De notre envoyé spécial à Benghazi
Alors que les arrestations se succèdent et que les rumeurs enflent à Benghazi, les témoignages recueillis sur place contredisent sur bien des points la version généralement présentée de l'attaque du consulat américain, le 11 septembre dernier, qui a coûté la vie à l'ambassadeur Christopher Stevens ainsi qu'à deux ex-Navy Seals et à un de leurs collègues, spécialiste des technologies de l'information.
Selon le récit reconstitué par Le Figaro grâce au témoignage de plusieurs responsables de la brigade Deraa Libya («le bouclier de la Libye»), présents tout au long de la nuit des faits et chargés par les autorités d'enquêter sur ces crimes, l'offensive s'est en fait déroulée en deux temps. En début de soirée, une centaine d'hommes lourdement armés ont d'abord pris d'assaut la représentation américaine, provoquant la fuite de la quasi-totalité du personnel ainsi que la mort par asphyxie de l'ambassadeur, resté seul à l'intérieur. Le deuxième acte ne se serait joué que plusieurs heures après, dans une maison distante d'un kilomètre environ où ces ressortissants avaient trouvé refuge, lorsqu'une équipe des forces spéciales américaines tout juste arrivée de Tripoli pour leur porter secours s'est à son tour trouvée prise pour cible. Un scénario qui atteste la détermination et l'acharnement dont ont fait preuve les assaillants.
Armes sophistiquées
À proximité du consulat, les plus proches voisins confirment qu'une centaine d'hommes, des «extrémistes» islamistes, certains armés, sont arrivés vers 20 h 30, et que leurs tirs, notamment au RPG, ont contraint les forces de police à quitter les lieux. Leurs assauts étant menés en plusieurs vagues, les diplomates américains semblent avoir profité d'accalmies pour gagner une maison à l'écart louée par l'ambassade afin que ses ressortissants puissent y trouver refuge en cas de coup dur. Après une ultime et maladroite tentative des troupes de la Brigade du 17 février pour desserrer leur emprise, les assaillants ont eu définitivement gain de cause vers 23 heures. Bien avant que l'ambassadeur soit découvert par une foule désarmée de curieux et de voleurs, entre minuit et une heure du matin.
Les épisodes suivants, sur lesquels les autorités américaines et libyennes ne se sont guère exprimées, sont dignes d'un roman d'espionnage. Vers trois heures du matin, l'un des commandants de la brigade Deraa Libya, Imad Shaqabi, reçoit l'ordre de rejoindre l'aéroport de Benghazi avec une vingtaine d'hommes. Leur mission: prendre en charge huit marines américains qui viennent d'arriver de Tripoli par avion. «À partir de ce moment-là, le premier ministre a appelé toutes les 10 minutes», ajoute Keis Ben Hamied, le frère du général de Deraa Libya. Sur le moment, les Libyens ne savent rien de leur mission. Ils pensent devoir aller à l'hôpital de Benghazi, récupérer le corps de l'ambassadeur. Mais les marines, portant des armes sophistiquées, leur disent de suivre les indications d'un GPS qui les conduit à un kilomètre environ du consulat américain détruit par les flammes, là même où le personnel diplomatique s'est réfugié.
Les combattants de Deraa Libya alignent leur pick-up et sécurisent l'entrée et les abords de ce que les Libyens appellent une «ferme»: une vaste propriété, composée de plusieurs bâtiments réunis dans une enceinte, un peu à l'écart de la ville qui ne cesse d'empiéter sur la campagne. La rue longe plusieurs autres demeures, un centre hippique, et finit en impasse. À l'intérieur de la «ferme», les marines évaluent la situation. Puis, dix minutes plus tard, sortent d'une des maisons. Dans la cour, ils subissent alors des tirs nourris venus des côtés non gardés de cette vaste propriété.
«Les assaillants étaient peut-être quatre ou cinq, armés de fusils mitrailleurs, de RPG ou de lance-grenades, poursuit le commandant Shaqabi. La première roquette ou grenade a explosé en l'air, pour éclairer la cour. Les autres attaquants ont visé juste. Deux marines ont été tués, un de mes hommes qui servait de traducteur a été blessé».
Rapide et meurtrière, l'opération est assurément l'œuvre d'hommes aguerris. Pour le commandant Shaqabi, les combattants issus de la rébellion libyenne ne sont pas capables d'une pareille action. À demi-mot, on comprend que ses frères d'armes soupçonnent plutôt d'anciens kadhafistes où des professionnels du djihad, venus peut-être de l'étranger. Mais le temps n'est pas aux suppositions.
Il est 5h30, l'évacuation peut débuter. Sur la route de l'aéroport, les hommes du commandant Shaqabi n'escortent pas moins de 25 Américains dont trois morts - un homme qui a rendu l'âme dans la ferme après avoir été blessé dans l'attaque du consulat ainsi que les deux marines. Les soldats de Deraa Libya terminent leur mission en allant chercher le corps de l'ambassadeur à l'hôpital, et en le ramenant à l'aéroport. Il est maintenant 7 heures. Dans un premier avion prennent place sept marines venus de Tripoli ainsi que les quatre défunts. Un second appareil ramènera 25 autres Américains vers Tripoli - des agents consulaires, sans doute, mais aussi d'autres ressortissants rassemblés à la hâte après l'assaut mené la veille au soir. Six jours après l'attaque, il apparaît en tout cas que la version officielle comporte de nombreuses lacunes. Washington n'a pas dit un mot des marines, sans doute des forces spéciales, qui ont exfiltré les Américains de Benghazi. De même, on pensait que les quatre victimes américaines avaient été tuées dans l'enceinte du consulat. Or, selon le commandant Shaqabi, seul l'ambassadeur aurait péri, asphyxié, sur place. «Comment des gardes du corps ont-ils pu abandonner leur ambassadeur?», s'interroge Keis Ben Hamied, le frère du général de la brigade Deraa Libya.
Carbonisé et pillé
Christopher Stevens a-t-il payé de sa mort un excès de confiance ou sa bravoure? Certains laissent entendre qu'il aurait voulu trouver refuge dans une pièce sécurisée, comme il en existe dans toutes les ambassades américaines. Mais, en arpentant ce week-end le consulat américain de Benghazi, complètement carbonisé et pillé, on n'en trouve pas trace. Un témoin, Fahed Bacouche, qui est arrivé sur place peu avant minuit le 11 septembre, raconte, vidéos à l'appui, comment la foule a sorti l'ambassadeur inanimé. À l'image, on voit qu'aucune porte ne bloque la progression des plus téméraires quand ils tentent d'entrer dans le petit bâtiment. La fumée, trop dense, contraint ces jeunes hommes à reculer plusieurs fois, avant qu'une voix finisse par crier qu'il y a un homme à l'intérieur.
Selon ce témoin, le corps inanimé de l'ambassadeur est finalement extrait des décombres vers 1 heure du matin. «Il est en vie», se réjouissent les hommes qui portent maladroitement Christopher Stevens. Mais personne n'a la moindre connaissance médicale, et il n'y a pas d'ambulance à proximité. Christopher Stevens arrivera à l'hôpital dans une voiture particulière à 1 h 30. Malgré tous leurs efforts, les médecins ne parviendront pas à le garder en vie.
«Une centaine d'hommes habillés à l'afghane»
Les deux quinquagénaires Ali et Falih prenaient le frais sur leur pas de porte, à vingt mètres du consulat américain, quand ils ont vu une centaine d'hommes prendre à partie, vers 20 h 30, les policiers stationnés qui ont vite plié bagages. «Un homme, vêtu d'une tunique et portant une longue barbe, a tiré avec un RPG, assurent-ils. D'autres ont jeté des pains d'explosif. Vers 22h30, un pick-up de la Brigade du 17 février a pris position et a tiré à l'arme antiaérienne, puis est parti.»
Ahmed, un autre témoin, raconte: «Il y avait une centaine d'hommes, des extrémistes habillés à l'afghane et portant de longues barbes. Ils étaient tous armés, d'AK47 et de RPG. Il y avait aussi plusieurs hommes dont le visage était masqué. Vers 22h30, ils sont partis, on pensait que c'était fini. J'ai entendu quelqu'un dire qu'il y avait des gens à eux à l'intérieur de l'ambassade. Les combats sont devenus de plus en plus violents. La police a fait quelque chose de stupide en tirant à la 14,5. J'ai vu un gros 4×4 noir sortir du consulat. À une heure du matin, tout est redevenu calme.»
Par Thierry Portes
Alors que les arrestations se succèdent et que les rumeurs enflent à Benghazi, les témoignages recueillis sur place contredisent sur bien des points la version généralement présentée de l'attaque du consulat américain, le 11 septembre dernier, qui a coûté la vie à l'ambassadeur Christopher Stevens ainsi qu'à deux ex-Navy Seals et à un de leurs collègues, spécialiste des technologies de l'information.
Selon le récit reconstitué par Le Figaro grâce au témoignage de plusieurs responsables de la brigade Deraa Libya («le bouclier de la Libye»), présents tout au long de la nuit des faits et chargés par les autorités d'enquêter sur ces crimes, l'offensive s'est en fait déroulée en deux temps. En début de soirée, une centaine d'hommes lourdement armés ont d'abord pris d'assaut la représentation américaine, provoquant la fuite de la quasi-totalité du personnel ainsi que la mort par asphyxie de l'ambassadeur, resté seul à l'intérieur. Le deuxième acte ne se serait joué que plusieurs heures après, dans une maison distante d'un kilomètre environ où ces ressortissants avaient trouvé refuge, lorsqu'une équipe des forces spéciales américaines tout juste arrivée de Tripoli pour leur porter secours s'est à son tour trouvée prise pour cible. Un scénario qui atteste la détermination et l'acharnement dont ont fait preuve les assaillants.
Armes sophistiquées
À proximité du consulat, les plus proches voisins confirment qu'une centaine d'hommes, des «extrémistes» islamistes, certains armés, sont arrivés vers 20 h 30, et que leurs tirs, notamment au RPG, ont contraint les forces de police à quitter les lieux. Leurs assauts étant menés en plusieurs vagues, les diplomates américains semblent avoir profité d'accalmies pour gagner une maison à l'écart louée par l'ambassade afin que ses ressortissants puissent y trouver refuge en cas de coup dur. Après une ultime et maladroite tentative des troupes de la Brigade du 17 février pour desserrer leur emprise, les assaillants ont eu définitivement gain de cause vers 23 heures. Bien avant que l'ambassadeur soit découvert par une foule désarmée de curieux et de voleurs, entre minuit et une heure du matin.
Les épisodes suivants, sur lesquels les autorités américaines et libyennes ne se sont guère exprimées, sont dignes d'un roman d'espionnage. Vers trois heures du matin, l'un des commandants de la brigade Deraa Libya, Imad Shaqabi, reçoit l'ordre de rejoindre l'aéroport de Benghazi avec une vingtaine d'hommes. Leur mission: prendre en charge huit marines américains qui viennent d'arriver de Tripoli par avion. «À partir de ce moment-là, le premier ministre a appelé toutes les 10 minutes», ajoute Keis Ben Hamied, le frère du général de Deraa Libya. Sur le moment, les Libyens ne savent rien de leur mission. Ils pensent devoir aller à l'hôpital de Benghazi, récupérer le corps de l'ambassadeur. Mais les marines, portant des armes sophistiquées, leur disent de suivre les indications d'un GPS qui les conduit à un kilomètre environ du consulat américain détruit par les flammes, là même où le personnel diplomatique s'est réfugié.
Les combattants de Deraa Libya alignent leur pick-up et sécurisent l'entrée et les abords de ce que les Libyens appellent une «ferme»: une vaste propriété, composée de plusieurs bâtiments réunis dans une enceinte, un peu à l'écart de la ville qui ne cesse d'empiéter sur la campagne. La rue longe plusieurs autres demeures, un centre hippique, et finit en impasse. À l'intérieur de la «ferme», les marines évaluent la situation. Puis, dix minutes plus tard, sortent d'une des maisons. Dans la cour, ils subissent alors des tirs nourris venus des côtés non gardés de cette vaste propriété.
«Les assaillants étaient peut-être quatre ou cinq, armés de fusils mitrailleurs, de RPG ou de lance-grenades, poursuit le commandant Shaqabi. La première roquette ou grenade a explosé en l'air, pour éclairer la cour. Les autres attaquants ont visé juste. Deux marines ont été tués, un de mes hommes qui servait de traducteur a été blessé».
Rapide et meurtrière, l'opération est assurément l'œuvre d'hommes aguerris. Pour le commandant Shaqabi, les combattants issus de la rébellion libyenne ne sont pas capables d'une pareille action. À demi-mot, on comprend que ses frères d'armes soupçonnent plutôt d'anciens kadhafistes où des professionnels du djihad, venus peut-être de l'étranger. Mais le temps n'est pas aux suppositions.
Il est 5h30, l'évacuation peut débuter. Sur la route de l'aéroport, les hommes du commandant Shaqabi n'escortent pas moins de 25 Américains dont trois morts - un homme qui a rendu l'âme dans la ferme après avoir été blessé dans l'attaque du consulat ainsi que les deux marines. Les soldats de Deraa Libya terminent leur mission en allant chercher le corps de l'ambassadeur à l'hôpital, et en le ramenant à l'aéroport. Il est maintenant 7 heures. Dans un premier avion prennent place sept marines venus de Tripoli ainsi que les quatre défunts. Un second appareil ramènera 25 autres Américains vers Tripoli - des agents consulaires, sans doute, mais aussi d'autres ressortissants rassemblés à la hâte après l'assaut mené la veille au soir. Six jours après l'attaque, il apparaît en tout cas que la version officielle comporte de nombreuses lacunes. Washington n'a pas dit un mot des marines, sans doute des forces spéciales, qui ont exfiltré les Américains de Benghazi. De même, on pensait que les quatre victimes américaines avaient été tuées dans l'enceinte du consulat. Or, selon le commandant Shaqabi, seul l'ambassadeur aurait péri, asphyxié, sur place. «Comment des gardes du corps ont-ils pu abandonner leur ambassadeur?», s'interroge Keis Ben Hamied, le frère du général de la brigade Deraa Libya.
Carbonisé et pillé
Christopher Stevens a-t-il payé de sa mort un excès de confiance ou sa bravoure? Certains laissent entendre qu'il aurait voulu trouver refuge dans une pièce sécurisée, comme il en existe dans toutes les ambassades américaines. Mais, en arpentant ce week-end le consulat américain de Benghazi, complètement carbonisé et pillé, on n'en trouve pas trace. Un témoin, Fahed Bacouche, qui est arrivé sur place peu avant minuit le 11 septembre, raconte, vidéos à l'appui, comment la foule a sorti l'ambassadeur inanimé. À l'image, on voit qu'aucune porte ne bloque la progression des plus téméraires quand ils tentent d'entrer dans le petit bâtiment. La fumée, trop dense, contraint ces jeunes hommes à reculer plusieurs fois, avant qu'une voix finisse par crier qu'il y a un homme à l'intérieur.
Selon ce témoin, le corps inanimé de l'ambassadeur est finalement extrait des décombres vers 1 heure du matin. «Il est en vie», se réjouissent les hommes qui portent maladroitement Christopher Stevens. Mais personne n'a la moindre connaissance médicale, et il n'y a pas d'ambulance à proximité. Christopher Stevens arrivera à l'hôpital dans une voiture particulière à 1 h 30. Malgré tous leurs efforts, les médecins ne parviendront pas à le garder en vie.
«Une centaine d'hommes habillés à l'afghane»
Les deux quinquagénaires Ali et Falih prenaient le frais sur leur pas de porte, à vingt mètres du consulat américain, quand ils ont vu une centaine d'hommes prendre à partie, vers 20 h 30, les policiers stationnés qui ont vite plié bagages. «Un homme, vêtu d'une tunique et portant une longue barbe, a tiré avec un RPG, assurent-ils. D'autres ont jeté des pains d'explosif. Vers 22h30, un pick-up de la Brigade du 17 février a pris position et a tiré à l'arme antiaérienne, puis est parti.»
Ahmed, un autre témoin, raconte: «Il y avait une centaine d'hommes, des extrémistes habillés à l'afghane et portant de longues barbes. Ils étaient tous armés, d'AK47 et de RPG. Il y avait aussi plusieurs hommes dont le visage était masqué. Vers 22h30, ils sont partis, on pensait que c'était fini. J'ai entendu quelqu'un dire qu'il y avait des gens à eux à l'intérieur de l'ambassade. Les combats sont devenus de plus en plus violents. La police a fait quelque chose de stupide en tirant à la 14,5. J'ai vu un gros 4×4 noir sortir du consulat. À une heure du matin, tout est redevenu calme.»
Par Thierry Portes