Le chanteur Baaba Maal n’est pas d’un naturel expansif. Il partage une certaine réserve avec un autre grand de la musique sénégalaise, Omar Pène, le chanteur du Super Diamono. Et contrairement à Youssou Ndour, cette star de la musique world ne s’est pas impliquée directement dans la vie politique de son pays. On ne l’a guère entendu, même au moment des émeutes du 23 juin 2011, qui ont contraint le président Abdoulaye Wade à faire marche arrière sur son énième projet de réforme constitutionnelle. L’enfant de Podor, une ville du Fouta située au nord du Sénégal, n’en reste pas moins engagé, à sa manière. Ambassadeur des Nations unies, avec d’autres artistes africains, pour un programme de promotion des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), il devait lancer un appel à Dakar, le 30 novembre, à la veille de la journée mondiale de lutte contre le Sida.
«Je m’identifie à la Charte du Mandé»
A trois mois des élections prévues pour février 2012, il veut rappeler à leurs responsabilités les dirigeants (actuels et à venir) du pays : «Il y a des appréhensions, des attentes, dit-il. Je vais faire appel au calme, à la maturité. On va devoir interpeller nos leaders pour avoir des élections propres et respectables, qui ne permettent aucun doute. Celui qui gagnera devra se rendre compte qu’il a des choses à faire pour la santé, l’éducation, l’accès à la technologie pour la jeunesse.» Pour Baaba Maal, l’engagement des musiciens relève à la fois de l’évidence et de la tradition. Son propre groupe ne s’appelle-t-il pas Daandé Lenol (La voix du peuple, en pulaar)? Il cite les artistes ivoiriens Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy, mais aussi Bob Marley. Sans oublier «les grands griots des siècles passés qui ont été à certains moments des consciences morales». Partisan du dialogue, il rappelle que l’ancien empire du Mali était basé sur la culture. Et que la Charte du Mandé a posé les premiers jalons de ce qu’on a appelé plus tard les droits de l’homme. La crise ivoirienne ne lui a pas inspiré de nouvelles chansons, mais plutôt des prières et l’envie de reprendre l’un de ses anciens titres, Dental (l’unité). Il explique le sens de cette chanson : «A chaque nouvelle élection, les gens élisent des leaders, qui reviennent chaque fois pour décevoir. Il faut prendre le temps de réfléchir avant d’aller aux urnes, pour savoir qui sont ces gens et quels sont leurs programmes. A chaque élection, la manipulation, la corruption entre en jeu. Au lieu de nous battre les uns contre les autres, il faut mordre la main qui nous tient dans un sac et nous enfonce dans l’eau.»
«Nelson Mandela est mon modèle»
Baaba Maal dénonce aussi le gouffre entre les politiques et la population. Les responsables n’écoutent pas les deux grands groupes qui sont le moteur d’une société: les jeunes, dit-il, et les femmes. Son modèle? L’ancien prisonnier politique et ancien président sud-africain Nelson Mandela, qu’il a rencontré, lors d’un concert organisé en avril 2001 pour lui rendre hommage à Londres. Il se souvient : «Nelson Mandela m’a dit que le message des artistes est plus important que celui des politiciens, parce qu’il touche le coeur des gens, dans les bureaux, les cuisines, les supermarchés.» Voix unique, Baaba Maal représente un parcours atypique dans la musique du Sénégal. Il a eu son bac très jeune, décroché en candidat libre à la fin de la classe de première : «Je voulais aller à Dakar rapidement, raconte-t-il, pour soutenir sa mère, qui avait perdu un de mes oncles. Je ne savais pas que la musique m’attendait au coin de la rue.» Après six mois à la faculté de lettres, il bifurque vers le conservatoire de Dakar. Il y passera quatre ans, se destinant à un avenir de professeur de musique. Mais ses rencontres le mèneront ailleurs. Lorsqu’il arpente son pays avec le griot Mansour Seck, il rêve d’une carrière à l’intérieur des frontières du Sénégal. Il séjourne ensuite à Paris, où il apprend la musique occidentale au conservatoire, puis à Londres, où il rencontre Chris Blackwell, le producteur d’Island Records, le label de Bob Marley. Sur les rives de la Tamise, il se lie d’amitié avec Peter Gabriel et Bono, le chanteur de U2.
«Le wolof est incontournable au Sénégal»
Comme Salif Keita et Angélique Kidjo, il enregistre ses premiers disques chez Mango, division d’Island Records et label phare de la musique world. Aujourd’hui âgé de 58 ans, le chanteur ne nie pas l’influence de son père, un pêcheur qui était aussi muezzin et aimait la musique. A son époque, la vie en société à Podor était une véritable école, rappelle-t-il, non sans une pointe de nostalgie : «L’éducation venait de partout. On apprenait tout d’une façon détendue et agréable, avec les parents, la famille au sens large, les gens qui revenaient de France et nous racontaient leurs expériences. Rien à voir avec le Sénégal d’aujourd’hui, où la société est devenue plus dure.» Aux yeux de l’artiste, quelque chose avait déjà changé au Sénégal avant la dévaluation du franc CFA, en 1994. Une manœuvre monétaire qui a divisé par deux le pouvoir d’achat des Sénégalais, du jour au lendemain. Si la conception traditionnelle de la vie en société s’est effacée, la culture sénégalaise persiste, note le chanteur, avec ce qui fait la marque du pays : les percussions, le sabar (instrument de musique et fête), les baptêmes et autres cérémonies. Baaba Maal a longtemps été perçu comme le chanteur peul du Sénégal, à cause de ses origines et de son style, musical, ancré dans la tradition : «On a essayé de me mettre dans ce carcan, mais en réalité, j’ai commencé à chanter en wolof, la langue que l’on parle le plus à Podor et la langue qu’il faut aussi utiliser, si l’on veut se faire comprendre à travers le pays.»
«L’unité a fricaine est toujours possible».
Dans son tube international African Woman, sorti en 1994, il explique avoir utilisé plusieurs langues, dont l’anglais, pour faire passer son message auprès des cadres et dirigeants de l’Afrique anglophone. Il a fait baigner cette chanson dans une «sauce salsa, la musique cubaine avec laquelle les gens de cette génération ont grandi.» Le chanteur se définit comme un artiste ouvert. Il est prêt à composer avec les plus jeunes, comme le rappeur Duggy Tee, avec qui il a signé en avril dernier le titre Fulani. «Je suis nomade. Je suis Peul. Je ne vois pas de frontières entre moi et les autres.» Dans son groupe, les influences se mélangent, à l’image des différentes ethnies du Sénégal : «Les Wolofs, qui vivent le long de la côte et à Dakar, ont beaucoup à apporter : le sabar, le tama (petit tambour d’aisselle, ndlr), les percussions en général. De leur côté, les ethnies de l’intérieur du pays ont une tradition musicale qui repose plus sur la mélodie, avec la guitare, la flûte, le violon, le xalam (un luth traditionnel, ndlr). Les deux apports sont très riches, et les musiciens sénégalais l’ont bien compris.» Le public de Baaba Maal transcende largement les frontières. Il s’étend du Sénégal au Mali, en passant par la Guinée, la Côte d’Ivoire et la diaspora ouest-africaine. Question de génération ? Il croit encore et toujours à l’unité africaine : «C’est peut-être utopique, mais l’aventure lui paraît possible.
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lu sur PiccMi.Com - La Rédaction
«Je m’identifie à la Charte du Mandé»
A trois mois des élections prévues pour février 2012, il veut rappeler à leurs responsabilités les dirigeants (actuels et à venir) du pays : «Il y a des appréhensions, des attentes, dit-il. Je vais faire appel au calme, à la maturité. On va devoir interpeller nos leaders pour avoir des élections propres et respectables, qui ne permettent aucun doute. Celui qui gagnera devra se rendre compte qu’il a des choses à faire pour la santé, l’éducation, l’accès à la technologie pour la jeunesse.» Pour Baaba Maal, l’engagement des musiciens relève à la fois de l’évidence et de la tradition. Son propre groupe ne s’appelle-t-il pas Daandé Lenol (La voix du peuple, en pulaar)? Il cite les artistes ivoiriens Tiken Jah Fakoly et Alpha Blondy, mais aussi Bob Marley. Sans oublier «les grands griots des siècles passés qui ont été à certains moments des consciences morales». Partisan du dialogue, il rappelle que l’ancien empire du Mali était basé sur la culture. Et que la Charte du Mandé a posé les premiers jalons de ce qu’on a appelé plus tard les droits de l’homme. La crise ivoirienne ne lui a pas inspiré de nouvelles chansons, mais plutôt des prières et l’envie de reprendre l’un de ses anciens titres, Dental (l’unité). Il explique le sens de cette chanson : «A chaque nouvelle élection, les gens élisent des leaders, qui reviennent chaque fois pour décevoir. Il faut prendre le temps de réfléchir avant d’aller aux urnes, pour savoir qui sont ces gens et quels sont leurs programmes. A chaque élection, la manipulation, la corruption entre en jeu. Au lieu de nous battre les uns contre les autres, il faut mordre la main qui nous tient dans un sac et nous enfonce dans l’eau.»
«Nelson Mandela est mon modèle»
Baaba Maal dénonce aussi le gouffre entre les politiques et la population. Les responsables n’écoutent pas les deux grands groupes qui sont le moteur d’une société: les jeunes, dit-il, et les femmes. Son modèle? L’ancien prisonnier politique et ancien président sud-africain Nelson Mandela, qu’il a rencontré, lors d’un concert organisé en avril 2001 pour lui rendre hommage à Londres. Il se souvient : «Nelson Mandela m’a dit que le message des artistes est plus important que celui des politiciens, parce qu’il touche le coeur des gens, dans les bureaux, les cuisines, les supermarchés.» Voix unique, Baaba Maal représente un parcours atypique dans la musique du Sénégal. Il a eu son bac très jeune, décroché en candidat libre à la fin de la classe de première : «Je voulais aller à Dakar rapidement, raconte-t-il, pour soutenir sa mère, qui avait perdu un de mes oncles. Je ne savais pas que la musique m’attendait au coin de la rue.» Après six mois à la faculté de lettres, il bifurque vers le conservatoire de Dakar. Il y passera quatre ans, se destinant à un avenir de professeur de musique. Mais ses rencontres le mèneront ailleurs. Lorsqu’il arpente son pays avec le griot Mansour Seck, il rêve d’une carrière à l’intérieur des frontières du Sénégal. Il séjourne ensuite à Paris, où il apprend la musique occidentale au conservatoire, puis à Londres, où il rencontre Chris Blackwell, le producteur d’Island Records, le label de Bob Marley. Sur les rives de la Tamise, il se lie d’amitié avec Peter Gabriel et Bono, le chanteur de U2.
«Le wolof est incontournable au Sénégal»
Comme Salif Keita et Angélique Kidjo, il enregistre ses premiers disques chez Mango, division d’Island Records et label phare de la musique world. Aujourd’hui âgé de 58 ans, le chanteur ne nie pas l’influence de son père, un pêcheur qui était aussi muezzin et aimait la musique. A son époque, la vie en société à Podor était une véritable école, rappelle-t-il, non sans une pointe de nostalgie : «L’éducation venait de partout. On apprenait tout d’une façon détendue et agréable, avec les parents, la famille au sens large, les gens qui revenaient de France et nous racontaient leurs expériences. Rien à voir avec le Sénégal d’aujourd’hui, où la société est devenue plus dure.» Aux yeux de l’artiste, quelque chose avait déjà changé au Sénégal avant la dévaluation du franc CFA, en 1994. Une manœuvre monétaire qui a divisé par deux le pouvoir d’achat des Sénégalais, du jour au lendemain. Si la conception traditionnelle de la vie en société s’est effacée, la culture sénégalaise persiste, note le chanteur, avec ce qui fait la marque du pays : les percussions, le sabar (instrument de musique et fête), les baptêmes et autres cérémonies. Baaba Maal a longtemps été perçu comme le chanteur peul du Sénégal, à cause de ses origines et de son style, musical, ancré dans la tradition : «On a essayé de me mettre dans ce carcan, mais en réalité, j’ai commencé à chanter en wolof, la langue que l’on parle le plus à Podor et la langue qu’il faut aussi utiliser, si l’on veut se faire comprendre à travers le pays.»
«L’unité a fricaine est toujours possible».
Dans son tube international African Woman, sorti en 1994, il explique avoir utilisé plusieurs langues, dont l’anglais, pour faire passer son message auprès des cadres et dirigeants de l’Afrique anglophone. Il a fait baigner cette chanson dans une «sauce salsa, la musique cubaine avec laquelle les gens de cette génération ont grandi.» Le chanteur se définit comme un artiste ouvert. Il est prêt à composer avec les plus jeunes, comme le rappeur Duggy Tee, avec qui il a signé en avril dernier le titre Fulani. «Je suis nomade. Je suis Peul. Je ne vois pas de frontières entre moi et les autres.» Dans son groupe, les influences se mélangent, à l’image des différentes ethnies du Sénégal : «Les Wolofs, qui vivent le long de la côte et à Dakar, ont beaucoup à apporter : le sabar, le tama (petit tambour d’aisselle, ndlr), les percussions en général. De leur côté, les ethnies de l’intérieur du pays ont une tradition musicale qui repose plus sur la mélodie, avec la guitare, la flûte, le violon, le xalam (un luth traditionnel, ndlr). Les deux apports sont très riches, et les musiciens sénégalais l’ont bien compris.» Le public de Baaba Maal transcende largement les frontières. Il s’étend du Sénégal au Mali, en passant par la Guinée, la Côte d’Ivoire et la diaspora ouest-africaine. Question de génération ? Il croit encore et toujours à l’unité africaine : «C’est peut-être utopique, mais l’aventure lui paraît possible.
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