Pour un Européen, la démarche est difficile à comprendre : pourquoi diable aller demander aux Nord-Coréens d’édifier une statue de plus de 50 mètres de haut, la plus haute du monde, alors qu’il y a tant à faire pour améliorer la vie quotidienne des Dakarois ?
Dressée sur l’une des deux Mamelles (les collines du cap Vert), l’oeuvre, à l’esthétique soviétique des années trente, domine la ville face à l’océan. Malgré quelques polémiques sur son financement, les Africains sont plutôt fiers du monument dont le président du Sénégal Abdoulaye Wade a lui-même dessiné l’esquisse. « C’est un symbole, comme la statue de la Liberté à New York ou la tour Eiffel à Paris », expliquent-ils à l’étranger un peu dubitatif. Ils en sont sûrs : dans cinquante ans, plus personne ne s’interrogera sur la pertinence de cet édifice, pas plus qu’on ne conteste aujourd’hui la pyramide du Louvre.
Un symbole de quoi ? «De l’Afrique renaissante et revigorée, après cinq siècles d’esclavage, de traite négrière et de colonisation », a dit Wade lors de l’inauguration du monument, le 3 avril. Le président sénégalais se veut “l’homme de la renaissance”, pas seulement de son pays mais du continent tout entier. Pour ce cinquantième anniversaire d’une « indépendance inachevée », comme il l’a dit dans son adresse à la nation, il veut être celui qui entrera dans l’histoire en ayant accompli cette mission historique de libération totale qui fera du XXIe siècle “le siècle de l’Afrique”.
Ainsi a-t-il proclamé dans son discours la reprise, à partir du 4 avril, minuit, de toutes les bases antérieurement détenues par la France sur lesquelles il entend désormais exercer sa souveraineté. Encore un symbole : non seulement les troupes françaises ne sont pas encore parties, mais elles ont défilé pour le cinquantenaire de l’indépendance. Quand on parle avec Karim Wade, son fils, de l’éventualité d’une centrale nucléaire au Sénégal dans les vingt ans qui viennent, il répond : « Pourquoi vous inquiéter des problèmes de sécurité puisque vos soldats seront là pour l’assurer ? »
En réalité, la reprise des bases rencontre la volonté française d’alléger son dispositif, comme Nicolas Sarkozy, en visite en Afrique du Sud en février 2008, l’avait annoncé.Les bases seront remplacées par des “facilités” en cours de négociation. Quand des événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.
La situation géographique et la main-d’oeuvre pour seules richesses
Une véritable indépendance ne se contente pas de symboles. Si la mystique appartient au chef de l’État, c’est à son fils qu’il a confié la réalisation des conditions matérielles d’un affranchissement vis-à-vis de l’ancienne métropole. Ce jeune banquier d’affaires de 41 ans, formé en France, a travaillé à Londres chez UBS Warburg. Il est ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. De quoi occuper son homme ! Les festivités du cinquantenaire ne l’empêchent pas de travailler : « Nous sommes la génération du concret. Pour moi, le prochain cinquantenaire sera celui des résultats et du concret. »
Le Sénégal est pauvre, sans grandes ressources naturelles. L’exode rural a conduit à une hypertrophie de la capitale, dont l’agglomération rassemble le tiers des 12 millions de Sénégalais. L’agriculture suffit à peine à nourrir le pays. « Les infrastructures sont à la base de l’éradication de la pauvreté », assure le ministre, pour qui le Sénégal a pour seule richesse sa situation géographique et sa main-d’oeuvre disponible. Il s’agit, à partir de grands projets, d’enclencher une dynamique du développement : modernisation du port, construction d’un nouvel aéroport aux normes pour recevoir l’A380, construction d’une autoroute à péage de 50 kilomètres entre Dakar et le nouvel aéroport, implantation d’une zone de développement économique.
Des projets grandioses dont le Sénégal n’a pas les moyens ? Pour Karim Wade, comme pour Modou Khaya, le directeur de l’aéroport en construction, c’est un travers des Français et de la Banque mondiale de croire que le Sénégal voit trop grand. En habile banquier, Karim Wade a conçu le montage qui permet de financer le nouvel aéroport, notamment par une taxe sur les billets d’avion.
Puisque Aéroports de Paris n’a pas pris le projet au sérieux, c’est l’aéroport de Francfort qui le réalise et qui en sera le gestionnaire et c’est une compagnie saoudienne qui en assure la construction. La société française Eiffage a fait preuve de plus de discernement et a emporté l’appel d’offres pour l’autoroute, dont elle gérera la concession. Quant au port, agrandi, il est concédé à Dubai Ports. C’est cela aussi l’indépendance, la diversification des partenaires.
Les projets sont multiples : port minéralier, terminal d’hydrocarbures, centrale thermique au charbon avec le concours de l’Inde… Sans oublier l’agriculture pour laquelle le président a lancé “Goana” (“grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance”), afin de relever le défi de la “souveraineté alimentaire”. Là encore, les infrastructures ont leur rôle à jouer : à quoi bon produire du riz et pêcher du poisson s’il n’y a pas de pistes pour les amener sur les lieux de vente ?
Folie des grandeurs ou réel décollage de l’économie sénégalaise ? Pour Karim Wade, 2011 sera une année charnière : l’aéroport et l’autoroute ouvriront, permettant d’enclencher la spirale vertueuse du développement. C’est aussi l’année qui précède les élections. Aboulaye Wade est officiellement candidat pour un troisième mandat. Il est âgé : c’est un facteur d’incertitude mais pas nécessairement un handicap en Afrique. Karim Wade le jure : « Mon ambition, c’est la réélection du président. » Tout de même, sept ans, c’est long.
Le fils a-t-il une chance de succéder un jour à son père ? Trop occidentalisé pour certains, il ne serait pas en prise avec la réalité du pays. Il est vrai que ce jeune métis fringant, habillé comme un trader de la City, s’exprimant en un français parfait (sa mère Viviane est franc-comtoise), paraît à des années-lumière des gamins de Dakar qui faisaient les poches des invités du président à la fin du défilé du cinquantenaire.
Plus graves sont les rumeurs de corruption qui fleurissent, alimentées par l’opposition. Les fonctions stratégiques du jeune ministre peuvent donner matière à soupçon. On l’a notamment accusé d’avoir profité de l’organisation de la conférence islamique à Dakar en 2008 pour s’enrichir personnellement. Karim Wade aborde le sujet sans complexe : « Chaque fois qu’on m’a accusé, explique-t-il, j’ai fait des procès. En France, au Canada, au Sénégal, j’ai gagné. »
Il n’hésite pas à contre-attaquer ses détracteurs, évoquant les conditions suspectes d’attribution d’une licence de téléphonie mobile, avant les élections de 2000 qui ont porté son père au pouvoir : « La vérité est qu’il est plus facile de colporter l’image d’un fils à papa incompétent et corrompu que celle d’un fils de président, banquier d’affaires qui fait du résultat. » Pour la conférence islamique, le résultat visible est une magnifique route de corniche qui permet d’accéder plus rapidement à l’aéroport et quelques beaux hôtels nouveaux qui renforcent la vocation de Dakar, centre de congrès de l’Afrique occidentale.
Dressée sur l’une des deux Mamelles (les collines du cap Vert), l’oeuvre, à l’esthétique soviétique des années trente, domine la ville face à l’océan. Malgré quelques polémiques sur son financement, les Africains sont plutôt fiers du monument dont le président du Sénégal Abdoulaye Wade a lui-même dessiné l’esquisse. « C’est un symbole, comme la statue de la Liberté à New York ou la tour Eiffel à Paris », expliquent-ils à l’étranger un peu dubitatif. Ils en sont sûrs : dans cinquante ans, plus personne ne s’interrogera sur la pertinence de cet édifice, pas plus qu’on ne conteste aujourd’hui la pyramide du Louvre.
Un symbole de quoi ? «De l’Afrique renaissante et revigorée, après cinq siècles d’esclavage, de traite négrière et de colonisation », a dit Wade lors de l’inauguration du monument, le 3 avril. Le président sénégalais se veut “l’homme de la renaissance”, pas seulement de son pays mais du continent tout entier. Pour ce cinquantième anniversaire d’une « indépendance inachevée », comme il l’a dit dans son adresse à la nation, il veut être celui qui entrera dans l’histoire en ayant accompli cette mission historique de libération totale qui fera du XXIe siècle “le siècle de l’Afrique”.
Ainsi a-t-il proclamé dans son discours la reprise, à partir du 4 avril, minuit, de toutes les bases antérieurement détenues par la France sur lesquelles il entend désormais exercer sa souveraineté. Encore un symbole : non seulement les troupes françaises ne sont pas encore parties, mais elles ont défilé pour le cinquantenaire de l’indépendance. Quand on parle avec Karim Wade, son fils, de l’éventualité d’une centrale nucléaire au Sénégal dans les vingt ans qui viennent, il répond : « Pourquoi vous inquiéter des problèmes de sécurité puisque vos soldats seront là pour l’assurer ? »
En réalité, la reprise des bases rencontre la volonté française d’alléger son dispositif, comme Nicolas Sarkozy, en visite en Afrique du Sud en février 2008, l’avait annoncé.Les bases seront remplacées par des “facilités” en cours de négociation. Quand des événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.
La situation géographique et la main-d’oeuvre pour seules richesses
Une véritable indépendance ne se contente pas de symboles. Si la mystique appartient au chef de l’État, c’est à son fils qu’il a confié la réalisation des conditions matérielles d’un affranchissement vis-à-vis de l’ancienne métropole. Ce jeune banquier d’affaires de 41 ans, formé en France, a travaillé à Londres chez UBS Warburg. Il est ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. De quoi occuper son homme ! Les festivités du cinquantenaire ne l’empêchent pas de travailler : « Nous sommes la génération du concret. Pour moi, le prochain cinquantenaire sera celui des résultats et du concret. »
Le Sénégal est pauvre, sans grandes ressources naturelles. L’exode rural a conduit à une hypertrophie de la capitale, dont l’agglomération rassemble le tiers des 12 millions de Sénégalais. L’agriculture suffit à peine à nourrir le pays. « Les infrastructures sont à la base de l’éradication de la pauvreté », assure le ministre, pour qui le Sénégal a pour seule richesse sa situation géographique et sa main-d’oeuvre disponible. Il s’agit, à partir de grands projets, d’enclencher une dynamique du développement : modernisation du port, construction d’un nouvel aéroport aux normes pour recevoir l’A380, construction d’une autoroute à péage de 50 kilomètres entre Dakar et le nouvel aéroport, implantation d’une zone de développement économique.
Des projets grandioses dont le Sénégal n’a pas les moyens ? Pour Karim Wade, comme pour Modou Khaya, le directeur de l’aéroport en construction, c’est un travers des Français et de la Banque mondiale de croire que le Sénégal voit trop grand. En habile banquier, Karim Wade a conçu le montage qui permet de financer le nouvel aéroport, notamment par une taxe sur les billets d’avion.
Puisque Aéroports de Paris n’a pas pris le projet au sérieux, c’est l’aéroport de Francfort qui le réalise et qui en sera le gestionnaire et c’est une compagnie saoudienne qui en assure la construction. La société française Eiffage a fait preuve de plus de discernement et a emporté l’appel d’offres pour l’autoroute, dont elle gérera la concession. Quant au port, agrandi, il est concédé à Dubai Ports. C’est cela aussi l’indépendance, la diversification des partenaires.
Les projets sont multiples : port minéralier, terminal d’hydrocarbures, centrale thermique au charbon avec le concours de l’Inde… Sans oublier l’agriculture pour laquelle le président a lancé “Goana” (“grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance”), afin de relever le défi de la “souveraineté alimentaire”. Là encore, les infrastructures ont leur rôle à jouer : à quoi bon produire du riz et pêcher du poisson s’il n’y a pas de pistes pour les amener sur les lieux de vente ?
Folie des grandeurs ou réel décollage de l’économie sénégalaise ? Pour Karim Wade, 2011 sera une année charnière : l’aéroport et l’autoroute ouvriront, permettant d’enclencher la spirale vertueuse du développement. C’est aussi l’année qui précède les élections. Aboulaye Wade est officiellement candidat pour un troisième mandat. Il est âgé : c’est un facteur d’incertitude mais pas nécessairement un handicap en Afrique. Karim Wade le jure : « Mon ambition, c’est la réélection du président. » Tout de même, sept ans, c’est long.
Le fils a-t-il une chance de succéder un jour à son père ? Trop occidentalisé pour certains, il ne serait pas en prise avec la réalité du pays. Il est vrai que ce jeune métis fringant, habillé comme un trader de la City, s’exprimant en un français parfait (sa mère Viviane est franc-comtoise), paraît à des années-lumière des gamins de Dakar qui faisaient les poches des invités du président à la fin du défilé du cinquantenaire.
Plus graves sont les rumeurs de corruption qui fleurissent, alimentées par l’opposition. Les fonctions stratégiques du jeune ministre peuvent donner matière à soupçon. On l’a notamment accusé d’avoir profité de l’organisation de la conférence islamique à Dakar en 2008 pour s’enrichir personnellement. Karim Wade aborde le sujet sans complexe : « Chaque fois qu’on m’a accusé, explique-t-il, j’ai fait des procès. En France, au Canada, au Sénégal, j’ai gagné. »
Il n’hésite pas à contre-attaquer ses détracteurs, évoquant les conditions suspectes d’attribution d’une licence de téléphonie mobile, avant les élections de 2000 qui ont porté son père au pouvoir : « La vérité est qu’il est plus facile de colporter l’image d’un fils à papa incompétent et corrompu que celle d’un fils de président, banquier d’affaires qui fait du résultat. » Pour la conférence islamique, le résultat visible est une magnifique route de corniche qui permet d’accéder plus rapidement à l’aéroport et quelques beaux hôtels nouveaux qui renforcent la vocation de Dakar, centre de congrès de l’Afrique occidentale.