
Tel fils, quel père ? Poulo de Barreiro: Place Dom Pedro IV au coeur de Lisbonne, capitale du Portugal. L'endroit est incontournable pour les touristes en ce début de printemps où le soleil tente, tant bien que mal, de chasser le récalcitrant vent d'hiver. La place a des allures de carte postale avec sa fontaine ostentatoire, et sa statue, représentant l'ancien empereur du Portugal, qui trônent fièrement en son milieu. Tout autour, commerces et terrasses de cafés s'animent au gré des haltes des groupes de vacanciers japonais, français ou encore brésiliens. De la bouche de métro de la station Rossio donnant sur la place, surgit un homme dans la masse des voyageurs. Son identité ne fait guère de doute après la description qu'il avait faite de lui au téléphone : «râblé, teint clair, veste noire», et une ressemblance sensible avec son fils, El Hadji Diouf.
Voilà donc le fameux Boubacar Diallo, plus connu sous le surnom de Poulo (Le Peul) et plus encore comme étant le père d'El Hadji Diouf. Le rencontrer n'a pas été facile. L'aide d'un de ses anciens coéquipiers et d'un international sénégalais évoluant au Portugal a été précieuse avant que le coup de fil du chargé des affaires consulaires de l'ambassade du Sénégal au Portugal ne soit décisif.
Voilà donc, Poulo que la rumeur disait malade et/ou misérable, vivotant à Lisbonne. L'homme a l'air en très bonne forme, en atteste son visage radieux sous le ciel crépusculaire de Lisbonne. Le père d'El Hadji Diouf a l'allure jeune : pantalon en jeans qui se marie avec son pull bleu, chaussures Puma, lunettes discrètes, il fait moins que son âge (58 ans ?) qu'il refuse de dévoiler. Tablé à la terrasse d'un café sur la rue Augusta, il allume une cigarette et commande son châ (thé) dans un portugais qui pourrait le faire passer pour un compatriote de Cristiano Ronaldo. Au moment même où son fils est en train de mater la Tanzanie avec le Sénégal (4-0) à 5.000 km, Poulo accepte de parler pour la première fois de sa vie, d'hier et d'aujourd'hui, et de son fils évidemment.
Sa vie d'hier commence au Fouta, contrée désertique à l'extrême Nord du Sénégal. Boubacar Diallo naît au début des années cinquante dans une famille de bergers dans cette région bordant la rive gauche du fleuve Sénégal entre Dagana et Bakel et peuplée en majorité de Toucouleurs et de Peuls. Le petit Boubacar n'a que deux ans quand il quitte ses parents pour aller vivre définitivement chez son oncle maternel, Mamadou Diallo «Kaw» à Louga, une ville située non loin de Saint-Louis. Comme El Hadji, «je n'ai jamais vécu avec mes parents, révèle Poulo. A l'âge de deux ans, ma mère m'a donné à son frère parce que celui-ci n'arrivait pas à avoir d'enfant avec sa femme. C'est comme ça que je suis arrivé à Louga. »
Le père du double Ballon d'Or africain vécut ainsi son enfance entre les quartiers de Thiokhna et Ndiobène. Mais à l'inverse de son fils, le football n'a pas de place, pour l'instant, dans ses jeux enfantins. «Je n'aimais pas le foot au début, je voyais les gamins jouer devant chez moi, sans y participer. Un jour, il leur manquait un gardien et on m'a appelé. J'ai joué ainsi dans les buts pendant longtemps jusqu'au jour où mon équipe étant menée à cinq minutes de la fin, je décide d'abandonner mon poste et de jouer devant. J'ai marqué et depuis, je suis resté aux avant-postes.» Comme tous les gamins de Thiokhna, Keur Serigne ou Montagne, le petit neveu de «Kaw» fait de la rue son terrain d'apprentissage et commence à ne plus pouvoir se passer d'un ballon. « A l'heure où les gens allaient manger, je restais jouer seul au foot.»
Le jeune Boubacar se fait vite remarquer pour son adresse devant le but, l'explosivité de ses jambes, sa détente et son bon jeu de tête malgré sa taille moyenne. A Louga, il se fait un surnom : «Pelé», qui confirme son formidable talent. Plus tard, il deviendra Poulo à cause de ses origines peules et de son teint très clair. II intègre ainsi le Santos de Louga qui était un peu le réservoir du Ndiambour, l'équipe phare de la région. Mais ce n'est pas avec ce dernier club qu'il va s'aguerrir. Diallo sera en effet transféré au Brack de Saint-Louis lors de la saison 68-69 pour prendre la succession de Yatma Diouck, une des révélations de la Can 1968, parti à Monaco. Poulo n'a pas encore 18 ans lorsqu'il s'impose dans le club saint-louisien. Dans la foulée de ses bonnes performances, il est appelé en Equipe nationale un an plus tard et demeure le plus jeune du groupe.
Après deux saisons au Réveil, Diallo quitte SaintLouis et retourne à Louga pour s'engager avec le Ndiambour, son «club de coeur». L'idylle durera jusqu'à son départ vers l'étranger en 1976. II atterrit au Stade Malherbe de Caen en D2 française. Une saison plus tard, direction Belenenses pour jouer dans le championnat de première division du Portugal. Depuis, le père d'El Hadji Diouf vit au Portugal et n'est «retourné qu'une fois au Sénégal» depuis plus de trente ans. «J'ai ma vie ici désormais avec ma femme et mes deux filles.» Poulo vit non loin de la capitale à Barreiro une petite ville où il est même président d'un petit club de quartier. (...) Le Sénégal est bien loin... Mais sa nouvelle vie n'efface pas son passé car il y aura toujours El Hadji pour le lui rappeler. El Hadji, ce petit qu'il n'a pas reconnu à sa naissance...
Parler de son fils et des circonstances de sa naissance n'enthousiasme guère Boubacar Diallo. L'homme est gêné à l'idée d'évoquer un épisode de sa vie qui ne le rend pas fier. Entre deux gorgées de châ, il tire sur sa cigarette et lance dans la fumée : «Je vais vous dire ce qui s'est passé...» II écrase sa cigarette à peine entamée, se redresse, croise les bras et reprend : « Ndioufa (surnom de Seynabou, la mère d'El Hadji), je l'ai rencontrée à Louga. Elle venait de Saint-Louis et habitait chez une de ses tantes, Thiaré Mbodj à Thiokhna. Elle venait tout le temps aux entraînements du Ndiambour. C'est ainsi qu'on a sympathisé et commencé à «marcher» (sortir ensemble).»
Entre les deux amoureux tout se passe bien, sauf que la famille de Ndioufa ne voit pas d'un bon œil cette union avec un footballeur. «Le problème, c'était sa tante. Vous savez, les footballeurs n'étaient pas bien vus à l'époque, on disait: «football dou métieu (Le football n'est pas un métier).» Boubacar et Seynabou continuent malgré tout à vivre leur amour. Quelques mois après, cette dernière attend un enfant. «Sa tante l'a alors renvoyée à Saint-Louis chez ses parents. J'y suis allé pour la voir, mais j'ai été incapable de trouver la maison et de toute façon ses parents ne voulaient pas que je la voie. Quelque temps après, j'ai su que j'avais un fils et que son grand-père lui aurait donné le nom d'un marabout de Sor : Ousseynou. Voilà, ce qui s'est passé, conclut Poulo, tout ce qu'on a pu dire après, c'était du n'importe quoi.»
Iba Dia, ancien entraîneur de Boubacar Diallo au Ndiambour, a été témoin de l'idylle de Poulo et Ndioufa et des événements qui s'en sont suivis. II révèle: «Le jour du baptême d'El Hadji Diouf, je me suis rendu à Saint-Louis avec une délégation du Ndiambour pour reconnaître le bébé au nom de Diallo. Le grand-père s'y est opposé en nous disant : «Pas de mariage, pas de baptême.» II voulait que Poulo épouse d'abord sa fille avant de reconnaître l'enfant. Ce qui était impossible puisque Poulo était déjà marié à Louga et venait d'avoir un fils à qui il avait donné le prénom de son oncle, Mamadou Diallo «Kaw » quelques semaines auparavant.»
Quand on lui raconte la version de son ancien coach, Boubacar Diallo esquisse un sourire et dit: «C'est vrai, mais c'était plus compliqué que ça.» II n'entrera pas dans les détails et nous n'en saurons pas plus, à part que Ndioufa lui a quand même «amené Ousseynou à Louga quand il était bébé quelques semaines après sa naissance». C'était la seule et la dernière fois que Poulo voyait son fils avant 1999. «II faut savoir que même quand j'étais à Lisbonne, il arrivait à El Hadji d'aller passer des jours dans ma famille à Louga, sans problème. Et on s'appelle tout le temps depuis qu'il est arrivé en France», tient à faire savoir le père.
Lorsqu'on lui demande s'il regrette que les choses se soient déroulées ainsi, il répond sans hésitation, un brin fataliste : «C'est la vie, l'essentiel, c'est qu'on se soit retrouvés.» Ces retrouvailles eurent lieu en décembre 1999 sur l'initiative d'un oncle d'El Hadji vivant en France. A l'approche de Noël, le père et le fils se sont offert l'un à l'autre comme cadeau. Aujourd'hui, Poulo évoque cette rencontre avec le sourire mais reconnaît qu'elle était chargée d'émotion. «Le rendez-vous était fixé à Paris à la Gare du Nord, raconte le père. C'est El Hadji qui m'a reconnu. Je venais de passer devant lui sans le voir, et il a lancé: «Poulo»...(...)
Source: Weekend Magazine
Voilà donc le fameux Boubacar Diallo, plus connu sous le surnom de Poulo (Le Peul) et plus encore comme étant le père d'El Hadji Diouf. Le rencontrer n'a pas été facile. L'aide d'un de ses anciens coéquipiers et d'un international sénégalais évoluant au Portugal a été précieuse avant que le coup de fil du chargé des affaires consulaires de l'ambassade du Sénégal au Portugal ne soit décisif.
Voilà donc, Poulo que la rumeur disait malade et/ou misérable, vivotant à Lisbonne. L'homme a l'air en très bonne forme, en atteste son visage radieux sous le ciel crépusculaire de Lisbonne. Le père d'El Hadji Diouf a l'allure jeune : pantalon en jeans qui se marie avec son pull bleu, chaussures Puma, lunettes discrètes, il fait moins que son âge (58 ans ?) qu'il refuse de dévoiler. Tablé à la terrasse d'un café sur la rue Augusta, il allume une cigarette et commande son châ (thé) dans un portugais qui pourrait le faire passer pour un compatriote de Cristiano Ronaldo. Au moment même où son fils est en train de mater la Tanzanie avec le Sénégal (4-0) à 5.000 km, Poulo accepte de parler pour la première fois de sa vie, d'hier et d'aujourd'hui, et de son fils évidemment.
Sa vie d'hier commence au Fouta, contrée désertique à l'extrême Nord du Sénégal. Boubacar Diallo naît au début des années cinquante dans une famille de bergers dans cette région bordant la rive gauche du fleuve Sénégal entre Dagana et Bakel et peuplée en majorité de Toucouleurs et de Peuls. Le petit Boubacar n'a que deux ans quand il quitte ses parents pour aller vivre définitivement chez son oncle maternel, Mamadou Diallo «Kaw» à Louga, une ville située non loin de Saint-Louis. Comme El Hadji, «je n'ai jamais vécu avec mes parents, révèle Poulo. A l'âge de deux ans, ma mère m'a donné à son frère parce que celui-ci n'arrivait pas à avoir d'enfant avec sa femme. C'est comme ça que je suis arrivé à Louga. »
Le père du double Ballon d'Or africain vécut ainsi son enfance entre les quartiers de Thiokhna et Ndiobène. Mais à l'inverse de son fils, le football n'a pas de place, pour l'instant, dans ses jeux enfantins. «Je n'aimais pas le foot au début, je voyais les gamins jouer devant chez moi, sans y participer. Un jour, il leur manquait un gardien et on m'a appelé. J'ai joué ainsi dans les buts pendant longtemps jusqu'au jour où mon équipe étant menée à cinq minutes de la fin, je décide d'abandonner mon poste et de jouer devant. J'ai marqué et depuis, je suis resté aux avant-postes.» Comme tous les gamins de Thiokhna, Keur Serigne ou Montagne, le petit neveu de «Kaw» fait de la rue son terrain d'apprentissage et commence à ne plus pouvoir se passer d'un ballon. « A l'heure où les gens allaient manger, je restais jouer seul au foot.»
Le jeune Boubacar se fait vite remarquer pour son adresse devant le but, l'explosivité de ses jambes, sa détente et son bon jeu de tête malgré sa taille moyenne. A Louga, il se fait un surnom : «Pelé», qui confirme son formidable talent. Plus tard, il deviendra Poulo à cause de ses origines peules et de son teint très clair. II intègre ainsi le Santos de Louga qui était un peu le réservoir du Ndiambour, l'équipe phare de la région. Mais ce n'est pas avec ce dernier club qu'il va s'aguerrir. Diallo sera en effet transféré au Brack de Saint-Louis lors de la saison 68-69 pour prendre la succession de Yatma Diouck, une des révélations de la Can 1968, parti à Monaco. Poulo n'a pas encore 18 ans lorsqu'il s'impose dans le club saint-louisien. Dans la foulée de ses bonnes performances, il est appelé en Equipe nationale un an plus tard et demeure le plus jeune du groupe.
Après deux saisons au Réveil, Diallo quitte SaintLouis et retourne à Louga pour s'engager avec le Ndiambour, son «club de coeur». L'idylle durera jusqu'à son départ vers l'étranger en 1976. II atterrit au Stade Malherbe de Caen en D2 française. Une saison plus tard, direction Belenenses pour jouer dans le championnat de première division du Portugal. Depuis, le père d'El Hadji Diouf vit au Portugal et n'est «retourné qu'une fois au Sénégal» depuis plus de trente ans. «J'ai ma vie ici désormais avec ma femme et mes deux filles.» Poulo vit non loin de la capitale à Barreiro une petite ville où il est même président d'un petit club de quartier. (...) Le Sénégal est bien loin... Mais sa nouvelle vie n'efface pas son passé car il y aura toujours El Hadji pour le lui rappeler. El Hadji, ce petit qu'il n'a pas reconnu à sa naissance...
Parler de son fils et des circonstances de sa naissance n'enthousiasme guère Boubacar Diallo. L'homme est gêné à l'idée d'évoquer un épisode de sa vie qui ne le rend pas fier. Entre deux gorgées de châ, il tire sur sa cigarette et lance dans la fumée : «Je vais vous dire ce qui s'est passé...» II écrase sa cigarette à peine entamée, se redresse, croise les bras et reprend : « Ndioufa (surnom de Seynabou, la mère d'El Hadji), je l'ai rencontrée à Louga. Elle venait de Saint-Louis et habitait chez une de ses tantes, Thiaré Mbodj à Thiokhna. Elle venait tout le temps aux entraînements du Ndiambour. C'est ainsi qu'on a sympathisé et commencé à «marcher» (sortir ensemble).»
Entre les deux amoureux tout se passe bien, sauf que la famille de Ndioufa ne voit pas d'un bon œil cette union avec un footballeur. «Le problème, c'était sa tante. Vous savez, les footballeurs n'étaient pas bien vus à l'époque, on disait: «football dou métieu (Le football n'est pas un métier).» Boubacar et Seynabou continuent malgré tout à vivre leur amour. Quelques mois après, cette dernière attend un enfant. «Sa tante l'a alors renvoyée à Saint-Louis chez ses parents. J'y suis allé pour la voir, mais j'ai été incapable de trouver la maison et de toute façon ses parents ne voulaient pas que je la voie. Quelque temps après, j'ai su que j'avais un fils et que son grand-père lui aurait donné le nom d'un marabout de Sor : Ousseynou. Voilà, ce qui s'est passé, conclut Poulo, tout ce qu'on a pu dire après, c'était du n'importe quoi.»
Iba Dia, ancien entraîneur de Boubacar Diallo au Ndiambour, a été témoin de l'idylle de Poulo et Ndioufa et des événements qui s'en sont suivis. II révèle: «Le jour du baptême d'El Hadji Diouf, je me suis rendu à Saint-Louis avec une délégation du Ndiambour pour reconnaître le bébé au nom de Diallo. Le grand-père s'y est opposé en nous disant : «Pas de mariage, pas de baptême.» II voulait que Poulo épouse d'abord sa fille avant de reconnaître l'enfant. Ce qui était impossible puisque Poulo était déjà marié à Louga et venait d'avoir un fils à qui il avait donné le prénom de son oncle, Mamadou Diallo «Kaw » quelques semaines auparavant.»
Quand on lui raconte la version de son ancien coach, Boubacar Diallo esquisse un sourire et dit: «C'est vrai, mais c'était plus compliqué que ça.» II n'entrera pas dans les détails et nous n'en saurons pas plus, à part que Ndioufa lui a quand même «amené Ousseynou à Louga quand il était bébé quelques semaines après sa naissance». C'était la seule et la dernière fois que Poulo voyait son fils avant 1999. «II faut savoir que même quand j'étais à Lisbonne, il arrivait à El Hadji d'aller passer des jours dans ma famille à Louga, sans problème. Et on s'appelle tout le temps depuis qu'il est arrivé en France», tient à faire savoir le père.
Lorsqu'on lui demande s'il regrette que les choses se soient déroulées ainsi, il répond sans hésitation, un brin fataliste : «C'est la vie, l'essentiel, c'est qu'on se soit retrouvés.» Ces retrouvailles eurent lieu en décembre 1999 sur l'initiative d'un oncle d'El Hadji vivant en France. A l'approche de Noël, le père et le fils se sont offert l'un à l'autre comme cadeau. Aujourd'hui, Poulo évoque cette rencontre avec le sourire mais reconnaît qu'elle était chargée d'émotion. «Le rendez-vous était fixé à Paris à la Gare du Nord, raconte le père. C'est El Hadji qui m'a reconnu. Je venais de passer devant lui sans le voir, et il a lancé: «Poulo»...(...)
Source: Weekend Magazine