C’est une « illustration rare du cycle complet de la kleptocratie », autrement dit de la façon dont « le membre d'une famille présidentielle aurait volé, blanchi et dépensé des fonds publics à des fins personnelles », écrit Global Witness dans un communiqué. L’ONG anti-corruption s’est procuré la requête des procureurs américains. Ce document, également consulté par RFI, détaille étape par étape la façon dont Denis Christel Sassou-Nguesso aurait agi pour acquérir la propriété de Miami visée par cette procédure dite de « confiscation civile », mais aussi d’autres biens.
Première étape, selon les procureurs américains : détourner l’argent du compte de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) vers ceux de l’une de ses sociétés écrans. Pour cela, « en tant que cadre dirigeant […] et fils du président », il aurait « suffi », selon eux, à Denis Christel Sassou-Nguesso « d’ordonner » au PDG de la BGFI, qui héberge les comptes de la SNPC, « de transférer cet argent vers les comptes de ses propres » sociétés écrans. « Cela s’est produit plusieurs fois », peut-on lire dans leur demande de saisie de la propriété du 900 boulevard Biscayne à Miami. Les procureurs retranscrivent des e-mails auxquels ils disent avoir eu accès à l’appui de cette accusation.
Deuxième étape : envoyer cet argent « volé » aux États-Unis, sur les comptes d’un prête-nom, un certain « Associé A » décrit dans le document de la justice américaine comme le « fils d'un ancien haut fonctionnaire gabonais » dont l’identité n’est pas dévoilée. Pour justifier ces transferts et dissimuler l’origine des fonds, il aurait fourni des factures. L’associé aurait ensuite versé une partie de l’argent à un avocat en Floride, et le reste à lui-même en vue d’acquérir une propriété en vente à l’époque à 2,8 millions de dollars. « Pour ne pas apparaître » comme le véritable propriétaire du bien, écrivent les procureurs, le fils du chef de l’État congolais aurait enfin fait rédiger dans un premier temps l’acte de vente au nom de son associé, avant, à la dernière minute, de s’y substituer sous l’alias de « Denis Christelle », une fausse identité, qu’il aurait également utilisée pour ouvrir des comptes bancaires aux États-Unis et au nom de laquelle il possèderait un « second passeport congolais », selon ce document de la justice américaine.
Seule la propriété de Miami est visée par la procédure de confiscation. Au stade actuel de leur enquête, les procureurs américains notent toutefois qu’un procédé identique aurait également servi à acquérir une autre résidence à Coral Gables, près de Miami pour 2,4 millions de dollars au nom de sa première femme, Danielle Ognanosso, ainsi que d'autres biens en France.
Plus largement, ils disent avoir trouvé la trace qu’entre 2007 et 2017, Denis Christel aurait dépensé plus de 29 millions de dollars en articles de luxe et pour « financer le train de vie somptueux de sa famille et de lui-même ». « Cette somme correspond à environ 10 pour cent du budget congolais de la santé en 2020 », souligne l’ONG anti-corruption Global Witness.
Ces dépenses sont « largement supérieures », écrivent les procureurs à ce que Denis Christel Sassou-Nguesso prétendait alors gagner. Ils disent avoir la preuve, par exemple, que le fils du chef de l’État congolais aurait dépensé une somme de plus de 550 000 dollars pour une nouvelle cuisine dans une résidence en France en 2012, et autant l’année suivante dans un hôtel de Los Angeles.
Toujours d’après les procureurs, le fils du chef de l’État congolais, aujourd’hui député, aurait également accepté plus de 1,5 million de dollars de « pots-de-vin » en provenance de sociétés pétrolières, en échange de l’attribution de contrats pétroliers.
Il faut préciser qu’il s’agit d’une procédure civile, à ce stade, de « confiscation ». Si les mis en cause n’arrivent pas prouver que la propriété n’a pas été acquise illégalement, elle sera saisie au profit du Trésor américain. Le département de Justice pourra ensuite décider ou non de poursuivre sur le plan pénal, cette fois, les auteurs du détournement présumé. Ni Denis Christel Sassou-Nguesso ni ses avocats français n’ont répondu aux sollicitations de RFI à ce propos. Pas plus que le porte-parole du gouvernement congolais ou que la présidence congolaise.
Pour Natasha White, chercheuse sur l’Afrique centrale à Global Witness, cette enquête des procureurs américains offre une parfaite et « rare » illustration du « cycle complet » de ce qu’elle appelle la « kleptocratie » congolaise.
« J’aurais pensé que cette procédure aurait pu donner des informations sur de nouveaux mécanismes de corruption mais, en fait, non. Il aurait utilisé les mêmes techniques, les mêmes types de facilitateurs que plusieurs kleptocrates et businessmen corrompus ont utilisé au cours de la dernière décennie, c’est-à-dire des hommes de paille, des sociétés écrans, des avocats et des banquiers. Donc, c’est toujours les mêmes pratiques et des choses qui sont assez simples, à notre avis, à résoudre. De ce fait, nous formulons toujours les mêmes recommandations : que les avocats, les banquiers et les agents immobiliers doivent connaître leurs clients, notamment les bénéficiaires effectifs de leur société et aussi la source de leur financement et qu’ils doivent être tenus d’effectuer des contrôles anti-blanchiment d’argent. Et s’ils ne le font pas, ils doivent être sanctionnés ».
« Les États ne doivent plus servir de refuges et de terrains de jeu aux kleptocrates du monde entier. Le système financier international devrait bloquer, et non pas faciliter le mouvement de fonds détournés. Les banquiers, avocats et agents immobiliers doivent cesser de s'enrichir sur le dos de citoyens d'autres pays, privés d'un accès aux services élémentaires de santé et d'éducation », réagit également l’ONG anti-corruption.
Interrogée par Global Witness, la SNPC a, de son côté, assuré vouloir « examiner attentivement » les allégations de détournement, et que l’attribution des permis pétroliers relevait du gouvernement et du Parlement. BGFIGroup n’a pas répondu à la demande de commentaires de l’ONG.
« Selon les rapports de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et le cadastre pétrolier du MAETGT, le Congo a délivré ou renouvelé 26 permis de recherche et de production pétrolière entre 2014 et 2016. Les bénéficiaires de ces permis étaient, entre autres, les majors pétrolières Eni et Total », rappelle enfin Global Witness. De son côté, Total a déclaré a Global Witness et RFI n’avoir « payé aucun pot-de-vin en échange de permis pétroliers » de la part du gouvernement congolais. Elle ajoute avoir pris « toutes les mesures nécessaires afin de se conformer aux lois applicables contre la corruption ainsi qu’à sa propre politique anti-corruption ».
Ces nouvelles allégations surviennent alors que le Congo-Brazzaville, surendetté malgré l’abondance de ses ressources pétrolières, a vu fin 2019 le FMI suspendre les versements prévus dans le cadre d’un programme d’aide conclu en juillet 2019 après d’âpres négociations. L’institution financière internationale reproche aux autorités congolaises de ne pas avoir honoré leur promesse de négocier une décote de 30% sur la dette contractée par le pays auprès de plusieurs négociants en pétrole comme elles s’y étaient engagées.
Rfi
Première étape, selon les procureurs américains : détourner l’argent du compte de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) vers ceux de l’une de ses sociétés écrans. Pour cela, « en tant que cadre dirigeant […] et fils du président », il aurait « suffi », selon eux, à Denis Christel Sassou-Nguesso « d’ordonner » au PDG de la BGFI, qui héberge les comptes de la SNPC, « de transférer cet argent vers les comptes de ses propres » sociétés écrans. « Cela s’est produit plusieurs fois », peut-on lire dans leur demande de saisie de la propriété du 900 boulevard Biscayne à Miami. Les procureurs retranscrivent des e-mails auxquels ils disent avoir eu accès à l’appui de cette accusation.
Deuxième étape : envoyer cet argent « volé » aux États-Unis, sur les comptes d’un prête-nom, un certain « Associé A » décrit dans le document de la justice américaine comme le « fils d'un ancien haut fonctionnaire gabonais » dont l’identité n’est pas dévoilée. Pour justifier ces transferts et dissimuler l’origine des fonds, il aurait fourni des factures. L’associé aurait ensuite versé une partie de l’argent à un avocat en Floride, et le reste à lui-même en vue d’acquérir une propriété en vente à l’époque à 2,8 millions de dollars. « Pour ne pas apparaître » comme le véritable propriétaire du bien, écrivent les procureurs, le fils du chef de l’État congolais aurait enfin fait rédiger dans un premier temps l’acte de vente au nom de son associé, avant, à la dernière minute, de s’y substituer sous l’alias de « Denis Christelle », une fausse identité, qu’il aurait également utilisée pour ouvrir des comptes bancaires aux États-Unis et au nom de laquelle il possèderait un « second passeport congolais », selon ce document de la justice américaine.
Seule la propriété de Miami est visée par la procédure de confiscation. Au stade actuel de leur enquête, les procureurs américains notent toutefois qu’un procédé identique aurait également servi à acquérir une autre résidence à Coral Gables, près de Miami pour 2,4 millions de dollars au nom de sa première femme, Danielle Ognanosso, ainsi que d'autres biens en France.
Plus largement, ils disent avoir trouvé la trace qu’entre 2007 et 2017, Denis Christel aurait dépensé plus de 29 millions de dollars en articles de luxe et pour « financer le train de vie somptueux de sa famille et de lui-même ». « Cette somme correspond à environ 10 pour cent du budget congolais de la santé en 2020 », souligne l’ONG anti-corruption Global Witness.
Ces dépenses sont « largement supérieures », écrivent les procureurs à ce que Denis Christel Sassou-Nguesso prétendait alors gagner. Ils disent avoir la preuve, par exemple, que le fils du chef de l’État congolais aurait dépensé une somme de plus de 550 000 dollars pour une nouvelle cuisine dans une résidence en France en 2012, et autant l’année suivante dans un hôtel de Los Angeles.
Toujours d’après les procureurs, le fils du chef de l’État congolais, aujourd’hui député, aurait également accepté plus de 1,5 million de dollars de « pots-de-vin » en provenance de sociétés pétrolières, en échange de l’attribution de contrats pétroliers.
Il faut préciser qu’il s’agit d’une procédure civile, à ce stade, de « confiscation ». Si les mis en cause n’arrivent pas prouver que la propriété n’a pas été acquise illégalement, elle sera saisie au profit du Trésor américain. Le département de Justice pourra ensuite décider ou non de poursuivre sur le plan pénal, cette fois, les auteurs du détournement présumé. Ni Denis Christel Sassou-Nguesso ni ses avocats français n’ont répondu aux sollicitations de RFI à ce propos. Pas plus que le porte-parole du gouvernement congolais ou que la présidence congolaise.
Pour Natasha White, chercheuse sur l’Afrique centrale à Global Witness, cette enquête des procureurs américains offre une parfaite et « rare » illustration du « cycle complet » de ce qu’elle appelle la « kleptocratie » congolaise.
« J’aurais pensé que cette procédure aurait pu donner des informations sur de nouveaux mécanismes de corruption mais, en fait, non. Il aurait utilisé les mêmes techniques, les mêmes types de facilitateurs que plusieurs kleptocrates et businessmen corrompus ont utilisé au cours de la dernière décennie, c’est-à-dire des hommes de paille, des sociétés écrans, des avocats et des banquiers. Donc, c’est toujours les mêmes pratiques et des choses qui sont assez simples, à notre avis, à résoudre. De ce fait, nous formulons toujours les mêmes recommandations : que les avocats, les banquiers et les agents immobiliers doivent connaître leurs clients, notamment les bénéficiaires effectifs de leur société et aussi la source de leur financement et qu’ils doivent être tenus d’effectuer des contrôles anti-blanchiment d’argent. Et s’ils ne le font pas, ils doivent être sanctionnés ».
« Les États ne doivent plus servir de refuges et de terrains de jeu aux kleptocrates du monde entier. Le système financier international devrait bloquer, et non pas faciliter le mouvement de fonds détournés. Les banquiers, avocats et agents immobiliers doivent cesser de s'enrichir sur le dos de citoyens d'autres pays, privés d'un accès aux services élémentaires de santé et d'éducation », réagit également l’ONG anti-corruption.
Interrogée par Global Witness, la SNPC a, de son côté, assuré vouloir « examiner attentivement » les allégations de détournement, et que l’attribution des permis pétroliers relevait du gouvernement et du Parlement. BGFIGroup n’a pas répondu à la demande de commentaires de l’ONG.
« Selon les rapports de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) et le cadastre pétrolier du MAETGT, le Congo a délivré ou renouvelé 26 permis de recherche et de production pétrolière entre 2014 et 2016. Les bénéficiaires de ces permis étaient, entre autres, les majors pétrolières Eni et Total », rappelle enfin Global Witness. De son côté, Total a déclaré a Global Witness et RFI n’avoir « payé aucun pot-de-vin en échange de permis pétroliers » de la part du gouvernement congolais. Elle ajoute avoir pris « toutes les mesures nécessaires afin de se conformer aux lois applicables contre la corruption ainsi qu’à sa propre politique anti-corruption ».
Ces nouvelles allégations surviennent alors que le Congo-Brazzaville, surendetté malgré l’abondance de ses ressources pétrolières, a vu fin 2019 le FMI suspendre les versements prévus dans le cadre d’un programme d’aide conclu en juillet 2019 après d’âpres négociations. L’institution financière internationale reproche aux autorités congolaises de ne pas avoir honoré leur promesse de négocier une décote de 30% sur la dette contractée par le pays auprès de plusieurs négociants en pétrole comme elles s’y étaient engagées.
Rfi