C’est fait ! Le régime cachottier et manœuvrier du Yoonu Yokkuté, profitant de ce que les citoyens sénégalais étaient occupés à préparer le Magal et les fêtes de fin d’année, a subrepticement fait adopter par l’Assemblée Nationale, le jeudi 19 décembre dernier, le report des élections locales initialement prévues en mars 2014. Les députés de la Coalition Bennoo Bokk Yakaar, ont également adopté, au cours de la même séance, le projet de loi n°21/2013 portant Code général des Collectivités locales. Faisant table rase des conclusions des Assises Nationales et des travaux de la CNRI en cours, le gouvernement sénégalais a préféré aller s’inspirer de la nouvelle réforme territoriale française dénommée elle aussi acte III de la décentralisation (est-ce un pur hasard ?), pour tenter de résoudre la crise avérée du processus de décentralisation dans notre pays.
LE PROCESSUS DE DECENTRALISATION ENTRE HERITAGE COLONIAL ET APPROCHES POLITICIENNES
Les tares de notre décentralisation, au-delà d’indéniables problèmes d’aménagement du territoire dans notre pays après 1960, découlent, en réalité, depuis le début, c’est-à-dire dès la période coloniale, de distorsions d’une organisation administrative centrée plus sur un modèle d’économie de traite que sur des ambitions pour une véritable croissance économique et un développement territorial multisectoriel. L’avènement de l’indépendance formelle, loin de corriger les tares du système colonial a vu la mise en œuvre de différentes phases du processus de décentralisation qui n’ont jamais eu pour finalité de faire des collectivités locales des moteurs d’un développement multisectoriel. Il s’agissait, tantôt de désamorcer un malaise paysan, tantôt de faire des collectivités locales des appendices du Parti-Etat, dans une optique de clientélisme politicien et partisan. Souvenons-nous des irrégularités massives, qui avaient entaché le déroulement des élections locales de novembre 1996, qui s’étaient tenues dans un contexte multipartisan et qui ont consacré non seulement le transfert de certaines compétences aux collectivités locales mais aussi l’érection de la Région en nouvelle collectivité territoriale. Ces fraudes électorales avaient compromis l’appropriation par les masses populaires de ce qui est aujourd’hui caractérisé, à postériori, comme étant l’acte 2 de la décentralisation, car il apparaissait évident depuis lors, que l’essence de tout processus de décentralisation devrait être une responsabilisation véritable des communautés de base, ce qui devait passer par une réelle représentativité des assemblées délibérantes. Il y eut ensuite, après la première alternance démocratique de 2000, l’amendement Moussa Sy, qui outre le report de la date des locales de 2001 à 2002, aura pour conséquence d’installer des délégations spéciales en lieu et place des organes délibérants et exécutifs de toutes les collectivités locales, avec l’arrière-pensée politicienne de conquérir le dernier bastion institutionnel encore aux mains de la majorité socialiste sortante.
Les élections locales de 2009, (initialement prévues en 2007, reportées trois fois jusqu’en mars 2009) constitueront une exception notable, en ce qu’elles verront la première défaite politique essuyée par un parti au pouvoir à des élections locales, en l’occurrence le PDS et de ses alliés.
Cette défaite que laissait entrevoir la fébrilité du président Wade à procéder à des redécoupages politiciens intempestifs, avant les locales, notamment par la création des régions de Kaffrine, Kédougou et Sédhiou (cf décret n° 2008-1025 du 10 septembre 2008) va davantage accentuer le manque de viabilité des territoires et la rigidité de l’architecture territoriale hérités du pouvoir socialiste.
Le régime libéral se livra également à une guerre sans merci contre les maires issus de l’Opposition aggravant les difficultés de financement territorial rencontrées par l’ensemble des Collectivités locales. C’est ainsi que cet évènement majeur et inédit de notre vie politique nationale (cohabitation d’un pouvoir central libéral et d’un pouvoir local dominé par l’opposition) qui aurait dû amener le pouvoir wadiste à plus d’humilité et de clairvoyance l’a plutôt conduit à s’engager dans une fuite en avant, entravant davantage la promotion d'un développement territorial.
C’est ainsi qu’on va assister à l’aggravation du délabrement institutionnel de notre République, dans laquelle aussi bien la stabilisation de la Charte Fondamentale que la séparation des pouvoirs sont des chantiers que nos président successifs se refusent à parachever.
Une méthodologie inappropriée
La méthodologie utilisée pour l’élaboration des documents relatifs à l’acte 3 de la décentralisation a privilégié l’expertise d’un comité de pilotage dévoué à l’Exécutif, entouré de consultants chevronnés au détriment de l’expérience politique des élus locaux, toutes obédiences politiques confondues.
La concertation avec les autres forces politiques et la société civile, n’a pas dépassé le seuil du symbolique, et comme de bien entendu, on aura, encore une fois, plus misé sur le soutien aveugle d’alliés inconditionnels, ce qui tend de plus en plus à en faire des obligés d’un ″hyper-président″ adepte, comme ses prédécesseurs, du forcing institutionnel.
Comment occulter le fait que ce processus de réforme de la décentralisation aura été marquée de bout en bout par une grande opacité, jusques et y compris au sein de l’institution parlementaire ? Macky et ses ministres de l’Intérieur et de la Décentralisation ne semblent pas avoir prêté attention aux frondes et mouvements d’humeur d’élus locaux, de maires et même de présidents de conseils régionaux. C’est pourquoi, certains observateurs politiques avertis avaient préconisé un report à plus long terme, permettant de rechercher et trouver un consensus général de la classe politique et de la société civile, non seulement sur la problématique de la décentralisation, mais aussi sur toutes les autres questions institutionnelles, dont la CNRI a la charge.
Ce qui aura donc le plus manqué à cette méthodologie de travail est l’approche inclusive, participative, autant de préalables incontournables pour diagnostiquer et guérir les maux dont souffre notre processus de décentralisation.
QUELS REMEDES A LA CRISE DU PROCESSUS DE DECENTRALISATION ?
On a comme l’impression que les initiateurs de la réforme du Code des Collectivités locales semblent plus s’appesantir sur l’absence d’un véritable développement territorial, qu’on cherche un peu trop vite à expliquer par des découpages d’aménagement territorial ou de simples questions de viabilité et de cohérence territoriales.
Il est vrai qu’on observe une hypertrophie de la région de Dakar, qui a une densité 75 fois supérieure à la moyenne nationale et qui joue les rôles de direction politique, administrative et de gestion économique de notre pays. C’est ainsi que la métropole dakaroise est l’axe central du dispositif urbain sénégalais caractérisé par la macrocéphalie. A contrario, la faiblesse de l’effet structurant des capitales régionales et de l’attractivité spatiale des villes petites et moyennes est quasi-générale. On note de rares cas de forte croissance périurbaine si on fait abstraction des villes comme Touba, Mbour, Richard-Toll, qui peuvent se prévaloir d’activités religieuses, touristiques et industrielles ayant des retombées économiques indéniables et significatives.
Pour ce qui est des éléments d’analyse des échelles de gouvernance, il faudra en arriver à ce que l’administration territoriale, fasse abstraction de la pesante tutelle d’un ministre de l’Intérieur partisan nommé par un PR, qui est en même temps patron du nouveau Parti-Etat en gestation.
Il apparaît, au vu de tout ce qui précède que les différents gouvernements, qui se sont succédé à la tête de l’Etat sénégalais, n’ont jamais considéré les collectivités locales comme des outils pour la promotion d’un développement territorial mais plutôt comme des instruments pour consolider un pouvoir central, à tendance totalitaire. C’est dire que les carences notées dans le processus de décentralisation sont à mettre sur le compte d’un manque de volonté politique pour responsabiliser véritablement les collectivités locales. Une véritable territorialisation des politiques publiques, si elle doit vraiment être synonyme de construction d’un ″projet de société de territoire″ implique, que les acteurs locaux, qui ne doivent d’ailleurs pas forcément être des acteurs politiques s’affranchissent des agendas politiciens des états-majors dakarois, qui en ces périodes de grande incertitude font preuve d’un pragmatisme des plus navrants.
Une véritable décentralisation ne verra le jour dans notre pays que quand les acteurs à la base feront la différence entre la démocratie représentative formelle et la légitimation de l’action publique locale par le développement de la participation communautaire et la construction progressive de la citoyenneté.
Et pourtant, les Assises Nationales avaient montré la voie à suivre !
Dr Mohamed Lamine LY
Médina-Rasmission
Références:
LE PROCESSUS DE DECENTRALISATION ENTRE HERITAGE COLONIAL ET APPROCHES POLITICIENNES
Les tares de notre décentralisation, au-delà d’indéniables problèmes d’aménagement du territoire dans notre pays après 1960, découlent, en réalité, depuis le début, c’est-à-dire dès la période coloniale, de distorsions d’une organisation administrative centrée plus sur un modèle d’économie de traite que sur des ambitions pour une véritable croissance économique et un développement territorial multisectoriel. L’avènement de l’indépendance formelle, loin de corriger les tares du système colonial a vu la mise en œuvre de différentes phases du processus de décentralisation qui n’ont jamais eu pour finalité de faire des collectivités locales des moteurs d’un développement multisectoriel. Il s’agissait, tantôt de désamorcer un malaise paysan, tantôt de faire des collectivités locales des appendices du Parti-Etat, dans une optique de clientélisme politicien et partisan. Souvenons-nous des irrégularités massives, qui avaient entaché le déroulement des élections locales de novembre 1996, qui s’étaient tenues dans un contexte multipartisan et qui ont consacré non seulement le transfert de certaines compétences aux collectivités locales mais aussi l’érection de la Région en nouvelle collectivité territoriale. Ces fraudes électorales avaient compromis l’appropriation par les masses populaires de ce qui est aujourd’hui caractérisé, à postériori, comme étant l’acte 2 de la décentralisation, car il apparaissait évident depuis lors, que l’essence de tout processus de décentralisation devrait être une responsabilisation véritable des communautés de base, ce qui devait passer par une réelle représentativité des assemblées délibérantes. Il y eut ensuite, après la première alternance démocratique de 2000, l’amendement Moussa Sy, qui outre le report de la date des locales de 2001 à 2002, aura pour conséquence d’installer des délégations spéciales en lieu et place des organes délibérants et exécutifs de toutes les collectivités locales, avec l’arrière-pensée politicienne de conquérir le dernier bastion institutionnel encore aux mains de la majorité socialiste sortante.
Les élections locales de 2009, (initialement prévues en 2007, reportées trois fois jusqu’en mars 2009) constitueront une exception notable, en ce qu’elles verront la première défaite politique essuyée par un parti au pouvoir à des élections locales, en l’occurrence le PDS et de ses alliés.
Cette défaite que laissait entrevoir la fébrilité du président Wade à procéder à des redécoupages politiciens intempestifs, avant les locales, notamment par la création des régions de Kaffrine, Kédougou et Sédhiou (cf décret n° 2008-1025 du 10 septembre 2008) va davantage accentuer le manque de viabilité des territoires et la rigidité de l’architecture territoriale hérités du pouvoir socialiste.
Le régime libéral se livra également à une guerre sans merci contre les maires issus de l’Opposition aggravant les difficultés de financement territorial rencontrées par l’ensemble des Collectivités locales. C’est ainsi que cet évènement majeur et inédit de notre vie politique nationale (cohabitation d’un pouvoir central libéral et d’un pouvoir local dominé par l’opposition) qui aurait dû amener le pouvoir wadiste à plus d’humilité et de clairvoyance l’a plutôt conduit à s’engager dans une fuite en avant, entravant davantage la promotion d'un développement territorial.
C’est ainsi qu’on va assister à l’aggravation du délabrement institutionnel de notre République, dans laquelle aussi bien la stabilisation de la Charte Fondamentale que la séparation des pouvoirs sont des chantiers que nos président successifs se refusent à parachever.
Une méthodologie inappropriée
La méthodologie utilisée pour l’élaboration des documents relatifs à l’acte 3 de la décentralisation a privilégié l’expertise d’un comité de pilotage dévoué à l’Exécutif, entouré de consultants chevronnés au détriment de l’expérience politique des élus locaux, toutes obédiences politiques confondues.
La concertation avec les autres forces politiques et la société civile, n’a pas dépassé le seuil du symbolique, et comme de bien entendu, on aura, encore une fois, plus misé sur le soutien aveugle d’alliés inconditionnels, ce qui tend de plus en plus à en faire des obligés d’un ″hyper-président″ adepte, comme ses prédécesseurs, du forcing institutionnel.
Comment occulter le fait que ce processus de réforme de la décentralisation aura été marquée de bout en bout par une grande opacité, jusques et y compris au sein de l’institution parlementaire ? Macky et ses ministres de l’Intérieur et de la Décentralisation ne semblent pas avoir prêté attention aux frondes et mouvements d’humeur d’élus locaux, de maires et même de présidents de conseils régionaux. C’est pourquoi, certains observateurs politiques avertis avaient préconisé un report à plus long terme, permettant de rechercher et trouver un consensus général de la classe politique et de la société civile, non seulement sur la problématique de la décentralisation, mais aussi sur toutes les autres questions institutionnelles, dont la CNRI a la charge.
Ce qui aura donc le plus manqué à cette méthodologie de travail est l’approche inclusive, participative, autant de préalables incontournables pour diagnostiquer et guérir les maux dont souffre notre processus de décentralisation.
QUELS REMEDES A LA CRISE DU PROCESSUS DE DECENTRALISATION ?
On a comme l’impression que les initiateurs de la réforme du Code des Collectivités locales semblent plus s’appesantir sur l’absence d’un véritable développement territorial, qu’on cherche un peu trop vite à expliquer par des découpages d’aménagement territorial ou de simples questions de viabilité et de cohérence territoriales.
Il est vrai qu’on observe une hypertrophie de la région de Dakar, qui a une densité 75 fois supérieure à la moyenne nationale et qui joue les rôles de direction politique, administrative et de gestion économique de notre pays. C’est ainsi que la métropole dakaroise est l’axe central du dispositif urbain sénégalais caractérisé par la macrocéphalie. A contrario, la faiblesse de l’effet structurant des capitales régionales et de l’attractivité spatiale des villes petites et moyennes est quasi-générale. On note de rares cas de forte croissance périurbaine si on fait abstraction des villes comme Touba, Mbour, Richard-Toll, qui peuvent se prévaloir d’activités religieuses, touristiques et industrielles ayant des retombées économiques indéniables et significatives.
Pour ce qui est des éléments d’analyse des échelles de gouvernance, il faudra en arriver à ce que l’administration territoriale, fasse abstraction de la pesante tutelle d’un ministre de l’Intérieur partisan nommé par un PR, qui est en même temps patron du nouveau Parti-Etat en gestation.
Il apparaît, au vu de tout ce qui précède que les différents gouvernements, qui se sont succédé à la tête de l’Etat sénégalais, n’ont jamais considéré les collectivités locales comme des outils pour la promotion d’un développement territorial mais plutôt comme des instruments pour consolider un pouvoir central, à tendance totalitaire. C’est dire que les carences notées dans le processus de décentralisation sont à mettre sur le compte d’un manque de volonté politique pour responsabiliser véritablement les collectivités locales. Une véritable territorialisation des politiques publiques, si elle doit vraiment être synonyme de construction d’un ″projet de société de territoire″ implique, que les acteurs locaux, qui ne doivent d’ailleurs pas forcément être des acteurs politiques s’affranchissent des agendas politiciens des états-majors dakarois, qui en ces périodes de grande incertitude font preuve d’un pragmatisme des plus navrants.
Une véritable décentralisation ne verra le jour dans notre pays que quand les acteurs à la base feront la différence entre la démocratie représentative formelle et la légitimation de l’action publique locale par le développement de la participation communautaire et la construction progressive de la citoyenneté.
Et pourtant, les Assises Nationales avaient montré la voie à suivre !
Dr Mohamed Lamine LY
Médina-Rasmission
Références:
- Comité national de pilotage de la réforme de la décentralisation du Sénégal : Acte 3 de la décentralisation, Propositions pour la formulation d'une cohérence territoriale rénovée
- DAVID Olivier, Maître de Conférences, UMR-CNRS 6590, « Espaces géographiques et Sociétés », Université Rennes 2 : Territorialisation des politiques publiques et cohésion nationale: un mariage complexe
- Humanité du 25 mai 2013 : Acte 3 de la décentralisation : "Pas de réforme de la démocratie sans démocratie"