Le dirigeant de opposition et ancien dictateur Muhammadu Buhari a été élu nouveau président du Nigeria, au terme d'un scrutin exemplaire qui marque la première alternance démocratique et pacifique du turbulent géant pétrolier d'Afrique de l'Ouest depuis son indépendance.
"Notre pays a rejoint la communauté des nations qui remplacent par les urnes un président en place au cours d'un scrutin libre et honnête", "pour moi, c'est vraiment historique", s'est félicité M. Buhari dans sa première allocution après son élection.
Avec 53,95% des voix, cet ancien général, qui était le candidat de la coalition de l'opposition (APC), a largement battu le chef d'Etat sortant Goodluck Jonathan, candidat du Parti démocratique populaire (PDP), crédité de 44,96%, selon les résultats officiels annoncés par la Commission électorale indépendante.
Le PDP détenait le pouvoir depuis 1999, date du retour à la démocratie du Nigeria après des années de dictatures militaires. Depuis son indépendance en 1960, le Nigeria a connu six coups d'Etat.
Lui-même ancien putschiste à la tête d'une junte militaire entre 1983 et 1985, l'ancien général Buhari, 72 ans, se présente comme un "converti à la démocratie". C'était la quatrième tentative à la présidentielle de ce musulman du Nord après trois échecs successifs depuis 2003, dont le dernier déjà face à M. Jonathan, un chrétien du Sud, en 2011.
"J'ai promis à ce pays des élections libres et justes. J'ai tenu ma parole", a déclaré pour sa part le président sortant dans un communiqué publié dans la nuit.
"Aucune ambition personnelle ne vaut le sang d'aucun Nigérian", a-t-il ajouté pour décourager toute violence, alors que la précédente présidentielle en 2011 s'était soldée par un millier de morts.
Le vainqueur a rendu hommage au fair-play du chef de l'Etat qui l'avait appelé dès mardi soir pour reconnaître sa défaite.
Des milliers de Nigérians étaient descendus dès mardi après-midi dans les rues de Kano, plus grande ville du nord musulman, ainsi qu'à Kaduna, ville natale de l'opposant, pour célébrer la victoire de leur champion.
"C'est un des plus beaux moments de ma vie", s'est réjoui Khalid Isa Musa, un jeune étudiant, alors que de nombreux partisans brandissaient des balayettes, symboles du parti de M. Buhari qui s'est engagé à lutter contre la mauvaise gouvernance et la corruption.
- Fini la corruption?-
L'Union européenne, la France et le Royaume-Uni (ancienne puissance coloniale) ont félicité le vainqueur, Londres soulignant l'importance d'une "transition pacifique".
La présidente de la Commission de l'Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, a déclaré de son coté que "le résultat des élections démontre clairement la maturité de la démocratie, non seulement au Nigeria, mais sur le continent dans son ensemble".
Cette présidentielle réussie, dans le pays le plus peuplé d'Afrique avec 173 millions d'habitants, est un symbole fort sur le continent, où la question de l'alternance pacifique et démocratique se pose de façon récurrente, avec des dirigeants en poste ou une même famille au pouvoir parfois depuis plusieurs dizaines années.
Au Burkina Faso, c'est la rue qui a chassé le président Blaise Compaoré après 27 ans de pouvoir. Et dans plusieurs pays comme le Burundi, le Rwanda, le Bénin et les deux Congo, les chefs d'Etat sont soupçonnés de vouloir se maintenir au pouvoir, y compris en modifiant les Constitutions.
Au Nigeria, les dissensions politiques avaient jusqu'ici souvent attisé des tensions ethniques et religieuses, entraînant de sanglantes émeutes post-électorales. Cette fois-ci le vote s'est déroulé dans le calme samedi et dimanche.
Et le groupe islamiste Boko Haram, qui avait multiplié les attentats-suicides dans le nord ces dernières semaines et juré de perturber cette élection, n'y est pas parvenu.
Malgré les couacs techniques, dus à l'utilisation de lecteurs de cartes électorales biométriques pour la première fois, les Nigérians ont été voter massivement pour faire entendre leur mécontentement, notamment sur les questions de sécurité et la corruption.
A Lagos, la capitale économique et la plus grande ville du pays, où Buhari l'a emporté, des feux d'artifice ont été lancés et les partisans du nouveau président ont laissé exploser leur joie dans les rues, à pied, en triporteur et même à cheval. A Abuja, la capitale, une foule compacte a dansé une grande partie de la nuit devant le QG de campagne de l'APC.
"Il s'agit de la première alternance démocratique de l'histoire du Nigeria. Il n'est pas question de musulman ou de chrétien, ou même de parti politique. Cela montre aux politiciens que s'ils ne font pas leur job, on peut les mettre dehors", s'est enthousiasmé un militant, Anas Galadima.
Pour le commentateur politique Chris Ngwodo, la victoire de M. Buhari "instaure une suprématie (...) de l'électorat", dans un pays où bien souvent, la bataille était gagnée d'avance pour le sortant.
"La dynamique entre les gouvernés et le gouvernement a changé pour de bon", a-t-il poursuivi.
Les récentes avancées de l'armée contre Boko Haram, dans le nord-est, grâce à l'intervention militaire des pays voisins, le Tchad en tête, ont finalement peu profité à M. Jonathan, les électeurs considérant probablement que cette opération arrivait trop tard, ou trop opportunément.
L'insurrection islamiste a fait plus de 15.000 morts en six ans, selon un nouveau bilan donné par l'ONU mercredi.
"Nous allons construire un nouveau Nigeria (...)", mais "ca va être dur, les attentes sont immenses", a reconnu Aisha Buhari, l'épouse du nouvel élu.
La corruption en particulier, l'un des plus grands fléaux du Nigeria, "n'aura plus sa place" dans le pays, a assuré M. Buhari. "Les corrompus ne seront pas nommés dans ma nouvelle administration", a-t-il promis.