Douze ans après la première alternance politique de son histoire, le peuple sénégalais vient de confirmer ce 25 mars 2012 qu’il est un peuple mûr qui sait prendre ses responsabilités quand l’intérêt général est menacé. En décidant de porter son choix sur vous pour présider aux destinées de notre pays, ce peuple entend recouvrer sa voix et sa liberté en restaurant les fondements de la république. Cette victoire est, donc, comme vous l’avez si bien compris, celle d’un peuple, qui marque ainsi sa volonté de ne plus laisser une élite arrogante et peu soucieuse de bonne gouvernance disposer de son sort comme elle l’entend. Les félicitations fusent de partout pour magnifier la grandeur de ce peuple qu’une volonté démesurée de patrimonialisation du pouvoir par une élite trop imbue de sa fausse splendeur avait fini par pousser dans ses derniers retranchements. Ce peuple, comme tout peuple qui est contraint d’arracher ce qui lui appartient, a fini par remettre les choses à l’endroit. Maintenant les chantiers qui vous attendent sont vastes mais leur réalisation ne relève pas de l’impossible. Au contraire !
Monsieur le Président, vous êtes bien placé pour vous rappeler qu’à l’aube de son accession au pouvoir en 2000, le président sortant fut adulé par tout un peuple comme celui-ci vous porte aujourd’hui dans son cœur. Au bout du compte, le pouvoir avait, comme qui dirait, fait perdre à notre chef le sens de la raison et des priorités, et les véritables préoccupations du peuple ne semblaient plus être les siennes. Pour votre quiétude et pour le bien de notre pays, nous souhaitons vivement que ce qui a emporté votre prédécesseur vous serve de leçon et que vous ne trahissiez pas la confiance aujourd’hui placée en vous par des millions de Sénégalais. Les chantiers qui vous attendent sont vastes et nombreux, disions-nous. Ils ont pour noms : refondation des institutions de la république et renforcement de la démocratie ; transparence dans la gestion des affaires publiques et satisfaction de la demande sociale.
Comme vous le savez, Monsieur le Président, la loi fondamentale de notre pays a fait l’objet de moult révisions durant la dernière décennie. Lesquelles révisions ont amené certains à pousser le cynisme jusqu’à comparer notre constitution à un chiffon entre les mains d’un président qui le manipule au gré de ses machinations politiques. Certes toutes les révisions constitutionnelles opérées sous Wade n’ont pas été « déconsolidantes », pour reprendre un terme utilisé par le constitutionnaliste, Ismaila Madior Fall. Mais l’exécutif a souvent usé de son influence pour obérer l’orthodoxie dans la pratique démocratique et, par la même occasion, affaiblir les institutions de la république. A titre d’exemples, on peut citer les révisions constitutionnelles relatives à la prorogation du mandat des députés en 2006 et 2007 sous prétexte que l’Etat devait repousser les élections législatives afin de faire face aux inondations provoquées par les pluies diluviennes qui avaient fait des ravages un peu partout dans le pays en 2005, et particulièrement dans la banlieue dakaroise. Dans la même logique de conservation du pouvoir, le camp du président sortant a procédé à l’allongement en 2008 du mandat présidentiel, qui passa ainsi du quinquennat au septennat. Enfin, la révision constitutionnelle la plus antidémocratique qui aurait pu sceller le sort de la démocratie sénégalaise est celle du 23 juin 2011, qui tentait d’introduire un ticket par le biais duquel le président et son colistier (une nouveauté dans l’organigramme institutionnel du pays) seraient élus s’ils bénéficiaient du seuil minimal de 25% des suffrages. Sentant le coup fourré que constituerait une telle révision, les citoyens se sont levés pour reprendre le pouvoir qu’ils ont délégué à leurs parlementaires dont la majorité n’était pas dans les dispositions pour empêcher qu’une telle forfaiture se produise.
Monsieur le Président, ces mêmes citoyens s’attendent à ce que vous soyez le porte étendard d’un Sénégal qui se place inexorablement sur le chemin de la démocratie et du développement. Comme vous avez dû le remarquer, l’explosion de joie qui a accueilli l’annonce de votre élection a été vite suivie d’une circonspection qui se justifie par l’amère expérience d’un peuple récemment trahi et qui n’entend plus verser dans l’euphorie d’un amour passionnel voué à un quelconque leader. Heureusement que vous disposez d’une plateforme adéquate pour porter haut le flambeau de la démocratie sénégalaise. Une application honnête et sincère de la charte de gouvernance démocratique des assises nationales auxquelles vous avez adhéré vous donne suffisamment les moyens de vos ambitions.
Ce que le peuple attend de vous, Monsieur le Président, c’est de lui donner un signal fort quant à votre volonté de rupture par rapport à ce qui se faisait auparavant. Il ne veut pas de démagogue au palais ni de despote, même éclairé. Ce peuple a eu marre de voir ses nobles idéaux de démocratie et de développement travestis. Et son cri du cœur a fini par se transformer en un slogan qui traduit toute sa révolte et son indignation face à la confiscation de ses libertés citoyennes. Cette révolte, Monsieur le Président, ne s’est pas émoussée ; elle est simplement en veille pour vous permettre de vous installer afin d’installer le pays sur les rails du développement attendu. Vous ne jouirez pas de l’état de grâce qui a fait confondre à votre prédécesseur patience et passivité, car un nouveau citoyen est né et son esprit ne se nourrit pas de sermons prodigués par de faux prophètes ou autres marchands d’illusions. Il ne se laisse pas non plus séduire par des promesses mirobolantes sans suite. Il se veut simplement acteur dans un état moderne dont le fonctionnement s’appuie sur les leviers élémentaires de la bonne gouvernance qui, à son tour, est fondée sur l’éthique et la justice sociale.
Monsieur le Président, ce que nous appelons communément la demande sociale suffit largement comme chantier pour que vous ne soyez tenté de songer un instant à dilapider nos maigres ressources dans le but de satisfaire une clientèle politique. La création de strapontins pour des membres de coalitions n’est pas nécessaire pour signifier votre reconnaissance à leur égard. Les Sénégalais vous attendent sur un terrain autre que celui de la redistribution d’opportunités par le biais d’un recasement de souteneurs opportunistes ou même sincères. Après tout, vous ne devez reconnaissance qu’au seul peuple sénégalais qui vous a élu et à qui vous rendrez compte. Lui seul appréciera si votre projet colle à ses aspirations de liberté politique, d’indépendance économique, et d’épanouissement social. A ce propos, nous avons entendu un de vos proches, Monsieur Seydou Gueye, pour ne pas le nommer, défendre un argument en faveur du maintien du Sénat, une institution budgétivore dont les ressources dégagées pour son fonctionnement pourraient être injectées dans l’éducation ou la santé. Même avec un mode d’élection plus démocratique, le Sénat n’est pas une priorité pour notre république. Certes nous devons pousser plus loin la décentralisation et améliorer les mécanismes de représentation des populations à la base, mais le dispositif institutionnel existant nous permet assurément d’atteindre nos objectifs d’approfondissement de notre démocratie. La priorité est donc ailleurs !
Monsieur le Président, comme en 2000, le monde s’émerveille à nouveau de notre capacité à faire triompher la démocratie. Certains poussent même leur désir d’encensement de notre démocratie jusqu’à parler «d’exception sénégalaise », oubliant le bilan macabre des douloureuses épisodes que nous avons vécues récemment. Il est vrai que dans une Afrique où il est rare de voir se produire des transitions démocratiques sans heurts, on ne peut que se féliciter de l’alternance réussie au Sénégal. Mais qu’est-ce qu’il y a de plus normal dans une démocratie que des élections se tiennent régulièrement et dans la transparence et que les acteurs acceptent le verdict des urnes ? Sans minimiser le sens ou la portée de l’alternance politique survenue au Sénégal, nous devons savoir raison garder et éviter de verser dans la vanité ou le narcissisme. Le seul combat qui vaille, c’est de consolider les acquis démocratiques, réconcilier le peuple avec ses dirigeants, garantir la paix sociale et assurer un développement durable.
Au travail, Monsieur le Président, et que Dieu bénisse votre mission à la tête du pays !
Serigne Ndiaye, Ph.D.
Directeur Résident
Council on International Educational Exchange
Monsieur le Président, vous êtes bien placé pour vous rappeler qu’à l’aube de son accession au pouvoir en 2000, le président sortant fut adulé par tout un peuple comme celui-ci vous porte aujourd’hui dans son cœur. Au bout du compte, le pouvoir avait, comme qui dirait, fait perdre à notre chef le sens de la raison et des priorités, et les véritables préoccupations du peuple ne semblaient plus être les siennes. Pour votre quiétude et pour le bien de notre pays, nous souhaitons vivement que ce qui a emporté votre prédécesseur vous serve de leçon et que vous ne trahissiez pas la confiance aujourd’hui placée en vous par des millions de Sénégalais. Les chantiers qui vous attendent sont vastes et nombreux, disions-nous. Ils ont pour noms : refondation des institutions de la république et renforcement de la démocratie ; transparence dans la gestion des affaires publiques et satisfaction de la demande sociale.
Comme vous le savez, Monsieur le Président, la loi fondamentale de notre pays a fait l’objet de moult révisions durant la dernière décennie. Lesquelles révisions ont amené certains à pousser le cynisme jusqu’à comparer notre constitution à un chiffon entre les mains d’un président qui le manipule au gré de ses machinations politiques. Certes toutes les révisions constitutionnelles opérées sous Wade n’ont pas été « déconsolidantes », pour reprendre un terme utilisé par le constitutionnaliste, Ismaila Madior Fall. Mais l’exécutif a souvent usé de son influence pour obérer l’orthodoxie dans la pratique démocratique et, par la même occasion, affaiblir les institutions de la république. A titre d’exemples, on peut citer les révisions constitutionnelles relatives à la prorogation du mandat des députés en 2006 et 2007 sous prétexte que l’Etat devait repousser les élections législatives afin de faire face aux inondations provoquées par les pluies diluviennes qui avaient fait des ravages un peu partout dans le pays en 2005, et particulièrement dans la banlieue dakaroise. Dans la même logique de conservation du pouvoir, le camp du président sortant a procédé à l’allongement en 2008 du mandat présidentiel, qui passa ainsi du quinquennat au septennat. Enfin, la révision constitutionnelle la plus antidémocratique qui aurait pu sceller le sort de la démocratie sénégalaise est celle du 23 juin 2011, qui tentait d’introduire un ticket par le biais duquel le président et son colistier (une nouveauté dans l’organigramme institutionnel du pays) seraient élus s’ils bénéficiaient du seuil minimal de 25% des suffrages. Sentant le coup fourré que constituerait une telle révision, les citoyens se sont levés pour reprendre le pouvoir qu’ils ont délégué à leurs parlementaires dont la majorité n’était pas dans les dispositions pour empêcher qu’une telle forfaiture se produise.
Monsieur le Président, ces mêmes citoyens s’attendent à ce que vous soyez le porte étendard d’un Sénégal qui se place inexorablement sur le chemin de la démocratie et du développement. Comme vous avez dû le remarquer, l’explosion de joie qui a accueilli l’annonce de votre élection a été vite suivie d’une circonspection qui se justifie par l’amère expérience d’un peuple récemment trahi et qui n’entend plus verser dans l’euphorie d’un amour passionnel voué à un quelconque leader. Heureusement que vous disposez d’une plateforme adéquate pour porter haut le flambeau de la démocratie sénégalaise. Une application honnête et sincère de la charte de gouvernance démocratique des assises nationales auxquelles vous avez adhéré vous donne suffisamment les moyens de vos ambitions.
Ce que le peuple attend de vous, Monsieur le Président, c’est de lui donner un signal fort quant à votre volonté de rupture par rapport à ce qui se faisait auparavant. Il ne veut pas de démagogue au palais ni de despote, même éclairé. Ce peuple a eu marre de voir ses nobles idéaux de démocratie et de développement travestis. Et son cri du cœur a fini par se transformer en un slogan qui traduit toute sa révolte et son indignation face à la confiscation de ses libertés citoyennes. Cette révolte, Monsieur le Président, ne s’est pas émoussée ; elle est simplement en veille pour vous permettre de vous installer afin d’installer le pays sur les rails du développement attendu. Vous ne jouirez pas de l’état de grâce qui a fait confondre à votre prédécesseur patience et passivité, car un nouveau citoyen est né et son esprit ne se nourrit pas de sermons prodigués par de faux prophètes ou autres marchands d’illusions. Il ne se laisse pas non plus séduire par des promesses mirobolantes sans suite. Il se veut simplement acteur dans un état moderne dont le fonctionnement s’appuie sur les leviers élémentaires de la bonne gouvernance qui, à son tour, est fondée sur l’éthique et la justice sociale.
Monsieur le Président, ce que nous appelons communément la demande sociale suffit largement comme chantier pour que vous ne soyez tenté de songer un instant à dilapider nos maigres ressources dans le but de satisfaire une clientèle politique. La création de strapontins pour des membres de coalitions n’est pas nécessaire pour signifier votre reconnaissance à leur égard. Les Sénégalais vous attendent sur un terrain autre que celui de la redistribution d’opportunités par le biais d’un recasement de souteneurs opportunistes ou même sincères. Après tout, vous ne devez reconnaissance qu’au seul peuple sénégalais qui vous a élu et à qui vous rendrez compte. Lui seul appréciera si votre projet colle à ses aspirations de liberté politique, d’indépendance économique, et d’épanouissement social. A ce propos, nous avons entendu un de vos proches, Monsieur Seydou Gueye, pour ne pas le nommer, défendre un argument en faveur du maintien du Sénat, une institution budgétivore dont les ressources dégagées pour son fonctionnement pourraient être injectées dans l’éducation ou la santé. Même avec un mode d’élection plus démocratique, le Sénat n’est pas une priorité pour notre république. Certes nous devons pousser plus loin la décentralisation et améliorer les mécanismes de représentation des populations à la base, mais le dispositif institutionnel existant nous permet assurément d’atteindre nos objectifs d’approfondissement de notre démocratie. La priorité est donc ailleurs !
Monsieur le Président, comme en 2000, le monde s’émerveille à nouveau de notre capacité à faire triompher la démocratie. Certains poussent même leur désir d’encensement de notre démocratie jusqu’à parler «d’exception sénégalaise », oubliant le bilan macabre des douloureuses épisodes que nous avons vécues récemment. Il est vrai que dans une Afrique où il est rare de voir se produire des transitions démocratiques sans heurts, on ne peut que se féliciter de l’alternance réussie au Sénégal. Mais qu’est-ce qu’il y a de plus normal dans une démocratie que des élections se tiennent régulièrement et dans la transparence et que les acteurs acceptent le verdict des urnes ? Sans minimiser le sens ou la portée de l’alternance politique survenue au Sénégal, nous devons savoir raison garder et éviter de verser dans la vanité ou le narcissisme. Le seul combat qui vaille, c’est de consolider les acquis démocratiques, réconcilier le peuple avec ses dirigeants, garantir la paix sociale et assurer un développement durable.
Au travail, Monsieur le Président, et que Dieu bénisse votre mission à la tête du pays !
Serigne Ndiaye, Ph.D.
Directeur Résident
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