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Au Sud, la faim gagne du terrain

Rédigé par leral.net le Mardi 13 Janvier 2009 à 21:26 | | 0 commentaire(s)|

Une excellente récolte et la baisse de la demande en matières premières ont stoppé la flambée des cours agricoles mondiaux,mais les prix des denrées restent chers
Depuis septembre dernier, les bulles spéculatives qui s’étaient formées sur les marchés immobiliers, des actions et des matières premières éclatent les unes après les autres, faisant dégringoler leurs prix.


Au Sud, la faim gagne du terrain
Les produits agricoles n’ont pas échappé à la tendance. « Après une flambée des prix des céréales et des huiles en 2006 et 2007, les prix ont retrouvé, en six mois, leur niveau de la fin de 2006. Mais il s’agit de prix encore élevés si l’on se réfère au début du millénaire », note Catherine Mollière au Crédit agricole.
Les émeutes de la faim

En juin dernier, les pays membres de l’ONU débattaient à Rome des moyens de combattre cette flambée des prix. Elle entraînait, dans les pays en développement, des « émeutes de la faim ». Un peu partout dans le monde, des hommes et des femmes dépensaient davantage d’argent pour s’alimenter et réduisaient leur consommation de produits de base.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, constatait alors que « ce sont les pauvres des pauvres qui souffrent le plus de cette situation, car ils dépensent les deux tiers de leur budget dans l’alimentation ».

Sept mois après, alors que les cours mondiaux se sont écroulés, l’inquiétude reste présente dans les pays du Sud. « Le problème est loin d’être résolu. Au niveau local, les baisses des cours mondiaux ne se répercutent pas immédiatement sur les marchés. Ces variations montrent aussi que l’on n’a pas supprimé la volatilité des cours. Celle-ci empêche les États de prévoir leurs ressources », estime-t-on au ministère français des affaires étrangères.
De bonnes récoltes en 2008

2008 aura été une excellente année de récoltes. « L’année a bénéficié d’un climat favorable dans presque toutes les zones de production. Le rendement a atteint un niveau record en blé, élevé en maïs et en soja », note Catherine Mollière.

Encouragés par la flambée des cours, les agriculteurs africains et européens ont beaucoup plus planté et ainsi plus récolté. Du coup, les stocks mondiaux, au plus bas il y a encore six mois, commencent à se reconstituer. « Les stocks sont encore faibles mais ils ne sont plus à un niveau critique », constate Christophe Gouel, au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).

L’existence de ces stocks rassure et aide à limiter la spéculation et la volatilité des prix qu’elle entraîne. Du côté des prix du fret, le retournement des cours mondiaux est encore plus saisissant. Depuis juin, l’indice « Baltic Dry Index » – qui mesure les prix de transport de marchandises en vrac – a été divisé par 10 !
L'idée d'un "partenariat mondial"

Les politiques ne sont pas pour grand-chose dans ce brusque retournement des cours. « On a évité la catastrophe et les grandes mobilisations dans les pays du Sud se sont éteintes.

Mais toutes les conditions sont encore là pour l’apparition d’autres crises. Rien n’a été fait en matière de régulation », estime Ambroise Mazal au CCFD. Il prend date pour la prochaine conférence sur « la sécurité alimentaire pour tous » qui se tiendra à Madrid les 26 et 27 janvier prochains.

Au ministère français des affaires étrangères, on rappelle l’idée d’un « partenariat mondial » lancé par Nicolas Sarkozy à Rome en juin dernier. « Cette initiative a comme objectif une meilleure coordination entre les institutions internationales qui traitent de l’alimentation. Nicolas Sarkozy souhaite aussi la création d’un espace politique où l’on traiterait de sécurité alimentaire, sans pour cela créer de nouvel organisme. »

Dans les pays du Sud, les aides promises par les gouvernements pendant les « émeutes de la faim » n’ont pas toujours été une réalité. « Au Sénégal, nous avons constaté beaucoup d’effets d’annonces, mais peu de l’aide promise – par exemple pour l’achat d’engrais – est effectivement arrivé jusqu’aux intéressés », relève Cecilia Bellora, à la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm).
Vers une réduction de l’aide publique au développement ?

La crise mondiale semble avoir calmé seule les cours des produits agricoles. Mais elle pourrait maintenant menacer les économies des pays du Sud. « À l’avenir, c’est un danger plus important que la crise alimentaire. Même si aucun pays africain n’a été affecté, jusqu’à présent, par les effets de l’éclatement de la bulle financière », estime-t-on à l’OCDE.

La baisse des prix des matières premières, notamment des hydrocarbures, commence à se ressentir dans le budget des pays producteurs du Sud, comme les États pétroliers du golfe de Guinée. L’OCDE constate que la demande chinoise en matières premières africaines a commencé à ralentir.

La crise pourrait aussi entraîner une réduction de l’aide publique au développement. L’institut de recherche américain Center for Global Development a établi que toute crise économique dans les pays développés conduisait à une réduction de l’aide aux pays en développement. « Avec la crise, les pays développés vont se retrouver face à des déficits budgétaires colossaux, qui peuvent les inciter à réduire ce poste de dépense », estime un des directeurs de l’OCDE.

« Ce sont les populations les plus précaires qui risquent de pâtir de cette crise, estime-t-on au Quai d’Orsay. Cette crise montre la nécessité d’améliorer la gouvernance économique mondiale. La montée en puissance du groupe du G20 rassemblant les pays émergents et développés est un progrès. Resterait à lui ajouter une ou plusieurs voix des pays les moins avancés. »

Pierre COCHEZ