D'autres procès de ce type pourraient avoir bientôt lieu. Ils devraient concerner la famille Bongo, qui dirige le Gabon depuis 1967, et la famille Nguesso, à la tête du Congo-Brazzaville depuis 1997. Dans son ouvrage, "Pilleurs d’Afrique" (Les Editions du Cerf), le journaliste Gilles Gaetner, revient en détails sur ces dossiers. Interview.
Vous avez enquêtez pendant plusieurs années sur les malversations de plusieurs chefs d’Etats africains et leurs proches qui intéressent aujourd’hui la justice française. Qu’avez-vous appris ?
J’ai essayé de mettre en perspective, d’analyser les faits, de m’interroger sur le plan juridique. Ces affaires révèlent l’absence de mue démocratique au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Congo Brazzaville. La démocratie n'arrive pas à éclore.
Je me suis intéressé à décrypter les mécanismes qui ont pu permettre ces importants détournements de fonds publics à des fins d’enrichissement personnel. Dans les trois volets des enquêtes sur les biens mal acquis, trois niveaux de responsabilité se superposent.
La première : les chefs d’Etats, leurs proches, surtout des membres de leur famille. On est dans le népotisme absolu.
Le deuxième : ce que j’appelle les "tirelires". Des intermédiaires, en majorité français. Ils aident financièrement les chefs d’Etats avec l’argent qu’ils ont reçu des chefs d’Etat eux-mêmes pour rendre les fonds indétectables. Ils profitent du système défaillant et se servent comme des bêtes au passage.
Le troisième : les petites mains. C’est la secrétaire, gérante de SCI, qui va acheter un immeuble à plusieurs millions d’euros pour le compte de son patron, par exemple.
Avec ce système, on fait vivre beaucoup de monde.
Et derrière, il y a toute une population qui a du mal à se soigner et à manger.
Qu’est-ce qui a rendu si compliqué des poursuites en France ?
Il a fallu que des associations comme Transparency International, des avocats comme William Bourdon, se battent. Rien n’était acquis. Comment la France peut reprocher des faits commis par des étrangers à l’étranger ? Comment viser des chefs d’Etat qui bénéficient d’une immunité totale ?
La chambre criminelle de la Cour de Cassation a estimé qu’on pouvait enquêter: des biens, hôtels particuliers, voitures, montres, costumes, ont été acquis en France par des fonds illicites et l’immunité pénale est contestable dès lors que l’enrichissement personnel n’est pas lié aux fonctions de chef d’Etat.
Enfin, il faut souligner la complexité des montages financiers réalisés à travers les paradis fiscaux - au Luxembourg, à Dubaï, à Hong-Kong...-et des sociétés écran. L'argent provient des fonds publics des pays étrangers rendant encore plus difficile les poursuites. En Guinée Equatoriale par exemple, le conflit d'intérêt n'existe pas.
La condamnation en première instance de Teodorin Obiang est inédite. C’est la première fois qu’un haut dirigeant étranger en exercice a été condamné en France pour des faits de blanchiment, notamment de détournement de fonds publics et de corruption...
La justice a été conciliante. La peine n’est pas si lourde : trois ans avec sursis, une amende de 30 millions d’euros avec sursis et la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français.
La présidente du tribunal a justifié ce sursis par le fait que Teodorin Obiang a pu longtemps penser bénéficier d’une forme d’impunité en France. Elle a notamment dit tenir compte de la "complaisance" de la Société Générale "qui a permis à tout le moins par son absence de réaction la poursuite de l’infraction". Il est vrai que les banques françaises qui ont vu transiter l’argent, ont été bienveillantes à l’égard des mis en cause.
Dans les pays africains concernés, y a-t-il eu une prise de conscience ? Des poursuites ont-elles été engagées ?
Il y a des tentatives de lutte contre la corruption. Au Gabon, une commission contre l’enrichissement illicite a été créée en 2003. Elle est fondée sur le même principe que notre Haute autorité pour la transparence de la vie publique, mais c’est un gag : elle existe depuis une dizaine d'années et seuls sept dossiers ont été transmis à la justice.
C’est comme si on n’avait pas envie de lutter réellement contre la corruption. Le président de cette commission a demandé à la France de lui transmettre les documents en sa possession, pour enquêter. Comme si une commission de lutte contre l’enrichissement allait enquêter contre la famille Bongo !
Ce n’est pas possible selon vous ?
En France, les affaires de corruption dans les hautes sphères de l’Etat sont difficiles à mener. Imaginez au Gabon… Ce sont des dizaines et des dizaines de millions d’euros qui sont en jeu. C’est sans commune mesure avec les affaires en France. Et puis les personnes visées sont encore au pouvoir. Les lanceurs d’alerte risquent leur vie. Cela étant dit, on ne sait jamais, il peut y avoir une lame de fond dans la population, comme en Tunisie.
La justice a confisqué, dans le cas de Teodorin Obiang, les avoirs illicites. Peut-on imaginer, comme l’espèrent plusieurs associations de lutte anti-corruption, que ces sommes soient restituées aux populations africaines lésées ?
La loi prévoit que les biens mal acquis en France soient revendus aux enchères. L’argent des saisies est versé au budget général de l'Etat. Si on modifiait la loi pour reverser ces sommes à l’Etat victime, cela ne réglerait pas le problème : les dirigeants qui se sont servis dans les caisses, sont encore au pouvoir.
S’ils venaient à être déchus, qui garantirait que l’argent ne servirait pas de nouveau à enrichir de nouveaux dirigeants corrompus ou des dirigeants proche de l’ancien pouvoir ? Cela me paraît difficile à mettre en place aujourd’hui.
Ces détournements d’argent public sont-ils un frein au développement et à la croissance de ces pays africains ?
C’est difficile à évaluer. Mais ce qui est sûr, c’est qu’avec tout l’argent détourné, on aurait pu construire des hôpitaux et des écoles.
Rue89
Vous avez enquêtez pendant plusieurs années sur les malversations de plusieurs chefs d’Etats africains et leurs proches qui intéressent aujourd’hui la justice française. Qu’avez-vous appris ?
J’ai essayé de mettre en perspective, d’analyser les faits, de m’interroger sur le plan juridique. Ces affaires révèlent l’absence de mue démocratique au Gabon, en Guinée Equatoriale et au Congo Brazzaville. La démocratie n'arrive pas à éclore.
Je me suis intéressé à décrypter les mécanismes qui ont pu permettre ces importants détournements de fonds publics à des fins d’enrichissement personnel. Dans les trois volets des enquêtes sur les biens mal acquis, trois niveaux de responsabilité se superposent.
La première : les chefs d’Etats, leurs proches, surtout des membres de leur famille. On est dans le népotisme absolu.
Le deuxième : ce que j’appelle les "tirelires". Des intermédiaires, en majorité français. Ils aident financièrement les chefs d’Etats avec l’argent qu’ils ont reçu des chefs d’Etat eux-mêmes pour rendre les fonds indétectables. Ils profitent du système défaillant et se servent comme des bêtes au passage.
Le troisième : les petites mains. C’est la secrétaire, gérante de SCI, qui va acheter un immeuble à plusieurs millions d’euros pour le compte de son patron, par exemple.
Avec ce système, on fait vivre beaucoup de monde.
Et derrière, il y a toute une population qui a du mal à se soigner et à manger.
Qu’est-ce qui a rendu si compliqué des poursuites en France ?
Il a fallu que des associations comme Transparency International, des avocats comme William Bourdon, se battent. Rien n’était acquis. Comment la France peut reprocher des faits commis par des étrangers à l’étranger ? Comment viser des chefs d’Etat qui bénéficient d’une immunité totale ?
La chambre criminelle de la Cour de Cassation a estimé qu’on pouvait enquêter: des biens, hôtels particuliers, voitures, montres, costumes, ont été acquis en France par des fonds illicites et l’immunité pénale est contestable dès lors que l’enrichissement personnel n’est pas lié aux fonctions de chef d’Etat.
Enfin, il faut souligner la complexité des montages financiers réalisés à travers les paradis fiscaux - au Luxembourg, à Dubaï, à Hong-Kong...-et des sociétés écran. L'argent provient des fonds publics des pays étrangers rendant encore plus difficile les poursuites. En Guinée Equatoriale par exemple, le conflit d'intérêt n'existe pas.
La condamnation en première instance de Teodorin Obiang est inédite. C’est la première fois qu’un haut dirigeant étranger en exercice a été condamné en France pour des faits de blanchiment, notamment de détournement de fonds publics et de corruption...
La justice a été conciliante. La peine n’est pas si lourde : trois ans avec sursis, une amende de 30 millions d’euros avec sursis et la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français.
La présidente du tribunal a justifié ce sursis par le fait que Teodorin Obiang a pu longtemps penser bénéficier d’une forme d’impunité en France. Elle a notamment dit tenir compte de la "complaisance" de la Société Générale "qui a permis à tout le moins par son absence de réaction la poursuite de l’infraction". Il est vrai que les banques françaises qui ont vu transiter l’argent, ont été bienveillantes à l’égard des mis en cause.
Dans les pays africains concernés, y a-t-il eu une prise de conscience ? Des poursuites ont-elles été engagées ?
Il y a des tentatives de lutte contre la corruption. Au Gabon, une commission contre l’enrichissement illicite a été créée en 2003. Elle est fondée sur le même principe que notre Haute autorité pour la transparence de la vie publique, mais c’est un gag : elle existe depuis une dizaine d'années et seuls sept dossiers ont été transmis à la justice.
C’est comme si on n’avait pas envie de lutter réellement contre la corruption. Le président de cette commission a demandé à la France de lui transmettre les documents en sa possession, pour enquêter. Comme si une commission de lutte contre l’enrichissement allait enquêter contre la famille Bongo !
Ce n’est pas possible selon vous ?
En France, les affaires de corruption dans les hautes sphères de l’Etat sont difficiles à mener. Imaginez au Gabon… Ce sont des dizaines et des dizaines de millions d’euros qui sont en jeu. C’est sans commune mesure avec les affaires en France. Et puis les personnes visées sont encore au pouvoir. Les lanceurs d’alerte risquent leur vie. Cela étant dit, on ne sait jamais, il peut y avoir une lame de fond dans la population, comme en Tunisie.
La justice a confisqué, dans le cas de Teodorin Obiang, les avoirs illicites. Peut-on imaginer, comme l’espèrent plusieurs associations de lutte anti-corruption, que ces sommes soient restituées aux populations africaines lésées ?
La loi prévoit que les biens mal acquis en France soient revendus aux enchères. L’argent des saisies est versé au budget général de l'Etat. Si on modifiait la loi pour reverser ces sommes à l’Etat victime, cela ne réglerait pas le problème : les dirigeants qui se sont servis dans les caisses, sont encore au pouvoir.
S’ils venaient à être déchus, qui garantirait que l’argent ne servirait pas de nouveau à enrichir de nouveaux dirigeants corrompus ou des dirigeants proche de l’ancien pouvoir ? Cela me paraît difficile à mettre en place aujourd’hui.
Ces détournements d’argent public sont-ils un frein au développement et à la croissance de ces pays africains ?
C’est difficile à évaluer. Mais ce qui est sûr, c’est qu’avec tout l’argent détourné, on aurait pu construire des hôpitaux et des écoles.
Rue89