De notre envoyé spécial à Oslo
Vingt et un ans après s'être vu décerner le prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, placée à l'époque en résidence surveillée à Rangoun, a pu enfin tenir samedi son discours de récipiendaire, dans la grande salle de la mairie d'Oslo. Un discours empreint d'émotion et de détermination, dans lequel l'icône birmane s'est dite prête à jouer «tout son rôle» dans le processus d'ouverture en cours.
Lors d'une interview diffusée ce samedi par la BBC, la «Dame», comme on la surnommait en Birmanie lorsque son nom était proscrit, a indiqué qu'elle souhaitait un amendement de la Constitution qui lui interdit actuellement de briguer la présidence du pays compte tenu de son mariage avec un étranger, l'orientaliste britannique Michael Aris, décédé en 1999.
Dans son intervention du Nobel, qui a duré environ une heure, Aung San Suu Kyi, le visage quelque peu émacié par la fatigue, elle aura 67 ans la semaine prochaine, a nommément cité le président Thein Sein, un ex-pilier de la junte militaire, en lui attribuant la «mise en mouvement des réformes», en Birmanie depuis le printemps 2011. «Des pas vers la démocratisation ont été accomplis», s'est-elle félicitée, devant un auditoire d'un millier de personnes au premier rang desquelles le roi Harald de Norvège, la reine Sonja et le prince héritier Haakon.
Optimisme prudent
Aung San Suu Kiy s'est néanmoins fait l'avocate d'un «optimisme prudent», mettant en relief les grandes difficultés du processus en cours dont elle dit qu'il est «réversible». «Nous espérons que des accords de cessez-le-feu mèneront à des règlements politiques», a-t-elle souhaité, en évoquant notamment les combats toujours en cours entre l'armée et la minorité ethnique des Kachins, dans le nord de la Birmanie.
La chef de l'opposition birmane a également souligné qu'au moment même où elle avait quitté Rangoun cette semaine, la violence se déchaînait à l'ouest du pays, entre la communauté bouddhiste et la minorité musulmane. Des affrontements qui ont fait cinquante morts ces deux dernières semaines, selon la presse officielle, et entraîné l'imposition de l'état de siège. «Partout, il y a des forces négatives qui sapent les fondations de la paix», a-t-elle déploré.
«J'ai été un prisonnier de conscience»
Son appel le plus vibrant aura été en faveur de la libération des prisonniers politiques. Celle qui a été privée de liberté pendant plus de quinze ans a exprimé ses craintes que «parce que les détenus les plus connus ont été libérés, les autres, les inconnus, seront oubliés». Et d'ajouter, en déchaînant un tonnerre d'applaudissements: «Si je suis devant vous, c'est parce que j'ai été un prisonnier de conscience.»
La dimension personnelle a souvent affleuré dans ce discours solennel. Le fils de l'opposante, Kim, né en 1977, était assis au premier rang. Aung San Suu Kyi a cité son autre fils, Alexander, son aîné de quatre ans. Tous deux étaient venus à Oslo, avec leur père recevoir le prix, le 10 décembre 1991, en l'absence de leur mère. Quatre ans plus tard, alors que Michael Aris était malade du cancer en Grande-Bretagne, Suu Kyi avait refusé de quitter la Birmanie pour le rejoindre, de crainte de n'être plus autorisée à revenir. Privilégiant son engagement politique, elle n'avait jamais pu revoir Michael Aris, qui décédera en 1999. Alexander n'était pas présent samedi à Oslo.
«Souvent, durant mon assignation à résidence, je me sentais comme si je n'appartenais plus au monde réel», a-t-elle dit, analysant également les leçons de sa foi bouddhiste. Elle apprendra à la radio, un soir de 1991, que le prix Nobel de la paix lui a été attribué. «Cela m'a ramenée une nouvelle fois dans le monde de la communauté humaine. (…) Nous n'allions pas être oubliés», a-t-elle expliqué. Comme elle, le dissident chinois Liu Xiabo, lauréat du prix 2010, n'a pu jusqu'à présent venir à Oslo recevoir son prix. «Nous espérons qu'il n'aura pas à attendre aussi longtemps que vous», a souhaité le président du Comité Nobel, Thorbjorn Jagland.
Par Alain Barluet
Vingt et un ans après s'être vu décerner le prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, placée à l'époque en résidence surveillée à Rangoun, a pu enfin tenir samedi son discours de récipiendaire, dans la grande salle de la mairie d'Oslo. Un discours empreint d'émotion et de détermination, dans lequel l'icône birmane s'est dite prête à jouer «tout son rôle» dans le processus d'ouverture en cours.
Lors d'une interview diffusée ce samedi par la BBC, la «Dame», comme on la surnommait en Birmanie lorsque son nom était proscrit, a indiqué qu'elle souhaitait un amendement de la Constitution qui lui interdit actuellement de briguer la présidence du pays compte tenu de son mariage avec un étranger, l'orientaliste britannique Michael Aris, décédé en 1999.
Dans son intervention du Nobel, qui a duré environ une heure, Aung San Suu Kyi, le visage quelque peu émacié par la fatigue, elle aura 67 ans la semaine prochaine, a nommément cité le président Thein Sein, un ex-pilier de la junte militaire, en lui attribuant la «mise en mouvement des réformes», en Birmanie depuis le printemps 2011. «Des pas vers la démocratisation ont été accomplis», s'est-elle félicitée, devant un auditoire d'un millier de personnes au premier rang desquelles le roi Harald de Norvège, la reine Sonja et le prince héritier Haakon.
Optimisme prudent
Aung San Suu Kiy s'est néanmoins fait l'avocate d'un «optimisme prudent», mettant en relief les grandes difficultés du processus en cours dont elle dit qu'il est «réversible». «Nous espérons que des accords de cessez-le-feu mèneront à des règlements politiques», a-t-elle souhaité, en évoquant notamment les combats toujours en cours entre l'armée et la minorité ethnique des Kachins, dans le nord de la Birmanie.
La chef de l'opposition birmane a également souligné qu'au moment même où elle avait quitté Rangoun cette semaine, la violence se déchaînait à l'ouest du pays, entre la communauté bouddhiste et la minorité musulmane. Des affrontements qui ont fait cinquante morts ces deux dernières semaines, selon la presse officielle, et entraîné l'imposition de l'état de siège. «Partout, il y a des forces négatives qui sapent les fondations de la paix», a-t-elle déploré.
«J'ai été un prisonnier de conscience»
Son appel le plus vibrant aura été en faveur de la libération des prisonniers politiques. Celle qui a été privée de liberté pendant plus de quinze ans a exprimé ses craintes que «parce que les détenus les plus connus ont été libérés, les autres, les inconnus, seront oubliés». Et d'ajouter, en déchaînant un tonnerre d'applaudissements: «Si je suis devant vous, c'est parce que j'ai été un prisonnier de conscience.»
La dimension personnelle a souvent affleuré dans ce discours solennel. Le fils de l'opposante, Kim, né en 1977, était assis au premier rang. Aung San Suu Kyi a cité son autre fils, Alexander, son aîné de quatre ans. Tous deux étaient venus à Oslo, avec leur père recevoir le prix, le 10 décembre 1991, en l'absence de leur mère. Quatre ans plus tard, alors que Michael Aris était malade du cancer en Grande-Bretagne, Suu Kyi avait refusé de quitter la Birmanie pour le rejoindre, de crainte de n'être plus autorisée à revenir. Privilégiant son engagement politique, elle n'avait jamais pu revoir Michael Aris, qui décédera en 1999. Alexander n'était pas présent samedi à Oslo.
«Souvent, durant mon assignation à résidence, je me sentais comme si je n'appartenais plus au monde réel», a-t-elle dit, analysant également les leçons de sa foi bouddhiste. Elle apprendra à la radio, un soir de 1991, que le prix Nobel de la paix lui a été attribué. «Cela m'a ramenée une nouvelle fois dans le monde de la communauté humaine. (…) Nous n'allions pas être oubliés», a-t-elle expliqué. Comme elle, le dissident chinois Liu Xiabo, lauréat du prix 2010, n'a pu jusqu'à présent venir à Oslo recevoir son prix. «Nous espérons qu'il n'aura pas à attendre aussi longtemps que vous», a souhaité le président du Comité Nobel, Thorbjorn Jagland.
Par Alain Barluet