Un inconnu à Matignon? Pas pour tout le monde. Nommé mardi à 16 h 46 premier ministre par le président de la République tout juste investi François Hollande, Jean-Marc Ayrault a derrière lui une solide carrière politique. Mais de l'aveu même de ses plus proches conseillers, l'homme s'est toujours tenu à distance respectable des lumières qu'auraient pourtant pu lui attirer ses responsabilités successives à la tête de la ville de Nantes d'abord, au sein du Parti socialiste ensuite, à la direction du groupe PS à l'Assemblée nationale enfin. Homme discret, certains disent «effacé», d'autres «terne», Jean-Marc Ayrault n'a pas le talent oratoire qui propulse rapidement devant les caméras. «C'est vrai qu'il n'a pas une aisance médiatique naturelle, reconnaît l'un de ses proches. D'ailleurs, il a même refusé l'émission de Laurent Ruquier.» D'où sans doute cette réaction largement répandue ces derniers jours à l'évocation de sa nomination à Matignon: Jean-Marc qui?
«Méritocratie républicaine»
Ayrault donc. Et dont une biographie express pourrait raconter en quelques lignes qu'il est né le 25 janvier 1950 à Maulévrier dans le Maine-et-Loire, d'un père ouvrier et d'une mère ouvrière, pour finalement devenir, soixante-deux ans plus tard, le vingtième premier ministre. Une vue d'ensemble qui permet de lui accoler d'office l'étiquette de «pur produit de la méritocratie républicaine». Mais le raccourci est rapide. Et pour comprendre comment Jean-Marc Ayrault a pu ainsi accéder à l'une des plus prestigieuses fonctions de la Ve République, il convient de s'arrêter sur les grandes étapes de sa carrière. Retenons en trois.
D'abord son adhésion au PS en 1971 à l'occasion du congrès d'Épinay, date fondatrice dans la marche de François Mitterrand vers l'Élysée. Professeur d'allemand, une langue qu'il maîtrise parfaitement - ce qui constitue un atout pour Matignon -, il arrive du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne, où il a rencontré son épouse. Jean-Marc Ayrault se lie à Jean Poperen, sur l'aile gauche du parti, alors partisan d'un dialogue permanent avec les partenaires sociaux. C'est là qu'il remporte sa première élection municipale en battant le RPR Michel Chauty à Saint-Herblain dans la banlieue nantaise. Parallèlement, il poursuit son ascension au PS en entrant en 1979 au comité directeur du parti puis, en 1981, au bureau exécutif après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Assez logiquement, il obtient ensuite l'investiture du PS en Loire-Atlantique pour les élections législatives de 1986. Il remportera le scrutin et sera ensuite député sans discontinuer jusqu'à aujourd'hui. Fin de la première étape. La deuxième commence trois ans plus tard à Nantes.
Là encore, il s'agit d'arracher une ville à la droite ; là encore il s'agit d'affronter Michel Chauty ; là encore, Jean-Marc Ayrault y parvient ; là encore, il occupera la fonction sans discontinuer jusqu'à aujourd'hui. Avec succès certes, puisque la ville est reconnue comme l'une des plus dynamiques du Grand Ouest et régulièrement louée pour sa douceur de vivre, mais avec aussi quelques polémiques inhérentes à ce type de mandat. Au XVIIIe siècle, Nantes était le point de départ du commerce triangulaire. «Il faut qu'une ville regarde son histoire», lance Jean-Marc Ayrault en inaugurant le Mémorial pour l'abolition de l'esclavage. Et se voit immédiatement reprocher d'avoir oublié qu'à Nantes, durant les guerres de Vendée, la ville célébrait des «mariages républicains» où des prêtres et des religieuses étaient attachés nus face à face dans des barques avant d'être coulés dans la Loire.
Autoritaire et pragmatique
Ce ne sera pas la seule polémique de ses mandats successifs. La construction d'un nouvel aéroport pour la ville, Notre-Dame-des-Landes, est toujours contestée. Sa condamnation, il y a plus de dix ans, pour favoritisme dans l'attribution d'un marché public est récemment ressortie. Au conseil municipal, son opposition l'accuse de se comporter de façon autoritaire et autocrate. Dans son camp, on loue à l'inverse son pragmatisme et son art du consensus. Quoi qu'il en soit, son ancrage à Nantes lui assure une solide légitimité d'élu de terrain. Revers de la médaille: il en souffre à Paris où la vie politique a du mal à s'ouvrir sur ses provinces avec un personnel pour beaucoup issu de l'ENA. Lui n'en est pas.
«Il a ressuscité une ville», plaide l'un de ses proches. Le parallèle se précise avec Pierre Mauroy qui avait connu les mêmes succès à Lille avant d'accéder à Matignon en 1981. Mais il reste une dernière étape à franchir, la troisième. Ce sera la présidence du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Elle lui échoit en 1997 après la dissolution ratée de Jacques Chirac. Et là encore, Jean-Marc Ayrault va faire preuve d'une longévité rare. Quinze ans à ce poste. Il y connaîtra tout. La gestion du pouvoir à laquelle il est associé avec Lionel Jospin à Matignon de 1997 à 2002. La défaite du 21 avril 2002. La lente et pénible reconstruction du PS les dix années suivantes. À la tête des députés PS, il veut incarner un pôle de stabilité pour les socialistes. Quand les siens se déchirent, lui se targue de maintenir l'unité de ses troupes face au pouvoir de droite. Et se tient systématiquement à l'écart des guerres de courant, même s'il penche depuis toujours pour Hollande.
Un profil d'«homme construit»
C'est d'ailleurs durant cette période à l'Assemblée nationale qu'il apprend à connaître l'homme qui est alors premier secrétaire du PS et député de Corrèze. Dans l'Hémicycle, il est assis à sa gauche. Les combats qu'il mène, comme celui sur le port du voile à l'école, lui valent le respect de ses adversaires de droite et notamment celui de Jean-Louis Debré, lorsqu'il présidait l'Assemblée nationale. Dans les moments plus chauds, il monte à la tribune mais se montre souvent piètre orateur. Il n'a pas le talent d'un François Hollande ou, dans le camp d'en face, d'un François Fillon pour jouer des effets de tribune. Lui, donne toujours l'impression d'en faire trop. On le dit austère, froid, distant. Pas tout à fait. En novembre dernier, lorsqu'on lui faisait remarquer que son nom figurait sur la short list des premiers ministrables, il en rosissait d'aise et bafouillait mollement«ce n'est pas le moment». Désormais ça l'est. Et chez les socialistes, on veut croire que ce profil d'«homme construit» sera de nature à rassurer.
Mais pour François Hollande peu importent les critiques, Jean-Marc Ayrault a sa confiance. Lorsque le candidat socialiste décrivait le profil de son futur premier ministre, il évoquait quelqu'un «qui connaît bien le PS, qui connaît bien les députés, et qui me connaît bien». C'était donc lui.
Par François-Xavier Bourmaud
«Méritocratie républicaine»
Ayrault donc. Et dont une biographie express pourrait raconter en quelques lignes qu'il est né le 25 janvier 1950 à Maulévrier dans le Maine-et-Loire, d'un père ouvrier et d'une mère ouvrière, pour finalement devenir, soixante-deux ans plus tard, le vingtième premier ministre. Une vue d'ensemble qui permet de lui accoler d'office l'étiquette de «pur produit de la méritocratie républicaine». Mais le raccourci est rapide. Et pour comprendre comment Jean-Marc Ayrault a pu ainsi accéder à l'une des plus prestigieuses fonctions de la Ve République, il convient de s'arrêter sur les grandes étapes de sa carrière. Retenons en trois.
D'abord son adhésion au PS en 1971 à l'occasion du congrès d'Épinay, date fondatrice dans la marche de François Mitterrand vers l'Élysée. Professeur d'allemand, une langue qu'il maîtrise parfaitement - ce qui constitue un atout pour Matignon -, il arrive du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne, où il a rencontré son épouse. Jean-Marc Ayrault se lie à Jean Poperen, sur l'aile gauche du parti, alors partisan d'un dialogue permanent avec les partenaires sociaux. C'est là qu'il remporte sa première élection municipale en battant le RPR Michel Chauty à Saint-Herblain dans la banlieue nantaise. Parallèlement, il poursuit son ascension au PS en entrant en 1979 au comité directeur du parti puis, en 1981, au bureau exécutif après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Assez logiquement, il obtient ensuite l'investiture du PS en Loire-Atlantique pour les élections législatives de 1986. Il remportera le scrutin et sera ensuite député sans discontinuer jusqu'à aujourd'hui. Fin de la première étape. La deuxième commence trois ans plus tard à Nantes.
Là encore, il s'agit d'arracher une ville à la droite ; là encore il s'agit d'affronter Michel Chauty ; là encore, Jean-Marc Ayrault y parvient ; là encore, il occupera la fonction sans discontinuer jusqu'à aujourd'hui. Avec succès certes, puisque la ville est reconnue comme l'une des plus dynamiques du Grand Ouest et régulièrement louée pour sa douceur de vivre, mais avec aussi quelques polémiques inhérentes à ce type de mandat. Au XVIIIe siècle, Nantes était le point de départ du commerce triangulaire. «Il faut qu'une ville regarde son histoire», lance Jean-Marc Ayrault en inaugurant le Mémorial pour l'abolition de l'esclavage. Et se voit immédiatement reprocher d'avoir oublié qu'à Nantes, durant les guerres de Vendée, la ville célébrait des «mariages républicains» où des prêtres et des religieuses étaient attachés nus face à face dans des barques avant d'être coulés dans la Loire.
Autoritaire et pragmatique
Ce ne sera pas la seule polémique de ses mandats successifs. La construction d'un nouvel aéroport pour la ville, Notre-Dame-des-Landes, est toujours contestée. Sa condamnation, il y a plus de dix ans, pour favoritisme dans l'attribution d'un marché public est récemment ressortie. Au conseil municipal, son opposition l'accuse de se comporter de façon autoritaire et autocrate. Dans son camp, on loue à l'inverse son pragmatisme et son art du consensus. Quoi qu'il en soit, son ancrage à Nantes lui assure une solide légitimité d'élu de terrain. Revers de la médaille: il en souffre à Paris où la vie politique a du mal à s'ouvrir sur ses provinces avec un personnel pour beaucoup issu de l'ENA. Lui n'en est pas.
«Il a ressuscité une ville», plaide l'un de ses proches. Le parallèle se précise avec Pierre Mauroy qui avait connu les mêmes succès à Lille avant d'accéder à Matignon en 1981. Mais il reste une dernière étape à franchir, la troisième. Ce sera la présidence du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Elle lui échoit en 1997 après la dissolution ratée de Jacques Chirac. Et là encore, Jean-Marc Ayrault va faire preuve d'une longévité rare. Quinze ans à ce poste. Il y connaîtra tout. La gestion du pouvoir à laquelle il est associé avec Lionel Jospin à Matignon de 1997 à 2002. La défaite du 21 avril 2002. La lente et pénible reconstruction du PS les dix années suivantes. À la tête des députés PS, il veut incarner un pôle de stabilité pour les socialistes. Quand les siens se déchirent, lui se targue de maintenir l'unité de ses troupes face au pouvoir de droite. Et se tient systématiquement à l'écart des guerres de courant, même s'il penche depuis toujours pour Hollande.
Un profil d'«homme construit»
C'est d'ailleurs durant cette période à l'Assemblée nationale qu'il apprend à connaître l'homme qui est alors premier secrétaire du PS et député de Corrèze. Dans l'Hémicycle, il est assis à sa gauche. Les combats qu'il mène, comme celui sur le port du voile à l'école, lui valent le respect de ses adversaires de droite et notamment celui de Jean-Louis Debré, lorsqu'il présidait l'Assemblée nationale. Dans les moments plus chauds, il monte à la tribune mais se montre souvent piètre orateur. Il n'a pas le talent d'un François Hollande ou, dans le camp d'en face, d'un François Fillon pour jouer des effets de tribune. Lui, donne toujours l'impression d'en faire trop. On le dit austère, froid, distant. Pas tout à fait. En novembre dernier, lorsqu'on lui faisait remarquer que son nom figurait sur la short list des premiers ministrables, il en rosissait d'aise et bafouillait mollement«ce n'est pas le moment». Désormais ça l'est. Et chez les socialistes, on veut croire que ce profil d'«homme construit» sera de nature à rassurer.
Mais pour François Hollande peu importent les critiques, Jean-Marc Ayrault a sa confiance. Lorsque le candidat socialiste décrivait le profil de son futur premier ministre, il évoquait quelqu'un «qui connaît bien le PS, qui connaît bien les députés, et qui me connaît bien». C'était donc lui.
Par François-Xavier Bourmaud