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Abdou Khadre Gaye, Président de l’Emad, membre de la société civile :«Au Sénégal, la politique c’est l’art du mensonge, du maquillage…»

Président de l’Entente des mouvements et Associations de développement (Emad), membre de la société civile, Abdou Khadre Gaye dénonce avec vaillance la pratique politique sous nos cieux. Dans cette interview, M. Gaye n’a pas porté de gants. Pour clamer tout haut qu’au Sénégal, faire de la politique c’est être capable « de renier et de parjurer sans état d’âme » Selon lui «La politique dans notre pays, c’est l’art du mensonge, du maquillage, de la dissimulation et de la fourberie».


Rédigé par leral.net le Mercredi 11 Février 2009 à 19:39 | | 0 commentaire(s)|

Abdou Khadre Gaye, Président de l’Emad, membre de la société civile :«Au Sénégal, la politique c’est l’art du mensonge, du maquillage…»
Quel regard portez-vous sur la politique et les hommes politiques sénégalais ?
La politique au Sénégal, aujourd’hui, c’est l’art du mensonge, du maquillage, de la dissimulation et de la fourberie. L’art d’entretenir et d’exploiter l’ignorance et la crédulité du peuple. L’art de l’endormir, pourrait-on dire. C’est cela la politique, aujourd’hui. Et être un homme politique, chez nous, c’est être capable de renier et de parjurer sans état d’âme. Etre un bon comédien, à l’aise dans tous les rôles. Etre insensible à la misère et à la souffrance du peuple. Etre capable de vivre seul dans le confort et l’abondance au moment même ou la grande majorité des populations croupit dans l’inconfort et la misère la plus noire. C’est cela être un homme politique, chez nous.

Votre jugement de la politique et des hommes politiques est sévère. Pourtant il se dit que vous avez été militant du Sopi et de l’alternance. Qu’en est-il exactement ?
Qui n’a pas été militant de l’alternance ? Quel étudiant des années 1988 n’a pas fredonné l’hymne du Sopi ? Oui, j’ai dansé au soir du 19 mars 2000. Mais, il faut reconnaître que l’alternance a déçu. Et Victor Hugo a raison qui disait : « Qui croit avoir fini pour un roi qu’on dépose, se trompe. Un roi qui tombe est toujours peu de chose. Il est plus difficile et c’est un plus grand poids de relever les mœurs que d’abattre un roi. » Et, avec le recul, il me semble que le Sopi a été un grand malentendu. Pour moi le Sopi ne signifiait pas seulement changement d’hommes à la tête de l’Etat ni changement de ma situation sociale ni changement de mon sort propre et celui de ma famille. Il signifiait bien plutôt changement de notre façon de voir et de faire la politique. Changement du mode de gouvernement. Changement du sort des Sénégalais. Le Sopi, pour moi, signifiait la fin de la mal gouvernance, de la corruption et du piétinement des droits de l’homme. La fin de l’arrogance, du laisser aller, du je m’en fichisme et de l’impunité. Voyez-vous, le vieux rêve du Sopi est toujours d’actualité. Mais ce qui m’attriste surtout, c’est le désespoir qui gagne les cœurs et la foi qui déserte les âmes de nos concitoyens.

Que pensez-vous de la génération du concret et de l’ambition prêtée à Karim Wade d’être président après son père ?
Je suis emadien. Et j’ai choisi depuis 1993 d’être du côté de ces jeunes et moins jeunes, ces hommes et ces femmes des quartiers de nos villes et de nos villages qui se battent tous les jours contre la pauvreté, le mal être et le mal vivre. Ils sont les soldats du développement. Quant à Karim Wade, la loi sénégalaise actuelle ne lui interdit pas l’ambition dont vous parlez. Mais tout ce que n’interdit pas la loi n’est pas forcement bon. Alors je lui conseille la prudence. Je lui conseille de se méfier de la valetaille et des prétendus faiseurs de rois. De faire preuve de patience, de refuser la facilité et de travailler dur. D’avoir du respect pour le peuple et de croire en la démocratie qui enseigne que c’est le peuple libre et souverain qui se choisit librement ses dirigeants.

Quel est votre avis sur le duel Farba/Fadel ?
Il n’y a pas de duel Farba/Fadel. Farba est son propre adversaire. Il se bat seul contre tous. Contre la presse, les marabouts, la collectivité lébou, les institutions de la république et même contre son propre parti. Alors parlez plutôt du duel Farba contre tous. En vérité, Farba est l’adversaire de Farba, le premier ennemi du pouvoir libéral. Ce que je ne peux pas comprendre c’est la cécité de ses frères libéraux qui veulent le protéger vaille que vaille, malgré que le bruit de ses casseroles perturbe le sommeil des justes et aiguise, chaque jour un peu plus, la rancœur des Sénégalais. Ce que les libéraux semblent ignorer, c’est qu’on ne construit rien de solide sur la dissimulation et l’iniquité. Qu’on ne gouverne pas en se fermant les yeux ni en se bouchant les oreilles. Que le meilleur talisman du pouvoir c’est montrer le bon exemple en toute chose, récompenser les travailleurs respectueux des lois et règlements, juger les accusés, condamner les coupables et éviter de protéger ou de promouvoir les anti- modèles ou de sévir contre les innocents et/ou les faibles.

En tant qu’habitant de Dakar Plateau, que pensez-vous de la liste de la coalition Sopi 2009 qui a suscité beaucoup de remous ?
En ce qui concerne la liste de la coalition Sopi 2009, je crois que ceux qui l’ont établit manquent de perspicacité et oublient qu’une élection locale n’est pas une élection présidentielle ; elle est bien plutôt, comme l’indique son nom, une affaire de proximité, de quartiers, d’amitié et de parenté, n’en déplaise à certains politiciens. Car, si le conseil municipal véritable est l’assemblée des habitants des quartiers de la commune d’arrondissement, le maire, lui, doit être l’oreille qui reçoit les confidences des populations, la bouche qui les console. Il n’est donc pas qu’un frère ou un camarade de parti. Mais l’ami(e), le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le parent ou la parente. En vérité, les concepteurs de cette liste ont fait montre d’une grosse erreur d’appréciation. Or, en politique, disait Abdoulaye Wade, leader de l’opposition, une erreur d’appréciation, ça se paie cash. Fadel n’est pas qu’un frère, c’est aussi un ami et un intellectuel pour qui j’ai beaucoup de respect. Il n’a pas l’âme d’un politicien. Il est très généreux et est même doté d’une certaine dose de naïveté qui lui va bien. Je le plains parce qu’il est intelligent, modeste et humble dans un parti ou l’inintelligence est reine et ou la bêtise et la gloriole sont récompensée. Les Sénégalais ont fini de s’en convaincre.

Où en êtes-vous avec votre programme sur le changement des comportements ?
Vous voulez parler du Pacte pour le civisme et la citoyenneté que nous avons initié au lendemain du naufrage du bateau le «Joola» en réponse à l’appel à l’introspection du chef de l’état. Pour répondre à votre question, je peux dire que le changement des comportements est un arbre long à grandir. Le travail de toute une génération pourrait ne pas y suffire. Or, l’EMAD n’a proposé qu’une modeste poignée de graines. Entretenues, elles pourraient devenir une forêt, ou tout au moins un parc pouvant accueillir la fatigue des Sénégalais. Hélas, le Président Abdoulaye Wade a oublié son appel a l’introspection, me semble-t-il. Et les autorités sur lesquelles nous comptions pour mener à terme le projet n’ont pas suivi. Il est vrai qu’elles sont venues à nos cérémonies, y ont prononcé de grands discours et fait des promesses. Mais, elles n’ont pas compris ou ne veulent pas comprendre que pour changer les choses dans notre pays il faut nécessairement un engagement citoyen volontaire et personnel de tous pour le respect des lois et règlements. Elles refusent de comprendre que rien qu’en acceptant de changer de comportements notre peuple pourrait venir à bout du paludisme, du sida, de la tuberculose ainsi que des accidents de la circulation et de tous ces immeubles qui s’effondrent chaque jour que Dieu fait. Elles ne comprennent pas, nos autorités. Toutefois nous travaillons sur la deuxième phase du programme en espérant qu’elles comprendront enfin qu’il est grand temps pour nous de changer nos comportements si nous voulons développer le Sénégal.

Quelques mots sur l’EMAD ?
L’EMAD est un réseau national d’organisations communautaires de bases créé en 1993, au lendemain du grand mouvement set-sétal. Aujourd’hui, elle compte une bonne centaine d’associations affiliées à travers le pays. Elle a pour mission essentielle, l’encadrement et l’assistance des populations organisées dans les quartiers de nos villes et de nos campagnes qui, c’est notre intime conviction, sont le meilleur capital des pays dits pauvres. L’unique socle de notre développement, devrais-je dire. Son credo est la phrase d’Antoine De Saint Exupery qui dit que : « La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose que pierre ; mais de collaborer, elle s’assemble et devient temple».

Votre dernier mot ?
Que nos autorités acceptent d’ouvrir les chantiers de l’homme. C’est une bonne chose que de construire des routes, des ponts et des échangeurs. Mais, il ne faut pas oublier l’homme. Le citoyen sénégalais est d’une laideur impossible. Et nous pouvons nous écrier avec Aime Césaire : « Le matériau humain lui-même est à refondre». Et comme disait le cardinal Theodore Adrien Sarr : « L’essentiel n’est ni dans le pouvoir ni dans l’avoir mais plutôt dans l’être ». Que Dieu fasse descendre ses bienfaits sur notre peuple. Qu’il nous assiste, nous, nos familles et nos dirigeants.

Propos recueillis par Sékou Dianko Diatta 24h Chrono

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