RFI : Quelle a été votre réaction à l’annonce de la libération de Mandela ?
Abdou Diouf : Jusqu’au dernier moment, je n’y ai pas cru. Je me disais « qu’est-ce qui va arriver ? ». Il y a toujours des impondérables qu’on ne peut pas gérer. J’étais vraiment très présent. Pour moi, c’était l’aboutissement d’un long combat. J’ai toujours considéré que c’était l’injustice politique la plus grave qui demeurait sur le continent et que cette injustice, il fallait la réparer.
Au moment de mon élection comme président de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), je l’ai dit dans mon discours et j’en ai d’autant plus fait ma priorité que le président tanzanien Nyerere, à l’époque, a interpellé les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest. Il a dit : « Vous, Africains de l’Ouest, vous passez tout votre temps à nous soutenir en paroles, mais vous ne connaissez pas les réalités que nous vivons nous les pays de la ligne de front* ». Et c’est à ce moment-là que j’ai décidé qu’en tant que président en exercice de l’OUA, je ferai mon voyage dans les pays de la ligne de front. Le 1er octobre 1985, je me suis envolé de Dakar pour faire tous les pays de la ligne de front et j’ai survolé l’Afrique du Sud pour aller au Lesotho.
RFI : Vous vous souvenez de ce que vous avez ressenti en survolant l’Afrique du Sud, et même Johannesburg, je crois ?
A.D : Dans l’avion, tout le monde retenait son souffle. On se disait que tout pouvait arriver parce que je faisais des déclarations très violentes. J’avais fait inscrire au tableau de toutes les écoles sénégalaises la phrase « l’Apartheid est un crime contre l’humanité ». Je me suis battu aux Nations unies. On se disait donc que tout pouvait arriver, et je disais : « il n’arrivera rien ! Personne ne prendra le risque de tirer sur l’avion du président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine. Ce serait catastrophique pour les tenants de l’apartheid. »
RFI : Quelle était la position de l’Afrique ? Il y avait les pays de la ligne de front qui faisaient beaucoup ?
A.D : Globalement, toute l’Afrique était contre l’Apartheid, mais il y a ceux qui disaient : « il faut dialoguer avec les tenants de l’Apartheid pour arriver à une solution ». Il y avait des pays qui étaient tièdes et qui disaient : « écoutez, ils n’ont qu’à régler leurs problèmes eux-mêmes, nous avons autre chose à faire ». Il y avait ceux qui disaient « non, non, non. Il faut soutenir l’ANC et les forces de libération !». Nous, nous étions partisans de cette position de soutenir l’ANC de toutes nos forces jusqu’au moment où nous avons eu enfin un président éclairé, blanc, qui était Frederik de Klerk. Et à partir de ce moment là, en parlant avec lui, nous avons réussi à créer cette dynamique de paix.
RFI : Quand Nelson Mandela est libéré – je revoyais les déclarations que vous avez faites à l’époque - vous disiez : « il faut maintenir la pression »…
A.D : Oui, bien sûr. Jusqu’à l’organisation d’élections libres, transparentes, sur le principe d’un homme, une voix, je ne pouvais pas être rassuré. De Klerk, à qui je faisais confiance, a pris des mesures très importantes, mais il fallait aller jusqu’au bout du processus. Il pouvait tout arriver à de Klerk. Il pouvait tout arriver à Mandela. Regardez cette réunion qui s’est tenue à Dakar pour créer un climat de confiance entre les libéraux blancs et l’ANC. Les gens retournés chez eux ont fait l’objet de menaces. J’ai vu des tas de choses : l’assassinat de Jaurès quand il a voulu s’opposer à la guerre de 14-18 et qu’on a traité de fasciste. Je me dis que tout peut arriver et c’est pourquoi je demande à toutes les chancelleries occidentales d’être vigilantes. Et c’est seulement quand ces élections ont eu lieu et que Nelson Mandela a été élu président de la République que j’ai considéré qu’enfin l’apartheid était complètement terrassé et que l’Afrique du Sud pouvait aborder une nouvelle phase de son histoire.
Vous savez, je n’hésite pas à dire que Nelson Mandela est actuellement le plus grand homme vivant. J’ai de la vénération pour cet homme, j’ai de l’amitié pour lui, j’ai du respect, j’ai de l’admiration. Quelqu’un qui a passé 27 ans en prison, on peut en sortir complètement démoli. Il en est sorti plus fort. On peut en sortir complètement aigri, avec de la rancune, de la colère. Il en est sorti, apaisé, avec une âme plus belle encore, une sagesse. C’est vraiment ce que tout homme doit être, à la fois ferme sur le principe, visionnaire, humble, simple, capable de tous les sacrifices pour une cause qui le dépasse. Mandela, c’est vraiment l’homme achevé.
RFI : Quand est-ce que vous le rencontrez pour la première fois ?
A.D : Je crois que c’est en 1991, quand il est venu me voir à Dakar la première fois. Et mon peuple lui a réservé un accueil extraordinaire. Mais à la fin, j’ai commis une erreur. Quand nous sommes arrivés devant le palais, le peuple était tellement heureux de le voir, j’ai dit « Monsieur le Président, nous allons descendre saluer cette foule en marchant ». J’avais commis une grosse erreur parce que le peuple a fait sauter les barrières, est venu vers nous, le service d’ordre a été débordé. Nous nous sommes trouvés pratiquement étouffés. Et quand, enfin, des gens ont réussi à nous dégager, il a eu cette phrase « Monsieur le président, c’est ce qu’on appelle mourir d’amour ». Je trouve ça magnifique !
*pays d’Afrique australe qui soutenaient l’ANC du temps de l’apartheid
Abdou Diouf : Jusqu’au dernier moment, je n’y ai pas cru. Je me disais « qu’est-ce qui va arriver ? ». Il y a toujours des impondérables qu’on ne peut pas gérer. J’étais vraiment très présent. Pour moi, c’était l’aboutissement d’un long combat. J’ai toujours considéré que c’était l’injustice politique la plus grave qui demeurait sur le continent et que cette injustice, il fallait la réparer.
Au moment de mon élection comme président de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), je l’ai dit dans mon discours et j’en ai d’autant plus fait ma priorité que le président tanzanien Nyerere, à l’époque, a interpellé les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest. Il a dit : « Vous, Africains de l’Ouest, vous passez tout votre temps à nous soutenir en paroles, mais vous ne connaissez pas les réalités que nous vivons nous les pays de la ligne de front* ». Et c’est à ce moment-là que j’ai décidé qu’en tant que président en exercice de l’OUA, je ferai mon voyage dans les pays de la ligne de front. Le 1er octobre 1985, je me suis envolé de Dakar pour faire tous les pays de la ligne de front et j’ai survolé l’Afrique du Sud pour aller au Lesotho.
RFI : Vous vous souvenez de ce que vous avez ressenti en survolant l’Afrique du Sud, et même Johannesburg, je crois ?
A.D : Dans l’avion, tout le monde retenait son souffle. On se disait que tout pouvait arriver parce que je faisais des déclarations très violentes. J’avais fait inscrire au tableau de toutes les écoles sénégalaises la phrase « l’Apartheid est un crime contre l’humanité ». Je me suis battu aux Nations unies. On se disait donc que tout pouvait arriver, et je disais : « il n’arrivera rien ! Personne ne prendra le risque de tirer sur l’avion du président en exercice de l’Organisation de l’unité africaine. Ce serait catastrophique pour les tenants de l’apartheid. »
RFI : Quelle était la position de l’Afrique ? Il y avait les pays de la ligne de front qui faisaient beaucoup ?
A.D : Globalement, toute l’Afrique était contre l’Apartheid, mais il y a ceux qui disaient : « il faut dialoguer avec les tenants de l’Apartheid pour arriver à une solution ». Il y avait des pays qui étaient tièdes et qui disaient : « écoutez, ils n’ont qu’à régler leurs problèmes eux-mêmes, nous avons autre chose à faire ». Il y avait ceux qui disaient « non, non, non. Il faut soutenir l’ANC et les forces de libération !». Nous, nous étions partisans de cette position de soutenir l’ANC de toutes nos forces jusqu’au moment où nous avons eu enfin un président éclairé, blanc, qui était Frederik de Klerk. Et à partir de ce moment là, en parlant avec lui, nous avons réussi à créer cette dynamique de paix.
RFI : Quand Nelson Mandela est libéré – je revoyais les déclarations que vous avez faites à l’époque - vous disiez : « il faut maintenir la pression »…
A.D : Oui, bien sûr. Jusqu’à l’organisation d’élections libres, transparentes, sur le principe d’un homme, une voix, je ne pouvais pas être rassuré. De Klerk, à qui je faisais confiance, a pris des mesures très importantes, mais il fallait aller jusqu’au bout du processus. Il pouvait tout arriver à de Klerk. Il pouvait tout arriver à Mandela. Regardez cette réunion qui s’est tenue à Dakar pour créer un climat de confiance entre les libéraux blancs et l’ANC. Les gens retournés chez eux ont fait l’objet de menaces. J’ai vu des tas de choses : l’assassinat de Jaurès quand il a voulu s’opposer à la guerre de 14-18 et qu’on a traité de fasciste. Je me dis que tout peut arriver et c’est pourquoi je demande à toutes les chancelleries occidentales d’être vigilantes. Et c’est seulement quand ces élections ont eu lieu et que Nelson Mandela a été élu président de la République que j’ai considéré qu’enfin l’apartheid était complètement terrassé et que l’Afrique du Sud pouvait aborder une nouvelle phase de son histoire.
Vous savez, je n’hésite pas à dire que Nelson Mandela est actuellement le plus grand homme vivant. J’ai de la vénération pour cet homme, j’ai de l’amitié pour lui, j’ai du respect, j’ai de l’admiration. Quelqu’un qui a passé 27 ans en prison, on peut en sortir complètement démoli. Il en est sorti plus fort. On peut en sortir complètement aigri, avec de la rancune, de la colère. Il en est sorti, apaisé, avec une âme plus belle encore, une sagesse. C’est vraiment ce que tout homme doit être, à la fois ferme sur le principe, visionnaire, humble, simple, capable de tous les sacrifices pour une cause qui le dépasse. Mandela, c’est vraiment l’homme achevé.
RFI : Quand est-ce que vous le rencontrez pour la première fois ?
A.D : Je crois que c’est en 1991, quand il est venu me voir à Dakar la première fois. Et mon peuple lui a réservé un accueil extraordinaire. Mais à la fin, j’ai commis une erreur. Quand nous sommes arrivés devant le palais, le peuple était tellement heureux de le voir, j’ai dit « Monsieur le Président, nous allons descendre saluer cette foule en marchant ». J’avais commis une grosse erreur parce que le peuple a fait sauter les barrières, est venu vers nous, le service d’ordre a été débordé. Nous nous sommes trouvés pratiquement étouffés. Et quand, enfin, des gens ont réussi à nous dégager, il a eu cette phrase « Monsieur le président, c’est ce qu’on appelle mourir d’amour ». Je trouve ça magnifique !
*pays d’Afrique australe qui soutenaient l’ANC du temps de l’apartheid