Ça sent comme les odeurs d’ordures qui pullulent actuellement dans la capitale sénégalaise. De mieux en mieux débusqué dans les pays déjà rompus aux techniques de lutte, le blanchiment d’argent fait le tour de la planète à la recherche de territoires moins bien armés ou carrément pas regardants. Le fléau a atterrit au Sénégal où ça sent de plus en mauvais depuis des années.
En 2006, soixante (60) déclarations de soupçon auraient été reçues par la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (Centif) du Sénégal dont la mission est de recueillir et de traiter les informations financières transmises par les assujettis sous forme de déclarations de soupçon. En 2007, le nombre serait passé à soixante (72) déclarations. La Centif avait alors révélé que les valeurs relatives aux dossiers transmis s’établissaient à un peu plus de 88 milliards FCfa dont seulement 459 millions qui avaient fait l’objet d’une opposition par ladite cellule et confirmée par le Juge d’instruction.
L’édition 2008 du rapport annuel du Giaba(Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest) épingle, encore une fois, le secteur de l’immobilier principalement et touche aussi du doigt la nécessité d’une culture bancaire dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Cette culture serait ainsi le moyen le plus sûr pour la conduite d’affaires en proposant des produits attractifs et flexibles sur le marché. Aussi, le rapport suggère-t-il que le défi à relever est celui d’attirer le plus grand nombre de clients et d’accroître les services afin de les étendre au-delà de la capitale.
Certes le rapport 2008 du Giaba salue les efforts accomplis par le secteur bancaire dans l’amélioration de la bancarisation et appelle à plus de dynamisme de la part des établissements bancaires dont le manque mènerait à ce qui est perçu comme étant un « blocage institutionnel » qui, en retour, encouragerait des pratiques bancaires parallèles et constitueraient une importante source de blanchiment de capitaux. Cependant une chose est sûre, en investissant beaucoup dans l’immobilier et les marchés des titres plutôt que d’innover dans de nouveaux produits et encourager ainsi une augmentation du pourcentage de l’utilisation des services bancaires dans le pays, la plupart des banques ne contribuent pas à réduire la prévalence du blanchiment d’argent au Sénégal.
En fait, si l’on se réfère au rapport 2007 du Giaba, c’est tout le système financier au Sénégal qui constitue le lit des crimes économiques et financiers et cela va aussi du secteur bancaire au secteur des assurances en passant par celui du change, des transferts, avec une grande prévalence au niveau des circuits informels, ou encore des Infd dont une surveillance institutionnelle apparaît absolument nécessaire pour enrayer le mal.
En se décloisonnant et s’internationalisant le système financier a permis à l’argent sale de mieux se cacher, mieux se mouvoir et mieux se mettre en valeur, parfois loin de son lieu géographique et social de genèse. Par ailleurs, dans l’exercice de leur fonction, les acteurs non financiers peuvent être appelés à réaliser, contrôler, conseiller sur des opérations entraînant des mouvements de capitaux. Ils sont avocats, notaires, commissaires aux comptes dont la responsabilité n’est pas moins importante que celle des assujettis non financiers dans la lutte contre le blanchiment d’argent.
En partenariat avec l’Association des barreaux de l’Afrique de l’Ouest, le Giaba avait d’ailleurs ouvert, le lundi 31 mars 2008 à Dakar, un séminaire de deux jours à l’endroit des avocats. Une rencontre qui entrait dans le cadre d’un Plan commun de formation et de sensibilisation des membres des barreaux de l’Afrique de l’Ouest sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
L’ouverture de ces assises avait été une opportunité pour les acteurs non financiers de s’impliquer davantage dans la lutte contre ce fléau qui représente une véritable menace pour l’économie convalescente des pays de la sous-région. Il apparaît que ces acteurs doivent faire face à une obligation de vigilance et diligence, une obligation de déclaration de soupçon, une de conservation et de communication des documents et une obligation de mise en place d’un système de contrôle interne.
En tout état de cause, lever le secret bancaire individuel des gestionnaires pourrait permettre la manifestation de la vérité, et cela ne peut qu’être un avantage pour la promotion de la bonne gouvernance. Il s’agit d’une exigence de modernité dans la gestion du patrimoine public qui devrait, autant que faire se peut, diminuer des atteintes récurrentes à la fortune publique, comme c’est souvent le cas en Afrique.
La transparence en matière bancaire signifie d’une part l’impossibilité pour la banque de masquer l’identité du titulaire du compte, et d’autre part la faculté pour les tiers d’accéder à l’information sur les comptes. La question paraît assez délicate dans la mesure où elle va à l’encontre des droits et des libertés individuelles. Les avoirs dont dispose une personne sur son compte sont le prolongement de son patrimoine. Il n’y a pas de raison que certains biens soient plus exposés que d’autres à l’examen des tiers. Le secret bancaire est alors un moyen de protection des titulaires de compte.
Toutefois, en dépit du droit au secret bancaire, il peut arriver, lorsque certaines circonstances l’exigent, que le secret bancaire soit levé. C’est le cas lors de contrôles ou d’enquêtes menés par certains organes publics, à l’instar du contrôle d’Etat ou des enquêtes policières. Dans ce contexte, ces structures exercent des prérogatives de puissance publique vis-à-vis des établissements de crédit. De même, des facteurs tels que l’internationalisation de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l’argent ont contribué à porter atteinte à la confidentialité des comptes.
Comment font les blanchisseurs
Avec la lutte de plus en plus importante contre le blanchiment d’argent auprès des banques et des paradis fiscaux, ainsi que la levée du secret bancaire sur ordre de la Justice, les criminels sont obligés de se tourner vers d’autres intermédiaires pour blanchir leur argent. Il semblerait que les commerces comme les bijouteries et les entreprises d’import-export sont les premières cibles pour blanchir l’argent. L’établissement de plusieurs fausses factures entre des sociétés écran permet également de faire croire que cet argent est tout à fait propre. Il existe en fait 3 phases complémentaires ou indépendantes pour blanchir des capitaux : le prélavage, le lavage et le recyclage. Mais dans ce contexte, l’imagination des criminels dans ce cas est presque sans limite :
Le schtroumpfage
C’est probablement la méthode la plus courante de blanchiment d’argent. Cette méthode nécessite l’implication de nombreuses personnes dont le rôle consiste à déposer des sommes en espèces dans des comptes bancaires ou à se procurer des traites bancaires de moins de 10 000 de la monnaie du pays afin d’éviter le seuil de déclaration.
La complicité bancaire
Il y a complicité bancaire lorsqu’un employé de la banque s’est impliqué criminellement afin de faciliter le processus du blanchiment d’argent. Toutefois, les criminels ont de plus en plus de difficulté à utiliser cette méthode en raison des principes directeurs, des pratiques et des procédés de formation préconisés.
Transfert de fonds et bureaux de change
Les entreprises de transfert de fonds et les bureaux de change mettent à la disposition de leurs clients des services qui leur permettent de se procurer des devises étrangères qui peuvent être emportées outre-frontière. On peut aussi, par l’entremise de ces bureaux, télégraphier des fonds à des comptes ouverts dans des banques étrangères. De même, il est possible de se procurer des mandats, des chèques bancaires ainsi que des chèques de voyage à travers ces entreprises.
Achat de biens au comptant
Les blanchisseurs achètent et paient en espèces des biens de grande valeur tels que des automobiles, des bateaux ou certains biens de luxe tels que des bijoux ou de l’équipement électronique. Ils utiliseront ces articles, mais ils s’en distancieront en les enregistrant ou en les achetant au nom d’un associé.
Mandats-poste
Cette technique consiste à échanger des sommes en espèces contre des mandats- poste, lesquels sont ensuite transmis à l’étranger pour fin de dépôt bancaire.
Cartes de crédit
Les malfaiteurs paient en trop le solde de leurs cartes de crédit et conservent un solde créditeur élevé pouvant être utilisé de nombreuses façons telles que l’achat de biens de valeur ou la conversion du solde créditeur en chèque bancaire.
Casinos
Les blanchisseurs se rendent au casino, où ils se procurent des jetons en échange d’argent comptant pour ensuite encaisser leurs jetons sous forme de chèque.
Arnaque à la loterie : Les trafiquants sont amenés à acheter un ticket de type PMU, jeu à gratter ou bulletin de loto gagnant au prix de la somme remportée, pour blanchir une somme moyenne d’argent sale.
Raffinage : Cette technique consiste à échanger de petites coupures contre des grosses dans le but d’en diminuer le volume. Pour ce faire, le blanchisseur échange des sommes d’argent d’une banque à l’autre afin d’éviter d’éveiller les soupçons. Cela sert à diminuer les grandes sommes d’argent.
Amalgamation de fonds dans des entreprises honnêtes : Les organisations criminelles ainsi que les individus qui y sont impliqués peuvent blanchir des fonds en investissant dans des entreprises qui affichent normalement un volume élevé de transactions au comptant afin d’incorporer des produits de la criminalité aux activités commerciales légitimes brassées par l’entreprise. Enfin, il arrive que des criminels achètent des commerces qui génèrent des recettes brutes par des ventes au comptant. C’est le cas des restaurants, bars, boîtes de nuit, hôtels, bureaux de change et compagnies de distributrices automatiques. Ils investissent ensuite ces fonds obtenus par des moyens frauduleux en les amalgamant à un revenu qui ne suffirait pas autrement à soutenir une entreprise honnête.
Altération des valeurs : Un blanchisseur peut acheter un bien immobilier d’une personne disposée à déclarer un prix de vente sensiblement inférieur à la valeur réelle du bien et se faire payer la différence en argent comptant « en cachette ». Le blanchisseur peut acheter, par exemple, une maison d’une valeur de deux millions de dollars pour seulement un million et transmettre en secret au vendeur le reste de l’argent qu’il lui doit. Après une certaine période de rétention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux millions de dollars.
Auto-prêt : Pour les besoins de cette technique, le trafiquant remet à un complice une somme d’argent illicite. Ce complice lui « prête » une somme équivalente, documents de prêt à l’appui, pour créer l’illusion que l’argent du criminel est légitime. Le calendrier de remboursement de l’emprunt par le criminel ajoute à l’apparence de légitimité de cette combine, et procure encore un autre moyen de transférer des fonds
Assurance-Vie : Comme étape de placement d’argent, il est possible de souscrire des contrats d’assurance-vie avec des primes très élevés et les faire annuler plus tard pour toucher que la moitié.
Pas si simple
L’expérience Centif en matière de lutte anti-blanchiment est encore très jeune, mais c’est en cela qu’elle est intéressante car faisant apparaître à l’intention des territoires non encore dotés d’instruments de lutte anti-blanchiment mais qui ne sauraient tarder à y procéder, les obstacles à surmonter pour traduire en réalités quotidiennes, les stratégies de lutte telles que définies sur la base des Conventions internationales, et conformément aux recommandations du GAFI articulées autour de 4 axes que sont la prévention du blanchiment, la détection du fait de blanchiment, l’incrimination et la répression, la coopération internationale.
La première difficulté rencontrée par la CENTIF Sénégal lors de ses premiers contacts avec les assujettis, était relative à la notion de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites. A l’exception des établissements financiers, filiales de grands groupes internationaux qui avaient déjà acquis une certaine pratique en la matière, l’ensemble des autres assujettis, et plus particulièrement les professions juridiques indépendantes (notaires, avocats, etc…), certaines banques locales, les organismes de micro crédit et autre ONG, ont eu du mal à définir la frontière entre leurs intérêts privés, et l’infiltration par leur biais, dans les circuits monétaires légaux, d’éventuels capitaux illicites.
Les nouveaux comportements imposés ainsi que la suspicion prescrite par la nouvelle loi semblaient antinomiques des intérêts privés de l’entreprise, et plus généralement des politiques d’ouverture, pour des raisons d’émergence économique, à l’investissement privé.
En réponse à ce constat, la CENTIF a, au cours des 6 à 8 premiers mois de son existence, multiplié séminaires et forums de formation, information, sensibilisation en direction des assujettis.
Cette activité aurait porté ses fruits. L’ensemble des assujettis au Sénégal semble avoir perçu la nécessité de se protéger des capitaux illicites qui, par leurs instabilité, leurs origines amorales et destructeurs du tissu social, sont nuisibles au pays en général mais aussi à l’entreprise privé de quelque type ou dimension qu’elle puisse être.
Autre particularité rencontrée : bien qu’ayant une relative connaissance de la matière, les filiales sénégalaises des grandes banques internationales, ont dû, dans le cadre de la définition des programmes internes, déterminer des politiques internes de lutte en fonction des réalités sénégalaises. Ainsi par exemple, le faible taux de bancarisation au Sénégal (entre 6 et 7%), et son pendant direct qu’est le grand usage en Afrique du paiement en espèces, n’est pas en phase avec les seuils définis par la loi. De ce point de vue, une politique sous régionale d’incitation à l’usage du compte et des instruments bancaires est mise en oeuvre par les autorités monétaires. L’autre résistance rencontrée par la Centif dans l’accomplissement de sa prérogative de sensibilisation des assujettis à leurs nouvelles obligations est relative aux déclarations d’opérations suspectes.
Instrument fondamental de détection du blanchiment, la DOS incombe aux assujettis qui, au Sénégal, ont rencontré les difficultés suivantes de mise en pratique.
Pour ce qui concerne les établissements financiers, outre qu’il a fallu définir en fonction des réalités du pays la notion d’opération suspecte, il fallait également former les employés en contact avec les clients à percevoir les anomalies tout en intégrant la particularité du grand usage d’espèces.
Dis-moi… Blanchiment
L’expression « blanchiment d’argent » (money laundering en anglais) vient du fait que l’argent acquis illégalement est appelé de l’argent sale (finance noire). Cet argent est souvent issu de trafics d’armes, de drogue, d’êtres humains ou d’autres activités mafieuses. Le blanchiment permet à cet argent de passer pour propre, c’est-à-dire de prendre une apparence honnête.
Une autre origine peu vraisemblable est souvent avancée : l’expression « blanchiment d’argent » viendrait du fait qu’Al Capone (chef d’une famille mafieuse) aurait racheté en 1928, à Chicago, une chaîne de blanchisseries : les Sanitary Cleaning Shops. Cette façade légale lui permettait ainsi de recycler les ressources tirées de ses nombreuses activités illicites. En réalité, l’expression n’apparaît qu’au cours des années 1970 autour du Watergate et il faut attendre 1982 pour qu’elle soit utilisée dans une affaire judiciaire.
Toutefois l’arrestation d’Al Capone pour fraude fiscale, et non pour les crimes commis, montre l’importance et la difficulté du blanchiment d’argent dans la lutte contre les organisations criminelles. Le mafioso Lucky Luciano et son bras droit Meyer Lansky comprirent dès 1932, l’importance d’inventer de nouvelles techniques de blanchiment de fonds, notamment grâce au réseau d’îles politiquement indépendantes, dit pays offshores.
En 2006, soixante (60) déclarations de soupçon auraient été reçues par la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (Centif) du Sénégal dont la mission est de recueillir et de traiter les informations financières transmises par les assujettis sous forme de déclarations de soupçon. En 2007, le nombre serait passé à soixante (72) déclarations. La Centif avait alors révélé que les valeurs relatives aux dossiers transmis s’établissaient à un peu plus de 88 milliards FCfa dont seulement 459 millions qui avaient fait l’objet d’une opposition par ladite cellule et confirmée par le Juge d’instruction.
L’édition 2008 du rapport annuel du Giaba(Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest) épingle, encore une fois, le secteur de l’immobilier principalement et touche aussi du doigt la nécessité d’une culture bancaire dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent.
Cette culture serait ainsi le moyen le plus sûr pour la conduite d’affaires en proposant des produits attractifs et flexibles sur le marché. Aussi, le rapport suggère-t-il que le défi à relever est celui d’attirer le plus grand nombre de clients et d’accroître les services afin de les étendre au-delà de la capitale.
Certes le rapport 2008 du Giaba salue les efforts accomplis par le secteur bancaire dans l’amélioration de la bancarisation et appelle à plus de dynamisme de la part des établissements bancaires dont le manque mènerait à ce qui est perçu comme étant un « blocage institutionnel » qui, en retour, encouragerait des pratiques bancaires parallèles et constitueraient une importante source de blanchiment de capitaux. Cependant une chose est sûre, en investissant beaucoup dans l’immobilier et les marchés des titres plutôt que d’innover dans de nouveaux produits et encourager ainsi une augmentation du pourcentage de l’utilisation des services bancaires dans le pays, la plupart des banques ne contribuent pas à réduire la prévalence du blanchiment d’argent au Sénégal.
En fait, si l’on se réfère au rapport 2007 du Giaba, c’est tout le système financier au Sénégal qui constitue le lit des crimes économiques et financiers et cela va aussi du secteur bancaire au secteur des assurances en passant par celui du change, des transferts, avec une grande prévalence au niveau des circuits informels, ou encore des Infd dont une surveillance institutionnelle apparaît absolument nécessaire pour enrayer le mal.
En se décloisonnant et s’internationalisant le système financier a permis à l’argent sale de mieux se cacher, mieux se mouvoir et mieux se mettre en valeur, parfois loin de son lieu géographique et social de genèse. Par ailleurs, dans l’exercice de leur fonction, les acteurs non financiers peuvent être appelés à réaliser, contrôler, conseiller sur des opérations entraînant des mouvements de capitaux. Ils sont avocats, notaires, commissaires aux comptes dont la responsabilité n’est pas moins importante que celle des assujettis non financiers dans la lutte contre le blanchiment d’argent.
En partenariat avec l’Association des barreaux de l’Afrique de l’Ouest, le Giaba avait d’ailleurs ouvert, le lundi 31 mars 2008 à Dakar, un séminaire de deux jours à l’endroit des avocats. Une rencontre qui entrait dans le cadre d’un Plan commun de formation et de sensibilisation des membres des barreaux de l’Afrique de l’Ouest sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
L’ouverture de ces assises avait été une opportunité pour les acteurs non financiers de s’impliquer davantage dans la lutte contre ce fléau qui représente une véritable menace pour l’économie convalescente des pays de la sous-région. Il apparaît que ces acteurs doivent faire face à une obligation de vigilance et diligence, une obligation de déclaration de soupçon, une de conservation et de communication des documents et une obligation de mise en place d’un système de contrôle interne.
En tout état de cause, lever le secret bancaire individuel des gestionnaires pourrait permettre la manifestation de la vérité, et cela ne peut qu’être un avantage pour la promotion de la bonne gouvernance. Il s’agit d’une exigence de modernité dans la gestion du patrimoine public qui devrait, autant que faire se peut, diminuer des atteintes récurrentes à la fortune publique, comme c’est souvent le cas en Afrique.
La transparence en matière bancaire signifie d’une part l’impossibilité pour la banque de masquer l’identité du titulaire du compte, et d’autre part la faculté pour les tiers d’accéder à l’information sur les comptes. La question paraît assez délicate dans la mesure où elle va à l’encontre des droits et des libertés individuelles. Les avoirs dont dispose une personne sur son compte sont le prolongement de son patrimoine. Il n’y a pas de raison que certains biens soient plus exposés que d’autres à l’examen des tiers. Le secret bancaire est alors un moyen de protection des titulaires de compte.
Toutefois, en dépit du droit au secret bancaire, il peut arriver, lorsque certaines circonstances l’exigent, que le secret bancaire soit levé. C’est le cas lors de contrôles ou d’enquêtes menés par certains organes publics, à l’instar du contrôle d’Etat ou des enquêtes policières. Dans ce contexte, ces structures exercent des prérogatives de puissance publique vis-à-vis des établissements de crédit. De même, des facteurs tels que l’internationalisation de la lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l’argent ont contribué à porter atteinte à la confidentialité des comptes.
Comment font les blanchisseurs
Avec la lutte de plus en plus importante contre le blanchiment d’argent auprès des banques et des paradis fiscaux, ainsi que la levée du secret bancaire sur ordre de la Justice, les criminels sont obligés de se tourner vers d’autres intermédiaires pour blanchir leur argent. Il semblerait que les commerces comme les bijouteries et les entreprises d’import-export sont les premières cibles pour blanchir l’argent. L’établissement de plusieurs fausses factures entre des sociétés écran permet également de faire croire que cet argent est tout à fait propre. Il existe en fait 3 phases complémentaires ou indépendantes pour blanchir des capitaux : le prélavage, le lavage et le recyclage. Mais dans ce contexte, l’imagination des criminels dans ce cas est presque sans limite :
Le schtroumpfage
C’est probablement la méthode la plus courante de blanchiment d’argent. Cette méthode nécessite l’implication de nombreuses personnes dont le rôle consiste à déposer des sommes en espèces dans des comptes bancaires ou à se procurer des traites bancaires de moins de 10 000 de la monnaie du pays afin d’éviter le seuil de déclaration.
La complicité bancaire
Il y a complicité bancaire lorsqu’un employé de la banque s’est impliqué criminellement afin de faciliter le processus du blanchiment d’argent. Toutefois, les criminels ont de plus en plus de difficulté à utiliser cette méthode en raison des principes directeurs, des pratiques et des procédés de formation préconisés.
Transfert de fonds et bureaux de change
Les entreprises de transfert de fonds et les bureaux de change mettent à la disposition de leurs clients des services qui leur permettent de se procurer des devises étrangères qui peuvent être emportées outre-frontière. On peut aussi, par l’entremise de ces bureaux, télégraphier des fonds à des comptes ouverts dans des banques étrangères. De même, il est possible de se procurer des mandats, des chèques bancaires ainsi que des chèques de voyage à travers ces entreprises.
Achat de biens au comptant
Les blanchisseurs achètent et paient en espèces des biens de grande valeur tels que des automobiles, des bateaux ou certains biens de luxe tels que des bijoux ou de l’équipement électronique. Ils utiliseront ces articles, mais ils s’en distancieront en les enregistrant ou en les achetant au nom d’un associé.
Mandats-poste
Cette technique consiste à échanger des sommes en espèces contre des mandats- poste, lesquels sont ensuite transmis à l’étranger pour fin de dépôt bancaire.
Cartes de crédit
Les malfaiteurs paient en trop le solde de leurs cartes de crédit et conservent un solde créditeur élevé pouvant être utilisé de nombreuses façons telles que l’achat de biens de valeur ou la conversion du solde créditeur en chèque bancaire.
Casinos
Les blanchisseurs se rendent au casino, où ils se procurent des jetons en échange d’argent comptant pour ensuite encaisser leurs jetons sous forme de chèque.
Arnaque à la loterie : Les trafiquants sont amenés à acheter un ticket de type PMU, jeu à gratter ou bulletin de loto gagnant au prix de la somme remportée, pour blanchir une somme moyenne d’argent sale.
Raffinage : Cette technique consiste à échanger de petites coupures contre des grosses dans le but d’en diminuer le volume. Pour ce faire, le blanchisseur échange des sommes d’argent d’une banque à l’autre afin d’éviter d’éveiller les soupçons. Cela sert à diminuer les grandes sommes d’argent.
Amalgamation de fonds dans des entreprises honnêtes : Les organisations criminelles ainsi que les individus qui y sont impliqués peuvent blanchir des fonds en investissant dans des entreprises qui affichent normalement un volume élevé de transactions au comptant afin d’incorporer des produits de la criminalité aux activités commerciales légitimes brassées par l’entreprise. Enfin, il arrive que des criminels achètent des commerces qui génèrent des recettes brutes par des ventes au comptant. C’est le cas des restaurants, bars, boîtes de nuit, hôtels, bureaux de change et compagnies de distributrices automatiques. Ils investissent ensuite ces fonds obtenus par des moyens frauduleux en les amalgamant à un revenu qui ne suffirait pas autrement à soutenir une entreprise honnête.
Altération des valeurs : Un blanchisseur peut acheter un bien immobilier d’une personne disposée à déclarer un prix de vente sensiblement inférieur à la valeur réelle du bien et se faire payer la différence en argent comptant « en cachette ». Le blanchisseur peut acheter, par exemple, une maison d’une valeur de deux millions de dollars pour seulement un million et transmettre en secret au vendeur le reste de l’argent qu’il lui doit. Après une certaine période de rétention du bien immobilier, le blanchisseur la vend à son prix réel, soit deux millions de dollars.
Auto-prêt : Pour les besoins de cette technique, le trafiquant remet à un complice une somme d’argent illicite. Ce complice lui « prête » une somme équivalente, documents de prêt à l’appui, pour créer l’illusion que l’argent du criminel est légitime. Le calendrier de remboursement de l’emprunt par le criminel ajoute à l’apparence de légitimité de cette combine, et procure encore un autre moyen de transférer des fonds
Assurance-Vie : Comme étape de placement d’argent, il est possible de souscrire des contrats d’assurance-vie avec des primes très élevés et les faire annuler plus tard pour toucher que la moitié.
Pas si simple
L’expérience Centif en matière de lutte anti-blanchiment est encore très jeune, mais c’est en cela qu’elle est intéressante car faisant apparaître à l’intention des territoires non encore dotés d’instruments de lutte anti-blanchiment mais qui ne sauraient tarder à y procéder, les obstacles à surmonter pour traduire en réalités quotidiennes, les stratégies de lutte telles que définies sur la base des Conventions internationales, et conformément aux recommandations du GAFI articulées autour de 4 axes que sont la prévention du blanchiment, la détection du fait de blanchiment, l’incrimination et la répression, la coopération internationale.
La première difficulté rencontrée par la CENTIF Sénégal lors de ses premiers contacts avec les assujettis, était relative à la notion de lutte contre le blanchiment de capitaux illicites. A l’exception des établissements financiers, filiales de grands groupes internationaux qui avaient déjà acquis une certaine pratique en la matière, l’ensemble des autres assujettis, et plus particulièrement les professions juridiques indépendantes (notaires, avocats, etc…), certaines banques locales, les organismes de micro crédit et autre ONG, ont eu du mal à définir la frontière entre leurs intérêts privés, et l’infiltration par leur biais, dans les circuits monétaires légaux, d’éventuels capitaux illicites.
Les nouveaux comportements imposés ainsi que la suspicion prescrite par la nouvelle loi semblaient antinomiques des intérêts privés de l’entreprise, et plus généralement des politiques d’ouverture, pour des raisons d’émergence économique, à l’investissement privé.
En réponse à ce constat, la CENTIF a, au cours des 6 à 8 premiers mois de son existence, multiplié séminaires et forums de formation, information, sensibilisation en direction des assujettis.
Cette activité aurait porté ses fruits. L’ensemble des assujettis au Sénégal semble avoir perçu la nécessité de se protéger des capitaux illicites qui, par leurs instabilité, leurs origines amorales et destructeurs du tissu social, sont nuisibles au pays en général mais aussi à l’entreprise privé de quelque type ou dimension qu’elle puisse être.
Autre particularité rencontrée : bien qu’ayant une relative connaissance de la matière, les filiales sénégalaises des grandes banques internationales, ont dû, dans le cadre de la définition des programmes internes, déterminer des politiques internes de lutte en fonction des réalités sénégalaises. Ainsi par exemple, le faible taux de bancarisation au Sénégal (entre 6 et 7%), et son pendant direct qu’est le grand usage en Afrique du paiement en espèces, n’est pas en phase avec les seuils définis par la loi. De ce point de vue, une politique sous régionale d’incitation à l’usage du compte et des instruments bancaires est mise en oeuvre par les autorités monétaires. L’autre résistance rencontrée par la Centif dans l’accomplissement de sa prérogative de sensibilisation des assujettis à leurs nouvelles obligations est relative aux déclarations d’opérations suspectes.
Instrument fondamental de détection du blanchiment, la DOS incombe aux assujettis qui, au Sénégal, ont rencontré les difficultés suivantes de mise en pratique.
Pour ce qui concerne les établissements financiers, outre qu’il a fallu définir en fonction des réalités du pays la notion d’opération suspecte, il fallait également former les employés en contact avec les clients à percevoir les anomalies tout en intégrant la particularité du grand usage d’espèces.
Dis-moi… Blanchiment
L’expression « blanchiment d’argent » (money laundering en anglais) vient du fait que l’argent acquis illégalement est appelé de l’argent sale (finance noire). Cet argent est souvent issu de trafics d’armes, de drogue, d’êtres humains ou d’autres activités mafieuses. Le blanchiment permet à cet argent de passer pour propre, c’est-à-dire de prendre une apparence honnête.
Une autre origine peu vraisemblable est souvent avancée : l’expression « blanchiment d’argent » viendrait du fait qu’Al Capone (chef d’une famille mafieuse) aurait racheté en 1928, à Chicago, une chaîne de blanchisseries : les Sanitary Cleaning Shops. Cette façade légale lui permettait ainsi de recycler les ressources tirées de ses nombreuses activités illicites. En réalité, l’expression n’apparaît qu’au cours des années 1970 autour du Watergate et il faut attendre 1982 pour qu’elle soit utilisée dans une affaire judiciaire.
Toutefois l’arrestation d’Al Capone pour fraude fiscale, et non pour les crimes commis, montre l’importance et la difficulté du blanchiment d’argent dans la lutte contre les organisations criminelles. Le mafioso Lucky Luciano et son bras droit Meyer Lansky comprirent dès 1932, l’importance d’inventer de nouvelles techniques de blanchiment de fonds, notamment grâce au réseau d’îles politiquement indépendantes, dit pays offshores.