La Tribune Afrique : Vous êtes de ceux qui regrettent que les économies africaines échappent encore au contrôle des entrepreneurs locaux, particulièrement en Afrique francophone. Est-ce une fatalité selon vous ?
Aliko Dangote : Il s'agit d'un réel problème ! Je pense que ces pays devraient examiner la façon dont ils assistent leurs propres entrepreneurs locaux. A mon avis, la première chose à garantir, pour que les entrepreneurs africains puissent avoir une plus grande force d'action, c'est bien le système bancaire. Il faudrait des banques locales très fortes. C'est une condition clé, parce que ces banques locales aideront également à financer les entrepreneurs locaux. En matière d'entrepreneuriat, le porteur de projet a besoin de deux choses : quelqu'un qui croit en ce qu'il fait et la certitude que cela permettra d'emmener le pays vers un niveau supérieur. Et celui qui va y croire, c'est la banque qui pourra l'aider à mobiliser les fonds nécessaires pour en faire une réalité.
Quand vous regardez à cela aujourd'hui, mis à part quelques très rares pays, la majorité des économies africaines sont dominées par les entrepreneurs étrangers. Or, ces entrepreneurs étrangers ne font pas forcément du développement de ces pays leur priorité. Leur travail se limite plus ou moins à ce qu'ils peuvent prendre. Et c'est en cela que réside la différence entre les entrepreneurs locaux et les étrangers. Les entrepreneurs locaux sont aussi des investisseurs qui voudraient entretenir leurs investissements, les accroître, participer au développement des secteurs donnés de l'économie et voir leur pays émerger, si possible, grâce à leurs efforts. Et l'expérience a montré que plus ils se font de l'argent, plus ils investissent localement.
En dépit des "lacunes" qui persistent, beaucoup estiment que l'Afrique est sur la bonne voie en termes de développement. Partagez-vous cet avis ?
Absolument ! Je le pense aussi. L'Afrique est sur la bonne voie, parce que nous avons ce qu'il faut pour atteindre un niveau de développement supérieur. Tout ce que nous avons à faire, c'est de nous rassurer que nous mettons en place des politiques cohérentes. Il s'agit là d'un élément très important que nos gouvernements devraient prendre au sérieux. Il n'est pas bon, à titre d'exemple, de mettre en place une politique et ensuite changer le ministre en charge du dossier. Ce qui se passe c'est que le ministre nouvellement nommé, généralement, présente de nouvelles idées et abandonne les politiques précédentes. Du coup, tout est chamboulé et il n'y a pas moyen de tester des choses claires et d'en juger les résultats sur le moyen ou long terme.
Nous avons besoin de corriger cette pratique en revoyant le système de leadership, afin que les politiques mises en place aient le temps de porter leurs fruits et emmener nos pays plus loin.
Vous êtes aujourd'hui reconnu comme l'homme le plus riche d'Afrique, un entrepreneur qui a gravi les échelons et qui se maintient au sommet, multipliant les actions d'expansion de son conglomérat. Quel est le secret de votre réussite ?
C'est une question qui revient souvent. Mais il faut que les gens comprennent. Mon plus grand secret est le suivant : je ne considère jamais mon travail comme un travail en tant que tel, mais comme un loisir. A partir de ce moment, je ne m'en lasse pas. Aussi, je suis de ceux qui croient que rien n'est impossible. Donc, lorsque j'ai une idée en tête, je travaille au maximum pour atteindre mon objectif.
Le problème en Afrique aujourd'hui, c'est que la majorité des gens n'ont pas de vision. Or, chaque personne devrait avoir une vision et identifier sa mission. Et quand vous avez ces deux choses, vous pouvez arriver à vous réaliser.
Que vous inspire la dynamique entrepreneuriale observée actuellement à travers le continent ?
C'est une très bonne chose pour le développement. Mais même ces entrepreneurs qui portent chaque jour des projets doivent voir grand. La majorité des gens aujourd'hui, même parmi les entrepreneurs, pensent souvent petit. Et c'est une erreur ! Quand l'entrepreneur pense petit, il avancera en étant timoré. De cette façon, il n'ira nulle part. Les entrepreneurs doivent avoir de grands rêves et peut-être commenceront-ils à réaliser quelque chose. C'est une des clés pour aller loin.
Quelles sont les autres clés dont pourrait se saisir l'actuelle génération qui brille ces dernières années par sa capacité d'innovation ?
Je dirais que la génération actuelle doit saisir, ou continuer de saisir, les opportunités. Je crois tout d'abord qu'il y a beaucoup à faire en Afrique. Il y a tellement de choses dont nous avons besoin pour la nourriture que nous consommons, pour tout ce dont nous nous servons au quotidien : jouets, industrie du divertissement... Il y a donc beaucoup à faire et les investissements dans ces différents domaines sont lucratifs.
Lorsque les gens de ma génération grandissaient, nous n'avions pas toutes ces opportunités, parce que le marché était très petit. Mais aujourd'hui, l'Afrique est un énorme marché. Les choses sont telles que dans les trente prochaines années, nous aurons une population de 2 milliards d'habitants. Quel genre d'opportunités les entrepreneurs veulent-ils chercher qui soient meilleures que celles qui s'offrent déjà à eux ? Ils peuvent se lancer dans n'importe quel secteur : agro-alimentaire, divertissement... les emplois sont à créer. Il suffit d'élaborer de bonnes stratégies, être bien accompagné, avoir le soutien financier venant d'un système bancaire local fort, que nos gouvernements continuent d'améliorer le climat des affaires, ... Et je suis sûr qu'avec cette poussée de l'Afrique, de nombreux entrepreneurs saisiront mieux les ouvertures, ce qui permettra de porter haut les économies africaines.
(Tribuneafrique)