De notre envoyé spécial à Tizi Ouzou.
Le retour dans l'arène politique algérienne du Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d'opposition du pays, s'est effectué sur la pointe des pieds. Dans son fief de Kabylie, à Tizi Ouzou, où il réunissait naguère des dizaines de milliers de personnes, seulement quelques centaines de ses sympathisants ont assisté à ses deux «grands» meetings. Commencée au stade de la ville, sa campagne, faute de supporteurs, s'est achevée dans une plus modeste salle omnisports. Sur le parquet normalement dévolu aux jeux de balles, trois cents personnes, principalement des hommes d'un certain âge, cachaient mal, le dimanche 6 mai à midi, le peu d'appétit des Algériens pour les élections en général, et plus particulièrement pour ce scrutin législatif du jeudi 10 mai.
La population de Tizi Ouzou, tous âges et sexes confondus, s'est en revanche pressée, le 5 et 6 mai, à la maison de la culture de la ville pour un hommage au chanteur Farid Ferragui. Parmi les spectateurs venus témoigner de la vivacité de la culture berbère, la plupart refusaient de parler des élections, sinon pour affirmer qu'ils ne se rendraient pas aux urnes. «Je ne connais personne qui ira voter», assure comme beaucoup d'autres Amatoui Amrouche, professeur à l'université voisine. «Moi, je boycotte», confirme Ahmed Ait Bachir, un responsable du MAK, Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie jamais reconnu par le pouvoir algérien. Pour ce militant, le FFS n'est plus considéré par ce qui fut sa base comme le porte-voix national d'un combat identitaire kabyle aujourd'hui dans l'impasse.
Pourquoi le FFS, dont la dernière participation législative remonte à 1997, a-t-il accepté cette année de jouer un rôle de figurant dans le théâtre d'ombres de la démocratie algérienne, offrant ainsi au pouvoir l'argument d'avoir organisé un scrutin ouvert? «Ça, c'est la grande question, dont on n'aura la réponse qu'après l'élection», s'amuse Said Khelid. Ce sexagénaire a été élu député FFS lors de ces législatives de 1991, cassées par l'appareil sécuritaire qui refusait la percée électorale des islamistes. Il a ensuite quitté le FFS et ne se déplacera sans doute pas pour voter jeudi. «Il faudra voir le nombre de sièges obtenus par le FFS», dit ce bon connaisseur du système, qui sait qu'en Algérie tout repose généralement sur des arrangements avec le pouvoir. Et puis, ajoute-t-il, goguenard, «Hocine Aït Ahmed (le fondateur du FFS et dernier initiateur de la lutte pour l'indépendance encore en vie) a aujourd'hui 86 ans. Il n'a peut-être pas envie d'attendre les prochaines législatives dans cinq ans»…
Le Parlement le plus paresseux du monde
Rachid Halet, qui avait suivi le même parcours que Said Khelil, a, lui, décidé de rempiler. Bombardé tête de liste du FFS sur la wilaya (département) de Tizi Ouzou, ce sexagénaire explique que «la priorité était de remobiliser le parti», de sortir les militants de cette «culture du boycott». «On va aux élections parce que tout va mal», parce que «l'implosion de l'État» guette, et, ajoute-t-il, parce que le danger existe de voir l'Algérie mener prochainement un printemps arabe à sa manière, généralement sanglante. Enfin, Rachid Halet laisse entendre que les partenaires de l'Internationale socialiste, à laquelle le FFS appartient, ont fait pression pour qu'il ne pratique pas la politique de la chaise vide, car l'heure est grave et la montée islamiste préoccupante dans le Maghreb. Dans son exil suisse commencé en 1966, et seulement interrompu lors de l'ouverture politique au tournant des années 1990, Hocine Aït Ahmed se serait laissé convaincre. Le PS français aurait, semble-t-il, pesé de tout son poids en faveur de cette position «responsable».
«Dans un système où tout est biaisé, à commencer par les élections, c'est un choix chimérique», estime Hakim Saheb, député sortant du RCD, l'autre formation démocratique algérienne, issue également de Kabylie. Les deux frères ennemis, FFS et RDC, ne se sont présentés ensemble qu'une seule fois, aux législatives de 1997. Cette année, c'est le Rassemblement pour la culture et la démocratie qui appelle au boycott. «Depuis le printemps arabe, explique Hakim Saheb, on sait qu'il faut créer un rapport de force avec le pouvoir en dehors du système, par une contestation populaire». À ses yeux, l'échec du printemps algérien n'a pas disqualifié la méthode, mais a seulement repoussé le bras de fer du peuple avec ses dirigeants. Avocat de formation, Hakim Saheb va donc abandonner ses 3 000 euros d'indemnité parlementaire. Cette somme qui motive bien des candidatures est multipliée par les nombreux députés indélicats traficotant avec le pouvoir. Il faut bien que l'élu s'occupe car, souligne Hakim Saheb, «nous avons le Parlement le plus paresseux au monde». Sous la présidence Bouteflika, amorcée en 1999, aucun projet de loi n'a été accepté par le pouvoir exécutif, dont toutes les propositions législatives ont été validées par le Parlement.
Participer aux élections en Algérie, comme l'a longtemps défendu le FFS, c'est d'abord répondre aux désirs du pouvoir. Un vœu que les islamistes du Hamas, qui n'ont jamais eu d'élus dans cette Kabylie pratiquant un islam tolérant, ouvert sur les chrétiens, se sont, cette fois-ci, donné tous les moyens d'exaucer. En complète opposition avec la ligne nationale de l'Alliance pour l'Algérie verte, Malik Gourali, le chef de la campagne des islamistes à Tizi Ouzou, parle de «race kabyle», se déclare en faveur de la reconnaissance officielle de la langue tamazight et se satisfait que «des gens croient, d'autres pas, et que d'autres encore boivent de l'alcool».
Par Thierry Portes
Le retour dans l'arène politique algérienne du Front des forces socialistes (FFS), le plus vieux parti d'opposition du pays, s'est effectué sur la pointe des pieds. Dans son fief de Kabylie, à Tizi Ouzou, où il réunissait naguère des dizaines de milliers de personnes, seulement quelques centaines de ses sympathisants ont assisté à ses deux «grands» meetings. Commencée au stade de la ville, sa campagne, faute de supporteurs, s'est achevée dans une plus modeste salle omnisports. Sur le parquet normalement dévolu aux jeux de balles, trois cents personnes, principalement des hommes d'un certain âge, cachaient mal, le dimanche 6 mai à midi, le peu d'appétit des Algériens pour les élections en général, et plus particulièrement pour ce scrutin législatif du jeudi 10 mai.
La population de Tizi Ouzou, tous âges et sexes confondus, s'est en revanche pressée, le 5 et 6 mai, à la maison de la culture de la ville pour un hommage au chanteur Farid Ferragui. Parmi les spectateurs venus témoigner de la vivacité de la culture berbère, la plupart refusaient de parler des élections, sinon pour affirmer qu'ils ne se rendraient pas aux urnes. «Je ne connais personne qui ira voter», assure comme beaucoup d'autres Amatoui Amrouche, professeur à l'université voisine. «Moi, je boycotte», confirme Ahmed Ait Bachir, un responsable du MAK, Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie jamais reconnu par le pouvoir algérien. Pour ce militant, le FFS n'est plus considéré par ce qui fut sa base comme le porte-voix national d'un combat identitaire kabyle aujourd'hui dans l'impasse.
Pourquoi le FFS, dont la dernière participation législative remonte à 1997, a-t-il accepté cette année de jouer un rôle de figurant dans le théâtre d'ombres de la démocratie algérienne, offrant ainsi au pouvoir l'argument d'avoir organisé un scrutin ouvert? «Ça, c'est la grande question, dont on n'aura la réponse qu'après l'élection», s'amuse Said Khelid. Ce sexagénaire a été élu député FFS lors de ces législatives de 1991, cassées par l'appareil sécuritaire qui refusait la percée électorale des islamistes. Il a ensuite quitté le FFS et ne se déplacera sans doute pas pour voter jeudi. «Il faudra voir le nombre de sièges obtenus par le FFS», dit ce bon connaisseur du système, qui sait qu'en Algérie tout repose généralement sur des arrangements avec le pouvoir. Et puis, ajoute-t-il, goguenard, «Hocine Aït Ahmed (le fondateur du FFS et dernier initiateur de la lutte pour l'indépendance encore en vie) a aujourd'hui 86 ans. Il n'a peut-être pas envie d'attendre les prochaines législatives dans cinq ans»…
Le Parlement le plus paresseux du monde
Rachid Halet, qui avait suivi le même parcours que Said Khelil, a, lui, décidé de rempiler. Bombardé tête de liste du FFS sur la wilaya (département) de Tizi Ouzou, ce sexagénaire explique que «la priorité était de remobiliser le parti», de sortir les militants de cette «culture du boycott». «On va aux élections parce que tout va mal», parce que «l'implosion de l'État» guette, et, ajoute-t-il, parce que le danger existe de voir l'Algérie mener prochainement un printemps arabe à sa manière, généralement sanglante. Enfin, Rachid Halet laisse entendre que les partenaires de l'Internationale socialiste, à laquelle le FFS appartient, ont fait pression pour qu'il ne pratique pas la politique de la chaise vide, car l'heure est grave et la montée islamiste préoccupante dans le Maghreb. Dans son exil suisse commencé en 1966, et seulement interrompu lors de l'ouverture politique au tournant des années 1990, Hocine Aït Ahmed se serait laissé convaincre. Le PS français aurait, semble-t-il, pesé de tout son poids en faveur de cette position «responsable».
«Dans un système où tout est biaisé, à commencer par les élections, c'est un choix chimérique», estime Hakim Saheb, député sortant du RCD, l'autre formation démocratique algérienne, issue également de Kabylie. Les deux frères ennemis, FFS et RDC, ne se sont présentés ensemble qu'une seule fois, aux législatives de 1997. Cette année, c'est le Rassemblement pour la culture et la démocratie qui appelle au boycott. «Depuis le printemps arabe, explique Hakim Saheb, on sait qu'il faut créer un rapport de force avec le pouvoir en dehors du système, par une contestation populaire». À ses yeux, l'échec du printemps algérien n'a pas disqualifié la méthode, mais a seulement repoussé le bras de fer du peuple avec ses dirigeants. Avocat de formation, Hakim Saheb va donc abandonner ses 3 000 euros d'indemnité parlementaire. Cette somme qui motive bien des candidatures est multipliée par les nombreux députés indélicats traficotant avec le pouvoir. Il faut bien que l'élu s'occupe car, souligne Hakim Saheb, «nous avons le Parlement le plus paresseux au monde». Sous la présidence Bouteflika, amorcée en 1999, aucun projet de loi n'a été accepté par le pouvoir exécutif, dont toutes les propositions législatives ont été validées par le Parlement.
Participer aux élections en Algérie, comme l'a longtemps défendu le FFS, c'est d'abord répondre aux désirs du pouvoir. Un vœu que les islamistes du Hamas, qui n'ont jamais eu d'élus dans cette Kabylie pratiquant un islam tolérant, ouvert sur les chrétiens, se sont, cette fois-ci, donné tous les moyens d'exaucer. En complète opposition avec la ligne nationale de l'Alliance pour l'Algérie verte, Malik Gourali, le chef de la campagne des islamistes à Tizi Ouzou, parle de «race kabyle», se déclare en faveur de la reconnaissance officielle de la langue tamazight et se satisfait que «des gens croient, d'autres pas, et que d'autres encore boivent de l'alcool».
Par Thierry Portes