Au Sénégal, nombreux sont aujourd’hui les secteurs de la vie où, manifestement, la classe dirigeante a fini de nous convaincre de son incapacité à prendre en charge les préoccupations les plus élémentaires des populations. Jamais dans l’histoire récente de notre pays, les Sénégalais n’ont vécu, au même moment, autant de situations de pénurie : le riz, le gaz, l’essence, l’eau et le pain, entre autres, ont tous connu ou connaissent encore des perturbations dans leur distribution. Mais de toutes ces pénuries, celle qui les perturbe le plus, au point de provoquer une véritable psychose, c’est sans conteste les coupures d’électricité.
Il n’existe pas un seul foyer, à quelques exceptions près, où l’on n’endure pas l’angoisse des délestages :
l’étudiant, ou l’élève qui travaille le soir, éprouve du mal à se concentrer du fait des délestages.
La ménagère qui vient de s’approvisionner en produits frais soigneusement rangés dans son congélateur, croise les doigts et se demande s’il lui sera donné la chance de les conserver ou, si du fait d’un délestage elle va être obligée de tout jeter à la poubelle.
Le consultant ou le professeur qui a un rapport à rédiger ou des cours à préparer, passe souvent une bonne partie de son temps devant son ordinateur, sous la hantise d’un délestage qui viendra briser son élan studieux.
Les tenants de cybercafés ne comptent plus le nombre de faillites provoquées par les délestages auxquels ils sont confrontés.
La même désolation est partagée par le tailleur, le menuisier métallique, l’enfant qui fête sa réussite à l’examen ou son anniversaire, le chirurgien dentiste dans son cabinet, l’amateur de football qui suit un match à la télé, mais aussi tous ceux que je n’ai pas cités (qu’ils veuillent bien m’en excuser) et qui vivent au quotidien le drame des délestages. L’angoisse des délestages est sans conteste le phénomène le plus démocratisé dans ce Sénégal du 21e siècle. Les Sénégalais ont perdu jusqu’à l’espoir qu’un jour les délestages seront une mauvaise parenthèse dans leur existence. En effet, à force d’entendre des discours rassurants qui se révèlent plus tard comme des contrevérités, nous avons fini par nous rendre à l’évidence : l’incompétence du système qui a donné la preuve tragique que la rationalisation est le cadet de ses soucis. L’amateurisme et le pilotage à vue expliquent en bonne partie notre atterrissage forcé dans ce cul de sac, dans ces ténèbres qui nous renvoient à l’âge de la pierre taillée.
Il y a quelques jours, nous avons suivi attentivement les explications du responsable du secteur de l’énergie. Il nous conforte dans le constat de cette incapacité : non seulement l’Etat n’a plus de solution à nous proposer, mais pis, il vient d’inaugurer à travers ce douteux exercice de communication, l’ère de la provocation, de la raillerie et du mépris des victimes de délestages. En effet, c’est de manière à peine voilée que le responsable en question a fait comprendre à ses compatriotes même la fourniture régulière d’électricité, si ce rêve se réalisai un jour, ne signifierait nullement l’accès de tous à ce service social de base : les tarifs seraient alors plus que dissuasifs ! (A suivre).
De l’individualisme citoyen à l’impuissance collective
Le plus navrant dans la situation de crise que traverse le Sénégal, c’est la tendance des dirigeants à déployer l’arme de la diversion en versant dans de vaines querelles sémantiques. Famine ou Rareté ? Pénurie ou Rétention ? Ou encore disette ? Coupures ou délestages ? Pour le consommateur, toutes ces expressions renvoient à la même réalité : l’absence sur le marché des produits et services dont il a besoin, et dont l’Etat a le devoir de créer les conditions de sa mise à disposition. Ces difficultés au quotidien des Sénégalais sont donc aujourd’hui une réalité incontestable. Et c’est le lieu de s’interroger, quant à leur capacité de réaction face à tous ces désagréments. C’est d’abord l’occasion pour tout observateur, de regretter l’individualisme, l’égocentrisme et l’égoïsme « rentré » qui caractérisent hélas les comportements dans notre société actuelle.
Dès qu’une pénurie de gaz est constatée, chaque individu va chercher sa bonbonne de par ses propres moyens. Au besoin il se rendra jusqu’à l’usine avec son véhicule pour s’approvisionner. Il n’a guère de souci pour son voisin qui n’a pas la même possibilité que lui, et qui hélas sera dans l’obligation de recourir à des moyens de bord tel que le charbon ou le bois de chauffe. Il y a là un égocentrisme parfois doublé d’une fanfaronnade qui pousse le cynisme jusqu’à présenter sa bonbonne de gaz, son sac de riz,ses bidons remplis d’eau,ou son réservoir rempli d’essence comme un trophée, fruit de sa propre aptitude entreprenariale ou de ses capacités relationnelles. Cette attitude est en porte à faux avec les enseignements tirés de toutes les religions révélées, notamment en matière de voisinage.
Un consommateur serait allé jusqu’à Bambey pour se procurer une bonbonne de gaz, histoire de laver « l’affront » que son épouse venait de subir du fait de sa voisine, dont le mari s’était montré plus entreprenant dans la recherche du produit. Face aux délestages, certains ont trouvé refuge dans l’acquisition de groupe électrogène, en attendant que les autorités finissent de nous narguer. Il leur faudra évidemment compter avec le coût élevé du gasoil
De telles attitudes fragilisent forcément les associations de consuméristes dont la noble mission est bien souvent court-circuitée par des comportements individualistes et égoïstes où chacun cherche à tirer son épingle du jeu. .
En Amérique du nord, dès qu’une communauté se sent lésée dans ses droits, on assiste à ce qu’on appelle le recours collectif, qui consiste en une prise en charge des problèmes par toutes les victimes sans exception, même si parmi celles-ci, certaines sont en mesure de trouver aisément des solutions individuelles. Et c‘est dans un esprit et un cadre de démarche collective et républicaine que l’on engage alors une bataille qu’on n’abandonnera qu’après avoir obtenu gain de cause. Evidemment, une pareille démarche n’est possible que dans un système où les citoyens prennent conscience de leurs devoirs et de leurs obligations, où l’on ne leur présente pas toutes les actions entreprises en leur faveur par l’Etat, dans le cadre normal de ses prérogatives, comme des « cadeaux » offerts par le chef suprême « dans sa générosité légendaire ».
C’est aussi une démarche qui n’est applicable que dans des systèmes où le concept de l’Etat et de ses différentes composantes renferme un contenu, et revêt une certaine signification aussi bien aux yeux des citoyens que des acteurs qui animent les institutions.
Inefficace boulimie présidentielle
Au Sénégal, tout porte à croire qu’en dépit d’une longue tradition administrative, l’exécutif, le législatif et, accessoirement, une bonne partie de la justice se confondent avec la seule personne du Président de la République.
Usant et abusant de règles formelles et de pratiques informelles, il s’est taillé lui même le profil du faiseur de TOUT, d’incontournable et d’indispensable, au point que certains esprits zélés n’hésitent pas à lui conférer cet attribut divin de « seule constante ». Sous entendu que les douze autres Millions de sénégalais ne sont que des variables. D’abord au plan formel, une analyse du décret portant répartition des services de l’Etat laisse clairement apparaître que tout ce qui est stratégique est concentré à la Présidence de la République. Un seul exemple suffit à le démontrer : les corps de contrôle.
Certes, ces corps, ils ont été toujours logés à ce niveau. Toutefois, nombreux sont ceux qui les perçoivent aujourd’hui davantage comme un sabre avec lequel l’on exécute « proprement », quiconque manifesterait des velléités de remise en cause de la suprématie du Président au plan politique. C’est aussi un moyen de tenir en respect ceux qui ont des dossiers compromettants, et qui pourraient être tentés par toute forme de « rébellion ».
Ses adversaires politiques, responsables au niveau des collectivités locales, qui ont été récemment renvoyés de leur poste par décret, ne trouvent autres explications à leur destitution que dans une volonté de sanctionner leur défiance politique envers le chef suprême. Pourtant, pour la plupart, ces responsables de collectivité locale ont été élus au suffrage universel au même titre que celui qui aujourd’hui, dispose d’un pouvoir de vie ou de mort sur les institutions qu’ils dirigent. On aurait pu étendre l’analyse sur cet aspect à toutes les institutions et leurs démembrements, sur lesquels l’Etat, dans ses attributions traditionnelles, exerce un pouvoir de contrôle.
Il y a donc là un rapport de force inégal en faveur d’un exécutif superpuissant qui peut faire et défaire. La suppression du CRAES avant la fin de son mandat en est une flagrante illustration.
Sur un autre plan, l’on constate aisément que la présidence de la République à travers ses attributions gère deux types d’administration : celle classique et formelle, socle d’un Etat qui a toujours fait la fierté du Sénégal, de par la compétence de ses ressources humaines, mais qui est aujourd’hui totalement en déliquescence, et un second type d’administration marqué par une prolifération d’agences avec des personnels nouveaux fortement colorés au plan politique et bénéficiant pour la plupart de substantiels contrats spéciaux.
Que l’on se comprenne bien : pour des raisons diverses il peut paraître opportun de concevoir des agences dans une administration publique avec des missions précises et limitées dans le temps. Mais dans une administration classique qui respecte les normes d’un fonctionnement rationnel, beaucoup, parmi les dizaines d’agences qui prolifèrent aujourd’hui dans le système administratif sénégalais, auraient dû être logées dans les ministères en charge des secteurs d’activité qui les concernent.
Les sénégalais ont suivi les péripéties de l’octroi d’une troisième licence de téléphonie mobile à la compagnie SUDATEL. L’orthodoxie aurait voulu qu’en la matière, le ministère chargé des télécommunications fut le véritable interlocuteur dans ce dossier, et non des conseillers logés à la présidence.
Cette absence de normes dans l’affectation des rôles, dans la gestion des affaires de l’Etat, donne souvent raison à ceux qui nourrissent des appréhensions quant à la transparence qui entoure le traitement des dossiers publics ayant des relents financiers. L’argument qui veut que le Président de la République impute ses dossiers à qui il veut, n’est en réalité qu’un subterfuge pour légitimer les régimes de faveur. Il y a un minimum de règles et de normes auxquelles une administration sérieuse doit obéir.
En effet, si dans une administration, le conseiller chargé d’un secteur donné, du fait ou à cause de sa proximité avec le chef, arrive à éclipser un ministre dans les dossiers les plus importants qui relèvent naturellement de son secteur, ce dernier n’existe alors que pour légitimer le formalisme du protocole gouvernemental.
Enjeux et jeux ministériels
Les théoriciens du Management sont unanimes à s‘accorder au moins sur ce principe : Quand ceux qui sont à des positions de staff font oublier, de par les pouvoirs qui leur sont conférés par l’autorité, ceux qui exercent les positions de line, il y a une forte probabilité pour que le style de leadership auquel ils sont soumis soit à la fois dirigiste, centralisateur, voire autocratique.
Sous un autre angle, et de manière empirique, on peut aisément remarquer qu’il existe une catégorie de ministères dont les responsables n’expriment leur dynamisme et leur engagement qu’à travers un militantisme zélé et une attitude propagandiste à la faveur exclusive du chef.
C’est le cas, entre autres, du ministère du développement social et de celui de la santé. Mais concernant ce dernier, c’est seulement dans son visage le moins hideux, car le président de la république est toujours en première ligne dans ce secteur, à chaque fois qu’il s’agit de recevoir ou de distribuer du matériel au profit des populations ou des administrations, sans doute pour une récupération politique d’actions qui, somme toute, relèvent naturellement des obligations de tout Etat vis à vis de ses populations. L’exploitation politique, à la limite de la décence, qui entoure la distribution de vivres et de matériels aux pauvres sinistrés des inondations de la banlieue avec une médiatisation à outrance donne le sentiment que toute occasion est bonne pour se mettre en relief.
Un des proches collaborateurs du chef de l’Etat ne disait-il pas à propos des performances de nos lions de Séoul, que le Président a investi, et que donc, il lui faut récupérer « ses » dividendes. C’est à croire que les fonds qui ont servi à cette expédition provenaient de ses ressources personnelles et non de l’argent des contribuables sénégalais.
Il y a par contre des ministères dont l’ingratitude des activités administratives et des tâches sont telles que le président et ses conseillers s’en éloignent, laissant à leurs délégataires le soin de se substituer à eux pour exécuter les actions laborieuses auxquelles sont attachées leurs missions. Dans ce lot figurent le Ministère en charge de l’Education Nationale et celui en charge de l’Emploi et du Travail, auxquels sont assignées les tâches ingrates de négociations et de confrontation avec les syndicats ; de même que celui de l’énergie où le niveau d’incompétence de l’actuel régime est sans nul doute le plus évident.
Il y a enfin les ministères « anonymes » tels que le tourisme, la culture, l’environnement, le secteur maritime, les transports, les petites et moyennes entreprises, l’hydraulique, l’artisanat, l’élevage, sortes de réceptacles destinés à récompenser des hommes et des femmes politiques qui ne semblent hélas disposer d’aucun pouvoir réel ni d’esprit d’initiatives. C’est la raison pour laquelle, la plupart de ces ministères sont aujourd’hui soit méconnus du grand public, soit peu performants au plan des réalisations techniques, ou alors sont totalement en perte de vitesse, comme dans le domaine de la pêche ou de celui du tourisme. Les nombreuses complaintes qui émanent régulièrement des acteurs de ces départements en attestent éloquemment. Récemment, des éleveurs du département de Linguère se sont sentis sans doute si délaissés qu’ils se sont demandé, dans une station de télévision, s’il existe au Sénégal un ministère chargé de l’élevage.
En effet, à quelques exceptions près, nul ne peut vous indiquer de manière explicite, quelles sont les stratégies élaborées pour conduire des politiques dans ces différents ministères. Passé le stade du discours de politique générale, c’est le flou le plus total, pour ne pas dire une quasi léthargie qui entourent leurs activités.
Les titulaires de ces postes ministériels semblent être davantage appréciés plus par rapport à leur engagement politique auprès du chef de l’Etat, que dans les réalisations concrètes de leur département en faveur des populations.
Les seules exceptions qui échappent à cette logique d’irrationalité, relèvent de secteurs apparemment considérés comme des domaines réservés. A cet égard, dès que Dubaï s’est intéressé au port de Dakar, tout le monde a remarqué l’implication dans le dossier du conseiller et non moins fils du chef de l’Etat, même si on cherche par des circonvolutions à démontrer que le ministère y est impliqué. On peut en dire autant du dossier de recherche de financement des ICS, et récemment de celui de la « centrale nucléaire » qui se négocierait à Paris.
L’inacceptable tentative de mettre au pas le législatif
On aurait pu étendre cette analyse à tous les niveaux de l’activité gouvernementale en y incluant les établissements publics, les sociétés nationales, pour démontrer à quel point l’administration traditionnelle a cessé d’exister, du fait d’une hégémonie manifeste de la présidence de la république, de ses agences et de ses supers conseillers. Un de nos hommes politiques disait qu’« il faut vraiment aimer le poste de Ministre pour accepter d’être dans ce gouvernement ».Il était alors dans l’opposition. Aujourd’hui il occupe un poste ministériel dont l’anonymat n’a d’égal que l’ennui qu’il doit sans doute y subir au quotidien.
Mais là où cette macrocéphalie de l’exécutif est la plus triste à observer, c’est dans l’influence qu’elle tente d’exercer sur le législatif, une institution dont elle est censée être totalement indépendante. Les Sénégalais avaient été abasourdis d’apprendre, selon des propos rapportés par la presse, le que le Président de République avait demandé ouvertement au Président de l’Assemblée nationale de quitter son poste. C’est là une manifestation concrète de la volonté de l’exécutif d’apprivoiser le législatif attestant que le principe la séparation des pouvoirs entre les deux institutions n’est que pure fiction.
Les déclarations souvent répétées de membres du parlement, remerciant le chef de l’Etat de les avoir « placés » au niveau où ils sont, témoignent suffisamment de la nature des rapports qui existent entre ces deux institutions. Et pourtant, il se proclame urbi et orbi que nous sommes dans un système démocratique. C’est peut être aussi une des raisons qui expliquent pourquoi, à coté de notre constitution, est placée une paire de ciseau qu’utilise le président de la République pour tailler et retailler à sa convenance sans que personne, à l’exception de quelques députés téméraires de l’opposition, n’ose réclamer l’indépendance effective du parlement par rapport à l’exécutif. Il semble qu’au Bénin depuis que leur Constitution a été votée, elle n’a été modifiée que deux fois. L’acharnement dont l’actuel Président de l’Assemblée Nationale fait l’objet pour le débarquer de son poste, est une triste illustration que ce qui reste de notre démocratie est aujourd’hui fortement menacé.
En matière de justice, ma conviction et mon expérience personnelle m’autorisent à croire qu’il existe des magistrats du siège comme ceux du parquet qui exercent leur fonction en faisant preuve d’équité, d’honnêteté et de justice. Mais le système, tel qu’il est configuré, avec un ministère de la justice, le cordon ombilical entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire, peut, à bien des égards, atténuer l’indépendance de cette dernière. En effet, l’autorité directe que le ministère de la justice exerce sur le parquet pourrait, à n’en pas douter, conduire à des situations incongrues du genre « flagrants délits continus » où, à tout moment, la possibilité est ouverte d’incriminer tout citoyen qui « dérange ». Il s’y ajoute que le Président de la République est en même temps le Président du conseil supérieur de la magistrature, et qu’à ce titre il est au cœur du processus de nomination des magistrats.
Cette analyse du fonctionnement de notre système administratif est loin d’être exhaustive. Mais elle suffit pour démontrer un principe fondamental en Management : « la responsabilité ne se délègue point au contraire de l’autorité ».
Pour en revenir à la problématique des difficultés auxquelles les Sénégalais sont confrontés dans tous les secteurs et par laquelle cette réflexion a débuté, l’application de ce principe managérial voudrait que seul le président de la République soit l’unique responsable des dysfonctionnements ayant conduit à cette situation.
Les récents évènements marqués par les dépassements budgétaires dont on ne connaît certainement pas encore ni l’ampleur ni la gravité, n’ont qu’un seul et unique responsable au plan managérial, en l’occurrence le chef de l’Etat, ne serait-ce que par rapport au choix qu’il a porté lui même sur les Hommes qui ont été à l’origine de ces dérapages. Il en va de même de la responsabilité des séries de pénurie d’eau, d’électricité, de riz, de carburant. Evidemment, il peut convoquer la conjoncture internationale pour les expliquer. De même, il lui est loisible d’aller trouver ses boucs émissaires et de les sacrifier sur l’autel des principes de bonne gouvernance.
Pendant ce temps, l’opinion aura du mal à comprendre le peu d’empressement qu’il y a à diligenter un audit indépendant, sur les centaines de milliards gérés par une institution comme l’ANOCI dont son propre fils et non moins conseiller est le Président de conseil de surveillance.
Certes il a limogé le Ministre en charge du budget et menacé de faire tomber d’autres têtes relativement aux dérapages. Mais ces mesures sont d’autant plus gênantes que l’on peut constater tous les jours, que cette ANOCI n’a même pas encore achevé les travaux pour lesquels elle a été créée. Il s‘y ajoute que la manière dont le projet a été géré tant au niveau de la définition de sa mission, de ses objectifs, que dans les stratégies de leur mise en œuvre, suscite réserves et interrogations de la part des initiés en Management de projet.
La nouvelle mission de super assistant social tout azimut dont son Président de conseil de surveillance semble s’être investi, ne saurait éclipser la volonté farouche des sénégalais de savoir comment ont été utilisées les ressources de l’ANOCI, quelles que soient par ailleurs leurs origines.
Je voudrais terminer par cette anecdote dont j’ai été le principal témoin. Il s’agit d’un de mes enfants, âgé seulement de 7 ans qui est venu me voir dans le salon, un soir, alors que les délestages avaient fini de nous plonger dans l’obscurité. Sur un ton à la fois naturel et naïf, il me posa trois questions, à savoir si en France il y avait des délestages, des pénuries de gaz et de riz. Ma réponse à ses questions fut négative, même si c’était avec quelques réserves. Il marqua alors un temps de réflexion avant de poursuivre : « Est-ce qu’on ne pourrait pas demander au Président français de venir gérer le Sénégal et à notre Président d’aller diriger la France, pour nous mettre ainsi à l’abri des pénuries » ? Croyez moi, ces propos juvéniles ne m’ont guère fait rigoler, encore moins sourire.
Bien au contraire, ils m’ont plutôt rendu triste à l’idée que finalement, quel que soit son âge, chaque Sénégalais est envahi par une angoisse mal dissimulée et dans son for intérieur, il s’investit dans la recherche de solutions de sortie de ces multiples crises qui nous étouffent, et en particulier de ces ténèbres dans lesquelles hélas nous sommes tous plongés, peut être encore pour bien longtemps. Sa suggestion naïve, m’a plutôt rappelé cette boutade du Général De Gaulle : « on ne devrait plus accepter certaines responsabilités au-delà de soixante dix ans ».Je suis convaincu que les Français la retiendront eux aussi, avant de se lancer dans une quelconque opération d’échange de chef d’Etat, quelle que soit par ailleurs l’opinion qu’ils se font de leur propre Président de la République.
Le seul sentiment d’espoir que je peux tirer de ce dialogue, c’est de pouvoir paraphraser l’autre, en disant à mon fils, que je dirai à sa mère tout le mérite qu’il a de commencer déjà à réfléchir sur les multiples problèmes qui assaillent son pays.
* ABDOUL AZIZ TALL,
* Conseiller en Management,
* Ancien conseiller du Bureau Organisation et Méthodes,
* Diplômé es sciences politiques de l’Université de Montréal,
* MBA, HEC Montréal.
Il n’existe pas un seul foyer, à quelques exceptions près, où l’on n’endure pas l’angoisse des délestages :
l’étudiant, ou l’élève qui travaille le soir, éprouve du mal à se concentrer du fait des délestages.
La ménagère qui vient de s’approvisionner en produits frais soigneusement rangés dans son congélateur, croise les doigts et se demande s’il lui sera donné la chance de les conserver ou, si du fait d’un délestage elle va être obligée de tout jeter à la poubelle.
Le consultant ou le professeur qui a un rapport à rédiger ou des cours à préparer, passe souvent une bonne partie de son temps devant son ordinateur, sous la hantise d’un délestage qui viendra briser son élan studieux.
Les tenants de cybercafés ne comptent plus le nombre de faillites provoquées par les délestages auxquels ils sont confrontés.
La même désolation est partagée par le tailleur, le menuisier métallique, l’enfant qui fête sa réussite à l’examen ou son anniversaire, le chirurgien dentiste dans son cabinet, l’amateur de football qui suit un match à la télé, mais aussi tous ceux que je n’ai pas cités (qu’ils veuillent bien m’en excuser) et qui vivent au quotidien le drame des délestages. L’angoisse des délestages est sans conteste le phénomène le plus démocratisé dans ce Sénégal du 21e siècle. Les Sénégalais ont perdu jusqu’à l’espoir qu’un jour les délestages seront une mauvaise parenthèse dans leur existence. En effet, à force d’entendre des discours rassurants qui se révèlent plus tard comme des contrevérités, nous avons fini par nous rendre à l’évidence : l’incompétence du système qui a donné la preuve tragique que la rationalisation est le cadet de ses soucis. L’amateurisme et le pilotage à vue expliquent en bonne partie notre atterrissage forcé dans ce cul de sac, dans ces ténèbres qui nous renvoient à l’âge de la pierre taillée.
Il y a quelques jours, nous avons suivi attentivement les explications du responsable du secteur de l’énergie. Il nous conforte dans le constat de cette incapacité : non seulement l’Etat n’a plus de solution à nous proposer, mais pis, il vient d’inaugurer à travers ce douteux exercice de communication, l’ère de la provocation, de la raillerie et du mépris des victimes de délestages. En effet, c’est de manière à peine voilée que le responsable en question a fait comprendre à ses compatriotes même la fourniture régulière d’électricité, si ce rêve se réalisai un jour, ne signifierait nullement l’accès de tous à ce service social de base : les tarifs seraient alors plus que dissuasifs ! (A suivre).
De l’individualisme citoyen à l’impuissance collective
Le plus navrant dans la situation de crise que traverse le Sénégal, c’est la tendance des dirigeants à déployer l’arme de la diversion en versant dans de vaines querelles sémantiques. Famine ou Rareté ? Pénurie ou Rétention ? Ou encore disette ? Coupures ou délestages ? Pour le consommateur, toutes ces expressions renvoient à la même réalité : l’absence sur le marché des produits et services dont il a besoin, et dont l’Etat a le devoir de créer les conditions de sa mise à disposition. Ces difficultés au quotidien des Sénégalais sont donc aujourd’hui une réalité incontestable. Et c’est le lieu de s’interroger, quant à leur capacité de réaction face à tous ces désagréments. C’est d’abord l’occasion pour tout observateur, de regretter l’individualisme, l’égocentrisme et l’égoïsme « rentré » qui caractérisent hélas les comportements dans notre société actuelle.
Dès qu’une pénurie de gaz est constatée, chaque individu va chercher sa bonbonne de par ses propres moyens. Au besoin il se rendra jusqu’à l’usine avec son véhicule pour s’approvisionner. Il n’a guère de souci pour son voisin qui n’a pas la même possibilité que lui, et qui hélas sera dans l’obligation de recourir à des moyens de bord tel que le charbon ou le bois de chauffe. Il y a là un égocentrisme parfois doublé d’une fanfaronnade qui pousse le cynisme jusqu’à présenter sa bonbonne de gaz, son sac de riz,ses bidons remplis d’eau,ou son réservoir rempli d’essence comme un trophée, fruit de sa propre aptitude entreprenariale ou de ses capacités relationnelles. Cette attitude est en porte à faux avec les enseignements tirés de toutes les religions révélées, notamment en matière de voisinage.
Un consommateur serait allé jusqu’à Bambey pour se procurer une bonbonne de gaz, histoire de laver « l’affront » que son épouse venait de subir du fait de sa voisine, dont le mari s’était montré plus entreprenant dans la recherche du produit. Face aux délestages, certains ont trouvé refuge dans l’acquisition de groupe électrogène, en attendant que les autorités finissent de nous narguer. Il leur faudra évidemment compter avec le coût élevé du gasoil
De telles attitudes fragilisent forcément les associations de consuméristes dont la noble mission est bien souvent court-circuitée par des comportements individualistes et égoïstes où chacun cherche à tirer son épingle du jeu. .
En Amérique du nord, dès qu’une communauté se sent lésée dans ses droits, on assiste à ce qu’on appelle le recours collectif, qui consiste en une prise en charge des problèmes par toutes les victimes sans exception, même si parmi celles-ci, certaines sont en mesure de trouver aisément des solutions individuelles. Et c‘est dans un esprit et un cadre de démarche collective et républicaine que l’on engage alors une bataille qu’on n’abandonnera qu’après avoir obtenu gain de cause. Evidemment, une pareille démarche n’est possible que dans un système où les citoyens prennent conscience de leurs devoirs et de leurs obligations, où l’on ne leur présente pas toutes les actions entreprises en leur faveur par l’Etat, dans le cadre normal de ses prérogatives, comme des « cadeaux » offerts par le chef suprême « dans sa générosité légendaire ».
C’est aussi une démarche qui n’est applicable que dans des systèmes où le concept de l’Etat et de ses différentes composantes renferme un contenu, et revêt une certaine signification aussi bien aux yeux des citoyens que des acteurs qui animent les institutions.
Inefficace boulimie présidentielle
Au Sénégal, tout porte à croire qu’en dépit d’une longue tradition administrative, l’exécutif, le législatif et, accessoirement, une bonne partie de la justice se confondent avec la seule personne du Président de la République.
Usant et abusant de règles formelles et de pratiques informelles, il s’est taillé lui même le profil du faiseur de TOUT, d’incontournable et d’indispensable, au point que certains esprits zélés n’hésitent pas à lui conférer cet attribut divin de « seule constante ». Sous entendu que les douze autres Millions de sénégalais ne sont que des variables. D’abord au plan formel, une analyse du décret portant répartition des services de l’Etat laisse clairement apparaître que tout ce qui est stratégique est concentré à la Présidence de la République. Un seul exemple suffit à le démontrer : les corps de contrôle.
Certes, ces corps, ils ont été toujours logés à ce niveau. Toutefois, nombreux sont ceux qui les perçoivent aujourd’hui davantage comme un sabre avec lequel l’on exécute « proprement », quiconque manifesterait des velléités de remise en cause de la suprématie du Président au plan politique. C’est aussi un moyen de tenir en respect ceux qui ont des dossiers compromettants, et qui pourraient être tentés par toute forme de « rébellion ».
Ses adversaires politiques, responsables au niveau des collectivités locales, qui ont été récemment renvoyés de leur poste par décret, ne trouvent autres explications à leur destitution que dans une volonté de sanctionner leur défiance politique envers le chef suprême. Pourtant, pour la plupart, ces responsables de collectivité locale ont été élus au suffrage universel au même titre que celui qui aujourd’hui, dispose d’un pouvoir de vie ou de mort sur les institutions qu’ils dirigent. On aurait pu étendre l’analyse sur cet aspect à toutes les institutions et leurs démembrements, sur lesquels l’Etat, dans ses attributions traditionnelles, exerce un pouvoir de contrôle.
Il y a donc là un rapport de force inégal en faveur d’un exécutif superpuissant qui peut faire et défaire. La suppression du CRAES avant la fin de son mandat en est une flagrante illustration.
Sur un autre plan, l’on constate aisément que la présidence de la République à travers ses attributions gère deux types d’administration : celle classique et formelle, socle d’un Etat qui a toujours fait la fierté du Sénégal, de par la compétence de ses ressources humaines, mais qui est aujourd’hui totalement en déliquescence, et un second type d’administration marqué par une prolifération d’agences avec des personnels nouveaux fortement colorés au plan politique et bénéficiant pour la plupart de substantiels contrats spéciaux.
Que l’on se comprenne bien : pour des raisons diverses il peut paraître opportun de concevoir des agences dans une administration publique avec des missions précises et limitées dans le temps. Mais dans une administration classique qui respecte les normes d’un fonctionnement rationnel, beaucoup, parmi les dizaines d’agences qui prolifèrent aujourd’hui dans le système administratif sénégalais, auraient dû être logées dans les ministères en charge des secteurs d’activité qui les concernent.
Les sénégalais ont suivi les péripéties de l’octroi d’une troisième licence de téléphonie mobile à la compagnie SUDATEL. L’orthodoxie aurait voulu qu’en la matière, le ministère chargé des télécommunications fut le véritable interlocuteur dans ce dossier, et non des conseillers logés à la présidence.
Cette absence de normes dans l’affectation des rôles, dans la gestion des affaires de l’Etat, donne souvent raison à ceux qui nourrissent des appréhensions quant à la transparence qui entoure le traitement des dossiers publics ayant des relents financiers. L’argument qui veut que le Président de la République impute ses dossiers à qui il veut, n’est en réalité qu’un subterfuge pour légitimer les régimes de faveur. Il y a un minimum de règles et de normes auxquelles une administration sérieuse doit obéir.
En effet, si dans une administration, le conseiller chargé d’un secteur donné, du fait ou à cause de sa proximité avec le chef, arrive à éclipser un ministre dans les dossiers les plus importants qui relèvent naturellement de son secteur, ce dernier n’existe alors que pour légitimer le formalisme du protocole gouvernemental.
Enjeux et jeux ministériels
Les théoriciens du Management sont unanimes à s‘accorder au moins sur ce principe : Quand ceux qui sont à des positions de staff font oublier, de par les pouvoirs qui leur sont conférés par l’autorité, ceux qui exercent les positions de line, il y a une forte probabilité pour que le style de leadership auquel ils sont soumis soit à la fois dirigiste, centralisateur, voire autocratique.
Sous un autre angle, et de manière empirique, on peut aisément remarquer qu’il existe une catégorie de ministères dont les responsables n’expriment leur dynamisme et leur engagement qu’à travers un militantisme zélé et une attitude propagandiste à la faveur exclusive du chef.
C’est le cas, entre autres, du ministère du développement social et de celui de la santé. Mais concernant ce dernier, c’est seulement dans son visage le moins hideux, car le président de la république est toujours en première ligne dans ce secteur, à chaque fois qu’il s’agit de recevoir ou de distribuer du matériel au profit des populations ou des administrations, sans doute pour une récupération politique d’actions qui, somme toute, relèvent naturellement des obligations de tout Etat vis à vis de ses populations. L’exploitation politique, à la limite de la décence, qui entoure la distribution de vivres et de matériels aux pauvres sinistrés des inondations de la banlieue avec une médiatisation à outrance donne le sentiment que toute occasion est bonne pour se mettre en relief.
Un des proches collaborateurs du chef de l’Etat ne disait-il pas à propos des performances de nos lions de Séoul, que le Président a investi, et que donc, il lui faut récupérer « ses » dividendes. C’est à croire que les fonds qui ont servi à cette expédition provenaient de ses ressources personnelles et non de l’argent des contribuables sénégalais.
Il y a par contre des ministères dont l’ingratitude des activités administratives et des tâches sont telles que le président et ses conseillers s’en éloignent, laissant à leurs délégataires le soin de se substituer à eux pour exécuter les actions laborieuses auxquelles sont attachées leurs missions. Dans ce lot figurent le Ministère en charge de l’Education Nationale et celui en charge de l’Emploi et du Travail, auxquels sont assignées les tâches ingrates de négociations et de confrontation avec les syndicats ; de même que celui de l’énergie où le niveau d’incompétence de l’actuel régime est sans nul doute le plus évident.
Il y a enfin les ministères « anonymes » tels que le tourisme, la culture, l’environnement, le secteur maritime, les transports, les petites et moyennes entreprises, l’hydraulique, l’artisanat, l’élevage, sortes de réceptacles destinés à récompenser des hommes et des femmes politiques qui ne semblent hélas disposer d’aucun pouvoir réel ni d’esprit d’initiatives. C’est la raison pour laquelle, la plupart de ces ministères sont aujourd’hui soit méconnus du grand public, soit peu performants au plan des réalisations techniques, ou alors sont totalement en perte de vitesse, comme dans le domaine de la pêche ou de celui du tourisme. Les nombreuses complaintes qui émanent régulièrement des acteurs de ces départements en attestent éloquemment. Récemment, des éleveurs du département de Linguère se sont sentis sans doute si délaissés qu’ils se sont demandé, dans une station de télévision, s’il existe au Sénégal un ministère chargé de l’élevage.
En effet, à quelques exceptions près, nul ne peut vous indiquer de manière explicite, quelles sont les stratégies élaborées pour conduire des politiques dans ces différents ministères. Passé le stade du discours de politique générale, c’est le flou le plus total, pour ne pas dire une quasi léthargie qui entourent leurs activités.
Les titulaires de ces postes ministériels semblent être davantage appréciés plus par rapport à leur engagement politique auprès du chef de l’Etat, que dans les réalisations concrètes de leur département en faveur des populations.
Les seules exceptions qui échappent à cette logique d’irrationalité, relèvent de secteurs apparemment considérés comme des domaines réservés. A cet égard, dès que Dubaï s’est intéressé au port de Dakar, tout le monde a remarqué l’implication dans le dossier du conseiller et non moins fils du chef de l’Etat, même si on cherche par des circonvolutions à démontrer que le ministère y est impliqué. On peut en dire autant du dossier de recherche de financement des ICS, et récemment de celui de la « centrale nucléaire » qui se négocierait à Paris.
L’inacceptable tentative de mettre au pas le législatif
On aurait pu étendre cette analyse à tous les niveaux de l’activité gouvernementale en y incluant les établissements publics, les sociétés nationales, pour démontrer à quel point l’administration traditionnelle a cessé d’exister, du fait d’une hégémonie manifeste de la présidence de la république, de ses agences et de ses supers conseillers. Un de nos hommes politiques disait qu’« il faut vraiment aimer le poste de Ministre pour accepter d’être dans ce gouvernement ».Il était alors dans l’opposition. Aujourd’hui il occupe un poste ministériel dont l’anonymat n’a d’égal que l’ennui qu’il doit sans doute y subir au quotidien.
Mais là où cette macrocéphalie de l’exécutif est la plus triste à observer, c’est dans l’influence qu’elle tente d’exercer sur le législatif, une institution dont elle est censée être totalement indépendante. Les Sénégalais avaient été abasourdis d’apprendre, selon des propos rapportés par la presse, le que le Président de République avait demandé ouvertement au Président de l’Assemblée nationale de quitter son poste. C’est là une manifestation concrète de la volonté de l’exécutif d’apprivoiser le législatif attestant que le principe la séparation des pouvoirs entre les deux institutions n’est que pure fiction.
Les déclarations souvent répétées de membres du parlement, remerciant le chef de l’Etat de les avoir « placés » au niveau où ils sont, témoignent suffisamment de la nature des rapports qui existent entre ces deux institutions. Et pourtant, il se proclame urbi et orbi que nous sommes dans un système démocratique. C’est peut être aussi une des raisons qui expliquent pourquoi, à coté de notre constitution, est placée une paire de ciseau qu’utilise le président de la République pour tailler et retailler à sa convenance sans que personne, à l’exception de quelques députés téméraires de l’opposition, n’ose réclamer l’indépendance effective du parlement par rapport à l’exécutif. Il semble qu’au Bénin depuis que leur Constitution a été votée, elle n’a été modifiée que deux fois. L’acharnement dont l’actuel Président de l’Assemblée Nationale fait l’objet pour le débarquer de son poste, est une triste illustration que ce qui reste de notre démocratie est aujourd’hui fortement menacé.
En matière de justice, ma conviction et mon expérience personnelle m’autorisent à croire qu’il existe des magistrats du siège comme ceux du parquet qui exercent leur fonction en faisant preuve d’équité, d’honnêteté et de justice. Mais le système, tel qu’il est configuré, avec un ministère de la justice, le cordon ombilical entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire, peut, à bien des égards, atténuer l’indépendance de cette dernière. En effet, l’autorité directe que le ministère de la justice exerce sur le parquet pourrait, à n’en pas douter, conduire à des situations incongrues du genre « flagrants délits continus » où, à tout moment, la possibilité est ouverte d’incriminer tout citoyen qui « dérange ». Il s’y ajoute que le Président de la République est en même temps le Président du conseil supérieur de la magistrature, et qu’à ce titre il est au cœur du processus de nomination des magistrats.
Cette analyse du fonctionnement de notre système administratif est loin d’être exhaustive. Mais elle suffit pour démontrer un principe fondamental en Management : « la responsabilité ne se délègue point au contraire de l’autorité ».
Pour en revenir à la problématique des difficultés auxquelles les Sénégalais sont confrontés dans tous les secteurs et par laquelle cette réflexion a débuté, l’application de ce principe managérial voudrait que seul le président de la République soit l’unique responsable des dysfonctionnements ayant conduit à cette situation.
Les récents évènements marqués par les dépassements budgétaires dont on ne connaît certainement pas encore ni l’ampleur ni la gravité, n’ont qu’un seul et unique responsable au plan managérial, en l’occurrence le chef de l’Etat, ne serait-ce que par rapport au choix qu’il a porté lui même sur les Hommes qui ont été à l’origine de ces dérapages. Il en va de même de la responsabilité des séries de pénurie d’eau, d’électricité, de riz, de carburant. Evidemment, il peut convoquer la conjoncture internationale pour les expliquer. De même, il lui est loisible d’aller trouver ses boucs émissaires et de les sacrifier sur l’autel des principes de bonne gouvernance.
Pendant ce temps, l’opinion aura du mal à comprendre le peu d’empressement qu’il y a à diligenter un audit indépendant, sur les centaines de milliards gérés par une institution comme l’ANOCI dont son propre fils et non moins conseiller est le Président de conseil de surveillance.
Certes il a limogé le Ministre en charge du budget et menacé de faire tomber d’autres têtes relativement aux dérapages. Mais ces mesures sont d’autant plus gênantes que l’on peut constater tous les jours, que cette ANOCI n’a même pas encore achevé les travaux pour lesquels elle a été créée. Il s‘y ajoute que la manière dont le projet a été géré tant au niveau de la définition de sa mission, de ses objectifs, que dans les stratégies de leur mise en œuvre, suscite réserves et interrogations de la part des initiés en Management de projet.
La nouvelle mission de super assistant social tout azimut dont son Président de conseil de surveillance semble s’être investi, ne saurait éclipser la volonté farouche des sénégalais de savoir comment ont été utilisées les ressources de l’ANOCI, quelles que soient par ailleurs leurs origines.
Je voudrais terminer par cette anecdote dont j’ai été le principal témoin. Il s’agit d’un de mes enfants, âgé seulement de 7 ans qui est venu me voir dans le salon, un soir, alors que les délestages avaient fini de nous plonger dans l’obscurité. Sur un ton à la fois naturel et naïf, il me posa trois questions, à savoir si en France il y avait des délestages, des pénuries de gaz et de riz. Ma réponse à ses questions fut négative, même si c’était avec quelques réserves. Il marqua alors un temps de réflexion avant de poursuivre : « Est-ce qu’on ne pourrait pas demander au Président français de venir gérer le Sénégal et à notre Président d’aller diriger la France, pour nous mettre ainsi à l’abri des pénuries » ? Croyez moi, ces propos juvéniles ne m’ont guère fait rigoler, encore moins sourire.
Bien au contraire, ils m’ont plutôt rendu triste à l’idée que finalement, quel que soit son âge, chaque Sénégalais est envahi par une angoisse mal dissimulée et dans son for intérieur, il s’investit dans la recherche de solutions de sortie de ces multiples crises qui nous étouffent, et en particulier de ces ténèbres dans lesquelles hélas nous sommes tous plongés, peut être encore pour bien longtemps. Sa suggestion naïve, m’a plutôt rappelé cette boutade du Général De Gaulle : « on ne devrait plus accepter certaines responsabilités au-delà de soixante dix ans ».Je suis convaincu que les Français la retiendront eux aussi, avant de se lancer dans une quelconque opération d’échange de chef d’Etat, quelle que soit par ailleurs l’opinion qu’ils se font de leur propre Président de la République.
Le seul sentiment d’espoir que je peux tirer de ce dialogue, c’est de pouvoir paraphraser l’autre, en disant à mon fils, que je dirai à sa mère tout le mérite qu’il a de commencer déjà à réfléchir sur les multiples problèmes qui assaillent son pays.
* ABDOUL AZIZ TALL,
* Conseiller en Management,
* Ancien conseiller du Bureau Organisation et Méthodes,
* Diplômé es sciences politiques de l’Université de Montréal,
* MBA, HEC Montréal.