Jusqu’au bout, ils y ont cru. Pour les cadres de l’Alliance pour la République (APR), le parti du Président Macky Sall, l’annonce du retrait de ce dernier de la course à la présidentielle de 2024, est un coup rude. Ces derniers mois, une frange bruyante n’a eu de cesse de réclamer une troisième candidature, pourtant controversée, de leur champion. « C’est notre candidat de A à Z », assurait ainsi Mame Mbaye Niang, bouillant ministre du Tourisme, réputé proche du chef de l’Etat sénégalais et de son influente épouse, il y a quelques jours.
A la déception de voir ce dernier se retirer, s’ajoute la crainte d’assister à l’implosion de la coalition Benno Bokk Yakaar – « Unis par l’espoir » en wolof. L’alliance, qui réunit le parti présidentiel (APR), le Parti socialiste et l’AFP de Moustapha Niasse, ancien président de l’Assemblée nationale, a été une redoutable machine de conquête du pouvoir au service de Macky Sall. Avec son départ annoncé, la bataille de succession a débuté en coulisses. L’enjeu est simple et urgent : la candidature à la présidentielle prévue en février 2024. Aucun successeur naturel n’ayant émergé, le jeu est ouvert.
« Macky Sall a régné en maître dans cette coalition et son parti. Il n’a pas préparé de dauphin. Mais cette stratégie du vide autour de lui, est aujourd’hui un handicap à sept mois de la présidentielle », analyse Moussa Diaw, chef de la section Sciences politiques de l’université Gaston Berger, à Saint-Louis. Leurs ambitions n’étaient pas révélées, mais certains prétendants se sont cependant discrètement préparés à l’éventualité d’un départ du président sénégalais.
« L’hyperprésident Macky Sall »
Favori en l’état, Amadou Bâ, 62 ans, l’actuel Premier ministre. Nommé à la surprise générale en septembre 2022 par Macky Sall, qui avait pourtant supprimé le poste quelques mois auparavant, il fait figure de candidat sérieux. Technocrate, produit de l’administration fiscale, il s’est construit une stature politique lors de son passage au ministère des Finances, où il a piloté le programme économique phare du premier quinquennat de Macky Sall, le Plan Sénégal émergent. Il a ensuite occupé le poste de ministre des Affaires étrangères.
Peu présent dans les médias, cet homme courtois et discret reste mystérieux pour les Sénégalais. Une attitude réservée qui pourrait, selon certains analystes, lui porter préjudice dans la course à la présidence. « En tant que chef de gouvernement, on ne l’entend pas assez. Il a très peu d’autorité sur les ministres qui rendent directement des comptes au président. Il manque aussi d’espace à cause de l’hyperprésident qu’est Macky Sall », explique Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de Sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. « C’est un faux calme, tempère un leader de l’opposition. C’est un stratège, un calculateur. Un vrai tueur. »
La presse sénégalaise attribue à Amadou Bâ, ancien Directeur général des Impôts, une fortune considérable. « Au sein de la mouvance et dans le gouvernement, il a des soutiens silencieux qu’il a aidés dans le passé. Maintenant que le président s’est prononcé, ces alliés pourront sortir du bois et le soutenir le moment venu », parie l’un de ses collaborateurs.
Mais dans le cercle le plus resserré autour du président, ses ambitions agacent, suscitent des accusations de déloyauté. En août 2022, des membres de son équipe ont acheté le nom de domaine AmadouBa2024. Certains de ses proches nient son implication, mais l’épisode n’est pas passé inaperçu dans le parti présidentiel. « En politique, la loyauté demeure la seule devise. Le président l’a promu Premier ministre au détriment de caciques du parti. Mais, lui, l’a remercié en s’agitant avant même que le président n’annonce son retrait », tance un cadre du parti. « Il est progressivement devenu le rival le plus sérieux de Macky Sall. Sans doute cela a-t-il pesé sur le choix de le nommer quelques semaines plus tard Premier ministre. Mais leurs relations sont exécrables », ajoute un habitué du palais.
Ainsi, en pleine polémique sur la répression des manifestations de juin qui ont fait vingt-trois morts selon Amnesty International, dont certains tués à balles réelles, le Premier ministre, accompagné des ministres de l’intérieur et de la justice, a été envoyé en urgence répondre à la presse nationale et internationale. Pour certains observateurs, l’exercice avait tout l’air d’un piège tendu par le chef de l’Etat. « C’était un moyen de l’exposer et de le sortir de sa cachette. Mais Amadou Bâ a brillamment déjoué le traquenard. Il s’est contenté de distribuer la parole aux ministres de l’Intérieur et de la Justice, sans répondre directement aux questions explosives », confie un conseiller de la Présidence.
« Miser sur la génération montante »
Autre nom qui circule pour représenter la majorité en 2024, Abdoulaye Daouda Diallo, actuel Directeur de Cabinet de Macky Sall et président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Si son profil épouse celui du Premier ministre, il est un proche parmi les proches du couple présidentiel. Ancien inspecteur des Impôts et des Domaines, il possède le record de longévité dans le gouvernement. Ministre délégué chargé du budget en 2012-2013, Abdoulaye Daouda Diallo a successivement occupé les portefeuilles de l’Intérieur, des Infrastructures puis des Finances et du Budget.
Pressenti pour être nommé Premier ministre en 2022, il a vu ses espoirs déçus après la nomination d’Amadou Bâ. « Lui non plus n’a pas de base et ne porte pas de projet politique. Il est trop en retrait et peu combatif. Sa proximité avec Macky Sall ne peut suffire », juge le politologue Moussa Diaw.
Dernière figure à sortir du lot dans la bataille pour la candidature, Aly Ngouille Ndiaye. Ce banquier de formation, cofondateur de l’APR, a occupé plusieurs postes de ministre, avant d’être remercié lors d’un remaniement en septembre 2020. Il est actuellement ministre de l’Agriculture et jouit d’un ancrage solide dans la région du Djolof, dans le nord-ouest du Sénégal.
Tous ces profils expérimentés ne font pas pour autant l’unanimité au sein de l’APR. Alors qu’une frange du parti demande un rajeunissement des cadres, une fracture générationnelle menace d’apparaître dans la lutte pour la succession. « i[Le parti ne peut pas présenter un candidat en 2024, qui ne parle pas le langage des jeunes. [Ousmane] Sonko [maire de Ziguinchor], [Barthélémy] Dias [maire de Dakar] le font avec succès. Macky Sall sait que pour pérenniser son legs et son camp, il doit miser sur la génération montante ]i», avertit un proche du Président. Le temps des nouveaux ambitieux est arrivé, porteur de promesses de renouvellement comme du risque de voir la coalition au pouvoir, se disloquer par des tentations personnelles.
Le Monde
A la déception de voir ce dernier se retirer, s’ajoute la crainte d’assister à l’implosion de la coalition Benno Bokk Yakaar – « Unis par l’espoir » en wolof. L’alliance, qui réunit le parti présidentiel (APR), le Parti socialiste et l’AFP de Moustapha Niasse, ancien président de l’Assemblée nationale, a été une redoutable machine de conquête du pouvoir au service de Macky Sall. Avec son départ annoncé, la bataille de succession a débuté en coulisses. L’enjeu est simple et urgent : la candidature à la présidentielle prévue en février 2024. Aucun successeur naturel n’ayant émergé, le jeu est ouvert.
« Macky Sall a régné en maître dans cette coalition et son parti. Il n’a pas préparé de dauphin. Mais cette stratégie du vide autour de lui, est aujourd’hui un handicap à sept mois de la présidentielle », analyse Moussa Diaw, chef de la section Sciences politiques de l’université Gaston Berger, à Saint-Louis. Leurs ambitions n’étaient pas révélées, mais certains prétendants se sont cependant discrètement préparés à l’éventualité d’un départ du président sénégalais.
« L’hyperprésident Macky Sall »
Favori en l’état, Amadou Bâ, 62 ans, l’actuel Premier ministre. Nommé à la surprise générale en septembre 2022 par Macky Sall, qui avait pourtant supprimé le poste quelques mois auparavant, il fait figure de candidat sérieux. Technocrate, produit de l’administration fiscale, il s’est construit une stature politique lors de son passage au ministère des Finances, où il a piloté le programme économique phare du premier quinquennat de Macky Sall, le Plan Sénégal émergent. Il a ensuite occupé le poste de ministre des Affaires étrangères.
Peu présent dans les médias, cet homme courtois et discret reste mystérieux pour les Sénégalais. Une attitude réservée qui pourrait, selon certains analystes, lui porter préjudice dans la course à la présidence. « En tant que chef de gouvernement, on ne l’entend pas assez. Il a très peu d’autorité sur les ministres qui rendent directement des comptes au président. Il manque aussi d’espace à cause de l’hyperprésident qu’est Macky Sall », explique Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de Sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. « C’est un faux calme, tempère un leader de l’opposition. C’est un stratège, un calculateur. Un vrai tueur. »
La presse sénégalaise attribue à Amadou Bâ, ancien Directeur général des Impôts, une fortune considérable. « Au sein de la mouvance et dans le gouvernement, il a des soutiens silencieux qu’il a aidés dans le passé. Maintenant que le président s’est prononcé, ces alliés pourront sortir du bois et le soutenir le moment venu », parie l’un de ses collaborateurs.
Mais dans le cercle le plus resserré autour du président, ses ambitions agacent, suscitent des accusations de déloyauté. En août 2022, des membres de son équipe ont acheté le nom de domaine AmadouBa2024. Certains de ses proches nient son implication, mais l’épisode n’est pas passé inaperçu dans le parti présidentiel. « En politique, la loyauté demeure la seule devise. Le président l’a promu Premier ministre au détriment de caciques du parti. Mais, lui, l’a remercié en s’agitant avant même que le président n’annonce son retrait », tance un cadre du parti. « Il est progressivement devenu le rival le plus sérieux de Macky Sall. Sans doute cela a-t-il pesé sur le choix de le nommer quelques semaines plus tard Premier ministre. Mais leurs relations sont exécrables », ajoute un habitué du palais.
Ainsi, en pleine polémique sur la répression des manifestations de juin qui ont fait vingt-trois morts selon Amnesty International, dont certains tués à balles réelles, le Premier ministre, accompagné des ministres de l’intérieur et de la justice, a été envoyé en urgence répondre à la presse nationale et internationale. Pour certains observateurs, l’exercice avait tout l’air d’un piège tendu par le chef de l’Etat. « C’était un moyen de l’exposer et de le sortir de sa cachette. Mais Amadou Bâ a brillamment déjoué le traquenard. Il s’est contenté de distribuer la parole aux ministres de l’Intérieur et de la Justice, sans répondre directement aux questions explosives », confie un conseiller de la Présidence.
« Miser sur la génération montante »
Autre nom qui circule pour représenter la majorité en 2024, Abdoulaye Daouda Diallo, actuel Directeur de Cabinet de Macky Sall et président du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Si son profil épouse celui du Premier ministre, il est un proche parmi les proches du couple présidentiel. Ancien inspecteur des Impôts et des Domaines, il possède le record de longévité dans le gouvernement. Ministre délégué chargé du budget en 2012-2013, Abdoulaye Daouda Diallo a successivement occupé les portefeuilles de l’Intérieur, des Infrastructures puis des Finances et du Budget.
Pressenti pour être nommé Premier ministre en 2022, il a vu ses espoirs déçus après la nomination d’Amadou Bâ. « Lui non plus n’a pas de base et ne porte pas de projet politique. Il est trop en retrait et peu combatif. Sa proximité avec Macky Sall ne peut suffire », juge le politologue Moussa Diaw.
Dernière figure à sortir du lot dans la bataille pour la candidature, Aly Ngouille Ndiaye. Ce banquier de formation, cofondateur de l’APR, a occupé plusieurs postes de ministre, avant d’être remercié lors d’un remaniement en septembre 2020. Il est actuellement ministre de l’Agriculture et jouit d’un ancrage solide dans la région du Djolof, dans le nord-ouest du Sénégal.
Tous ces profils expérimentés ne font pas pour autant l’unanimité au sein de l’APR. Alors qu’une frange du parti demande un rajeunissement des cadres, une fracture générationnelle menace d’apparaître dans la lutte pour la succession. « i[Le parti ne peut pas présenter un candidat en 2024, qui ne parle pas le langage des jeunes. [Ousmane] Sonko [maire de Ziguinchor], [Barthélémy] Dias [maire de Dakar] le font avec succès. Macky Sall sait que pour pérenniser son legs et son camp, il doit miser sur la génération montante ]i», avertit un proche du Président. Le temps des nouveaux ambitieux est arrivé, porteur de promesses de renouvellement comme du risque de voir la coalition au pouvoir, se disloquer par des tentations personnelles.
Le Monde