A ce rythme, il n’y aura bientôt plus d’Etat. En tout cas plus d’agents pour le servir. Comme la Révolution qui dévore ses enfants ou Saturne qui, dans la mythologie romaine, de peur qu’un de ses enfants ne lui succède comme la prédiction lui en avait été faite, les mangeait donc à sa naissance, l’Etat sénégalais est en train d’envoyer à la potence tous ses serviteurs. Et bientôt, si ça continue, il ne trouvera personne pour le servir, personne pour le défendre et, surtout, personne pour faire rentrer de l’argent dans ses caisses… qui en ont pourtant bien besoin ! Face à la guérilla urbaine — dire la campagne de terreur serait plus approprié —, à laquelle se sont livrés les « thiantacounes » lundi, les observateurs auront remarqué que les forces de l’ordre n’ont mis aucun zèle à intervenir. Normal, il suffirait qu’elles touchent à un seul cheveu de ces pillards pour que les organisations prétendument de défense des droits de l’homme s’émeuvent… et que les juges les envoient en prison.
Depuis que les commandants de brigades Samba Sarr et Madior Cissé ont été jetés au gnouf comme des malpropres suite à des opérations de maintien de l’ordre au cours desquelles des bavures ont été commises, c’est-à-dire mort d’hommes, depuis que l’ancien commissaire central de Dakar, le divisionnaire Arona Sy, voit l’épée de Damoclès de poursuites judiciaires suspendues au-dessus de sa tête, et depuis surtout qu’il s’est vu privé d’une mission onusienne, eh bien, depuis lors, policiers et gendarmes marchent sur des œufs.
Ils ne veulent plus prendre le moindre risque et ils ont bien raison. Et pourtant, depuis des mois, nous tirons la sonnette d’alarme en disant à l’Etat qu’il était dangereux de mettre ces hommes qui le défendent en prison. Et que, à tout le moins, il doit les défendre. Les autorités avaient préféré se boucher les oreilles ou s’enfouir la tête dans le sable à la manière de l’autruche.
Comme si cela ne suffisait pas, comme si ce n’était pas déjà grave que les forces chargées de défendre l’Etat se croisent les bras, voilà que les agents ayant pour mission de remplir ses caisses risquent à leur tour de laisser passer les fraudeurs et de fermer les yeux sur les agissements des contrebandiers et autres trafiquants internationaux de drogue.
En effet, alors que la clameur entourant l’emprisonnement de policiers et de gendarmes n’est pas encore retombée, voilà que des agents de douane, dont le seul tort est d’avoir mis fin à un trafic de drogue — du moins d’avoir mis la main sur 39 boulettes de cocaïne d’une valeur de 150 millions de francs —, ces gabelous, donc, plutôt que d’être félicités, ont été envoyés en prison. Et ce sous l’accusation d’« extorsion de fonds » et de « complot ». Bigre, à l’évidence, nos gendarmes et nos juges ne rigolent pas. Dans cette histoire, il faudrait plutôt dire que le ridicule ne tue pas…
Car enfin, de quoi s’agit-il ? De la découverte, par des douaniers en service à Mbour, de 39 boulettes de cocaïne. Mais attention, pas n’importe où puisque la drogue en question a été trouvée dans le propre bureau de Bertrand Touly, un richissime homme d’affaires, propriétaire du luxueux hôtel Lamantin Beach, à Mbour et, surtout, fils de Jean du même nom, un homme aussi riche que Crésus. Interpellé, conduit dans les locaux de la brigade des douanes, relâché avant de filer ventre à terre à l’ambassade de France pour y faire une déposition auprès des gendarmes préposés à la sécurité des lieux, repris quelques jours plus tard puis déféré devant le parquet de Mbour qui lui a décerné mandat de dépôt, Bertrand Touly, sentant les carottes cuites, a surtout compris que la meilleure manière de se défendre… c’est d’attaquer !
De fait, il n’a pas cherché loin puisqu’il a tout simplement accusé les douaniers… d’avoir voulu lui extorquer de l’argent. A l’en croire, les gabelous lui auraient réclamé la somme de 100 millions de francs pour prix de leur silence… Il est permis à ce niveau de s’interroger : si ce que l’honorable Touly fils dit est vrai, n’aurait-il pas été plus simple et, surtout, moins risqué pour les douaniers, qui disposaient de cette importante quantité de came, de l’écouler sur le marché pour gagner plus plutôt que de jouer au jeu dangereux consistant à faire chanter un milliardaire fils de milliardaire ?
Lequel compte de très nombreux amis très haut placés dans ce pays… Surtout que, comme le montrent les derniers développements de l’affaire, il y avait d’autres larrons dans le « complot ». Et donc autant de personnes qui devaient se partager le magot de 100 millions. Avouez que le jeu n’en valait pas la chandelle… Surtout, encore une fois, avec le risque encouru.
Toujours est-il que, dans ce dossier, les enquêtes sont manifestement orientées dans une seule direction. Pour dire les choses crûment, elles visent surtout à décharger Touly des faits accablants pesant sur lui.
En effet, saisie par le parquet de Thiès, la section de recherches de la gendarmerie de la même ville, n’a pas tourné autour du pot. Elle a filé tout droit dans la direction indiquée par Touly. Les pandores ont adressé une réquisition à la Sonatel pour lui demander de leur communiquer les relevés des appels téléphoniques passés par les douaniers ayant procédé à la saisie ainsi que ceux émis ou reçus par le promoteur de lutte Luc Nicolaï soupçonné dès le départ par l’hôtelier français d’être le cerveau du «complot » dont il prétend être l’objet.
Or Nicolaï, juste avant que les douaniers fassent irruption dans le bureau de Touly, avait échangé 26 communications téléphoniques avec eux. Vingt-six communications ? Louche ça ! Aussitôt nos braves gendarmes en ont conclu, sur la base d’on ne sait quel raisonnement, qu’il y avait une collusion, donc un complot, entre Luc Nicolaï, promoteur de lutte mais aussi fils adoptif de Jean Touly, père de Bertrand, avec les douaniers. Suffisant pour que ces derniers soient entendus, conduits devant le juge et… placés sous mandat de dépôt sans autre forme de procès.
Or, dans cette affaire, des faits sont constants : de la drogue a bel et bien été découverte dans le bureau de Bertrand Touly et cela, personne ne l’a nié. Que l’enquête de la maréchaussée ait révélé que cette drogue y avait été introduite par deux employés de l’hôtel payés par Luc Nicolaï n’y change rien à l’affaire car aucun élément ne prouve que les douaniers étaient dans un quelconque « deal » avec leur informateur.
Ensuite, Luc lui-même n’a jamais chargé les douaniers même s’il a reconnu être leur informateur. Ses motivations, lui seul peut les expliquer. De là à mettre en prison des douaniers aux états de services exemplaires — en une trentaine d’années de carrière, Mbaye Kébé, le chef de la brigade maritime des douanes de Mbour n’a jamais eu ne serait-ce qu’une demande d’explication —, il y a là manifestement de l’abus. Il y a surtout que les douaniers, comme les gendarmes et les policiers, mais aussi les journalistes, ont besoin d’informateurs pour travailler.
Ces derniers peuvent être des citoyens vertueux désireux de dénoncer une chose injuste et mus par le seul souci de l’intérêt général. Mais il peut s’agir aussi de gens trouvant intérêt dans ce qu’ils dénoncent. L’essentiel c’est, pour celui qui reçoit le renseignement, de le recouper. Il ne se préoccupe pas de savoir ce qui motive son informateur.
Sous tous les cieux, les choses ont toujours fonctionné comme cela. Alors, aujourd’hui, dans le cas de l’affaire de la drogue du « Lamantin Beach » plus précisément, vouloir tenir noise aux douaniers jusqu’à les envoyer en prison pour avoir reçu et exploité une information, c’est tout le système sur la base duquel fonctionnaient les choses jusqu’ici qui risque d’être remis en cause par les braves gendarmes. Et ça, c’est grave…
Certes, Bertrand Touly est richissime, certes, depuis son arrestation, ses amis, qui ne sont pas des manchots, se sont mobilisés pour le sortir de prison. Mais de là à faire orienter l’enquête vers une douteuse affaire d’extorsion de fonds pour obtenir sa libération et maintenir en prison de braves agents de l’Etat, qui alimentent ses caisses en plus, il y a là quelque chose de scandaleux.
Certes, encore une fois, les Touly sont riches mais devrait-on, pour autant, accepter que leur argent détraque le fléau de la balance de la Justice ? Non, évidemment. C’est pourtant ce à quoi on est en train d’assister actuellement. Et l’Etat laisse faire. Comme il a laissé faire dans les affaires des chefs de brigades Madior Cissé et Samba Sarr. Comme il laisse faire dans l’affaire du commissaire Arona Sy. Il ne lui suffit plus de voir ceux qui sont chargés d’assurer sa sécurité, mais aussi celle des populations et de leurs biens, croiser les bras.
A présent voilà qu’il risque de voir les douaniers, principaux contributeurs à son budget, se croiser les bras ou, à tout le moins, faire moins de zèle dans le recouvrement de recettes. Mais bon, peut-être que le jour où nos éminentes autorités ne percevront plus leurs salaires faute d’argent dans le budget de l’Etat… Pour en revenir à nos braves douaniers, méditons donc cette morale de la fable « Les animaux malades de la peste » de La Fontaine : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir… » Il se trouve qu’en plus, dans le cas d’espèce, que le puissant est blanc et que les misérables, eux, sont des Nègres…
Mamadou Oumar NDIAYE
Le Témoin N° 1102 –Hebdomadaire Sénégalais (OCTOBRE 2012)
Depuis que les commandants de brigades Samba Sarr et Madior Cissé ont été jetés au gnouf comme des malpropres suite à des opérations de maintien de l’ordre au cours desquelles des bavures ont été commises, c’est-à-dire mort d’hommes, depuis que l’ancien commissaire central de Dakar, le divisionnaire Arona Sy, voit l’épée de Damoclès de poursuites judiciaires suspendues au-dessus de sa tête, et depuis surtout qu’il s’est vu privé d’une mission onusienne, eh bien, depuis lors, policiers et gendarmes marchent sur des œufs.
Ils ne veulent plus prendre le moindre risque et ils ont bien raison. Et pourtant, depuis des mois, nous tirons la sonnette d’alarme en disant à l’Etat qu’il était dangereux de mettre ces hommes qui le défendent en prison. Et que, à tout le moins, il doit les défendre. Les autorités avaient préféré se boucher les oreilles ou s’enfouir la tête dans le sable à la manière de l’autruche.
Comme si cela ne suffisait pas, comme si ce n’était pas déjà grave que les forces chargées de défendre l’Etat se croisent les bras, voilà que les agents ayant pour mission de remplir ses caisses risquent à leur tour de laisser passer les fraudeurs et de fermer les yeux sur les agissements des contrebandiers et autres trafiquants internationaux de drogue.
En effet, alors que la clameur entourant l’emprisonnement de policiers et de gendarmes n’est pas encore retombée, voilà que des agents de douane, dont le seul tort est d’avoir mis fin à un trafic de drogue — du moins d’avoir mis la main sur 39 boulettes de cocaïne d’une valeur de 150 millions de francs —, ces gabelous, donc, plutôt que d’être félicités, ont été envoyés en prison. Et ce sous l’accusation d’« extorsion de fonds » et de « complot ». Bigre, à l’évidence, nos gendarmes et nos juges ne rigolent pas. Dans cette histoire, il faudrait plutôt dire que le ridicule ne tue pas…
Car enfin, de quoi s’agit-il ? De la découverte, par des douaniers en service à Mbour, de 39 boulettes de cocaïne. Mais attention, pas n’importe où puisque la drogue en question a été trouvée dans le propre bureau de Bertrand Touly, un richissime homme d’affaires, propriétaire du luxueux hôtel Lamantin Beach, à Mbour et, surtout, fils de Jean du même nom, un homme aussi riche que Crésus. Interpellé, conduit dans les locaux de la brigade des douanes, relâché avant de filer ventre à terre à l’ambassade de France pour y faire une déposition auprès des gendarmes préposés à la sécurité des lieux, repris quelques jours plus tard puis déféré devant le parquet de Mbour qui lui a décerné mandat de dépôt, Bertrand Touly, sentant les carottes cuites, a surtout compris que la meilleure manière de se défendre… c’est d’attaquer !
De fait, il n’a pas cherché loin puisqu’il a tout simplement accusé les douaniers… d’avoir voulu lui extorquer de l’argent. A l’en croire, les gabelous lui auraient réclamé la somme de 100 millions de francs pour prix de leur silence… Il est permis à ce niveau de s’interroger : si ce que l’honorable Touly fils dit est vrai, n’aurait-il pas été plus simple et, surtout, moins risqué pour les douaniers, qui disposaient de cette importante quantité de came, de l’écouler sur le marché pour gagner plus plutôt que de jouer au jeu dangereux consistant à faire chanter un milliardaire fils de milliardaire ?
Lequel compte de très nombreux amis très haut placés dans ce pays… Surtout que, comme le montrent les derniers développements de l’affaire, il y avait d’autres larrons dans le « complot ». Et donc autant de personnes qui devaient se partager le magot de 100 millions. Avouez que le jeu n’en valait pas la chandelle… Surtout, encore une fois, avec le risque encouru.
Toujours est-il que, dans ce dossier, les enquêtes sont manifestement orientées dans une seule direction. Pour dire les choses crûment, elles visent surtout à décharger Touly des faits accablants pesant sur lui.
En effet, saisie par le parquet de Thiès, la section de recherches de la gendarmerie de la même ville, n’a pas tourné autour du pot. Elle a filé tout droit dans la direction indiquée par Touly. Les pandores ont adressé une réquisition à la Sonatel pour lui demander de leur communiquer les relevés des appels téléphoniques passés par les douaniers ayant procédé à la saisie ainsi que ceux émis ou reçus par le promoteur de lutte Luc Nicolaï soupçonné dès le départ par l’hôtelier français d’être le cerveau du «complot » dont il prétend être l’objet.
Or Nicolaï, juste avant que les douaniers fassent irruption dans le bureau de Touly, avait échangé 26 communications téléphoniques avec eux. Vingt-six communications ? Louche ça ! Aussitôt nos braves gendarmes en ont conclu, sur la base d’on ne sait quel raisonnement, qu’il y avait une collusion, donc un complot, entre Luc Nicolaï, promoteur de lutte mais aussi fils adoptif de Jean Touly, père de Bertrand, avec les douaniers. Suffisant pour que ces derniers soient entendus, conduits devant le juge et… placés sous mandat de dépôt sans autre forme de procès.
Or, dans cette affaire, des faits sont constants : de la drogue a bel et bien été découverte dans le bureau de Bertrand Touly et cela, personne ne l’a nié. Que l’enquête de la maréchaussée ait révélé que cette drogue y avait été introduite par deux employés de l’hôtel payés par Luc Nicolaï n’y change rien à l’affaire car aucun élément ne prouve que les douaniers étaient dans un quelconque « deal » avec leur informateur.
Ensuite, Luc lui-même n’a jamais chargé les douaniers même s’il a reconnu être leur informateur. Ses motivations, lui seul peut les expliquer. De là à mettre en prison des douaniers aux états de services exemplaires — en une trentaine d’années de carrière, Mbaye Kébé, le chef de la brigade maritime des douanes de Mbour n’a jamais eu ne serait-ce qu’une demande d’explication —, il y a là manifestement de l’abus. Il y a surtout que les douaniers, comme les gendarmes et les policiers, mais aussi les journalistes, ont besoin d’informateurs pour travailler.
Ces derniers peuvent être des citoyens vertueux désireux de dénoncer une chose injuste et mus par le seul souci de l’intérêt général. Mais il peut s’agir aussi de gens trouvant intérêt dans ce qu’ils dénoncent. L’essentiel c’est, pour celui qui reçoit le renseignement, de le recouper. Il ne se préoccupe pas de savoir ce qui motive son informateur.
Sous tous les cieux, les choses ont toujours fonctionné comme cela. Alors, aujourd’hui, dans le cas de l’affaire de la drogue du « Lamantin Beach » plus précisément, vouloir tenir noise aux douaniers jusqu’à les envoyer en prison pour avoir reçu et exploité une information, c’est tout le système sur la base duquel fonctionnaient les choses jusqu’ici qui risque d’être remis en cause par les braves gendarmes. Et ça, c’est grave…
Certes, Bertrand Touly est richissime, certes, depuis son arrestation, ses amis, qui ne sont pas des manchots, se sont mobilisés pour le sortir de prison. Mais de là à faire orienter l’enquête vers une douteuse affaire d’extorsion de fonds pour obtenir sa libération et maintenir en prison de braves agents de l’Etat, qui alimentent ses caisses en plus, il y a là quelque chose de scandaleux.
Certes, encore une fois, les Touly sont riches mais devrait-on, pour autant, accepter que leur argent détraque le fléau de la balance de la Justice ? Non, évidemment. C’est pourtant ce à quoi on est en train d’assister actuellement. Et l’Etat laisse faire. Comme il a laissé faire dans les affaires des chefs de brigades Madior Cissé et Samba Sarr. Comme il laisse faire dans l’affaire du commissaire Arona Sy. Il ne lui suffit plus de voir ceux qui sont chargés d’assurer sa sécurité, mais aussi celle des populations et de leurs biens, croiser les bras.
A présent voilà qu’il risque de voir les douaniers, principaux contributeurs à son budget, se croiser les bras ou, à tout le moins, faire moins de zèle dans le recouvrement de recettes. Mais bon, peut-être que le jour où nos éminentes autorités ne percevront plus leurs salaires faute d’argent dans le budget de l’Etat… Pour en revenir à nos braves douaniers, méditons donc cette morale de la fable « Les animaux malades de la peste » de La Fontaine : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir… » Il se trouve qu’en plus, dans le cas d’espèce, que le puissant est blanc et que les misérables, eux, sont des Nègres…
Mamadou Oumar NDIAYE
Le Témoin N° 1102 –Hebdomadaire Sénégalais (OCTOBRE 2012)