’en découdre devant un arbitre bienveillant qui lui conseille de se rasseoir.
Si Abdoulaye Wade pense qu’il doit démontrer à l’opposition que ses capacités de mobilisation sont intactes et qu’il rassemble encore plus que tous ses adversaires politiques, c’est qu’il se trompe d’interlocuteur. Puisqu’il a eu maille à partir avec le peuple et non avec l’une quelconque des organisations qui s’activent autour de la question politique.
Si, tout en sachant que son interlocuteur c’est le peuple, il pense devoir prouver à son peuple que sa popularité lui permet de se passer de l’avis de celui-ci, il se trompe de combat et va vers une cruelle désillusion.
L’un ou l’autre cas ne sont que les divagations inutiles d’une cécité ou d’une démence politiques.
Rien ne me semble répondre à la question posée par le peuple le 23 juin dans l’organisation d’un rassemblement d’envergure le 23 juillet 2011, sauf à montrer les crocs et bander des muscles bien ankylosés.
Vous, votre gouvernement et votre PDS, avez besoin de démontrer davantage de modestie en mettant plus de conviction et de sincérité dans vos rapports avec le peuple et en lui assurant que ses préoccupations sont également les vôtres.
La surenchère de l’arrogance peut appeler la violence et il n’est pas souhaitable que l’Institution dont vous exercez les charges soit à la tête d’une manifestation provocatrice dans ce contexte délétère.
Monsieur le Président de la République, vous devez à ce peuple qui a choisi les incertitudes du changement en vous confiant les clés de sa République, la quête permanente de la paix sociale et l’effort permanent pour un mieux être économique.
Votre adversaire depuis le 23 juin n’est pas l’opposition. C’est le peuple que vous avez en face de vous et il vous appartient de le rejoindre ou de l’affronter.
Votre round avec les marchands ambulants peut, à ce titre, servir de leçon pour qui sait méditer et tirer profit de son expérience.
Je vous appelle solennellement à ne pas installer un chaos qui vous emporterait et avec vous le petit peuple qui sert de chair à canon à nos querelles nombrilistes.
Arrêtez de grâce les grimaces et autres facéties de l’expert en politique et prenez à bras le corps les questions délicates du pays et vous aurez économisé et gagné du temps.
Vous êtes encore le garant de cette stabilité sociale, protégez là et vous en sortirez grandi.
Ensuite, à l’opposition dans les rangs de laquelle j’inscris mon action, je veux dire qu’il ne faut pas changer une méthode que nous avons mis si longtemps à trouver et apprivoiser.
En effet, depuis le début de l’ère SOPI nous avons subi la verve et la malice de Abdoulaye Wade qui s’est amusé à nous trouver notre propre ordre du jour en nous obligeant tel un petit écolier à aller au tableau pour réagir à la question qu’il a choisi de poser.
Depuis quelques semaines nous sommes sortis de l’improductivité de la réaction pour instaurer la méthode de l’action.
Nous avons tous constaté que Abdoulaye Wade n’est pas à l’aise dans cet exercice et qu’il préfère mener les débats, à sa main.
En décidant de manifestations à la date qu’il a choisie pour parader nous ne faisons que pasticher quelqu’un qui ne sait plus où donner de la tête puisqu’il est lui-même dans la réaction.
N’était-ce pas une formidable occasion pour organiser une journée d’inscription ou de retrait en masse des cartes d’identité nationale ou de celles d’électeur ?
Les manifestations du 23 juin 2011 devaient nous renseigner sur un changement en profondeur de la donne politique au Sénégal.
En effet, le peuple a décidé de s’opposer à un projet de loi qui « retouchait » la Constitution selon les intérêts bien sentis du Président de la République en se présentant directement aux portes de l’Assemblée Nationale pour crier ab imo pectore son désaccord.
A aucun moment les manifestants n’ont souhaité ou même invoqué le soutien des dirigeants politiques alors que les historiques de notre pays étaient à leurs cotés.
Respectons ce choix et ne cédons pas à la facilité et à la tentation de vouloir les récupérer.
La seule façon de marcher à leur cotés est de faire nôtre leur combat qui n’est ni partisan ni intéressé avec humilité et enthousiasme.
Nous sommes, tous, hors jeu pour n’avoir su inscrire à notre ordre du jour que des batailles sur des questions menaçant nos intentions de conquérir et d’exercer un pouvoir au plus vite.
La vraie Politique se moque de la politique selon l’entendement des politiciens.
La vraie politique est dans les chaumières délestées d’électricité, dans les marmites vides qui cuisent au feu, dans les salles de classe vidées par la grève, dans les champs qui attendent semences et engrais, dans les quartiers inondées d’eaux et de jeunes désœuvrés…
Il ne me semble pas judicieux de suivre Abdoulaye Wade dans la parade du cygne dont le dernier chant retentit dans chacun des actes qu’il pose puisque le parti majoritaire, au Sénégal, est celui des citoyens qui ne militent dans aucun parti autre que celui de leur travail et de leurs familles.
Ce sont ceux-là qui éliront le Président et pas des militants bariolés qui jouent, le temps d’une après-midi, la ronde des troubadours laissés au soleil pour applaudir de belles déclarations qui ne leur sont pas destinées car on ne prêche pas un convaincu.
A cela s’ajoute le risque de voir les rangs de l’opposition infiltrés par des intrus mal intentionnés pour inscrire à son passif tout débordement ou destruction de biens publics et privés.
A défaut de renoncer à cette manifestation suscitée il faut rassurer ceux qui même terrés chez eux auront la psychose des agressions et des actes de vandalisme et vous assurer que ceux qui manifestent portent des revendications pacifiques.
Nous devons comme Abdoulaye Wade préserver notre pays du scénario catastrophe annoncé par tous les chroniqueurs politiques et qui ferait de l’exception sénégalaise un vieux souvenir de la démocratie à l’Africaine.
Ma conviction est que ni Abdoulaye Wade et ses affidés, ni même la victoire à la prochaine élection présidentielle ne valent de menacer cet équilibre précaire qui défie guerres civiles et coups d’états qui ont fini d’élire domicile dans les jeunes républiques africaines.
Parlons au peuple, parlons du peuple et préparons nous aux prochains combats qu’il va mener et nous serons enfin des hommes politiques au sens si rarement noble, de nos jours.
Enfin au peuple sénégalais, civils et forces de l’ordre, j’appelle à la responsabilité.
Vous savez maintenant, pour l’avoir démontré, qu’il n’en va pas des hommes comme des animaux et cet acquis est irréversible.
Si les derniers se font mener à la baguette par un berger qui les devance, les premiers ont besoin d’un guide qui les suit et les écoute.
Le combat pour la Démocratie et le respect de la Constitution postule l’existence d’une République et le respect de ses valeurs.
Il n’y a pas une issue dans la violence, le refus de la différence et le bâillonnement de son adversaire.
Je félicite ceux qui avaient déjà compris que le round du 23 juin a été gagné dès le retrait de la loi illégale de Abdoulaye Wade.
Le combat continue et il requiert du peuple les qualités d’une sentinelle qui veille, debout.
Il s’agit de comprendre que la paix sociale de notre pays si imperceptible puisque nous ne connaissons que cette situation, n’a pas de prix.
De même que la bonne santé est un état dont on ne se rend compte qu’une fois malade, la valeur de la stabilité sociale ne s’apprécie que lorsque la violence et l’insécurité s’installent.
Le combat qu’il faut mener consiste à rendre la République au citoyen et cela exige de ce dernier un civisme sans faille.
Je vous y invite et vous exhorte à ne servir de combustible ni pour un camp ni pour un autre.
Battez vous pour vos convictions et ne laissez personne vous divertir ou pervertir la noblesse de votre combat.
Ni le pouvoir, ni l’opposition ne doivent se servir de vous comme bouc émissaire pour durcir un combat ou attiser la violence.
Il n’y a, à mon avis aucune raison de dire à Abdoulaye Wade quelle heure il est ; laissez le danser il tombera d'épuisement.
Le 21 juillet 2011
Talla SYLLA