Le ministre de l'Intérieur ivoirien a affirmé être en contact régulier avec vous...
Charles Blé Goudé - Je n'ai jamais fait de mystère autour de ma volonté d'aller à la paix par un dialogue franc et sincère, dans le respect des convictions de chacun. Aller vers l'autre et dialoguer avec lui fait partie de ma culture politique et de l'enseignement que j'ai reçu de mon maître, Laurent Gbagbo.
C'est pourquoi, en juin 2007, j'ai engagé une concertation avec la jeunesse du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix) pour mettre fin aux affrontements entre les populations, j'ai reçu les jeunes des forces nouvelles dans mon village, j'ai fait recevoir Guillaume Soro à Gagnoa, j'ai été voir Wattao à Bouaké avant de le recevoir dans mon village. J'ai fait tout cela parce que je voulais la paix entre Ivoiriens.
Parler avec un adversaire politique n'a jamais constitué un problème pour moi, parce que je me sens capable d'exprimer face à n'importe qui, ma position et ma conviction.
Mais le problème se pose quand celui qui se trouve être le «sécurocrate» du pays et qui annonce fièrement qu'il parle avec vous, rencontre une partie de vos proches pendant que sont enlevés, arrêtés et emprisonnés vos principaux collaborateurs, les membres de votre famille, votre médecin, etc.
SlateAfrique - Concrètement, vous n'êtes donc pas prêt à dialoguer avec le pouvoir en place?
A quoi cela sert il de parler avec un pouvoir qui, la journée, parle de paix, et la nuit traque et fait enlever vos proches?
La traque, les arrestations et autres enlèvements de la plupart des responsables du Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (Cojep), sont ils le résultat du contenu de nos conversations téléphoniques? De quoi parle-t-on? Je suis assez intelligent pour comprendre que quand on frappe le margouillat, le lézard doit s'apprêter.
Dans notre pays, les tenants du pouvoir ne font que raisonner au présent, comme s'ils n'ont jamais eu de passé et comme si pour eux demain n'arrivera jamais. Demain finit toujours par arriver; et quand demain arrive, il s'appelle aujourd'hui.
Je demande au ministre Hamed Bakayoko de prendre la mesure du poids de la responsabilité qui est la sienne dans une Côte d'Ivoire meurtrie qui cherche encore ses marques.
En ce qui me concerne, à travers des déclarations officielles, j'ai lancé un appel au régime pour un dialogue franc et sincère, j'attends une réponse officielle en retour pour apprécier. Tout le reste n'est que du fouka-fouka politique.
SlateAfrique - Qu’entendez-vous par fouka-fouka politique?
C.B.G. - Quand on est un haut responsable de l'Etat, qu'on ne va pas à l'essentiel qui consiste à apporter les solutions qu'on a promises aux Ivoiriens, que l'on est toujours à créer de faux problèmes pour cacher son manque de vision pour un pays qui est encore à la recherche de repères, on fait du fouka-fouka politique.
Slate Afrique - Certains de vos partisans dénoncent une tribalisation du régime actuel et de la vie politique ivoirienne? Partagez-vous leur analyse?
C.B.G. - Le président Félix Houphouet-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993) a géré la Côte d'Ivoire, en tenant compte de la diversité ethnique du pays dans l'optique de maintenir l'équilibre, tant dans le gouvernement que dans les nominations aux hauts postes, dans l'administration et dans l'armée.
Ce fut le cas avec Henri Konan Bédié, feu Robert Gueï et tout dernièrement, Laurent Gbagbo. Cela est vérifiable dans les archives.
Mais je dois avouer que c'est la première fois que l'Ivoirien assiste à la suprématie d'une seule ethnie sur les autres dans tous les secteurs de l'Etat. Je trouve cela dangereux et inquiétant pour mon pays. Car si Alassane Ouattara a reproché à Henri Konan Bédié le concept de l'ivoirité, et que cela a valu une guerre à la Côte d'Ivoire, on peut, aujourd'hui, lui reprocher la «nordisation» de tous les secteurs de l'Etat.
Et je crains fort que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'étincelle s'allume à tout moment. C'est pourquoi je conseille au régime actuel de descendre de son piédestal, de regarder dans le rétroviseur et de revoir sa copie, sans passion, sans émotion. Le régime Ouattara se rend-il compte qu'il est en train de faire pire que ce qu'il prétend avoir combattu?
SlateAfrique - Comment sortir de la crise ivoirienne?
C.B.G. - Quand le régime actuel aura compris que ceux qui pensent gouverner avec la bâillonnette se trompent, quand le régime aura compris que ce n'est pas dans son intérêt qu'un homme comme Laurent Gbagbo soit en prison à la Haye, la plupart des cadres de son parti et alliés, en prison, en exil ou au cimetière, quand le régime Ouattara aura compris qu'il faut aider à soigner les plaies de celui avec qui on veut faire la paix, afin de le rendre réceptif et moins suspicieux, on pourra amorcer un virage qui conduise à un début de sortie de crise.
Laurent Gbagbo a annulé le mandat d'arrêt émis contre Ouattara par Henri Konan Bédié. Il a permis à Henri Konan Bédié de rentrer d'exil dans la dignité retrouvée. Il a amnistié Guillaume Soro et tous les chefs rebelles.
Tous ces actes ont favorisé le retour de la paix en Côte d'Ivoire, qui malheureusement a été interrompue par la crise postélectorale.
J'invite le régime Ouattara à réaliser qu'il est de sa responsabilité de rassembler les Ivoiriens, sans distinction politique, ethnique et religieuse. Je l'invite à mettre fin aux enlèvements et arrestations des pro-Gbagbo. J'invite le régime Ouattara à mettre fin à la suspension répétée des organes de presse proches de l'opposition. Je l'invite à mettre fin à cette justice sélective.
SlateAfrique - Un dialogue est il possible entre le régime actuel et les partisans de Laurent Gbagbo?
C.B.G. - Je suis encore à m'interroger sur la volonté du régime actuel à dialoguer avec les partisans de Laurent Gbagbo. Dès qu'un leader pro-Gbagbo manifeste son désir de dialoguer, la presse pro-Ouatara le voue aux gémonies, le traitant de quelqu'un qui craint la justice ou qui ne supporte plus l'exil.
Au fait, que veut le pouvoir Ouattara? Humilier, faire disparaître les partisans de Gbagbo.
Alors que Gbagbo Laurent leur a donné les honneurs, les hommes du régime actuel humilient les pro-Gbagbo.
Tout comme la pluie prépare la terre pour une bonne semence, le traitement que tout régime inflige à ses opposants favorise ou compromet le dialogue et la paix.
Traquer les pro-Gbagbo jusqu'au delà des frontières ivoiriennes, n'est pas le signe d'un apaisement qui puisse favoriser un dialogue.
Je lance un appel au président français François Hollande, afin qu'il jette un regard attentif et interrogateur sur ce qui se passe vraiment en Côte d'Ivoire, en dehors des déclarations publiques faites sur la réconciliation, mais qui, en réalité, s'apparentent plus à des opérations de communication et de charme. Je le répète, les populations souffrent.
SlateAfrique - Que pensez-vous des déclarations de vos partisans qui s’inquiètent pour la santé de Gbagbo Laurent et son épouse?
C.B.G. - Je suis inquiet pour la santé de Laurent Gbagbo. Ses avocats sont formels sur les conséquences que le mauvais traitement que lui ont fait subir ses géôliers à Korhogo ont eu sur la santé du fondateur du FPI (Front populaire ivoirien).
Quant à son épouse Simone, les rumeurs sur son état de santé ne sont pas du tout rassurantes. Nous sommes sans nouvelles d'elle depuis un moment. Même son avocat n'a plus accès à elle.
Je demande à tous ceux qui aiment vraiment la Côte d'Ivoire de favoriser la libération de Laurent Gbagbo, Simone et tous les autres prisonniers politiques (civiles et militaires), cela pourrait participer au retour d'une paix durable que les ivoiriens espèrent tant.
C'est le lieu de souligner que je suis aussi inquiet pour la santé de la Côte d'Ivoire, au niveau économique, politique et des droits de l'homme.
SlateAfrique – Existe-t-il des possibilités de réconciliation à brève échéance?
C.B.G. - Je crois que nous tous partisans de Gbagbo, nous avons appris auprès de Gbagbo le dialogue, c’est la discussion avec l’autre que nous avons appris.
Et les méthodes pacifiques que nous avons apprises auprès de lui. Je souhaite simplement que le pouvoir créé une atmosphère, un environnement propice à la discussion et au dialogue.
En dehors des déclarations publiques qui s’apparentent à des opérations de charme et de communication, mieux à des slogans. Je pense que le camp Gbagbo veut le dialogue et souhaite le dialogue. Il souhaite surtout que le gouvernement crée les conditions de ce dialogue.
SlateAfrique - Vous espérez un retour rapide en Côte d’Ivoire pour y faire quoi?
C.B.G. - Pour retourner en Côte d’Ivoire, il faut que les causes qui ont motivé mon départ de la Côte d’Ivoire trouvent des solutions.
La Côte d’Ivoire reste mon pays. Mais les conditions actuelles dans lesquelles vivent les partisans et tous ceux avec lesquels nous partageons les mêmes idées ne permettent pas que j’y retourne. Le retour n’est pas pour le moment à l’ordre du jour.
SlateAfrique - Où êtes-vous exactement?
C.B.G. - Je ne saurais le dire. Vous savez très bien que le régime actuel fait de moi un bouc émissaire. Je suis là où je dois être.
SlateAfrique - Comment avez-vous fui la Côte d’Ivoire en avril 2011? D’aucuns prétendent que vous avez bénéficié de l’aide de Guillaume Soro. Que vous avez bénéficié de l’aide des anciens de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire)?
C.B.G. - Quand la crise sera finie et que je serai en Côte d’Ivoire, je crois que tout le monde saura comment j’ai quitté ce pays. Mais ce que je peux déjà dire, c’est qu’aucun adversaire politique ne m’a aidé à quitter la Côte d’Ivoire.
SlateAfrique - Le FPI de Gbagbo est resté dix ans au pouvoir quel bilan en tirez-vous? Avez vous des regrets à propos de ces dix ans de règne?
C.B.G. - L’action humaine est empreinte d’imperfections. Seul Dieu fait des choses parfaites. En temps qu’être humain, on ne peut pas dire que tout ce qu’on a fait est parfait. Le moment du bilan arrive. Ce que nous vivons en ce moment. Plus qu’un exil c’est une école de formation, de transformation et de réorientation. Et un moment d’évaluation que je n’ai pas encore fini. Quand j’aurai fini toute l’évaluation, je me prononcerai sur le bilan.
SlateAfrique – Avez-vous des contacts directs ou indirects avec Gbagbo?
C.B.G. – Non, je n’ai pas pour l’instant de contact avec le président Gbagbo. Parce je vis dans la clandestinité.
SlateAfrique – Vous n’avez pas fait mystère de votre anti-sarkozysme. Pensez vous que l’arrivée au pouvoir de François Hollande change la donne?
C.B.G. - Tout changement est une occasion, une opportunité. La plupart des Africains se sont retrouvés dans le discours de campagne de l’actuel président français.
Je souhaite vraiment qu’il ne se laisse pas attendrir par les discours publics de monsieur Ouattara, qui n’ont rien à voir avec la traque, les enlèvements, les arrestations. Il ne faut pas que François Hollande déçoive les espoirs que les Africains ont placés en lui.
Monsieur Ouattara divise les Ivoiriens et suspend les journaux de l’opposition. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire c’est une dictature.
SlateAfrique - Reconnaissez-vous la victoire de Ouattara telle qu’elle a été proclamée par la communauté internationale?
C.B.G. - Le jour où monsieur Ouattara va accepter de rentrer dans une discussion sincère, ce sera à notre tour d’étudier cette question. Et d’entreprendre une vraie discussion.
SlateAfrique - Comment jugez-vous le bilan de monsieur Ouattara depuis dix huit mois?
C.B.G. - Je pense qu'Alassane Ouattara refuse de gouverner, qu’il a décidé de régner dans la terreur et de gouverner avec la bâillonnette. Il ne veut pas de contre-pouvoir. Il ne veut pas d’une opposition responsable qui propose, qui critique. Ce qui n’est pas possible en 2012.
C’est pourquoi, il traque, il emprisonne, il enlève tous ceux qui pensent autrement que lui.
SlateAfrique - Beaucoup d'Ivoiriens sont morts lors de la crise postélectorale. Nombreux sont en exil. Ne trouvez vous pas que le bilan est lourd pour un problème de contestation de résultats d’élection présidentielle?
C.B.G. - Le bilan est même trop lourd, à plusieurs niveaux. Des vies humaines perdues, toute une société désorganisée. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est encore à la recherche de ses marques et de ses repères. Notre pays manque aujourd’hui de repères.
On a un groupe qui règne, qui se réjouit quand autour de ce groupe, les gens sont en larmes. C’est la consternation totale, c’est pourquoi nous souhaitons que sincèrement l’on s’asseye que l’on fasse un diagnostic, une évaluation. Et que l’on regarde dans le rétroviseur.
SlateAfrique – Les médias occidentaux ont beaucoup reprochés aux patriotes la formule " A chacun son Français". Des médias vous accusent d'être à l'origine de ce slogan?
C.B.G. - Je n’ai jamais prononcé une telle phrase. Je suis un homme responsable. Je ne sais d’ailleurs pas d’où les médias français tirent cette phrase qui pour moi est de leur invention. Le fruit de leur invention. Je mets tous les services secrets au défi de me produire une seule bande sonore, une seule vidéo qui démontre que ces propos viennent de moi. En fait, ces propos font partie de la campagne de diabolisation dont je fais l’objet. En clair, je ne suis pas l’auteur de cette phrase.
SlateAfrique - Vous n’auriez pas dû la dénoncer?
C.B.G. - Lors de la campagne présidentielle française, des jeunes portants des tee-shirts du parti socialiste s'en sont pris à Nicolas Sarkozy, cela ne veut pas dire que ce qu’ils ont fait est de la responsabilité du parti socialiste. Ceux qui nous accusent ainsi je pense qu’il font fausse route.
Slate Afrique - Pourquoi ne pas vous présenter devant la justice pour donner votre version des faits?
C.B.G. - Quelle justice? Il n’y a pas de justice en Côte d’Ivoire. Il y a une justice sélective. En 2011, les troupes de Ouattara qui sont descendues du nord et qui sont allées jusqu’à Abidjan ont traversé tout le pays. Il y a eu des massacres. Ils ont fait beaucoup de victimes. Pourquoi ne sont-ils pas du tout inquiétés par la justice?
Slate Afrique –Vos partisans accusent fréquemment les médias occidentaux de partialité. Pourquoi seraient-ils anti Gbagbo?
C.B.G. - Tout cela fait partie du nouvel ordre mondial. Que ce soit les médias ou les organisations de défense des droits de l’homme. Malgré les traques, les répressions à l'heure actuelle en Côte d'Ivoire. Regardez bien les réactions timides des mêmes organisations des droits de l’homme qui étaient si virulentes à l'époque de Gbagbo.
Je souhaite que les médias fassent preuve du même enthousiasme pour dénoncer les dérives du régime actuel que celui dont il avait fait preuve à l’époque du régime Gbagbo.
SlateAfrique - Vous nous appelez avec un numéro masqué. Pouvez-vous nous donner votre numéro de téléphone?
C.B.G. - Non bien sûr. C’est la seule manière pour moi de communiquer.
SlateAfrique - Vous êtes en où? En Afrique de l’Ouest ?
C.B.G. - Au revoir…
Propos recueillis par Pierre Cherruau et Philippe Duval avec Ekia Badou
Charles Blé Goudé - Je n'ai jamais fait de mystère autour de ma volonté d'aller à la paix par un dialogue franc et sincère, dans le respect des convictions de chacun. Aller vers l'autre et dialoguer avec lui fait partie de ma culture politique et de l'enseignement que j'ai reçu de mon maître, Laurent Gbagbo.
C'est pourquoi, en juin 2007, j'ai engagé une concertation avec la jeunesse du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix) pour mettre fin aux affrontements entre les populations, j'ai reçu les jeunes des forces nouvelles dans mon village, j'ai fait recevoir Guillaume Soro à Gagnoa, j'ai été voir Wattao à Bouaké avant de le recevoir dans mon village. J'ai fait tout cela parce que je voulais la paix entre Ivoiriens.
Parler avec un adversaire politique n'a jamais constitué un problème pour moi, parce que je me sens capable d'exprimer face à n'importe qui, ma position et ma conviction.
Mais le problème se pose quand celui qui se trouve être le «sécurocrate» du pays et qui annonce fièrement qu'il parle avec vous, rencontre une partie de vos proches pendant que sont enlevés, arrêtés et emprisonnés vos principaux collaborateurs, les membres de votre famille, votre médecin, etc.
SlateAfrique - Concrètement, vous n'êtes donc pas prêt à dialoguer avec le pouvoir en place?
A quoi cela sert il de parler avec un pouvoir qui, la journée, parle de paix, et la nuit traque et fait enlever vos proches?
La traque, les arrestations et autres enlèvements de la plupart des responsables du Congrès panafricain des jeunes et des patriotes (Cojep), sont ils le résultat du contenu de nos conversations téléphoniques? De quoi parle-t-on? Je suis assez intelligent pour comprendre que quand on frappe le margouillat, le lézard doit s'apprêter.
Dans notre pays, les tenants du pouvoir ne font que raisonner au présent, comme s'ils n'ont jamais eu de passé et comme si pour eux demain n'arrivera jamais. Demain finit toujours par arriver; et quand demain arrive, il s'appelle aujourd'hui.
Je demande au ministre Hamed Bakayoko de prendre la mesure du poids de la responsabilité qui est la sienne dans une Côte d'Ivoire meurtrie qui cherche encore ses marques.
En ce qui me concerne, à travers des déclarations officielles, j'ai lancé un appel au régime pour un dialogue franc et sincère, j'attends une réponse officielle en retour pour apprécier. Tout le reste n'est que du fouka-fouka politique.
SlateAfrique - Qu’entendez-vous par fouka-fouka politique?
C.B.G. - Quand on est un haut responsable de l'Etat, qu'on ne va pas à l'essentiel qui consiste à apporter les solutions qu'on a promises aux Ivoiriens, que l'on est toujours à créer de faux problèmes pour cacher son manque de vision pour un pays qui est encore à la recherche de repères, on fait du fouka-fouka politique.
Slate Afrique - Certains de vos partisans dénoncent une tribalisation du régime actuel et de la vie politique ivoirienne? Partagez-vous leur analyse?
C.B.G. - Le président Félix Houphouet-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993) a géré la Côte d'Ivoire, en tenant compte de la diversité ethnique du pays dans l'optique de maintenir l'équilibre, tant dans le gouvernement que dans les nominations aux hauts postes, dans l'administration et dans l'armée.
Ce fut le cas avec Henri Konan Bédié, feu Robert Gueï et tout dernièrement, Laurent Gbagbo. Cela est vérifiable dans les archives.
Mais je dois avouer que c'est la première fois que l'Ivoirien assiste à la suprématie d'une seule ethnie sur les autres dans tous les secteurs de l'Etat. Je trouve cela dangereux et inquiétant pour mon pays. Car si Alassane Ouattara a reproché à Henri Konan Bédié le concept de l'ivoirité, et que cela a valu une guerre à la Côte d'Ivoire, on peut, aujourd'hui, lui reprocher la «nordisation» de tous les secteurs de l'Etat.
Et je crains fort que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'étincelle s'allume à tout moment. C'est pourquoi je conseille au régime actuel de descendre de son piédestal, de regarder dans le rétroviseur et de revoir sa copie, sans passion, sans émotion. Le régime Ouattara se rend-il compte qu'il est en train de faire pire que ce qu'il prétend avoir combattu?
SlateAfrique - Comment sortir de la crise ivoirienne?
C.B.G. - Quand le régime actuel aura compris que ceux qui pensent gouverner avec la bâillonnette se trompent, quand le régime aura compris que ce n'est pas dans son intérêt qu'un homme comme Laurent Gbagbo soit en prison à la Haye, la plupart des cadres de son parti et alliés, en prison, en exil ou au cimetière, quand le régime Ouattara aura compris qu'il faut aider à soigner les plaies de celui avec qui on veut faire la paix, afin de le rendre réceptif et moins suspicieux, on pourra amorcer un virage qui conduise à un début de sortie de crise.
Laurent Gbagbo a annulé le mandat d'arrêt émis contre Ouattara par Henri Konan Bédié. Il a permis à Henri Konan Bédié de rentrer d'exil dans la dignité retrouvée. Il a amnistié Guillaume Soro et tous les chefs rebelles.
Tous ces actes ont favorisé le retour de la paix en Côte d'Ivoire, qui malheureusement a été interrompue par la crise postélectorale.
J'invite le régime Ouattara à réaliser qu'il est de sa responsabilité de rassembler les Ivoiriens, sans distinction politique, ethnique et religieuse. Je l'invite à mettre fin aux enlèvements et arrestations des pro-Gbagbo. J'invite le régime Ouattara à mettre fin à la suspension répétée des organes de presse proches de l'opposition. Je l'invite à mettre fin à cette justice sélective.
SlateAfrique - Un dialogue est il possible entre le régime actuel et les partisans de Laurent Gbagbo?
C.B.G. - Je suis encore à m'interroger sur la volonté du régime actuel à dialoguer avec les partisans de Laurent Gbagbo. Dès qu'un leader pro-Gbagbo manifeste son désir de dialoguer, la presse pro-Ouatara le voue aux gémonies, le traitant de quelqu'un qui craint la justice ou qui ne supporte plus l'exil.
Au fait, que veut le pouvoir Ouattara? Humilier, faire disparaître les partisans de Gbagbo.
Alors que Gbagbo Laurent leur a donné les honneurs, les hommes du régime actuel humilient les pro-Gbagbo.
Tout comme la pluie prépare la terre pour une bonne semence, le traitement que tout régime inflige à ses opposants favorise ou compromet le dialogue et la paix.
Traquer les pro-Gbagbo jusqu'au delà des frontières ivoiriennes, n'est pas le signe d'un apaisement qui puisse favoriser un dialogue.
Je lance un appel au président français François Hollande, afin qu'il jette un regard attentif et interrogateur sur ce qui se passe vraiment en Côte d'Ivoire, en dehors des déclarations publiques faites sur la réconciliation, mais qui, en réalité, s'apparentent plus à des opérations de communication et de charme. Je le répète, les populations souffrent.
SlateAfrique - Que pensez-vous des déclarations de vos partisans qui s’inquiètent pour la santé de Gbagbo Laurent et son épouse?
C.B.G. - Je suis inquiet pour la santé de Laurent Gbagbo. Ses avocats sont formels sur les conséquences que le mauvais traitement que lui ont fait subir ses géôliers à Korhogo ont eu sur la santé du fondateur du FPI (Front populaire ivoirien).
Quant à son épouse Simone, les rumeurs sur son état de santé ne sont pas du tout rassurantes. Nous sommes sans nouvelles d'elle depuis un moment. Même son avocat n'a plus accès à elle.
Je demande à tous ceux qui aiment vraiment la Côte d'Ivoire de favoriser la libération de Laurent Gbagbo, Simone et tous les autres prisonniers politiques (civiles et militaires), cela pourrait participer au retour d'une paix durable que les ivoiriens espèrent tant.
C'est le lieu de souligner que je suis aussi inquiet pour la santé de la Côte d'Ivoire, au niveau économique, politique et des droits de l'homme.
SlateAfrique – Existe-t-il des possibilités de réconciliation à brève échéance?
C.B.G. - Je crois que nous tous partisans de Gbagbo, nous avons appris auprès de Gbagbo le dialogue, c’est la discussion avec l’autre que nous avons appris.
Et les méthodes pacifiques que nous avons apprises auprès de lui. Je souhaite simplement que le pouvoir créé une atmosphère, un environnement propice à la discussion et au dialogue.
En dehors des déclarations publiques qui s’apparentent à des opérations de charme et de communication, mieux à des slogans. Je pense que le camp Gbagbo veut le dialogue et souhaite le dialogue. Il souhaite surtout que le gouvernement crée les conditions de ce dialogue.
SlateAfrique - Vous espérez un retour rapide en Côte d’Ivoire pour y faire quoi?
C.B.G. - Pour retourner en Côte d’Ivoire, il faut que les causes qui ont motivé mon départ de la Côte d’Ivoire trouvent des solutions.
La Côte d’Ivoire reste mon pays. Mais les conditions actuelles dans lesquelles vivent les partisans et tous ceux avec lesquels nous partageons les mêmes idées ne permettent pas que j’y retourne. Le retour n’est pas pour le moment à l’ordre du jour.
SlateAfrique - Où êtes-vous exactement?
C.B.G. - Je ne saurais le dire. Vous savez très bien que le régime actuel fait de moi un bouc émissaire. Je suis là où je dois être.
SlateAfrique - Comment avez-vous fui la Côte d’Ivoire en avril 2011? D’aucuns prétendent que vous avez bénéficié de l’aide de Guillaume Soro. Que vous avez bénéficié de l’aide des anciens de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire)?
C.B.G. - Quand la crise sera finie et que je serai en Côte d’Ivoire, je crois que tout le monde saura comment j’ai quitté ce pays. Mais ce que je peux déjà dire, c’est qu’aucun adversaire politique ne m’a aidé à quitter la Côte d’Ivoire.
SlateAfrique - Le FPI de Gbagbo est resté dix ans au pouvoir quel bilan en tirez-vous? Avez vous des regrets à propos de ces dix ans de règne?
C.B.G. - L’action humaine est empreinte d’imperfections. Seul Dieu fait des choses parfaites. En temps qu’être humain, on ne peut pas dire que tout ce qu’on a fait est parfait. Le moment du bilan arrive. Ce que nous vivons en ce moment. Plus qu’un exil c’est une école de formation, de transformation et de réorientation. Et un moment d’évaluation que je n’ai pas encore fini. Quand j’aurai fini toute l’évaluation, je me prononcerai sur le bilan.
SlateAfrique – Avez-vous des contacts directs ou indirects avec Gbagbo?
C.B.G. – Non, je n’ai pas pour l’instant de contact avec le président Gbagbo. Parce je vis dans la clandestinité.
SlateAfrique – Vous n’avez pas fait mystère de votre anti-sarkozysme. Pensez vous que l’arrivée au pouvoir de François Hollande change la donne?
C.B.G. - Tout changement est une occasion, une opportunité. La plupart des Africains se sont retrouvés dans le discours de campagne de l’actuel président français.
Je souhaite vraiment qu’il ne se laisse pas attendrir par les discours publics de monsieur Ouattara, qui n’ont rien à voir avec la traque, les enlèvements, les arrestations. Il ne faut pas que François Hollande déçoive les espoirs que les Africains ont placés en lui.
Monsieur Ouattara divise les Ivoiriens et suspend les journaux de l’opposition. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire c’est une dictature.
SlateAfrique - Reconnaissez-vous la victoire de Ouattara telle qu’elle a été proclamée par la communauté internationale?
C.B.G. - Le jour où monsieur Ouattara va accepter de rentrer dans une discussion sincère, ce sera à notre tour d’étudier cette question. Et d’entreprendre une vraie discussion.
SlateAfrique - Comment jugez-vous le bilan de monsieur Ouattara depuis dix huit mois?
C.B.G. - Je pense qu'Alassane Ouattara refuse de gouverner, qu’il a décidé de régner dans la terreur et de gouverner avec la bâillonnette. Il ne veut pas de contre-pouvoir. Il ne veut pas d’une opposition responsable qui propose, qui critique. Ce qui n’est pas possible en 2012.
C’est pourquoi, il traque, il emprisonne, il enlève tous ceux qui pensent autrement que lui.
SlateAfrique - Beaucoup d'Ivoiriens sont morts lors de la crise postélectorale. Nombreux sont en exil. Ne trouvez vous pas que le bilan est lourd pour un problème de contestation de résultats d’élection présidentielle?
C.B.G. - Le bilan est même trop lourd, à plusieurs niveaux. Des vies humaines perdues, toute une société désorganisée. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est encore à la recherche de ses marques et de ses repères. Notre pays manque aujourd’hui de repères.
On a un groupe qui règne, qui se réjouit quand autour de ce groupe, les gens sont en larmes. C’est la consternation totale, c’est pourquoi nous souhaitons que sincèrement l’on s’asseye que l’on fasse un diagnostic, une évaluation. Et que l’on regarde dans le rétroviseur.
SlateAfrique – Les médias occidentaux ont beaucoup reprochés aux patriotes la formule " A chacun son Français". Des médias vous accusent d'être à l'origine de ce slogan?
C.B.G. - Je n’ai jamais prononcé une telle phrase. Je suis un homme responsable. Je ne sais d’ailleurs pas d’où les médias français tirent cette phrase qui pour moi est de leur invention. Le fruit de leur invention. Je mets tous les services secrets au défi de me produire une seule bande sonore, une seule vidéo qui démontre que ces propos viennent de moi. En fait, ces propos font partie de la campagne de diabolisation dont je fais l’objet. En clair, je ne suis pas l’auteur de cette phrase.
SlateAfrique - Vous n’auriez pas dû la dénoncer?
C.B.G. - Lors de la campagne présidentielle française, des jeunes portants des tee-shirts du parti socialiste s'en sont pris à Nicolas Sarkozy, cela ne veut pas dire que ce qu’ils ont fait est de la responsabilité du parti socialiste. Ceux qui nous accusent ainsi je pense qu’il font fausse route.
Slate Afrique - Pourquoi ne pas vous présenter devant la justice pour donner votre version des faits?
C.B.G. - Quelle justice? Il n’y a pas de justice en Côte d’Ivoire. Il y a une justice sélective. En 2011, les troupes de Ouattara qui sont descendues du nord et qui sont allées jusqu’à Abidjan ont traversé tout le pays. Il y a eu des massacres. Ils ont fait beaucoup de victimes. Pourquoi ne sont-ils pas du tout inquiétés par la justice?
Slate Afrique –Vos partisans accusent fréquemment les médias occidentaux de partialité. Pourquoi seraient-ils anti Gbagbo?
C.B.G. - Tout cela fait partie du nouvel ordre mondial. Que ce soit les médias ou les organisations de défense des droits de l’homme. Malgré les traques, les répressions à l'heure actuelle en Côte d'Ivoire. Regardez bien les réactions timides des mêmes organisations des droits de l’homme qui étaient si virulentes à l'époque de Gbagbo.
Je souhaite que les médias fassent preuve du même enthousiasme pour dénoncer les dérives du régime actuel que celui dont il avait fait preuve à l’époque du régime Gbagbo.
SlateAfrique - Vous nous appelez avec un numéro masqué. Pouvez-vous nous donner votre numéro de téléphone?
C.B.G. - Non bien sûr. C’est la seule manière pour moi de communiquer.
SlateAfrique - Vous êtes en où? En Afrique de l’Ouest ?
C.B.G. - Au revoir…
Propos recueillis par Pierre Cherruau et Philippe Duval avec Ekia Badou