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Abdou Karim Fofana : « Pour Macky Sall, ce n’est pas une partie de plaisir de rester au pouvoir »

Rédigé par leral.net le Jeudi 8 Février 2024 à 16:30 | | 0 commentaire(s)|

Selon le porte-parole du gouvernement sénégalais, le chef de l’État n’a pas eu d’autre choix que d’annuler le scrutin présidentiel prévu le 25 février pour qu’il soit « crédible et inclusif ». Il aura suffi de quelques jours pour que le Sénégal bascule dans une crise inédite. Trois semaines avant que les électeurs ne soient appelés aux […]

Selon le porte-parole du gouvernement sénégalais, le chef de l’État n’a pas eu d’autre choix que d’annuler le scrutin présidentiel prévu le 25 février pour qu’il soit « crédible et inclusif ».

Il aura suffi de quelques jours pour que le Sénégal bascule dans une crise inédite. Trois semaines avant que les électeurs ne soient appelés aux urnes, le président Macky Sall a annoncé, le 3 février, qu’il annulait le décret convoquant le corps électoral. Le scrutin présidentiel, initialement prévu le 25 février, s’en est automatiquement trouvé reporté.

 

Le 5 février au soir, l’élection présidentielle a ensuite été ajournée par les députés au 15 décembre prochain et la durée du mandat du président sortant est, de fait, prolongé jusqu’à l’élection de son successeur.  L’opposition s’en est immédiatement indignée, par la voix de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, ou encore de Bassirou Diomaye Faye, le candidat choisi par le Pastef pour remplacer Ousmane Sonko, emprisonné et inéligible. Onze candidats, réunis en un collectif, ont appelé ce mercredi 7 février à « une convergence de toutes les forces vives de la nation » pour faire reculer Macky Sall.

La décision a également donné lieu à quelques échauffourées dans la capitale sénégalaise et provoqué la stupéfaction dans les rangs de la communauté internationale. Mais pour Abdou Karim Fofana, ministre du Commerce et porte-parole du gouvernement, l’annulation du scrutin était nécessaire afin d’avoir « un processus électoral inclusif qui ne sème le doute chez aucun acteur politique ». Entretien.

Jeune Afrique : L’Assemblée nationale a voté dans la soirée du 5 février, à 104 voix pour et en l’absence des députés de l’opposition, le report de la présidentielle. N’est-ce pas ce fait, inédit dans l’histoire du pays, qui plonge le Sénégal dans une profonde crise politique ?

Abdou Karim Fofana : Non, pas du tout. Nous sommes aujourd’hui face à une situation exceptionnelle. L’Assemblée nationale a ouvert une enquête parlementaire sur le traitement du processus électoral effectué par le Conseil constitutionnel. Face à ce conflit entre deux institutions de la République, le pouvoir exécutif, qui n’a ni le droit de critiquer le pouvoir législatif ni celui de s’opposer au pouvoir judiciaire, ne pouvait rester les bras croisés.

La chose la plus sage est de voir comment permettre à notre démocratie d’avoir un processus électoral crédible. C’est bien de respecter le calendrier électoral. Mais il y a un autre principe plus fort encore : celui d’avoir un processus crédible et inclusif, qui ne soit susceptible d’aucune contestation.

Pour autant, il n’y a pas eu de large consensus autour de la décision de Macky Sall d’annuler l’élection présidentielle à trois semaines seulement du scrutin et à la veille de la campagne électorale…

La prolongation n’est pas du fait du chef de l’État. Au lendemain de la publication de la liste définitive des candidats, Karim Wade, un acteur majeur de l’opposition dont la coalition politique est représentée par 24 députés à l’Assemblée nationale, a estimé qu’il avait été injustement exclu de l’élection présidentielle. Son groupe parlementaire [Liberté, démocratie et changement] a donc déclenché une procédure d’enquête parlementaire. Il n’y a certes pas eu de consensus, et il y a de toute façon rarement l’unanimité en démocratie, mais une majorité s’est dégagée autour de la proposition de loi constitutionnelle visant à reporter le scrutin.

Ne fallait-il pas tout de même consulter les vingt candidats officiellement en lice ? 

Si on entre dans le fétichisme numéraire, je pourrais vous demander aussi ce que l’on doit faire de la requête des 49 autres candidats recalés, qui ont dénoncé le traitement inapproprié de leurs dossiers de parrainages par le Conseil constitutionnel. Vous avez d’ailleurs parmi eux l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, farouchement opposé au président Macky Sall, et qui s’est également exprimé en faveur d’un report de l’élection.

Le mandat du chef de l’État est prolongé d’au moins dix mois. Ne redoutez-vous pas que son autorité soit contestée à partir du 2 avril, date à laquelle il était censé quitter le pouvoir selon la Constitution ?

C’est aussi la Constitution qui, à partir de la loi constitutionnelle dérogatoire votée par l’Assemblée, donne la possibilité au président de la République de rester en fonction jusqu’au jour où son successeur est élu et prend service. C’est le principe de la continuité de l’État. Par ailleurs, ce n’est pas une partie de plaisir pour le chef de l’État de rester un, deux ou trois jours de plus au pouvoir.

Après douze années au pouvoir, on ne va pas s’amuser à augmenter la durée de nos mandats ou de nos fonctions juste comme cela. Le problème, c’est qu’il y a un sérieux enjeu. Est-ce qu’on souhaite une élection crédible ou est-ce on veut satisfaire le microcosme qui veut que la date ne soit pas décalée ? Le président reste parce que la Constitution l’y oblige. C’est un devoir. Il est le garant du bon fonctionnement des institutions. Et quand deux d’entre elles s’auto-accusent, il est normal qu’il prenne ses responsabilités.

Il y avait aussi cette possibilité qu’au terme de son mandat, Macky Sall laisse la place au président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop, conformément aux dispositions de la Constitution, quitte à ce que celui-ci organise l’élection présidentielle… 

Là vous parlez d’un cas d’empêchement ou de vacance du pouvoir. Nous ne sommes pas dans ce cas.

Le report de la présidentielle n’est-il pas aussi un désaveu pour le Premier ministre, Amadou Ba, puisqu’il est au centre des accusations de corruption portées par Karim Wade et qui ont conduit à ce blocage institutionnel ?

Il faut être sérieux. Nous parlons de conflit entre institutions, et non entre camarades de parti. Nous avons un problème avec la crédibilité du processus électoral. En quoi serait-ce un désaveu ?

Mais en soutenant l’initiative du PDS visant à ouvrir une enquête parlementaire dont on n’a pas encore les conclusions, la majorité présidentielle n’a-t-elle pas jeté son propre candidat en pâture ?

Les accusations sont graves. Même le Conseil constitutionnel, bien qu’il les réfute, affirme cependant qu’il faut les éclaircir. En attendant, Amadou Ba est toujours Premier ministre et, à l’instant où je vous parle, il est toujours le candidat de la coalition au pouvoir [Benno Bokk Yakaar, BBY].

Deux membres de l’exécutif, le ministre secrétaire général du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, et la ministre d’État Awa Marie Coll Seck ont donné leur démission. N’est-ce pas la preuve que le sujet divise ?

C’est une situation complexe et chacun a son appréciation. Mais l’écrasante majorité du gouvernement fait preuve d’unité et de solidarité face à une situation qui n’est pas facile.

S’il est soupçonné d’avoir corrompu deux juges constitutionnels, Amadou Ba, le chef du gouvernement, ne devrait-il pas rendre son tablier ?

Une commission d’enquête parlementaire a été mise en place. Laissons-la faire son travail.

Plusieurs organisations internationales, dont Amnesty international, ont dénoncé la révocation, par l’État, de la licence de la chaîne privée Walf TV et les restrictions d’accès à internet. Elles ont également appelé au respect des libertés. La démocratie sénégalaise est-elle en danger ?

Nous sommes une démocratie qui fonctionne et dans laquelle il y a une parfaite égalité entre la majorité présidentielle [82 députés] et l’opposition [80 députés] à l’Assemblée nationale en termes de nombre de sièges. Dans ses émissions, le groupe de presse Walfadjri a appelé à des manifestations et à l’émeute. C’est inadmissible.

Les médias sont libres de traiter l’information, mais on ne peut pas leur permettre d’inciter les Sénégalais à la violence. Certains veulent semer le chaos. L’État ne laissera pas faire.

Source: Jeune Afrique



Source : https://lesoleil.sn/abdou-karim-fofana-pour-macky-...