D’ailleurs, dans la préface qu’il a faite à Kâshifoul albas ou la levée des équivoques, traité fondamental du soufisme et de la voie tidjâne écrit en 1931 par Bâye, Cheikh Alioune CISSE, disciple, gendre et premier imâm de la mosquée de Madîna-Bâye, relate : « Tout au début de la grossesse d’Aïcha DIANKHÂ, celle-ci vit en songe qu’elle se tenait sur quelque chose, qu’il y avait en-dessous d’elle un puits, quand soudain se fendit la lune venant de l’est et tomba sur elle. Elle eut très peur à son réveil et se confia très tôt le matin à son mari, El-Hâdj Abdallâh NIASS. Ce dernier la calma et la pria de garder le secret …
A la naissance de Bâye, son père demanda à sa mère : « as-tu de l’espoir pour ton enfant? » Elle répondit : « oui, j’espère beaucoup de biens en lui, qu’il soit vertueux, pieux, s’il plaît à Dieu. » El-Hâdj Abdallâh renforça : « oui, je l’espère aussi si Allâh lui accorde une longue vie.»
El-Hâdj Abdallâh fut initié à la Tidjâniyya par Thierno Mamadou Ibrâhîma DIALLO, un disciple de Cheikh Omar TÂL, tout comme le fut Seydi Alphâ Mâyoro WELE, oncle maternel et instructeur d’El-Hâdj Mâlick SY.
La première mouture de sa lignée omarienne est la suivante : El-Hâdj Abdallâh NIASS-Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydî Abdoul Karîm Ahmed Nagguel ou Nadel DIALLO-Seydî Mawloûd FÂL (1773-1852)-Cheikh Muhammad HAFIZ (1759-1830)-Cheikh Ahmed Tidjâny (1737-1815).
La seconde est : El-Hâdj Abdallâh NIASS-Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydî Mouhammad al Qâli-Cheikh Ahmed Tidjâni.
El-Hâdj Abdallâh prit l’éducation de Bâye en main. Il lui enseigna le Coran et les hadiths que le surdoué mémorisa très tôt, puis la târiqâ tidjâne et les autres sciences liées à la religion.
Tout au long de son éducation religieuse, Bâye aura étudié l’exégèse, le droit musulman, l’arabe, la métrique, la rhétorique, la biographie du Prophète (psl) tout en cultivant un goût prononcé pour la mystique islamique ou tasawouf qui, selon Aboûl Abbâs Tidjâni « est la pratique des préceptes divins et le renoncement aux intérêts terrestres dans l’apparent comme dans le caché, comme Dieu le veut et non comme tu le veux. »
A l’âge de 21 ans, déjà devenu un érudit accompli à l’heure où ses homologues jouissaient encore de la plénitude de leur jeunesse, Bâye publia Roûhoul Adab ou l’Esprit de la bonne conduite qu’il considère comme un conseil fraternel destiné à ses lecteurs.
Au total, il laisse à la postérité plus vingt œuvres écrites d’une valeur philosophique, ésotérique et littéraire indubitable dont un poème de 2972 vers intitulé : Taysîr el wousoul ilâ hadrati Rassoûl ou Moyen d’atteindre facilement l’Apôtre.
Du 09 juillet 1922, date de disparition de son père, à fin 1929, point de départ officiel de sa mission, Bâye se mit à l’ombre de son grand frère Cheikh Mouhamadou ben Abdallâh ben Mouhamadou al-Aamin NIASS dit Mouhamadou Aminata, alias Khalifa—né à Sélik le 29 juillet 1881 et décédé à Kaolack le 1er mars 1959) — en dispensant des cours dans les écoles coraniques ouvertes par son père à Taïba, Kôssi et Kaolack. Déjà, son érudition lui attira de nombreux adeptes mais aussi une foule d’ennemis.
En fin 1929-début 1930, alors que la crise économique qui venait d’éclater aux Etats-Unis commençait à embraser le reste de la planète, Bâye NIASS déclara à la face du monde qu’il était ce saint annoncé par Mawlânâ Cheikh Ahmed Tidjâne comme son propre héritier et le seul habilité à propager la Faydâ décrite par Aboûl Abbâs en ces termes : « l’effluve viendra avec un de mes disciples à tel point que les hommes entrent dans notre voie (târiqâ) par groupes, par peuples. Cette Faydâ adviendra à un moment où le monde éprouvera de grandes difficultés.
Selon Bâye, « la sagesse de l’apparition de cette Faydâ à cette époque pervertie s’explique par la faiblesse de la foi dans le cœur des hommes et par la multitude des voies perverses et perdantes.
Or cette communauté (islamique) est une communauté vénérable (auprès de Dieu) et alors fut ouverte et déversée, vers eux, l’effluve des connaissances gnostiques et des Vérités Essentielles pour qu’ils retournent à la source de la foi naturelle. ».
Un vendredi, lendemain d’un mawlîd-an-nabî, ou commémoration de la naissance du Prophète Mouhammad (psl), vers neuf heures, Ibrâhîma Abdallâh NIASS, alors connu sous le pseudonyme d’Ibrâ Asta, déclara : «Que celui qui veut connaître Allâh et le çâhiboul (détenteur) faydou me suive, qu’il soit homme ou femme, jeune ou vieux ! »
Les assistants étaient comme interdits. N’ont-ils pas été informés de la mission secrète de Cheikh Abdallâh Oud Hâdj el Alawi, père de Mishri ? Après avoir testé le jeune Ibrâhîma, alors âgé de dix ans, le saint homme dit à El-Hâdj Abdallâh : « Ton fils n’a nullement besoin d’être parrainé par une créature car Dieu le très-Haut l’a élu ».
A Bâye, il confia : « Une Faydâ te viendra entre les mains en vérité et sans aucun doute ; et si un autre prétend la détenir, ce ne sera là que mensonge ; mais tu verras à ton égard de la méchanceté telle qu’aucun de tes prédécesseurs n’en a jamais vu…Tu es le plus grand homme de la voie tidjâne de tous les temps. » Pour dire que le jeune garçon était celui annoncé par Cheikh Ahmed Tidjâne comme futur réformateur de la Tidjâniyyâ.
« La Faydhâ (ou inondation en arabe) est une expression métaphorique qui traduit l’adhésion massive d’hommes et de femmes à l’islam et à la Târiqâ tidjâne.
Véritable mosaïque des peuples, les fidèles, rassemblés autour de leur maître et nourris de la sève spirituelle, constitueront une famille unie dans la foi en Allâh, toutes différences ethniques, culturelles ou sociales fondues dans l’Unicité divine. » D’après Mouhammadou Mahdy NIASS in « Bâye NIASS le défenseur de l’islam », tome 1, Imprimerie Cheikh al-Islam El-Hâdj Ibrâhîm NIASS, page 30
Rappelons-nous, Cheikh Ibrâhîm a commencé sa mission vers 1929, année marquant le début de la grande crise économique. Avant l’avènement de Cheikh Ibrâhîm, bien des hommes s’étaient proclamés maîtres de la Faydhâ ; mais aucun d’entre eux ne répondait entièrement aux critères autant que lui. En outre, ce point de vue a été corroboré par plusieurs leaders Tidjânes qui reconnaissent que Cheikh Ibrâhîm était réellement le professeur de la Faydâ.
Le professeur Ibrâhîm Mahmoûd Diop cite à cet effet une parabole qu’il a entendue de Cheikh Ibrâhîm : « Imaginez cinq choses, avait-il dit : imaginez un puits sans fond, ce n’est donc pas un puits ordinaire, pensez-vous, mais un puits insondable.
Imaginez ensuite un travailleur infatigable chargé d’en puiser continuellement de l’eau. A cet homme inlassable, confectionnez un seau d’un cuir inaltérable. Et tout près du puits, supposez qu’il y ait un bassin qui, à la longue, va être plein.
Imaginez enfin, une eau si précieuse qu’on ne peut ni verser par terre, ni remettre dans le puits déjà plein à déborder. La question, est la suivante : Que faire de cette eau, lorsque le bassin sera rempli ? Une réponse : Construire le plus de bassins possible autour du puits pour recueillir cette eau.
Dans cette parabole, le puits représente Allâh, l’Etre Suprême et Eternel. L’eau est la gnose divine et l’expérience. Le seau en cuir est le Prophète (psl).
A ce sujet, un proverbe soufi révèle : « Sans intermédiaire, nul ne peut jamais atteindre un quelconque objectif »… et le Prophète (psl) est le plus grand médiateur entre la création et Allâh.
Le travailleur, dans cette parabole, est Cheikh Ahmad at-Tidjâni.
Le bassin est un guide spirituel d’exception qui est tant et si bien versé dans la gnose divine qu’il doit transmettre aux autres cette connaissance sublime sinon, elle débordera. Cheikh Ibrâhîm NIASS est le professeur de la Faydâ.»
D’après Cheikh Hassan CISSE in Cheikh Ibrâhîm NIASS, le vivificateur de la sunnah, New York Publication, pages 16 et 17.
Cheikh Alioune CISSE, Serigne Mbaye NIASS, Cheikh Omar TOURE, Mâme Abdou NIANG, Cheikh Ibra FÂL, Cheikh Mahmoud NIASS, Tafsîr Mahmoud DIOP, Serigne Ousmane NDIAYE, Cheikh Omar THIÂM dit Bâye Mallé mais aussi Thierno Oumar KANE, Thierno Abdallâh SÂKHO, Thierno Yahyâ Oumar LY, Thierno Madâdo DIATTARA et Thierno al-Hassane DEME ne se firent pas prier. Ils furent parmi les premiers à avoir répondu à l’appel de Bâye qui dut quitter la concession paternelle sise à Léona au mois lunaire shawwal 1349 ou février 1931.
Selon Cheikh Alioune CISSE, Bâye transita par Kôssi avant de fonder, entre les lundi 12 et 19 zoulqâda 1349, plus précisément le vendredi 03 avril 1931, la bourgade de Madîna où il y érigea une mosquée de 24 m de long sur 14 m de large. En 1958, une première extension est opérée sur les flancs de ce lieu de culte. Une seconde est réalisée en 1981.
Inaugurée officiellement le vendredi 26 février 2010, la grande mosquée de Madîna-Bâye est haute de 65 mètres correspondant aux neuf étages de son minaret. Ses dimensions actuelles sont de 56m de long et 47m de large. Au centre, une coupole de 25m de long et de 15m de diamètre surplombe les fidèles.
Les disciples affluaient de tous les coins du Sénégal, mais c’est à partir de 1937 que le rythme des adhésions prit une ampleur frénétique.
C’est effectivement en 1937 que Cheikh Ibrâhîm se rendit à La Mecque pour la première fois. De cette date à 1971, il y retournera seize autres fois, soit un total de dix-sept pèlerinages hormis les « oumras » ou pèlerinages surérogatoires. A l’étape de Fès, Chérif Mounîf lui offrit un chapelet et un tapis de prières personnels mais aussi une touffe des cheveux du père de la Tidjâniyyâ et une fiole où ce dernier mettait du parfum qu’il utilisait au moment de ses retraites dévotionnelles.
A Madîna-Mounnawara, Mawlânâ Cheikh Ibrâhîm NIASS rencontra Abdoullâhi Ibn Abbâs Bâyero (1881-1953), Emir de Kano de 1926 à 1953 et son ministre Suleyman Ibn Ismaël qui renouvelèrent leur affiliation à la Tidjâniyya auprès de lui. L’Emir l’invita chez lui à Kano.
Pour justifier son adhésion, l’Emir confia à Bâye : « Quand j’étais enfant, j’avais demandé à Dieu trois choses : être l’Emir de Kano et je le suis ; avoir la possibilité d’accomplir le pèlerinage et je l’ai eue, et, enfin, rencontrer à La Mecque le calife de Cheikh Tidjâni ou son fils pour renouveler mon wird et quand je suis arrivé à Madîna-al-Mounnawara, je n’ai trouvé aucun chef de la târiqâ si ce n’est toi ».
C’est ainsi que l’Emir pria Cheikh Ibrâhîm de lui renouveler son wird près du mausolée du Prophète (psl) pour que celui-ci en fût témoin. Sur le chemin de retour, plus précisément à Fès, Cheikh Ibrâhîm rendit une visite de courtoisie à Seydî Ahmed El-Hâdj al-Ayyashi Soukayridji de Shattâti (1878-1944), le grand Pôle, de qui il tient sa chaîne dorée ou silsil ahzahabiya, à savoir : Cheikh Ibrâhîma NIASS-Cheikh Ahmed Soukayridji-Cheikh Ahmed Abdal Lawiy-Cheikh Aliyou Tamassinyou-Cheikh Ahmed Tidjâny.
Seydî Ahmed Ibrâhîm Sa’ihî lui fit don de la canne de Mawlânâ Cheikh Ahmed Tidjân. Par la suite, à Madîna-Bâye, Cheikh Ibrâhîm obtint l’allégeance d’un grand nombre de disciples de qualité dont des shorfas ou oulémas mauritaniens tels Cheikh Mouhammad Ould Nahwi, Cheikh Mana Abba Ould Tolba dit Cheikhâni (1908-1986), Cheikh Mouhammad Mishriy Oud Hâdj (1917-1975) Cheikh Sidy Abdallâh Ibn Khaïry (1900- 1991), Cheikh Mahmoûd Ould Tolba de la tribu Tandara, Cheikh Abdallâh el Djeydjibi, Cheikh Hâdi Ould Seyd, Cheikh Mouhammadou Djakanni, Cheikh al-Oustâz Mouhammadou Ould Rabbâni… qu’il initia par le biais de la tarbiyya en vue de parvenir à la mâ’rifa. Ce fut le début de son irréversible aura transnationale.
En 1946, Cheikh Ibrâhîma NIASS fit un bref séjour au Nigéria et y éleva au rang de muqaddam (préposé) l’Emir et ses 40 ministres dont Malam Jibirma, Malam Atiku, Malam Tidjâni Uthman, Malam Sani Kafanga, Abdallâhi Salga et Uthman Khalan Sawi. Ce geste galvanisa les disciples nigérians et le mouvement né en 1937 commença à s’amplifier.
Bâye revint dans ce pays en 1951 et, sous sa bannière, des centaines d’oulémas adhérèrent à la Tidjâniyyâ. Ses nouveaux et prestigieux disciples se lancèrent à l’expansion de la confrérie dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Quand, en 1953, disparut l’Emir, son fils et successeur Muhammad Sanusi (1900-1963), devint le porte-flambeau du mouvement qu’il renforça par le recrutement de milliers de disciples. Déjà en 1956, au Nigéria, 15 millions de fidèles se réclamaient de l’obédience d’El-Hâdj Ibrâhîma NIASS. Aujourd’hui, de par le monde, ils sont quelque 100 millions, soit 7 % de la population musulmane mondiale estimée aujourd’hui à 1,4 milliard d’adeptes, toutes écoles confondues.
Outre le Nigéria, le Bénin, le Cameroun, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, la Mauritanie, le Niger, la Sierra-Léone, le Soudan, le Togo et le Tchad, d’autres pays et régions du monde ouvrirent leurs portes à la Faydâ et, ipso facto, de son temps, Bâye devint le chef spirituel musulman dont l’audience est la plus large et la plus solide.
C’est la confirmation d’une prédication faite par son père qui, dans une parabole restée célèbre, à propos de l’enfant prodige, avait soutenu: « C’est le devoir d’un fleuve que d’être plein à déborder. Si les vaches du voisinage ne viennent pas s’y abreuver, celles venues d’ailleurs le feront.» Quelle clairvoyance ! Et le fruit a pu passer la promesse de la fleur.
De nos jours, à l’occasion des grandes rencontres, plus d’une vingtaine de nationalités se côtoient à Madîna-Bâye. Ce sont entre autres : Haoussa, Yorouba, Djerma, Bambara, Dogomba, Frafra, Malinké, Peul, Maure, Soninké, Wolof, Sérer, Mossi, Arabe, Berbère, Soudanais, Soussou, Dogon, Diola, Dioula, mais aussi Américains, Chinois, Japonais, Français, Anglais, Pakistanais et même des Russes. Ces bienheureux disciples de Bâye sont tous des « récipients débordants des secrets des trois présences.»
Dans sa générosité incommensurable, Cheikh Ibrâhîm a prié le tout Miséricordieux de ne lui choisir comme compagnons que les meilleurs des meilleurs musulmans possibles ; d’où cette supplique : «Mon Dieu, ne fais pas de l’écorce de la religion la part de mes amis, mais plutôt le secret du secret, c’est-à-dire l’essentiel de Tes hauts dons. »
Le culte de la perfection n’a jamais cessé d’être son credo : « khirlî sahbân foudala wa khirlî, min koulli seïn khaïrahoû wakounlî » ; autrement dit, « choisis pour moi les meilleurs compagnons et, de toute chose, choisis pour moi la meilleure et sois toujours pour moi ».
De plus, le cheikh a raccourci et aplani le chemin qui mène ses disciples à Allâh, aussi a-t-il écrit: « J’ai raccourci pour chacun de mes disciples dans l’Unicité d’Allâh, le chemin qui mène à l’amour immense que j’ai pour le Prophète de Dieu Ahmed. J’ai réduit le chemin qui mène à l’Unicité d’Allâh à quiconque veut parvenir à Dieu en Dieu, à la Vérité par la Vérité…
J’ai réduit l’ensemble des prières de toutes les créatures et j’ai raccourci pour chacun de mes disciples, dans l’Unicité d’Allâh, le chemin qui mène à l’amour immense que j’ai pour l’Envoyé de Dieu Ahmed, la moralité immanente…
J’ai synthétisé l’ensemble des connaissances des connaissants de Dieu et réduit le chemin qui y mène par le goût et par la sensation que j’ai eus de l’odeur du Prophète (sas) à qui appartient la sincérité…
J’ai facilité l’ensemble des poèmes laudateurs dans lesquels j’ai résumé et loué Celui qui est la forme du O (ha) du secret de l’ipséité de Dieu, de celui qui est l’Esprit du détenteur de la permission, de la substance et de la moralité immanente. »
Pour résumer, El-Hâdj Ibrâhîm rappelle : « Dieu m’a créé uniquement pour résoudre les problèmes parce qu’Il m’a confié le Secret des secrets. » En ce sens, il a recommandé à ses disciples de s’approprier les voies et moyens capables d’aider l’âme à se débarrasser de la «rouille qui ternit le miroir du cœur» et qui l’empêche de refléter la Vérité.
Chaque semaine Bâye avait coutume de lire trois fois le Coran en entier ; de plus, les versets que, de mémoire, il psalmodiait le matin, il les récitait seul le soir et au cours des prières surérogatoires nocturnes. Et aucune maladie, si grave soit-elle, ne perturbait cette habitude.
Du reste, l’Egyptien Mouhammad al-Hâfizat-Tidjâni, le plus grand connaisseur de hadiths de son temps, qualifie Bâye de Houdja (la Preuve), c’est-à-dire celui qui connaît à fond trois mille hadiths, leurs explications et leurs chaînes de transmission depuis le Prophète Mouhammad (sas).
Cet homme multidimensionnel qui, depuis qu’il a atteint l’âge de trente ans, n’a plus dormi plus de quatre heures par jour. De plus, il a participé à tous les débats relatifs à l’islam aussi bien au Sénégal, en Afrique, que partout dans le monde.
Par exemple, en 1953, Monseigneur Lefebvre (1905-1991) alors évêque de Dakar (1955-1962 et excommunié en 1988), dans un numéro d’Ecclésia, s’était permis de faire la leçon aux musulmans africains en écrivant : « Ou l’Afrique suivra ses aspirations profondes de simplicité, d’honnêteté, de religion et elle se fera catholique ou sous des dehors religieux, elle se confirmera dans ses vices de polygamie, de domination du faible, de superstitions et elle s’abandonnera à l’islam… Seule la religion catholique prescrit aux inférieurs le respect de l’obéissance… »
Monseigneur Lefebvre récidiva le 18 décembre 1959 en s’épanchant dans La France Catholique : « … On a lancé des phrases qui portent à la révolution : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à l’indépendance (…) la mainmise de la Russie et de la Chine sur l’Afrique devient de jour en jour une réalité ! Chose inattendue pour ceux qui connaissent mal l’islam. Ce sont les pays en majorité musulmane qui se détachent le plus rapidement de l’Occident et font appel aux méthodes communistes… ».
Dès le 05 janvier 1960, Bâye rétorqua à l’évêque ; « Ce vingtième siècle est parcouru par un courant de liberté et de nationalisme que rien ne saurait arrêter, par conséquent, tous les pays seront gouvernés par leurs populations, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes ou communistes, et les peuples sont plus forts que les gouvernements…
Quoi qu’il en soit, l’ère du gouvernement par des étrangers est à jamais révolue. Donc, l’Afrique aux Africains ! …
Mais gouverner un pays est une chose et s’attacher à la religion en est une autre… Quiconque veut être juste reconnaîtra les hommes par la vérité et non la vérité par les hommes. Chaque religion compte des hommes parfaits et imparfaits. »
Lors de la construction de la Kaaba, au XIXème siècle avant Jésus-Christ, pour prendre de la hauteur, Seydinâ Ibrâhîm et son fils Seydinâ Ismaël avaient dû monter sur une pierre où le père du monothéisme laissa l’empreinte de ses pieds : c’est le Sanctuaire ou Maqâm d’Ibrâhîm.
En 1963, les autorités saoudiennes et un parterre d’ulémas réunis à La Mecque pensèrent devoir déplacer le sanctuaire. Dans un discours intitulé Sabilou salâm fi ibqa il Maqâm ou, emprunter la voie de la paix en laissant le Maqâm là où il est, Bâye NIASS manifesta vigoureusement son opposition à ce qui aurait été un sacrilège. Son argumentaire pesa plus lourd que les justifications martelées par les savants présents au colloque. Et, contre toute attente, le Maqâm resta à sa place.
En vertu de la réforme constitutionnelle intervenue en Tunisie le 1er juin 1959, le Président Habib Ben Ali BOURGUIBA entama la désacralisation de l’islam par l’interdiction de la polygamie et la légalisation de l’avortement…
Plus grave, en février 1961, BOURGUIBA appela ses concitoyens à ne pas observer le jeûne du ramadan afin, disait-il, de mieux combattre le sous-développement. En mars 1964, en plein jour du ramadan, pour narguer l’humanité musulmane, l’écervelé président but ostensiblement à la télévision un verre de jus d’orange !
C’en était trop !!! Bâye NIASS adressa une lettre de protestation à la hauteur de l’affront fait à l’islam en fustigeant énergiquement les élucubrations d’un Président possédé par le démon.
En 1969, lorsqu’il fut informé de la reproduction d’une caricature du Prophète Mouhammad (sas) dans un livre d’histoire à l’usage des classes de 5èmes des collèges d’Afrique francophone, le cheikh-al-islam exigea le retrait du manuel et, en ces termes, il écrivit au ministre de l’Education nationale : « Un tel livre dénote un mépris, une provocation à la population musulmane au moment où le Sénégal a le plus grand besoin d’ordre et de paix pour permettre à sa population de vivre et de travailler dans le calme et la sécurité.»
En 1971-1972, lors des discussions sur le Code de la famille, l’attitude de Bâye de défenseur des valeurs cardinales de l’islam, ne varia guère ; il y affirma: « En ce qui concerne les affaires temporelles, le gouvernement peut en légiférer librement. Mais pour ce qui est de la religion, surtout dans un pays musulman, aucun gouvernement n’a le droit d’en délibérer…
J’avais ajouté que les musulmans n’ont rien d’autre que leur religion et qu’il faudrait veiller scrupuleusement à ce qu’il n’y ait dans ce Code aucune disposition contradictoire avec la charia…»
Plus loin Bâye renforça: «Nous avons discuté avec les plénipotentiaires de l’Etat. Nous ne pouvons les obliger à faire quoi que ce soit. Et ceux qui nous gouvernent ne peuvent pas être en conflit avec nous ; c’est pour quoi ils nous consultent. Eux, non plus, ne voudront jamais faire quelque chose qui nous pousserait à être en conflit avec eux. »
Mawlânâ Cheikh Ibrâhîma NIASS a bien marqué son époque par la profondeur de son savoir, ses prises de position intelligentes et courageuses, son leadership fascinant.
Dans un discours prononcé à l’occasion du mawlîd-an-nabi de 1968, son vibrant appel fait à la jeunesse de son pays restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Nous en citons un bref passage : «Chers jeunes, en avant ! Certes l’avenir de toute nation repose sur sa jeunesse, mais pas n’importe quelle jeunesse : sur les jeunes cultivés et doués de caractères nobles ; une jeunesse sans culture et sans caractères nobles est comme un arbre stérile…
Appliquez-vous sérieusement et persévérez dans la quête du savoir. Ne suffisent pas seulement les sciences religieuses ou la mathématique dans ses diverses branches ; rejoignez les chercheurs préoccupés par la découverte des secrets de l’Univers ; collaborez avec eux ! »
Cheikh Ibrâhîm a fortement encouragé l’éducation des femmes et ses filles ont fréquenté les mêmes écoles religieuses que les hommes et mémorisé le saint Coran. Aussi a-t-il affirmé : « En matière de connaissances, les femmes devraient rivaliser avec les hommes. »
Pour le triomphe exclusif de l’islam, en 1958, il préconisa la fondation d’un Conseil supérieur des chefs religieux du Sénégal, projet vite torpillé par ses adversaires intra-muros.
En 1960, Bâye NIASS fut élu membre du Conseil supérieur de l’Organisation du Bien-être islamique au Caire, puis membre de l’Académie de Recherches de l’Université d’Al-Azhar, de la Communauté des érudits en islamologie et du Conseil islamique supérieur de l’Algérie.
En 1962, il fut promu vice-président du Congrès mondial islamique à Karachi, puis membre du Comité chargé de l’élaboration du Projet de la Ligue mondiale islamique, à la fondation de laquelle il fut élu vice-président.
En 1964, il fut porté à la tête du Congrès mondial islamique tenu à Karachi ; il est élu membre de la Conférence générale de l’Académie de recherches islamiques sise au Caire.
En 1966, il participa à la conférence tenue à Accra sur « le monde sans bombe atomique. »
En 1969, il prit part à l’Assemblée Constituante de l’Association des Universités islamiques à Fez et en devint membre du Comité exécutif.
Cheikh-al-islam ou Abal Faydou-Tidjânî-Rabbânî a ainsi joué un rôle prééminent dans tous les conflits intéressant l’islam ou les pays d’obédience islamique ; y confère ce témoignage d’Ina moullah KHAN, ancien Secrétaire général du Congrès mondial islamique : « Bâye NIASS, le grand missionnaire qui est vénéré par ses admirateurs est parfaitement conscient du danger que représente la pénétration d’Israël dans cette Afrique en voie de développement. En plusieurs occasions, il a eu à mettre en garde ses frères africains contre cette menace au monde musulman et à la paix internationale. C’est parce qu’il croit fermement en la fraternité de tous les musulmans… »
Par rapport à la politique, Bâye aurait déclaré : « l’islam est un tout ; ce serait un non-sens pour des citoyens que de se désintéresser de la politique… D’ailleurs le Prophète (psl) était un chef d’Etat qui assumait, à la fois, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. »
En réalité, si les bons musulmans boudent la politique, les infidèles et les hypocrites s’y activeront sans vergogne pour pouvoir subjuguer les justes, et partant, porter atteinte aux fondamentaux même de l’islam . Cas de Kamal Atatürk, Bourguiba et consorts.
Il est vrai, comme le dit l’adage, que nul n’est prophète chez soi. Sur le plan politique stricto sensu, l’influence de Bâye NIASS aura été plus remarquable sur ses contemporains des autres pays africains, notamment nigérians, tchadiens, ghanéens…
Aux côtés de Djim Momar GUEYE, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a pris faits et causes pour la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) au détriment du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) du duo SENGHOR-Ibrâhîma Seydou NDAW. Grisé par l’éclat de son aura, ce dernier défia publiquement Bâye qui réagit vertement en disant:« concernant Ibrâhîma Seydou NDAW, je le corrigerai à la hauteur de son impertinence et de son arrogance, sans jamais lever physiquement la main sur lui. »
Le 3 septembre 1948, de retour d’une réunion du Grand Conseil de l’AOF tenue à Saint-Louis deux jours auparavant, le véhicule à bord duquel Léon Boissier-Palun (1916-2007) et Ibrâhîma S. NDAW avaient pris place fit un tonneau à hauteur d’Allou-Kâgne…
Ce dernier en fut projeté ; il fut atteint d’une paralysie à vie. Comme un malheur ne vient jamais seul, le jour de la catastrophe, par suite de couches, Aïda NDAW, sa fille aînée, décéda à Kaolack. Latif Coulibali, in Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie, l’Harmattan, 1999, pages 29-31,
Aux élections de 1951, face à Léopold SENGHOR, Bâye porta son choix sur Lamine GUEYE dont il était pourtant convaincu de la défaite. Il soutint que sa conscience de musulman conséquent ne pouvait lui permettre de préférer un Léopold à un Mouhamadou Lamine.
«Le 24 janvier 1959, l’Assemblée législative du Sénégal adopta la Constitution de la Fédération du Mali et celle du Sénégal. Quelques jours plus tard, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS télégraphia au général de GAULLE pour protester contre le fait que les Constitutions n’avaient pas été soumises au référendum. » De Benoît. Joseph R., l’AOF, NEA, 1994, p 447.
En vérité, le grand marabout de Kaolack s’offusquait plutôt de la laïcité affichée par la Constitution du jeune Etat sénégalais malgré le poids de ses 95% de musulmans.
Aucun de ses homologues guides religieux ne voulut, au risque de se faire rudoyer par la minorité chrétienne et ses suppôts francs-maçons alors très présents dans les sphères politico-administratives du pays, défendre officiellement ce point de vue. Ceux qui lui manifestaient leur sympathie en privé finirent par raser les murs !!! Mais, malgré tout, Bâye NIASS ne baissa jamais la tête.
Aux élections législatives frauduleuses du 22 mars 1959, avec 83% des suffrages exprimés, l’UPS remporta la totalité des 80 sièges. Le Parti de la Solidarité Sénégalaise créé en 1957 par Cheikh Tidjâne SY al-Maktoum, Ibrâhîma Seydou NDAW et Bâye obtint 12% des suffrages et le PRA, 5%.
Toutefois, il convient de préciser que Cheikh Ibrâhîm n’était pas un politicien dans le sens intrigant du terme. Loin de là, mais c’était plutôt un homme politique soucieux de la prise en charge effective des desiderata des populations, plus particulièrement de ceux de la majorité silencieuse. Aussi devait-il être perçu comme le mégaphone de la vox populi, c’est-à-dire la voix du peuple brisé, du peuple contrebalancé entre la tyrannie coloniale et les mystifications de politiciens professionnels en mal d’audience.
D’ailleurs, le Docteur Amar SAMB, ancien directeur de l’IFAN, le considère comme « un polémiste de combat, un défenseur acharné de l’islam, un esprit pétri de culture arabo-musulmane, un marabout très informé des choses de la chrétienté, un chef religieux qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui sait d’où vient l’asservissement des Africains en particulier et des faibles en général, un Africain patriote qui sait que la domination d’un peuple par un peuple n’a pas de lendemain… »
Dans le même sillage, nous rappelons le témoignage fait sur Bâye par Mouhammad at-Tâhir al-Maygari in : as.-Shaykh Ibrahîm NIASS al-Singhâli, hayâtou houwarâ’Ouhouwatâ’limâ touhoû ou Cheikh Ibrâhîm le Sénégalais : sa vie, ses idées et ses enseignements, Dâr al-Arabiyy, Beyrout, 1979, page 253…
Quoique un de ses plus farouches contradicteurs, al-Maygari a eu tout de même l’honnêteté intellectuelle de témoigner : « Il n’y a aucun doute que Cheikh Ibrâhîma NIASS a déjà prouvé, par ce livre (Kitâbou sirri al-akbarwan-noûri al-akbar ou le livre du plus grand secret et de la lumière éclatante), qu’il est le maître incontesté des gnostiques de son époque, plus particulièrement dans la târiqâ tijâniyyâ, puisque personne n’a pu apporter quelque chose de semblable à ce qu’il a livré…
Personne non plus n’a pu rivaliser avec lui dans ce domaine, ni dans la Tidjâniyyâ, ni ailleurs… Presque tous les disciples tidjânes, dans toutes les contrées, se sont soumis à son autorité, se sont placés sous son magistère spirituel, apprirent de lui et puisèrent de sa science…
Ceci n’est pas limité à ses frères noirs, loin s’en faut, mais les hommes de couleur blanche dont les grands parents furent par ailleurs les maîtres des maîtres du cheikh lui-même : ce sont ses plus ardents disciples et, par la suite, ceux qui ont le plus profité de sa science. Ils le suivirent avec une sincérité totale dans l’obéissance et dans un amour absolu.»
Nonobstant sa haute stature mondiale, ses responsabilités religieuses supranationales, les relations cordiales qu’il entretenait avec les grandes figures de son époque et les nombreuses citations honorifiques dont il pouvait se prévaloir, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a préféré passer toute sa vie dans une modeste bâtisse en pisé alors qu’il lui aurait suffi de lever le plus petit doigt pour que ses millions de disciples lui eussent édifié des gratte-ciel. Quelle humilité !
Tel se présentait El-Hâdj Ibrâhîma NIASS, que, à juste raison, le Président SENGHOR considérait comme l’Ambassadeur plénipotentiaire du Sénégal auprès du monde.
Parce que militant et pionnier du panafricanisme qui se définit comme la vision sociale, culturelle et politique d’émancipation des Africains et facteur d’intégration du continent, Bâye n’a jamais accepté de courber l’échine ; sentinelle de la bonne cause, protecteur des valeurs morales traditionnelles et religieuses mais aussi des couches vulnérables sénégalaises, africaines ou, plus largement, mondiales, il a passé une bonne partie de sa vie à semer les germes de la paix parce que convaincu qu’il n’y a pas de bonheur sans paix.
Ses nombreux périples dont (conformément à un hadith relatif à la quête du savoir) celui qui le conduisit en Chine en octobre 1963, et le télégramme de félicitations que, par le biais de l’ambassade des Etats-Unis à Dakar, il adressa au Président Richard NIXON après l’alunissage avéré d’Apollo XI, le 20 juillet 1969 (alors que la plupart des chefs religieux d’ici et d’ailleurs n’en croyaient ni leurs oreilles ni leurs yeux), l’illustrent éloquemment.
Du reste, la philosophie de Cheikh Barham Abdallâh fondée sur une compréhension aiguë du Coran, de la sounnah du Prophète Mouhammad (psl) et de la pratique éclairée de la tarîqâ tidjâne, a préfiguré la mondialisation.
Le cheikh al-Islam (titre qui lui a été attribué en 1971 à l’Université al-Hazar du Caire où il fit des sermons et se prêta à des questions) El-Hâdj Ibrâhîma NIASS fut rappelé à Dieu à St-Thomas’ Hospital de Londres, le 17 rajab 1395, soit le samedi 26 juillet 1975. Il avait 74 ans 8 mois et 18 jours.
Selon Matrib as sâ-mi-ninwanâ ziri nfî manâqib as Shaykh Seydi Abdallâh ben Seydi Mouhammad wa bâihî at-tâhirin, livre écrit en 1315 H, soit en 1897 G, par Seydi Mouhammad ibn Abdallâh ben Seydi Mouhammad ben Mouhammad as-Saghîr Mboudja al-Alawiat-Tichili, El-Hâdj Abdallâh NIASS, le père de Bâye, est né le 3 zoul qâda 1264, soit le lundi 02 octobre 1848 à Belly et il est décédé le dimanche 9 juillet 1922 à 73 ans, 9 mois et 07 jours.
D’ailleurs, à maintes reprises et plus exactement lors de l’inauguration de la zawiyya rénovée de Léona-niassène, Bâye a affirmé que son vénéré père est né dans l’année du décès de Mouhamdy Ould Siddinâ dit Beddî, c’est-à-dire en 1264 H, donc en 1848.
Subséquemment à cette nouvelle donne chronologique, toutes les autres dates relatives à la naissance d’El-Hâdj Abdallâh NIASS (kabîr) précédemment avancées doivent être considérées comme nulles et de nul effet.
Ainsi, comme il l’avait prédit dans une de ses lettres rédigées vers 1931, c’est-à-dire presqu’un demi-siècle avant qu’il n’ait quitté ce bas monde, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a effectivement vécu plus longtemps que son père. C’est là un des nombreux miracles dont ce saint hors-pair aura été l’auteur.
Du reste, sa vie sur terre a été une source de bonheur pour tous ceux qui l’ont approché si bien que, comme le stipule la missive ci-après qu’il a rédigée en 1939 et adressée à Seydî Alioune CISSE à l’attention de tous ses disciples, œuvrer pour lui est un acte de bienfaisance personnelle pour le prestataire :
« Lève-toi et tiens-toi sur des pieds solides et valides pour enseigner, assurer les travaux champêtres et surtout encourager les disciples à travailler pour moi.
Je n’ai aucun profit à tirer du fruit de ces travaux ; mais, à coup sûr, les retombées iront aux prestataires eux-mêmes. Il n’y a point de bienfait plus élevé que de travailler pour moi à qui Dieu a donné un regard profond de cœur. Ceci, le Tout-Puissant l’a dissimulé pour permettre surtout aux autres de développer entre eux la faculté d’émulation.
Cependant, un grand regret sera le lot de ceux qui n’auront rien effectué pour moi le jour où tout sera clair, où toutes les choses se retrouveront entre mes mains. Pouvoir et capacité sont à Dieu.
Ces paroles je ne les ai pas prononcées dans un état d’extase, ni de folie, ni d’inconscience, encore moins par prétention. Toutefois, c’est un message qui m’est venu du Très-Haut avec l’autorisation explicite de le révéler.»
Ainsi, Mawlânâ Cheikh Ibrâhîm, ci-devant gardien de l’orthodoxie islamique, chantre du Prophète Mouhammad (psl) et réformateur attitré de la târiqâ tidjâne, est le seul exemple qui vaille la peine d’être médité.
C’est lui qui nous a purifiés par ses nobles qualités, éduqués par ses principes et décrassé l’égo par sa science édifiante. Aussi est-il une obligation pour chacun de nous de lui témoigner de son attachement, de sa fidélité, de sa générosité.
Harouna Amadou LY dit Harouna Rassoul,
Maître ès-lettres, professeur certifié d’Histoire, à la retraite à Dakar.
A la naissance de Bâye, son père demanda à sa mère : « as-tu de l’espoir pour ton enfant? » Elle répondit : « oui, j’espère beaucoup de biens en lui, qu’il soit vertueux, pieux, s’il plaît à Dieu. » El-Hâdj Abdallâh renforça : « oui, je l’espère aussi si Allâh lui accorde une longue vie.»
El-Hâdj Abdallâh fut initié à la Tidjâniyya par Thierno Mamadou Ibrâhîma DIALLO, un disciple de Cheikh Omar TÂL, tout comme le fut Seydi Alphâ Mâyoro WELE, oncle maternel et instructeur d’El-Hâdj Mâlick SY.
La première mouture de sa lignée omarienne est la suivante : El-Hâdj Abdallâh NIASS-Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydî Abdoul Karîm Ahmed Nagguel ou Nadel DIALLO-Seydî Mawloûd FÂL (1773-1852)-Cheikh Muhammad HAFIZ (1759-1830)-Cheikh Ahmed Tidjâny (1737-1815).
La seconde est : El-Hâdj Abdallâh NIASS-Thierno Mamadou DIALLO-Cheikh Omar TÂL-Seydî Mouhammad al Qâli-Cheikh Ahmed Tidjâni.
El-Hâdj Abdallâh prit l’éducation de Bâye en main. Il lui enseigna le Coran et les hadiths que le surdoué mémorisa très tôt, puis la târiqâ tidjâne et les autres sciences liées à la religion.
Tout au long de son éducation religieuse, Bâye aura étudié l’exégèse, le droit musulman, l’arabe, la métrique, la rhétorique, la biographie du Prophète (psl) tout en cultivant un goût prononcé pour la mystique islamique ou tasawouf qui, selon Aboûl Abbâs Tidjâni « est la pratique des préceptes divins et le renoncement aux intérêts terrestres dans l’apparent comme dans le caché, comme Dieu le veut et non comme tu le veux. »
A l’âge de 21 ans, déjà devenu un érudit accompli à l’heure où ses homologues jouissaient encore de la plénitude de leur jeunesse, Bâye publia Roûhoul Adab ou l’Esprit de la bonne conduite qu’il considère comme un conseil fraternel destiné à ses lecteurs.
Au total, il laisse à la postérité plus vingt œuvres écrites d’une valeur philosophique, ésotérique et littéraire indubitable dont un poème de 2972 vers intitulé : Taysîr el wousoul ilâ hadrati Rassoûl ou Moyen d’atteindre facilement l’Apôtre.
Du 09 juillet 1922, date de disparition de son père, à fin 1929, point de départ officiel de sa mission, Bâye se mit à l’ombre de son grand frère Cheikh Mouhamadou ben Abdallâh ben Mouhamadou al-Aamin NIASS dit Mouhamadou Aminata, alias Khalifa—né à Sélik le 29 juillet 1881 et décédé à Kaolack le 1er mars 1959) — en dispensant des cours dans les écoles coraniques ouvertes par son père à Taïba, Kôssi et Kaolack. Déjà, son érudition lui attira de nombreux adeptes mais aussi une foule d’ennemis.
En fin 1929-début 1930, alors que la crise économique qui venait d’éclater aux Etats-Unis commençait à embraser le reste de la planète, Bâye NIASS déclara à la face du monde qu’il était ce saint annoncé par Mawlânâ Cheikh Ahmed Tidjâne comme son propre héritier et le seul habilité à propager la Faydâ décrite par Aboûl Abbâs en ces termes : « l’effluve viendra avec un de mes disciples à tel point que les hommes entrent dans notre voie (târiqâ) par groupes, par peuples. Cette Faydâ adviendra à un moment où le monde éprouvera de grandes difficultés.
Selon Bâye, « la sagesse de l’apparition de cette Faydâ à cette époque pervertie s’explique par la faiblesse de la foi dans le cœur des hommes et par la multitude des voies perverses et perdantes.
Or cette communauté (islamique) est une communauté vénérable (auprès de Dieu) et alors fut ouverte et déversée, vers eux, l’effluve des connaissances gnostiques et des Vérités Essentielles pour qu’ils retournent à la source de la foi naturelle. ».
Un vendredi, lendemain d’un mawlîd-an-nabî, ou commémoration de la naissance du Prophète Mouhammad (psl), vers neuf heures, Ibrâhîma Abdallâh NIASS, alors connu sous le pseudonyme d’Ibrâ Asta, déclara : «Que celui qui veut connaître Allâh et le çâhiboul (détenteur) faydou me suive, qu’il soit homme ou femme, jeune ou vieux ! »
Les assistants étaient comme interdits. N’ont-ils pas été informés de la mission secrète de Cheikh Abdallâh Oud Hâdj el Alawi, père de Mishri ? Après avoir testé le jeune Ibrâhîma, alors âgé de dix ans, le saint homme dit à El-Hâdj Abdallâh : « Ton fils n’a nullement besoin d’être parrainé par une créature car Dieu le très-Haut l’a élu ».
A Bâye, il confia : « Une Faydâ te viendra entre les mains en vérité et sans aucun doute ; et si un autre prétend la détenir, ce ne sera là que mensonge ; mais tu verras à ton égard de la méchanceté telle qu’aucun de tes prédécesseurs n’en a jamais vu…Tu es le plus grand homme de la voie tidjâne de tous les temps. » Pour dire que le jeune garçon était celui annoncé par Cheikh Ahmed Tidjâne comme futur réformateur de la Tidjâniyyâ.
« La Faydhâ (ou inondation en arabe) est une expression métaphorique qui traduit l’adhésion massive d’hommes et de femmes à l’islam et à la Târiqâ tidjâne.
Véritable mosaïque des peuples, les fidèles, rassemblés autour de leur maître et nourris de la sève spirituelle, constitueront une famille unie dans la foi en Allâh, toutes différences ethniques, culturelles ou sociales fondues dans l’Unicité divine. » D’après Mouhammadou Mahdy NIASS in « Bâye NIASS le défenseur de l’islam », tome 1, Imprimerie Cheikh al-Islam El-Hâdj Ibrâhîm NIASS, page 30
Rappelons-nous, Cheikh Ibrâhîm a commencé sa mission vers 1929, année marquant le début de la grande crise économique. Avant l’avènement de Cheikh Ibrâhîm, bien des hommes s’étaient proclamés maîtres de la Faydhâ ; mais aucun d’entre eux ne répondait entièrement aux critères autant que lui. En outre, ce point de vue a été corroboré par plusieurs leaders Tidjânes qui reconnaissent que Cheikh Ibrâhîm était réellement le professeur de la Faydâ.
Le professeur Ibrâhîm Mahmoûd Diop cite à cet effet une parabole qu’il a entendue de Cheikh Ibrâhîm : « Imaginez cinq choses, avait-il dit : imaginez un puits sans fond, ce n’est donc pas un puits ordinaire, pensez-vous, mais un puits insondable.
Imaginez ensuite un travailleur infatigable chargé d’en puiser continuellement de l’eau. A cet homme inlassable, confectionnez un seau d’un cuir inaltérable. Et tout près du puits, supposez qu’il y ait un bassin qui, à la longue, va être plein.
Imaginez enfin, une eau si précieuse qu’on ne peut ni verser par terre, ni remettre dans le puits déjà plein à déborder. La question, est la suivante : Que faire de cette eau, lorsque le bassin sera rempli ? Une réponse : Construire le plus de bassins possible autour du puits pour recueillir cette eau.
Dans cette parabole, le puits représente Allâh, l’Etre Suprême et Eternel. L’eau est la gnose divine et l’expérience. Le seau en cuir est le Prophète (psl).
A ce sujet, un proverbe soufi révèle : « Sans intermédiaire, nul ne peut jamais atteindre un quelconque objectif »… et le Prophète (psl) est le plus grand médiateur entre la création et Allâh.
Le travailleur, dans cette parabole, est Cheikh Ahmad at-Tidjâni.
Le bassin est un guide spirituel d’exception qui est tant et si bien versé dans la gnose divine qu’il doit transmettre aux autres cette connaissance sublime sinon, elle débordera. Cheikh Ibrâhîm NIASS est le professeur de la Faydâ.»
D’après Cheikh Hassan CISSE in Cheikh Ibrâhîm NIASS, le vivificateur de la sunnah, New York Publication, pages 16 et 17.
Cheikh Alioune CISSE, Serigne Mbaye NIASS, Cheikh Omar TOURE, Mâme Abdou NIANG, Cheikh Ibra FÂL, Cheikh Mahmoud NIASS, Tafsîr Mahmoud DIOP, Serigne Ousmane NDIAYE, Cheikh Omar THIÂM dit Bâye Mallé mais aussi Thierno Oumar KANE, Thierno Abdallâh SÂKHO, Thierno Yahyâ Oumar LY, Thierno Madâdo DIATTARA et Thierno al-Hassane DEME ne se firent pas prier. Ils furent parmi les premiers à avoir répondu à l’appel de Bâye qui dut quitter la concession paternelle sise à Léona au mois lunaire shawwal 1349 ou février 1931.
Selon Cheikh Alioune CISSE, Bâye transita par Kôssi avant de fonder, entre les lundi 12 et 19 zoulqâda 1349, plus précisément le vendredi 03 avril 1931, la bourgade de Madîna où il y érigea une mosquée de 24 m de long sur 14 m de large. En 1958, une première extension est opérée sur les flancs de ce lieu de culte. Une seconde est réalisée en 1981.
Inaugurée officiellement le vendredi 26 février 2010, la grande mosquée de Madîna-Bâye est haute de 65 mètres correspondant aux neuf étages de son minaret. Ses dimensions actuelles sont de 56m de long et 47m de large. Au centre, une coupole de 25m de long et de 15m de diamètre surplombe les fidèles.
Les disciples affluaient de tous les coins du Sénégal, mais c’est à partir de 1937 que le rythme des adhésions prit une ampleur frénétique.
C’est effectivement en 1937 que Cheikh Ibrâhîm se rendit à La Mecque pour la première fois. De cette date à 1971, il y retournera seize autres fois, soit un total de dix-sept pèlerinages hormis les « oumras » ou pèlerinages surérogatoires. A l’étape de Fès, Chérif Mounîf lui offrit un chapelet et un tapis de prières personnels mais aussi une touffe des cheveux du père de la Tidjâniyyâ et une fiole où ce dernier mettait du parfum qu’il utilisait au moment de ses retraites dévotionnelles.
A Madîna-Mounnawara, Mawlânâ Cheikh Ibrâhîm NIASS rencontra Abdoullâhi Ibn Abbâs Bâyero (1881-1953), Emir de Kano de 1926 à 1953 et son ministre Suleyman Ibn Ismaël qui renouvelèrent leur affiliation à la Tidjâniyya auprès de lui. L’Emir l’invita chez lui à Kano.
Pour justifier son adhésion, l’Emir confia à Bâye : « Quand j’étais enfant, j’avais demandé à Dieu trois choses : être l’Emir de Kano et je le suis ; avoir la possibilité d’accomplir le pèlerinage et je l’ai eue, et, enfin, rencontrer à La Mecque le calife de Cheikh Tidjâni ou son fils pour renouveler mon wird et quand je suis arrivé à Madîna-al-Mounnawara, je n’ai trouvé aucun chef de la târiqâ si ce n’est toi ».
C’est ainsi que l’Emir pria Cheikh Ibrâhîm de lui renouveler son wird près du mausolée du Prophète (psl) pour que celui-ci en fût témoin. Sur le chemin de retour, plus précisément à Fès, Cheikh Ibrâhîm rendit une visite de courtoisie à Seydî Ahmed El-Hâdj al-Ayyashi Soukayridji de Shattâti (1878-1944), le grand Pôle, de qui il tient sa chaîne dorée ou silsil ahzahabiya, à savoir : Cheikh Ibrâhîma NIASS-Cheikh Ahmed Soukayridji-Cheikh Ahmed Abdal Lawiy-Cheikh Aliyou Tamassinyou-Cheikh Ahmed Tidjâny.
Seydî Ahmed Ibrâhîm Sa’ihî lui fit don de la canne de Mawlânâ Cheikh Ahmed Tidjân. Par la suite, à Madîna-Bâye, Cheikh Ibrâhîm obtint l’allégeance d’un grand nombre de disciples de qualité dont des shorfas ou oulémas mauritaniens tels Cheikh Mouhammad Ould Nahwi, Cheikh Mana Abba Ould Tolba dit Cheikhâni (1908-1986), Cheikh Mouhammad Mishriy Oud Hâdj (1917-1975) Cheikh Sidy Abdallâh Ibn Khaïry (1900- 1991), Cheikh Mahmoûd Ould Tolba de la tribu Tandara, Cheikh Abdallâh el Djeydjibi, Cheikh Hâdi Ould Seyd, Cheikh Mouhammadou Djakanni, Cheikh al-Oustâz Mouhammadou Ould Rabbâni… qu’il initia par le biais de la tarbiyya en vue de parvenir à la mâ’rifa. Ce fut le début de son irréversible aura transnationale.
En 1946, Cheikh Ibrâhîma NIASS fit un bref séjour au Nigéria et y éleva au rang de muqaddam (préposé) l’Emir et ses 40 ministres dont Malam Jibirma, Malam Atiku, Malam Tidjâni Uthman, Malam Sani Kafanga, Abdallâhi Salga et Uthman Khalan Sawi. Ce geste galvanisa les disciples nigérians et le mouvement né en 1937 commença à s’amplifier.
Bâye revint dans ce pays en 1951 et, sous sa bannière, des centaines d’oulémas adhérèrent à la Tidjâniyyâ. Ses nouveaux et prestigieux disciples se lancèrent à l’expansion de la confrérie dans toute l’Afrique de l’Ouest.
Quand, en 1953, disparut l’Emir, son fils et successeur Muhammad Sanusi (1900-1963), devint le porte-flambeau du mouvement qu’il renforça par le recrutement de milliers de disciples. Déjà en 1956, au Nigéria, 15 millions de fidèles se réclamaient de l’obédience d’El-Hâdj Ibrâhîma NIASS. Aujourd’hui, de par le monde, ils sont quelque 100 millions, soit 7 % de la population musulmane mondiale estimée aujourd’hui à 1,4 milliard d’adeptes, toutes écoles confondues.
Outre le Nigéria, le Bénin, le Cameroun, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Libéria, la Mauritanie, le Niger, la Sierra-Léone, le Soudan, le Togo et le Tchad, d’autres pays et régions du monde ouvrirent leurs portes à la Faydâ et, ipso facto, de son temps, Bâye devint le chef spirituel musulman dont l’audience est la plus large et la plus solide.
C’est la confirmation d’une prédication faite par son père qui, dans une parabole restée célèbre, à propos de l’enfant prodige, avait soutenu: « C’est le devoir d’un fleuve que d’être plein à déborder. Si les vaches du voisinage ne viennent pas s’y abreuver, celles venues d’ailleurs le feront.» Quelle clairvoyance ! Et le fruit a pu passer la promesse de la fleur.
De nos jours, à l’occasion des grandes rencontres, plus d’une vingtaine de nationalités se côtoient à Madîna-Bâye. Ce sont entre autres : Haoussa, Yorouba, Djerma, Bambara, Dogomba, Frafra, Malinké, Peul, Maure, Soninké, Wolof, Sérer, Mossi, Arabe, Berbère, Soudanais, Soussou, Dogon, Diola, Dioula, mais aussi Américains, Chinois, Japonais, Français, Anglais, Pakistanais et même des Russes. Ces bienheureux disciples de Bâye sont tous des « récipients débordants des secrets des trois présences.»
Dans sa générosité incommensurable, Cheikh Ibrâhîm a prié le tout Miséricordieux de ne lui choisir comme compagnons que les meilleurs des meilleurs musulmans possibles ; d’où cette supplique : «Mon Dieu, ne fais pas de l’écorce de la religion la part de mes amis, mais plutôt le secret du secret, c’est-à-dire l’essentiel de Tes hauts dons. »
Le culte de la perfection n’a jamais cessé d’être son credo : « khirlî sahbân foudala wa khirlî, min koulli seïn khaïrahoû wakounlî » ; autrement dit, « choisis pour moi les meilleurs compagnons et, de toute chose, choisis pour moi la meilleure et sois toujours pour moi ».
De plus, le cheikh a raccourci et aplani le chemin qui mène ses disciples à Allâh, aussi a-t-il écrit: « J’ai raccourci pour chacun de mes disciples dans l’Unicité d’Allâh, le chemin qui mène à l’amour immense que j’ai pour le Prophète de Dieu Ahmed. J’ai réduit le chemin qui mène à l’Unicité d’Allâh à quiconque veut parvenir à Dieu en Dieu, à la Vérité par la Vérité…
J’ai réduit l’ensemble des prières de toutes les créatures et j’ai raccourci pour chacun de mes disciples, dans l’Unicité d’Allâh, le chemin qui mène à l’amour immense que j’ai pour l’Envoyé de Dieu Ahmed, la moralité immanente…
J’ai synthétisé l’ensemble des connaissances des connaissants de Dieu et réduit le chemin qui y mène par le goût et par la sensation que j’ai eus de l’odeur du Prophète (sas) à qui appartient la sincérité…
J’ai facilité l’ensemble des poèmes laudateurs dans lesquels j’ai résumé et loué Celui qui est la forme du O (ha) du secret de l’ipséité de Dieu, de celui qui est l’Esprit du détenteur de la permission, de la substance et de la moralité immanente. »
Pour résumer, El-Hâdj Ibrâhîm rappelle : « Dieu m’a créé uniquement pour résoudre les problèmes parce qu’Il m’a confié le Secret des secrets. » En ce sens, il a recommandé à ses disciples de s’approprier les voies et moyens capables d’aider l’âme à se débarrasser de la «rouille qui ternit le miroir du cœur» et qui l’empêche de refléter la Vérité.
Chaque semaine Bâye avait coutume de lire trois fois le Coran en entier ; de plus, les versets que, de mémoire, il psalmodiait le matin, il les récitait seul le soir et au cours des prières surérogatoires nocturnes. Et aucune maladie, si grave soit-elle, ne perturbait cette habitude.
Du reste, l’Egyptien Mouhammad al-Hâfizat-Tidjâni, le plus grand connaisseur de hadiths de son temps, qualifie Bâye de Houdja (la Preuve), c’est-à-dire celui qui connaît à fond trois mille hadiths, leurs explications et leurs chaînes de transmission depuis le Prophète Mouhammad (sas).
Cet homme multidimensionnel qui, depuis qu’il a atteint l’âge de trente ans, n’a plus dormi plus de quatre heures par jour. De plus, il a participé à tous les débats relatifs à l’islam aussi bien au Sénégal, en Afrique, que partout dans le monde.
Par exemple, en 1953, Monseigneur Lefebvre (1905-1991) alors évêque de Dakar (1955-1962 et excommunié en 1988), dans un numéro d’Ecclésia, s’était permis de faire la leçon aux musulmans africains en écrivant : « Ou l’Afrique suivra ses aspirations profondes de simplicité, d’honnêteté, de religion et elle se fera catholique ou sous des dehors religieux, elle se confirmera dans ses vices de polygamie, de domination du faible, de superstitions et elle s’abandonnera à l’islam… Seule la religion catholique prescrit aux inférieurs le respect de l’obéissance… »
Monseigneur Lefebvre récidiva le 18 décembre 1959 en s’épanchant dans La France Catholique : « … On a lancé des phrases qui portent à la révolution : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à l’indépendance (…) la mainmise de la Russie et de la Chine sur l’Afrique devient de jour en jour une réalité ! Chose inattendue pour ceux qui connaissent mal l’islam. Ce sont les pays en majorité musulmane qui se détachent le plus rapidement de l’Occident et font appel aux méthodes communistes… ».
Dès le 05 janvier 1960, Bâye rétorqua à l’évêque ; « Ce vingtième siècle est parcouru par un courant de liberté et de nationalisme que rien ne saurait arrêter, par conséquent, tous les pays seront gouvernés par leurs populations, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes ou communistes, et les peuples sont plus forts que les gouvernements…
Quoi qu’il en soit, l’ère du gouvernement par des étrangers est à jamais révolue. Donc, l’Afrique aux Africains ! …
Mais gouverner un pays est une chose et s’attacher à la religion en est une autre… Quiconque veut être juste reconnaîtra les hommes par la vérité et non la vérité par les hommes. Chaque religion compte des hommes parfaits et imparfaits. »
Lors de la construction de la Kaaba, au XIXème siècle avant Jésus-Christ, pour prendre de la hauteur, Seydinâ Ibrâhîm et son fils Seydinâ Ismaël avaient dû monter sur une pierre où le père du monothéisme laissa l’empreinte de ses pieds : c’est le Sanctuaire ou Maqâm d’Ibrâhîm.
En 1963, les autorités saoudiennes et un parterre d’ulémas réunis à La Mecque pensèrent devoir déplacer le sanctuaire. Dans un discours intitulé Sabilou salâm fi ibqa il Maqâm ou, emprunter la voie de la paix en laissant le Maqâm là où il est, Bâye NIASS manifesta vigoureusement son opposition à ce qui aurait été un sacrilège. Son argumentaire pesa plus lourd que les justifications martelées par les savants présents au colloque. Et, contre toute attente, le Maqâm resta à sa place.
En vertu de la réforme constitutionnelle intervenue en Tunisie le 1er juin 1959, le Président Habib Ben Ali BOURGUIBA entama la désacralisation de l’islam par l’interdiction de la polygamie et la légalisation de l’avortement…
Plus grave, en février 1961, BOURGUIBA appela ses concitoyens à ne pas observer le jeûne du ramadan afin, disait-il, de mieux combattre le sous-développement. En mars 1964, en plein jour du ramadan, pour narguer l’humanité musulmane, l’écervelé président but ostensiblement à la télévision un verre de jus d’orange !
C’en était trop !!! Bâye NIASS adressa une lettre de protestation à la hauteur de l’affront fait à l’islam en fustigeant énergiquement les élucubrations d’un Président possédé par le démon.
En 1969, lorsqu’il fut informé de la reproduction d’une caricature du Prophète Mouhammad (sas) dans un livre d’histoire à l’usage des classes de 5èmes des collèges d’Afrique francophone, le cheikh-al-islam exigea le retrait du manuel et, en ces termes, il écrivit au ministre de l’Education nationale : « Un tel livre dénote un mépris, une provocation à la population musulmane au moment où le Sénégal a le plus grand besoin d’ordre et de paix pour permettre à sa population de vivre et de travailler dans le calme et la sécurité.»
En 1971-1972, lors des discussions sur le Code de la famille, l’attitude de Bâye de défenseur des valeurs cardinales de l’islam, ne varia guère ; il y affirma: « En ce qui concerne les affaires temporelles, le gouvernement peut en légiférer librement. Mais pour ce qui est de la religion, surtout dans un pays musulman, aucun gouvernement n’a le droit d’en délibérer…
J’avais ajouté que les musulmans n’ont rien d’autre que leur religion et qu’il faudrait veiller scrupuleusement à ce qu’il n’y ait dans ce Code aucune disposition contradictoire avec la charia…»
Plus loin Bâye renforça: «Nous avons discuté avec les plénipotentiaires de l’Etat. Nous ne pouvons les obliger à faire quoi que ce soit. Et ceux qui nous gouvernent ne peuvent pas être en conflit avec nous ; c’est pour quoi ils nous consultent. Eux, non plus, ne voudront jamais faire quelque chose qui nous pousserait à être en conflit avec eux. »
Mawlânâ Cheikh Ibrâhîma NIASS a bien marqué son époque par la profondeur de son savoir, ses prises de position intelligentes et courageuses, son leadership fascinant.
Dans un discours prononcé à l’occasion du mawlîd-an-nabi de 1968, son vibrant appel fait à la jeunesse de son pays restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Nous en citons un bref passage : «Chers jeunes, en avant ! Certes l’avenir de toute nation repose sur sa jeunesse, mais pas n’importe quelle jeunesse : sur les jeunes cultivés et doués de caractères nobles ; une jeunesse sans culture et sans caractères nobles est comme un arbre stérile…
Appliquez-vous sérieusement et persévérez dans la quête du savoir. Ne suffisent pas seulement les sciences religieuses ou la mathématique dans ses diverses branches ; rejoignez les chercheurs préoccupés par la découverte des secrets de l’Univers ; collaborez avec eux ! »
Cheikh Ibrâhîm a fortement encouragé l’éducation des femmes et ses filles ont fréquenté les mêmes écoles religieuses que les hommes et mémorisé le saint Coran. Aussi a-t-il affirmé : « En matière de connaissances, les femmes devraient rivaliser avec les hommes. »
Pour le triomphe exclusif de l’islam, en 1958, il préconisa la fondation d’un Conseil supérieur des chefs religieux du Sénégal, projet vite torpillé par ses adversaires intra-muros.
En 1960, Bâye NIASS fut élu membre du Conseil supérieur de l’Organisation du Bien-être islamique au Caire, puis membre de l’Académie de Recherches de l’Université d’Al-Azhar, de la Communauté des érudits en islamologie et du Conseil islamique supérieur de l’Algérie.
En 1962, il fut promu vice-président du Congrès mondial islamique à Karachi, puis membre du Comité chargé de l’élaboration du Projet de la Ligue mondiale islamique, à la fondation de laquelle il fut élu vice-président.
En 1964, il fut porté à la tête du Congrès mondial islamique tenu à Karachi ; il est élu membre de la Conférence générale de l’Académie de recherches islamiques sise au Caire.
En 1966, il participa à la conférence tenue à Accra sur « le monde sans bombe atomique. »
En 1969, il prit part à l’Assemblée Constituante de l’Association des Universités islamiques à Fez et en devint membre du Comité exécutif.
Cheikh-al-islam ou Abal Faydou-Tidjânî-Rabbânî a ainsi joué un rôle prééminent dans tous les conflits intéressant l’islam ou les pays d’obédience islamique ; y confère ce témoignage d’Ina moullah KHAN, ancien Secrétaire général du Congrès mondial islamique : « Bâye NIASS, le grand missionnaire qui est vénéré par ses admirateurs est parfaitement conscient du danger que représente la pénétration d’Israël dans cette Afrique en voie de développement. En plusieurs occasions, il a eu à mettre en garde ses frères africains contre cette menace au monde musulman et à la paix internationale. C’est parce qu’il croit fermement en la fraternité de tous les musulmans… »
Par rapport à la politique, Bâye aurait déclaré : « l’islam est un tout ; ce serait un non-sens pour des citoyens que de se désintéresser de la politique… D’ailleurs le Prophète (psl) était un chef d’Etat qui assumait, à la fois, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. »
En réalité, si les bons musulmans boudent la politique, les infidèles et les hypocrites s’y activeront sans vergogne pour pouvoir subjuguer les justes, et partant, porter atteinte aux fondamentaux même de l’islam . Cas de Kamal Atatürk, Bourguiba et consorts.
Il est vrai, comme le dit l’adage, que nul n’est prophète chez soi. Sur le plan politique stricto sensu, l’influence de Bâye NIASS aura été plus remarquable sur ses contemporains des autres pays africains, notamment nigérians, tchadiens, ghanéens…
Aux côtés de Djim Momar GUEYE, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a pris faits et causes pour la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) au détriment du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) du duo SENGHOR-Ibrâhîma Seydou NDAW. Grisé par l’éclat de son aura, ce dernier défia publiquement Bâye qui réagit vertement en disant:« concernant Ibrâhîma Seydou NDAW, je le corrigerai à la hauteur de son impertinence et de son arrogance, sans jamais lever physiquement la main sur lui. »
Le 3 septembre 1948, de retour d’une réunion du Grand Conseil de l’AOF tenue à Saint-Louis deux jours auparavant, le véhicule à bord duquel Léon Boissier-Palun (1916-2007) et Ibrâhîma S. NDAW avaient pris place fit un tonneau à hauteur d’Allou-Kâgne…
Ce dernier en fut projeté ; il fut atteint d’une paralysie à vie. Comme un malheur ne vient jamais seul, le jour de la catastrophe, par suite de couches, Aïda NDAW, sa fille aînée, décéda à Kaolack. Latif Coulibali, in Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie, l’Harmattan, 1999, pages 29-31,
Aux élections de 1951, face à Léopold SENGHOR, Bâye porta son choix sur Lamine GUEYE dont il était pourtant convaincu de la défaite. Il soutint que sa conscience de musulman conséquent ne pouvait lui permettre de préférer un Léopold à un Mouhamadou Lamine.
«Le 24 janvier 1959, l’Assemblée législative du Sénégal adopta la Constitution de la Fédération du Mali et celle du Sénégal. Quelques jours plus tard, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS télégraphia au général de GAULLE pour protester contre le fait que les Constitutions n’avaient pas été soumises au référendum. » De Benoît. Joseph R., l’AOF, NEA, 1994, p 447.
En vérité, le grand marabout de Kaolack s’offusquait plutôt de la laïcité affichée par la Constitution du jeune Etat sénégalais malgré le poids de ses 95% de musulmans.
Aucun de ses homologues guides religieux ne voulut, au risque de se faire rudoyer par la minorité chrétienne et ses suppôts francs-maçons alors très présents dans les sphères politico-administratives du pays, défendre officiellement ce point de vue. Ceux qui lui manifestaient leur sympathie en privé finirent par raser les murs !!! Mais, malgré tout, Bâye NIASS ne baissa jamais la tête.
Aux élections législatives frauduleuses du 22 mars 1959, avec 83% des suffrages exprimés, l’UPS remporta la totalité des 80 sièges. Le Parti de la Solidarité Sénégalaise créé en 1957 par Cheikh Tidjâne SY al-Maktoum, Ibrâhîma Seydou NDAW et Bâye obtint 12% des suffrages et le PRA, 5%.
Toutefois, il convient de préciser que Cheikh Ibrâhîm n’était pas un politicien dans le sens intrigant du terme. Loin de là, mais c’était plutôt un homme politique soucieux de la prise en charge effective des desiderata des populations, plus particulièrement de ceux de la majorité silencieuse. Aussi devait-il être perçu comme le mégaphone de la vox populi, c’est-à-dire la voix du peuple brisé, du peuple contrebalancé entre la tyrannie coloniale et les mystifications de politiciens professionnels en mal d’audience.
D’ailleurs, le Docteur Amar SAMB, ancien directeur de l’IFAN, le considère comme « un polémiste de combat, un défenseur acharné de l’islam, un esprit pétri de culture arabo-musulmane, un marabout très informé des choses de la chrétienté, un chef religieux qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui sait d’où vient l’asservissement des Africains en particulier et des faibles en général, un Africain patriote qui sait que la domination d’un peuple par un peuple n’a pas de lendemain… »
Dans le même sillage, nous rappelons le témoignage fait sur Bâye par Mouhammad at-Tâhir al-Maygari in : as.-Shaykh Ibrahîm NIASS al-Singhâli, hayâtou houwarâ’Ouhouwatâ’limâ touhoû ou Cheikh Ibrâhîm le Sénégalais : sa vie, ses idées et ses enseignements, Dâr al-Arabiyy, Beyrout, 1979, page 253…
Quoique un de ses plus farouches contradicteurs, al-Maygari a eu tout de même l’honnêteté intellectuelle de témoigner : « Il n’y a aucun doute que Cheikh Ibrâhîma NIASS a déjà prouvé, par ce livre (Kitâbou sirri al-akbarwan-noûri al-akbar ou le livre du plus grand secret et de la lumière éclatante), qu’il est le maître incontesté des gnostiques de son époque, plus particulièrement dans la târiqâ tijâniyyâ, puisque personne n’a pu apporter quelque chose de semblable à ce qu’il a livré…
Personne non plus n’a pu rivaliser avec lui dans ce domaine, ni dans la Tidjâniyyâ, ni ailleurs… Presque tous les disciples tidjânes, dans toutes les contrées, se sont soumis à son autorité, se sont placés sous son magistère spirituel, apprirent de lui et puisèrent de sa science…
Ceci n’est pas limité à ses frères noirs, loin s’en faut, mais les hommes de couleur blanche dont les grands parents furent par ailleurs les maîtres des maîtres du cheikh lui-même : ce sont ses plus ardents disciples et, par la suite, ceux qui ont le plus profité de sa science. Ils le suivirent avec une sincérité totale dans l’obéissance et dans un amour absolu.»
Nonobstant sa haute stature mondiale, ses responsabilités religieuses supranationales, les relations cordiales qu’il entretenait avec les grandes figures de son époque et les nombreuses citations honorifiques dont il pouvait se prévaloir, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a préféré passer toute sa vie dans une modeste bâtisse en pisé alors qu’il lui aurait suffi de lever le plus petit doigt pour que ses millions de disciples lui eussent édifié des gratte-ciel. Quelle humilité !
Tel se présentait El-Hâdj Ibrâhîma NIASS, que, à juste raison, le Président SENGHOR considérait comme l’Ambassadeur plénipotentiaire du Sénégal auprès du monde.
Parce que militant et pionnier du panafricanisme qui se définit comme la vision sociale, culturelle et politique d’émancipation des Africains et facteur d’intégration du continent, Bâye n’a jamais accepté de courber l’échine ; sentinelle de la bonne cause, protecteur des valeurs morales traditionnelles et religieuses mais aussi des couches vulnérables sénégalaises, africaines ou, plus largement, mondiales, il a passé une bonne partie de sa vie à semer les germes de la paix parce que convaincu qu’il n’y a pas de bonheur sans paix.
Ses nombreux périples dont (conformément à un hadith relatif à la quête du savoir) celui qui le conduisit en Chine en octobre 1963, et le télégramme de félicitations que, par le biais de l’ambassade des Etats-Unis à Dakar, il adressa au Président Richard NIXON après l’alunissage avéré d’Apollo XI, le 20 juillet 1969 (alors que la plupart des chefs religieux d’ici et d’ailleurs n’en croyaient ni leurs oreilles ni leurs yeux), l’illustrent éloquemment.
Du reste, la philosophie de Cheikh Barham Abdallâh fondée sur une compréhension aiguë du Coran, de la sounnah du Prophète Mouhammad (psl) et de la pratique éclairée de la tarîqâ tidjâne, a préfiguré la mondialisation.
Le cheikh al-Islam (titre qui lui a été attribué en 1971 à l’Université al-Hazar du Caire où il fit des sermons et se prêta à des questions) El-Hâdj Ibrâhîma NIASS fut rappelé à Dieu à St-Thomas’ Hospital de Londres, le 17 rajab 1395, soit le samedi 26 juillet 1975. Il avait 74 ans 8 mois et 18 jours.
Selon Matrib as sâ-mi-ninwanâ ziri nfî manâqib as Shaykh Seydi Abdallâh ben Seydi Mouhammad wa bâihî at-tâhirin, livre écrit en 1315 H, soit en 1897 G, par Seydi Mouhammad ibn Abdallâh ben Seydi Mouhammad ben Mouhammad as-Saghîr Mboudja al-Alawiat-Tichili, El-Hâdj Abdallâh NIASS, le père de Bâye, est né le 3 zoul qâda 1264, soit le lundi 02 octobre 1848 à Belly et il est décédé le dimanche 9 juillet 1922 à 73 ans, 9 mois et 07 jours.
D’ailleurs, à maintes reprises et plus exactement lors de l’inauguration de la zawiyya rénovée de Léona-niassène, Bâye a affirmé que son vénéré père est né dans l’année du décès de Mouhamdy Ould Siddinâ dit Beddî, c’est-à-dire en 1264 H, donc en 1848.
Subséquemment à cette nouvelle donne chronologique, toutes les autres dates relatives à la naissance d’El-Hâdj Abdallâh NIASS (kabîr) précédemment avancées doivent être considérées comme nulles et de nul effet.
Ainsi, comme il l’avait prédit dans une de ses lettres rédigées vers 1931, c’est-à-dire presqu’un demi-siècle avant qu’il n’ait quitté ce bas monde, El-Hâdj Ibrâhîma NIASS a effectivement vécu plus longtemps que son père. C’est là un des nombreux miracles dont ce saint hors-pair aura été l’auteur.
Du reste, sa vie sur terre a été une source de bonheur pour tous ceux qui l’ont approché si bien que, comme le stipule la missive ci-après qu’il a rédigée en 1939 et adressée à Seydî Alioune CISSE à l’attention de tous ses disciples, œuvrer pour lui est un acte de bienfaisance personnelle pour le prestataire :
« Lève-toi et tiens-toi sur des pieds solides et valides pour enseigner, assurer les travaux champêtres et surtout encourager les disciples à travailler pour moi.
Je n’ai aucun profit à tirer du fruit de ces travaux ; mais, à coup sûr, les retombées iront aux prestataires eux-mêmes. Il n’y a point de bienfait plus élevé que de travailler pour moi à qui Dieu a donné un regard profond de cœur. Ceci, le Tout-Puissant l’a dissimulé pour permettre surtout aux autres de développer entre eux la faculté d’émulation.
Cependant, un grand regret sera le lot de ceux qui n’auront rien effectué pour moi le jour où tout sera clair, où toutes les choses se retrouveront entre mes mains. Pouvoir et capacité sont à Dieu.
Ces paroles je ne les ai pas prononcées dans un état d’extase, ni de folie, ni d’inconscience, encore moins par prétention. Toutefois, c’est un message qui m’est venu du Très-Haut avec l’autorisation explicite de le révéler.»
Ainsi, Mawlânâ Cheikh Ibrâhîm, ci-devant gardien de l’orthodoxie islamique, chantre du Prophète Mouhammad (psl) et réformateur attitré de la târiqâ tidjâne, est le seul exemple qui vaille la peine d’être médité.
C’est lui qui nous a purifiés par ses nobles qualités, éduqués par ses principes et décrassé l’égo par sa science édifiante. Aussi est-il une obligation pour chacun de nous de lui témoigner de son attachement, de sa fidélité, de sa générosité.
Harouna Amadou LY dit Harouna Rassoul,
Maître ès-lettres, professeur certifié d’Histoire, à la retraite à Dakar.