Où en êtes-vous, côté carrière?
Je suis toujours dans la musique, c’est ce que je fais et que je sais faire aussi. Maintenant, ce qui me tient le plus à cœur actuellement, c’est la réalisation de mon album. Il me reste juste un morceau à terminer pour le sortir. Et là, il me faut le faire le plus rapidement possible parce que les Sénégalais ont hâte de l’avoir. C’est cela mon projet.
Et vous voulez le sortir quand exactement ?
Dès que les enregistrements se terminent. J’ai souvent donné des dates que je n’ai pu respecter car l’homme propose et Dieu dispose. Tout ce que je peux dire, c‘est que sa sortie est imminente. J’attendrai juste le moment propice pour cela. Je ne veux pas aussi sortir un album juste pour qu’on dise que j’en ai sorti un. Il faut que je trouve des gens professionnels qui puissent le faire. Il me faut un support médiatique qui puisse porter le produit et lui assurer une bonne promotion.
Peut-on avoir une idée de ce que sera l’album ? La thématique et le côté instrumental…
Il y a beaucoup de thèmes qui y sont développés. Il y a un morceau titré ‘’Parfum’’. Ça devait même être le titre éponyme. Mais les données ont changé même si je n’ai pas encore totalement renoncé à donner ce nom à l’album. Seulement, je me dis qu’il est possible que je trouve un nom plus adéquat.
Pourquoi ‘’Parfum’’ ?
Parce que chacun sait que le parfum est au centre de la vie. Que l’on ait un bon ou mauvais souvenir, le parfum est là pour nous le rappeler. L’odeur d’un parfum reste toujours même si la personne qu’elle nous rappelle n’est pas là ou même n’est plus de ce monde. On se souviendra toujours d’elle dès qu’on sent les effluves de son parfum.
Peut-on retenir que ‘’Parfum’’, ce sont vos souvenirs et vos senteurs personnels en tant que personne non voyante ?
Un chanteur raconte très souvent son vécu dans ses chansons et celui de ses proches. Peut-être aussi que ‘’Parfum’’ est mon histoire personnelle. Qui sait ?
A vous entendre, on sent comme des parfums qui vous manquent, des parfums de personnes que vous avez connues ?
C’est vrai qu’il y a des odeurs de parfum qui me rappellent des souvenirs, des anecdotes. Il y a des senteurs bonnes comme il y en a de mauvaises vraiment. Mauvais et bons, c’est toujours relatif aux souvenirs associés à cela. Mais c’est la vie qui est comme cela, il y a des hauts et des bas… Mais bon, il n’y a pas que les ‘’Parfums’’ dans mon album. Dans l’album, vous retrouverez différents titres dont ‘’mane’’, ‘’xamante’’, ‘’su doon dëgg’’, sama goro’’. Il y a plein de thèmes qui y sont développés. Il y a également une reprise de ‘’nii la démé’’ et de ‘’sopé yi’’. Ce sont des titres qui m’ont marqué et ont marqué mon public.
L’on peut retenir aussi que le thème amour est très présent dans ce disque ?
Oui, vous retrouverez au minimum deux titres qui parlent d’amour. ‘’Parfum’’ parle d’amour tout comme ‘’xamante’’.
Avec qui avez-vous travaillé ? Avez-vous travaillé avec des personnes de qualité pour assurer un retour réussi ?
Oui, même si au début j’ai voulu précipiter les choses pour le sortir. Après, je me suis dit que cela fait déjà un bon moment que je n’ai pas sorti de produit, donc rien ne sert de courir et qu’il vaut mieux faire un produit de qualité. Maintenant, il y a des supports médiatiques qui accompagnent les productions musicales dans leur promotion. Je suis en train d’étudier les différentes offres qui me sont soumises. Je suis en pourparlers et je suis en train de voir à qui donner l’album. J’ai beaucoup travaillé avec Baba Hamdy sur cette production. Mais là, on est en stand by. Je suis en train de voir si je dois le continuer avec lui ou seul. Je suis très ouvert. J’écoute tout le monde. Mais la dernière décision m’incombe.
On a l’impression que le show-business est un milieu de requins où il manque de solidarité. N’avez vous pas la même impression que moi ?
J’avoue que cela est vrai. Je ne peux parler qu’à mon nom propre. Alors je sais que moi Ablaye Mbaye, je suis plus ami avec les instrumentistes qu’avec les chanteurs. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas avec les chanteurs. Mais il est clair que les instrumentistes sont plus sincères avec moi dans nos rapports. Je l’ai senti et je le sens encore. Je ne dirais pas qu’ils sont tous mes amis mais j’en compte des proches, de bons amis et des camarades. Les instrumentistes me disent souvent qu’ils veulent jouer avec moi parce que quand ils le font, ils sentent qu’ils sont avec un vrai chanteur. Il y a beaucoup de trahison et de tromperie dans notre milieu. C’est un milieu ‘’sale’’.
Personnellement avez-vous été victime de ça ?
Oui, je l’ai vécu personnellement. J’ai vécu des trahisons avec des chanteurs qui m’ont fait de sales coups. J’ai une philosophie qui m’aide à avancer devant ces situations. Je me dis toujours que pire m’arrivera demain. La musique m’a appris beaucoup de choses…
Qu’avez-vous appris?
J’ai appris qu’une personne, quoi qu’elle fasse, doit y croire avant tout. Il ne faut jamais baisser les bras. Même si tu dois te faire des ennemis pour ça, poursuis ton chemin même si ta logique n’est pas fondée pour les autres. Comme ça, quand tu réussis, tant mieux, dans le cas contraire, tant pis. Moi, en tout cas, je n’ai encore aucun regret. Je prends la vie comme elle vient. Je reste endurant et cela, c’est la musique qui me l’a appris. Mais le jour où je me rendrais compte que je ne pourrai pas réussir dans la musique, je laisserai tomber sans hésiter. J’organiserai une conférence de presse pour l’annoncer. Même si je vis des fois des choses qui me découragent, je reste quand même optimiste. J’ai toujours la force de continuer.
Que pensez-vous aujourd’hui de la musique sénégalaise ?
Mon métier m’a permis de savoir que les Sénégalais aiment la musique mais ne savent pas ce que c’est. Ils ne font pas la distinction entre les rythmes et les paroles. Pour moi, maintenant les mélomanes imposent leur volonté. C’est eux qui dirigent les chanteurs alors que ce devait être le contraire. Les Sénégalais nous poussent de plus en plus à arrêter de faire de la vraie musique. Les gens préfèrent de plus en plus un morceau de ‘’taasu’’ avec des paroles sans aucun sens qu’un opus avec de la bonne musique et un texte riche. Ce sont ces chansons qu’on passe à la radio et à la télé. Je trouve que les mélomanes aiment la musique mais la tue en même temps.
Les animateurs y ont une part de responsabilité ?
Oui parce que nous partageons ce métier. C’est nous qui faisons la musique et c’est eux qui la promeuvent. Si on prend notre courage à deux mains, on pourrait renverser cette tendance. C’est vrai que les six premiers mois seraient difficiles, mais après ils s’habitueraient. Je ne suis pas d’accord avec ce qui se fait. Les mélomanes mènent la danse et ce n’est pas normal. Je pense que le moment est arrivé de tirer les choses vers le haut, vers plus de raffinement, plus de qualité. Je m’excuse mais c’est ce que je pense.
Comment voyez-vous donc l’avenir de la musique au Sénégal ? On a l’impression qu’après la génération des Baaba Maal, Ndiaga Mbaye et autres, c’est la décadence ?
Ces gens-là ont commencé un travail que nous devons continuer. Mais au lieu de ça, nous nous reposons sur ce qu’ils font. Ce qui n’est pas normal. Eux, avaient une radio pour la promotion et une chaîne de télévision. En décembre, ils sortaient tous un produit et c’était de la qualité. Chacun se disait que l’autre ne devait pas me ravir la vedette. Aujourd’hui, on a beaucoup de radios et de télés. Je me dis que même si on fait un peu moins que ces grands-là, on peut s’en sortir parce qu’on a plus d’opportunités qu’eux. Aujourd’hui, ce qui nous manque, c’est de travailler. Le temps que nos aînés consacraient à leur travail, nous ne le faisons pas. Les technologies avancées nous ont rendus paresseux. Si on avait travaillé, tant soit peu, on serait meilleur qu’eux. Ils ont beaucoup donné pour nous laisser quelque chose sur laquelle nous baser. On doit leur rendre la pièce de leur monnaie en faisant mieux qu’eux.
Vous ne semblez pas trop optimiste ?
Si vous faites attention, le couper-décaler est récent. Mais on met ça dans tous les clubs. La musique que font les Nigérians marche. Le ndombolo est bien vendu. Mais pour nous, le mbalax ne se vend pas aussi bien. Quand on va à l’étranger, c’est la communauté sénégalaise qui vient nous voir. Les Toubabs ne prennent en tournée que Baaba Maal, Youssou Ndour, Ismaïla Lô, etc. Mais les autres, ce sont les Sénégalais qui nous engagent pour qu’on joue pour eux. Maintenant si on va en Europe pour jouer la musique sénégalaise pour des Sénégalais, c’est qu’on n’a pas encore réussi à l’exporter. C’est possible avec notre musique mais il faut que le mbalax soit révolutionné.
C’est possible, Youssou Ndour l’a essayé?
Youssou le tente mais lui-même quand il joue à l’extérieur, après de bonnes sonorités, il plonge son public dans le mbalax. Il les attire dans son monde. Il les rejoint d’abord dans leur style avant de les plonger dans ce qui lui appartient. Les Sénégalais savent bien jouer des musiques à la couleur acoustique. On n’a qu’à le faire. Des gens comme El hadji Diouf réussissent. Quand il a sorti son album, le parlement canadien l’a invité. Heureusement qu’Akon ne fait pas du mbalax mais réclame sa sénégalité. Il rehausse l’image des Noirs. Il paraît que Youssou va sortir un album avec Akon où il y aura du mbalax et du R’N’B. j’attends de l’écouter et de voir ce que ça donne. Il faut qu’on travaille notre musique. Ceux qui font de l’acoustique réussissent à l’étranger, c’est le cas de Dioguel Sakho, Wasis Diop, Yoro Ndiaye et tant d ‘autres. Ils exploitent cette musique. Cheikh Lô a pu jouer devant des centaines de milliers de personnes en Angleterre.
Au-delà de l’aspect musique, quel regard portez-vous sur la société sénégalaise ?
Je pense qu’on doit calmer les ardeurs et on doit être moins agités. J’entends tout le temps à la radio des gens proférer des menaces. Ce n’est pas bien. Je me dis que ces gens-là ne savent pas. Rien ne vaut la paix. Il faut que les gens se parlent. On ne peut rien avoir par la force. Quand il y a des guerres entre deux pays, les gens qui règlent les choses se retrouvent dans des salles climatisées pour trouver une solution. Ce ne sont pas les hommes armés qui règlent les choses. Donc la diplomatie doit être de rigueur en chacun de nous. Le dialogue est important. Ce Sénégal est le Sénégal de tous.
En tant que personne vivant avec un handicap, vous ne sentez pas une certaine violence venant de la société ?
Si, des fois je la sens. C’est quand je vois quelqu’un qui a pitié de moi. Celui-là ne m’aide pas, il m’enfonce. Quand on a pitié de quelqu’un, on ne voit jamais ses erreurs. On doit nous considérer comme tout être humain. On doit nous critiquer positivement ou négativement. C’est selon. On ne doit pas avoir pitié de nous. Les Sénégalais font la confusion entre la pitié et le soutien. Je suis contre cette pitié.
Que pensez-vous de la mendicité chez les personnes vivant avec un handicap ?
C’est vrai qu’un pauvre peut mendier. Mais au Sénégal, les gens pensent que dès qu’on a un handicap, on doit tendre la main. On dit à certains mendiants qu’ils n’ont rien et c’est pourquoi ils mendient. Je me dis qu’une personne vivant avec un handicap peut faire autre chose que mendier. Je ne blâme pas ceux qui le font pour autant. Ils peuvent chanter ou faire autre chose. Dans les pays occidentaux, les personnes vivant avec un handicap chantent. Certains sont très riches. Ils ont des entreprises et gèrent. Vous savez pourquoi les handicaps ne persévèrent pas, parce qu’au Sénégal, les gens ont toujours pitié d’eux.
Il y a un centre à Thiaroye où travaillent des personnes vivant avec un handicap, ils réalisent différents objets qui sont très beaux. Mais les gens ne vont pas acheter leurs articles, ils préfèrent aller ailleurs. Ce sont des préjugés très ancrés. Ainsi, ils ne font pas tourner la chaîne. Les gens préfèrent leur donner 100 F dans la rue quand ils mendient et acheter des articles ailleurs à des prix exorbitants. Ils pensent que c’est parce qu’un handicapé l’a fait, il ne peut être de qualité. Vous comprenez ? Ce n’est pas fondé. Beaucoup de gens reprennent à travers le monde des chansons de Stevie Wonder. Pourtant c’est lui qui arrangent et écrit ses propres chansons.
Parlant de Stevie Wonder et autres, il y a beaucoup de personnes non voyantes très talentueuses dans la chanson. N’est-ce pas une certaine manière de combler un handicap que leurs voix se développent autant ?
Si les gens côtoyaient les personnes vivant avec un handicap, ils sauraient qu’ils ont en tête des choses dont tout un chacun pourrait profiter. Je parle en connaissance de cause. Ils ont un sixième sens très avancé. Si on se référait à leurs opinions, le pays irait mieux. Je vous l’assure. Les Sénégalais ne voient pas cela parce qu’ils ont pitié d’eux…
Que pensez-vous du phénomène des enfants de la rue au Sénégal ?
Merci de m’avoir posé cette question. Vous savez ce qui nous différencie des ‘’blancs’’, c’est qu’eux connaissent bien les droits des enfants. Ce qui n’empêche pas que ces enfants connaissent leurs devoirs. Ici au Sénégal, les gens parlent plus des devoirs que des droits des enfants. On doit écouter les enfants qui ont des choses à dire et à faire. Laissons-les exprimer leurs opinions.
Le fait que la société sénégalaise ne soit pas choquée par la mendicité ne vous pose-t-il pas un problème ?
Si, cela me pose un problème. En sortant de boîtes au milieu de la nuit, je rencontre des vieux et des femmes qui mendient. Tout peut leur arriver. Ce n’est pas normal. L’Etat doit faire quelque chose. J’ai beaucoup d’amis qui ont étudié en France et qui ont tenté au moins une fois le retour au Sénégal. Mais ils sont obligés de retourner là-bas parce qu’ici, on ne les engage pas. Les gens pensent qu’ils ne sont pas compétents. Alors que tel n’est pas le cas.
Quel avenir pour le Sénégal ?
Quand j’entends le plan Sénégal émergent, c’est bien. Je ne veux pas que cela se limite à des discours. On doit émerger. Il est temps. RFI donne chaque mois des statistiques sur le taux de chômage et je suis cela. Ici on ne fait pas d’estimations. Cela doit se faire.
Qu’avez-vous appris de la vie ?
Pour moi, la vie, c’est la détermination, l’endurance et la persévérance. Il faut toujours être optimiste. Nul ne peut connaître ce monde-là de façon parfaite si ce n’est Dieu. L’essentiel est d’avoir un bon cœur et un esprit ouvert. On apprend chaque jour une nouvelle leçon de ce grand livre qu’est le monde. Tu verras chaque jour des choses nouvelles. Mais les expériences doivent servir à quelque chose. Je parle de mes propres expériences. Je ne suis pas né avec une cuillère en argent dans la main. Mais chaque soir en me couchant je me dis que demain je serais un milliardaire. Et j’y crois tous les soirs. C’est ma motivation.
Et votre famille alors, suit-elle la même cadence que vous ?
Oui, ma famille suit. Ma famille m’écoute et me respecte.