Du haut de sa toute-puissance numérique, Mirador lance son radar d’algorithmes et calcule en temps réel les besoins des 9 331 établissements sénégalais du primaire et du secondaire. Rien n’échappe à sa sagacité : nombre d’heures de cours par discipline, absences, surplus d’enseignants.
Lancé en 2013 grâce à des fonds de la coopération canadienne, pour un coût total de 250 millions de francs CFA (380 000 euros), ce logiciel maison a nécessité le travail de cinq ingénieurs sénégalais pendant un an. « Avant, nous avions un fichier unifié du personnel de l’éducation nationale. C’était une base de données qui permettait d’enregistrer les nouvelles affectations. Mais chaque mise à jour devait être faite localement à Dakar. Il y avait beaucoup de contraintes et on percevait difficilement les besoins des régions », soutient Mamadou Sonko, l’administrateur technique principal du projet Mirador, pour « management intégré des ressources axé sur une dotation rationnelle ».
Sur les 98 040 enseignants que compte le Sénégal, chacun, selon son grade, doit effectuer un certain nombre d’heures de cours, et chaque classe, en fonction du niveau, doit accomplir un certain nombre d’heures dans chaque discipline. En 6e, par exemple, c’est six heures de mathématiques et six heures de français par semaine. « Le système est capable de détecter s’il manque un professeur de maths pour compléter le nombre d’heures définies et d’allouer automatiquement à l’établissement un enseignant supplémentaire, détaille M. Sonko. Dans l’autre sens, si le logiciel détecte qu’il y a un enseignant en trop pour le nombre d’heures à remplir, il le signalera. »
« Epanouissement »
C’est pour lutter contre ces déséquilibres et redresser le ratio maître-élèves (REM) que plusieurs Etats, dont le Sénégal mais aussi le Rwanda et la Côte d’Ivoire, ont créé des systèmes informatiques de répartition des enseignants. Si, depuis quinze ans, le nombre d’élèves par maître en Afrique décroît progressivement, le REM varie cependant beaucoup d’un pays africain à l’autre. En 2015, on atteignait ainsi 70 élèves par maître au Malawi, 63 au Rwanda et 59 au Tchad. De l’autre côté du spectre, le REM s’élevait à 18 en Sierra Leone, 22 au Cap-Vert et 30 au Liberia.
Mais les enseignants ne sont pas toujours répartis de manière équitable dans un même pays, voire au sein d’une même école. En Ouganda, par exemple, la moyenne est de 55 élèves par maître, mais le ratio varie de 35 à 79 selon les districts. Au Niger, si le REM du pays est à 37, une classe peut regrouper cinq élèves tandis que celle d’à côté en aura plus de 100. « C’est l’une des raisons qui expliquent qu’au Niger, plus de la moitié des enfants n’a pas atteint un socle de connaissances basique », explique Koffi Segniagbeto, analyste à l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) de l’Unesco, à Dakar.
« Pendant cinquante ans, on a dit aux Africains d’aller à l’école, lance Koffi Segniagbeto. Maintenant que les salles de classe sont pleines, notre nouveau grand défi est de s’assurer que tous les élèves disposent des mêmes conditions d’apprentissage. » Si l’on souhaite que les élèves africains atteignent « un épanouissement personnel utile au développement du pays », ajoute-t-il, il est primordial de « réduire le nombre d’élèves par classe » et de « faire en sorte qu’il y ait moins d’incohérences dans l’allocation des enseignants ».
Les femmes sont privilégiées
Mais au Sénégal, Mirador sert aussi à centraliser les demandes de mutation, à les classer et à attribuer les nouveaux postes. « Chaque année, au ministère, a lieu une commission nationale des mutations, raconte M. Sonko. Quand le système fait son calcul, il va déterminer le besoin ou le surplus en professeurs de chaque établissement. » Le logiciel produit alors un grand tableau appelé « miroir », que consulte chaque enseignant qui souhaite changer de poste. « C’est une compétition arbitrée par Mirador, qui se base sur un système de pondération établi par le ministère et les syndicats, précise M. Sonko. Dix ans dans l’enseignement, c’est 10 points. Dix ans dans le poste, c’est 2 points, etc. Et celui qui a le plus de points gagne le poste. »
Des règles ont été ajoutées à l’algorithme afin de fissurer le plafond de verre. Si deux enseignants sont à égalité, la femme est privilégiée. S’il s’agit de deux hommes, celui qui a le plus grand nombre d’enfants obtiendra le poste. « Au Sénégal, on veut voir plus de femmes à des postes de responsabilités, surtout dans les campagnes, car ça permet de créer des modèles pour les jeunes filles et d’éviter leur décrochage, en leur montrant qu’elles peuvent réussir », affirme M. Sonko.
Certains postes leur sont réservés. Dans ce cas, quel que soit le nombre de points obtenus par les hommes, si une femme postule, elle l’obtiendra. Avant Mirador, les chargés des ressources humaines de chaque académie devaient venir à Dakar avec les 20 000 demandes annuelles de mutation. « Cela coûtait au ministère des frais de déplacement, d’hôtel et de nourriture pendant trois semaines, explique M. Sonko. Désormais, tout est fait à distance via la plateforme web en cinq jours. C’est un important gain de temps et d’argent. »
En 2017, un nouveau module a été développé, qui permet de planifier sur dix ans, les besoins en recrutement de l’éducation nationale. Le logiciel prend en compte les retraites, les stages et estime jusqu’aux décès.
Le succès de Mirador n’est pas passé inaperçu. Le système intéresse le Burkina Faso, l’Ethiopie, la Somalie, le Mali, le Bénin et la République démocratique du Congo (RDC). Mamadou Sonko a été approché à plusieurs reprises. Et s’il ne peut implémenter le logiciel clé en main, il se dit ouvert à apporter ses compétences au service de l’éducation pour tous, partout sur le continent.
Le Monde Afrique
Lancé en 2013 grâce à des fonds de la coopération canadienne, pour un coût total de 250 millions de francs CFA (380 000 euros), ce logiciel maison a nécessité le travail de cinq ingénieurs sénégalais pendant un an. « Avant, nous avions un fichier unifié du personnel de l’éducation nationale. C’était une base de données qui permettait d’enregistrer les nouvelles affectations. Mais chaque mise à jour devait être faite localement à Dakar. Il y avait beaucoup de contraintes et on percevait difficilement les besoins des régions », soutient Mamadou Sonko, l’administrateur technique principal du projet Mirador, pour « management intégré des ressources axé sur une dotation rationnelle ».
Sur les 98 040 enseignants que compte le Sénégal, chacun, selon son grade, doit effectuer un certain nombre d’heures de cours, et chaque classe, en fonction du niveau, doit accomplir un certain nombre d’heures dans chaque discipline. En 6e, par exemple, c’est six heures de mathématiques et six heures de français par semaine. « Le système est capable de détecter s’il manque un professeur de maths pour compléter le nombre d’heures définies et d’allouer automatiquement à l’établissement un enseignant supplémentaire, détaille M. Sonko. Dans l’autre sens, si le logiciel détecte qu’il y a un enseignant en trop pour le nombre d’heures à remplir, il le signalera. »
« Epanouissement »
C’est pour lutter contre ces déséquilibres et redresser le ratio maître-élèves (REM) que plusieurs Etats, dont le Sénégal mais aussi le Rwanda et la Côte d’Ivoire, ont créé des systèmes informatiques de répartition des enseignants. Si, depuis quinze ans, le nombre d’élèves par maître en Afrique décroît progressivement, le REM varie cependant beaucoup d’un pays africain à l’autre. En 2015, on atteignait ainsi 70 élèves par maître au Malawi, 63 au Rwanda et 59 au Tchad. De l’autre côté du spectre, le REM s’élevait à 18 en Sierra Leone, 22 au Cap-Vert et 30 au Liberia.
Mais les enseignants ne sont pas toujours répartis de manière équitable dans un même pays, voire au sein d’une même école. En Ouganda, par exemple, la moyenne est de 55 élèves par maître, mais le ratio varie de 35 à 79 selon les districts. Au Niger, si le REM du pays est à 37, une classe peut regrouper cinq élèves tandis que celle d’à côté en aura plus de 100. « C’est l’une des raisons qui expliquent qu’au Niger, plus de la moitié des enfants n’a pas atteint un socle de connaissances basique », explique Koffi Segniagbeto, analyste à l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) de l’Unesco, à Dakar.
« Pendant cinquante ans, on a dit aux Africains d’aller à l’école, lance Koffi Segniagbeto. Maintenant que les salles de classe sont pleines, notre nouveau grand défi est de s’assurer que tous les élèves disposent des mêmes conditions d’apprentissage. » Si l’on souhaite que les élèves africains atteignent « un épanouissement personnel utile au développement du pays », ajoute-t-il, il est primordial de « réduire le nombre d’élèves par classe » et de « faire en sorte qu’il y ait moins d’incohérences dans l’allocation des enseignants ».
Les femmes sont privilégiées
Mais au Sénégal, Mirador sert aussi à centraliser les demandes de mutation, à les classer et à attribuer les nouveaux postes. « Chaque année, au ministère, a lieu une commission nationale des mutations, raconte M. Sonko. Quand le système fait son calcul, il va déterminer le besoin ou le surplus en professeurs de chaque établissement. » Le logiciel produit alors un grand tableau appelé « miroir », que consulte chaque enseignant qui souhaite changer de poste. « C’est une compétition arbitrée par Mirador, qui se base sur un système de pondération établi par le ministère et les syndicats, précise M. Sonko. Dix ans dans l’enseignement, c’est 10 points. Dix ans dans le poste, c’est 2 points, etc. Et celui qui a le plus de points gagne le poste. »
Des règles ont été ajoutées à l’algorithme afin de fissurer le plafond de verre. Si deux enseignants sont à égalité, la femme est privilégiée. S’il s’agit de deux hommes, celui qui a le plus grand nombre d’enfants obtiendra le poste. « Au Sénégal, on veut voir plus de femmes à des postes de responsabilités, surtout dans les campagnes, car ça permet de créer des modèles pour les jeunes filles et d’éviter leur décrochage, en leur montrant qu’elles peuvent réussir », affirme M. Sonko.
Certains postes leur sont réservés. Dans ce cas, quel que soit le nombre de points obtenus par les hommes, si une femme postule, elle l’obtiendra. Avant Mirador, les chargés des ressources humaines de chaque académie devaient venir à Dakar avec les 20 000 demandes annuelles de mutation. « Cela coûtait au ministère des frais de déplacement, d’hôtel et de nourriture pendant trois semaines, explique M. Sonko. Désormais, tout est fait à distance via la plateforme web en cinq jours. C’est un important gain de temps et d’argent. »
En 2017, un nouveau module a été développé, qui permet de planifier sur dix ans, les besoins en recrutement de l’éducation nationale. Le logiciel prend en compte les retraites, les stages et estime jusqu’aux décès.
Le succès de Mirador n’est pas passé inaperçu. Le système intéresse le Burkina Faso, l’Ethiopie, la Somalie, le Mali, le Bénin et la République démocratique du Congo (RDC). Mamadou Sonko a été approché à plusieurs reprises. Et s’il ne peut implémenter le logiciel clé en main, il se dit ouvert à apporter ses compétences au service de l’éducation pour tous, partout sur le continent.
Le Monde Afrique