Dans un inextricable embouteillage de transports en commun, charrettes tirées par des chevaux, taxis fendant les flots et brouettes embourbées, le commerçant Baboucar Fall, 42 ans, lance quelques mots par la fenêtre d'un "car rapide": "Vous voyez nos quartiers inondés! C'est parce qu'on n'a pas canalisé les routes. Il faut de grands travaux dans nos banlieues mais tout est concentré dans la capitale." Plus de 260.000 Sénégalais, selon l'ONU, sont actuellement affectés par les inondations, devenues récurrentes à chaque saison des pluies dans la banlieue de Dakar.
Mais la population endure aussi, en pleine période de chaleur humide, des coupures de courant quotidiennes et intempestives. A ce même carrefour routier de Pikine, la semaine dernière, des jeunes ont brûlé des pneus, cassé des voitures et crié ""ça suffit", "nous voulons la lumière".
"Ce n'était pas des jeunes au chômage, mais des tailleurs, des soudeurs, des mécaniciens. Les délestages bloquent leur travail" assure Issa, homme de ménage qui gagne 30.000 FCFA par mois (46 euros), patientant sous l'auvent d'une boutique battu par la pluie.
Alors, quand le célèbre artiste sénégalais, Youssou Ndour, a diffusé gratuitement mardi un single intitulé "Leep mo lëndëm" ("tout est obscur" en langue ouolof), Issa a jugé, comme d'autres, qu'il avait "parfaitement raison". "Les inondations mêlées aux coupures, mon Dieu, où allons-nous... Coupures le matin, coupures le soir.
Le peuple est fatigué d'être toujours dans le noir. Vous nous faites souffrir et vous nous cachez la vérité", chante Youssou Ndour. De leur côté, les célèbres rappeurs au Sénégal du groupe Positive Black Soul, Didier Awadi et Deug-e-tee - diffusent un vidéo-clip baptisé "Da fa doy" ("ça suffit"). Ces titres sont sortis alors que le président Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000, vient de rentrer d'un mois de congés en Europe.
Dès son arrivée à l'aéroport, devant ministres et journalistes, M. Wade a "compati à la souffrance des populations dont les maisons sont inondées" tout en insistant sur l'idée que les pluies abondantes favoriseraient l'agriculture. "Nous remercions le Tout-puissant qui nous a gratifié d'un bon hivernage. Les récoltes de cette année seront plus importantes (...) Cela nous rapproche de l'autosuffisance alimentaire", a déclaré le chef de l'Etat, 83 ans.
Chez les sinistrés, ces paroles ont "déçu", assure Ousmane Thiam, 35 ans, à Pikine Est. "Nous qui nous levons à 5 heures pour faire sortir l'eau de nos maisons, nous ne croyons pas à cela", déclare cet homme qui, une pelle en main, aligne des sacs de sable à l'entrée de sa ruelle, pour bloquer les eaux
sales.
Son voisin Mahmadou Diop, maçon de 30 ans, dit avoir manifesté deux fois pour réclamer de l'électricité. "D'ailleurs, les délestages ont diminué depuis que les jeunes sortent dans les rues". "Nous ne voulons pas d'émeutes. Nous sommes tranquilles au Sénégal. Mais on manifeste et on fait tout, assure-t-il, pour que le président Wade quitte le pouvoir en 2012 (date de la présidentielle, ndlr) ou avant."
afp
Lakoominfo.com
Par Laurence BOUTREUX