Le Coran et l'épée. Combattre le régime «impie» de Bachar el-Assad, tout en prêchant «un islam pur» pour la Syrie de demain. Depuis qu'il s'est infiltré, il y a quatre mois dans les montagnes du Djebel al-Zawiya, Abou Hajjar accomplit ces deux missions que le prophète Mahomet n'aurait pas reniées. Parti de la région parisienne, cet analyste programmeur français d'une trentaine d'années lutte avec la «Brigade des faucons de Damas», un groupe islamiste d'inspiration salafiste, bien implanté dans la région d'Idlib, non loin de la frontière turque.
Ces derniers jours, Abou Hajjar a «beaucoup bougé», confiait-il mercredi soir, lors de notre dernier entretien téléphonique, via Skype. Avec d'autres moudjahidins, il planque le long de l'autoroute Lattaquié-Alep pour empêcher les renforts militaires d'affluer vers la grande ville du Nord, que les rebelles tentent de ravir. «Je dois coordonner les attaques, puis prévenir les révolutionnaires d'Alep de l'arrivée des pro-Bachar, afin qu'ils tentent à leur tour de les stopper», raconte-t-il, tandis que, derrière lui, des éclats de voix se font entendre. «C'est rien, simplement un combattant reproche à un autre de ne pas avoir tiré quand il fallait.»
Jouer les éclaireurs
Abou Hajjar se définit comme «un activiste islamiste», et non pas comme un djihadiste, proche d'al-Qaida. «Dans notre brigade, dit-il, nous n'avons comme étrangers que des Saoudiens et des Jordaniens, dont les parents sont comme moi originaires de Syrie». «Les Faucons de Damas» reçoivent pourtant de nombreuses demandes de ralliements d'étrangers. «En tant que responsable du site Internet du groupe, je leur réponds clairement que nous n'en voulons pas. Ce dont nous avons besoin, c'est d'argent pour acheter des armes, et assurer notre indépendance, loin des pressions de tel ou tel pays arabe.» Car le combat sera long, Abou Hajjar le sait: l'armée et les milices leur sont bien supérieures. Mais en patient soldat de l'islam, lui et ses amis s'activent à jouer les éclaireurs, multipliant les prêches, lors de réunions, à la mosquée, ou pendant les repas de rupture du jeûne de ramadan.
«Réveiller la population» à l'islam: c'est sa seconde mission. «Pendant quarante ans, le nationalisme arabe et la laïcité ont régné. Le salafisme a été combattu par l'État. Mais la révolution a permis aux Syriens de se retrouver entre villages, entre grandes familles. Où que l'on aille, désormais, les gens se sentent proches de la révolution.» Abou Hajjar et ses amis viennent d'ouvrir un «bureau de la prédication» dans le village de Sarjeh, avec quantité de livres interdits jusque-là, comme ceux d'Ibn Taymiyya, grand théoricien du djihad au XIIIe siècle.
Dans une autre localité, ils ont réquisitionné la mairie pour y installer un des leurs. Mais toute la région d'Idlib n'est pas encore acquise à la révolution et à l'islam politique. «On doit chercher à rassembler la population autour de notre programme, dont le pilier est l'édification d'un État islamique, sans alcool dans les hôtels et les restaurants, mais qui aura été approuvée par le peuple», insiste l'informaticien, qui cherche à se différencier des groupes djihadistes, partisans eux du recours à la force pour bâtir la Syrie de demain. Le groupe d'Abou Hajjar a ouvert des antennes à Damas et Alep. «Nous réfléchissons aux structures du futur État. Est-ce qu'un non-musulman pourra être président de la République? Non. Mais en revanche, les minorités chrétiennes ou alaouites seront représentées au Parlement». Le temps et el-Assad sont leurs meilleurs alliés. «C'est vrai que plus Bachar résiste, plus nous pouvons travailler le terrain», avoue Abou Hajjar.
Reconstruire la société
Contrairement aux djihadistes étrangers, il ne repartira pas à la chute du raïs. D'ici là, il veillera à ce que «l'extérieur ne décide pas à notre place». Et l'extérieur, c'est aussi bien les opposants en exil du Conseil national syrien que les puissances prétendument amies de la cause de la liberté en Syrie. «Les gens avaient cru en une aide des Américains ou des Français, mais ils n'ont rien vu venir d'autres que des mots. Ces promesses ont engendré de la déception, et aujourd'hui, de plus en plus de gens se retournent vers Dieu».
Abou Hajjar a laissé sa femme et ses enfants en Europe. Ses compétences - poster des vidéos sur YouTube ou crypter des messages - lui ont donné accès aux réunions de l'état-major de sa brigade. Confiant, il résume la raison d'être de sa nouvelle vie: «Reconstruire cette société corrompue était pour moi une motivation aussi forte que défendre la population face aux crimes commis par le régime.»
Par Georges Malbrunot
Ces derniers jours, Abou Hajjar a «beaucoup bougé», confiait-il mercredi soir, lors de notre dernier entretien téléphonique, via Skype. Avec d'autres moudjahidins, il planque le long de l'autoroute Lattaquié-Alep pour empêcher les renforts militaires d'affluer vers la grande ville du Nord, que les rebelles tentent de ravir. «Je dois coordonner les attaques, puis prévenir les révolutionnaires d'Alep de l'arrivée des pro-Bachar, afin qu'ils tentent à leur tour de les stopper», raconte-t-il, tandis que, derrière lui, des éclats de voix se font entendre. «C'est rien, simplement un combattant reproche à un autre de ne pas avoir tiré quand il fallait.»
Jouer les éclaireurs
Abou Hajjar se définit comme «un activiste islamiste», et non pas comme un djihadiste, proche d'al-Qaida. «Dans notre brigade, dit-il, nous n'avons comme étrangers que des Saoudiens et des Jordaniens, dont les parents sont comme moi originaires de Syrie». «Les Faucons de Damas» reçoivent pourtant de nombreuses demandes de ralliements d'étrangers. «En tant que responsable du site Internet du groupe, je leur réponds clairement que nous n'en voulons pas. Ce dont nous avons besoin, c'est d'argent pour acheter des armes, et assurer notre indépendance, loin des pressions de tel ou tel pays arabe.» Car le combat sera long, Abou Hajjar le sait: l'armée et les milices leur sont bien supérieures. Mais en patient soldat de l'islam, lui et ses amis s'activent à jouer les éclaireurs, multipliant les prêches, lors de réunions, à la mosquée, ou pendant les repas de rupture du jeûne de ramadan.
«Réveiller la population» à l'islam: c'est sa seconde mission. «Pendant quarante ans, le nationalisme arabe et la laïcité ont régné. Le salafisme a été combattu par l'État. Mais la révolution a permis aux Syriens de se retrouver entre villages, entre grandes familles. Où que l'on aille, désormais, les gens se sentent proches de la révolution.» Abou Hajjar et ses amis viennent d'ouvrir un «bureau de la prédication» dans le village de Sarjeh, avec quantité de livres interdits jusque-là, comme ceux d'Ibn Taymiyya, grand théoricien du djihad au XIIIe siècle.
Dans une autre localité, ils ont réquisitionné la mairie pour y installer un des leurs. Mais toute la région d'Idlib n'est pas encore acquise à la révolution et à l'islam politique. «On doit chercher à rassembler la population autour de notre programme, dont le pilier est l'édification d'un État islamique, sans alcool dans les hôtels et les restaurants, mais qui aura été approuvée par le peuple», insiste l'informaticien, qui cherche à se différencier des groupes djihadistes, partisans eux du recours à la force pour bâtir la Syrie de demain. Le groupe d'Abou Hajjar a ouvert des antennes à Damas et Alep. «Nous réfléchissons aux structures du futur État. Est-ce qu'un non-musulman pourra être président de la République? Non. Mais en revanche, les minorités chrétiennes ou alaouites seront représentées au Parlement». Le temps et el-Assad sont leurs meilleurs alliés. «C'est vrai que plus Bachar résiste, plus nous pouvons travailler le terrain», avoue Abou Hajjar.
Reconstruire la société
Contrairement aux djihadistes étrangers, il ne repartira pas à la chute du raïs. D'ici là, il veillera à ce que «l'extérieur ne décide pas à notre place». Et l'extérieur, c'est aussi bien les opposants en exil du Conseil national syrien que les puissances prétendument amies de la cause de la liberté en Syrie. «Les gens avaient cru en une aide des Américains ou des Français, mais ils n'ont rien vu venir d'autres que des mots. Ces promesses ont engendré de la déception, et aujourd'hui, de plus en plus de gens se retournent vers Dieu».
Abou Hajjar a laissé sa femme et ses enfants en Europe. Ses compétences - poster des vidéos sur YouTube ou crypter des messages - lui ont donné accès aux réunions de l'état-major de sa brigade. Confiant, il résume la raison d'être de sa nouvelle vie: «Reconstruire cette société corrompue était pour moi une motivation aussi forte que défendre la population face aux crimes commis par le régime.»
Par Georges Malbrunot