Tête pensante du dossier syrien à Moscou, Mikhaïl Bogdanov était ce week-end à Paris, où il a rencontré des opposants syriens et des diplomates français.
LE FIGARO. - Comment sortir de l'impasse en Syrie?
Mikhaïl BOGDANOV. - Compte tenu des divisions de l'opposition et des armes qui parviennent aux rebelles, le risque d'une somalisation de la Syrie existe, si jamais le régime tombait brutalement demain. Il faut tout faire pour éviter cette désagrégation d'un État centralisé, et son éclatement entre communautés, qui se retrancheraient dans leurs bastions pour se défendre. C'est pourquoi nous proposons à nos partenaires occidentaux l'organisation d'une «conférence de Taëf» entre tous les acteurs du conflit, du type de celle qui a permis la fin de la guerre civile libanaise en 1990. Cette conférence devrait réunir des représentants de l'opposition et du régime, mais aussi des communautés chrétienne, alaouite, druze. Elle devra garantir une sortie de crise non violente et permettre de dessiner les contours de la Syrie de demain.
N'est-ce pas irréaliste de penser qu'une issue diplomatique est encore possible?
Non. C'était la finalité de l'accord de Genève, auquel nous étions parvenus avec nos partenaires occidentaux durant l'été. Nous étions tous d'accord pour créer un organisme de transition. Nous avions signé un document très détaillé, qui s'appuyait sur le plan de Kofi Annan et qui avait été approuvé par le Conseil de sécurité de l'ONU. Tous les acteurs extérieurs s'étaient engagés à influencer leurs alliés, ce que nous avons fait auprès du régime syrien, qui a mis en place une équipe pour participer à ces discussions. Mais nous avons été stupéfaits de constater que quelques jours après l'accord de Genève, nos amis occidentaux ont commencé à discuter d'une nouvelle résolution de l'ONU sous chapitre VII (qui inclut le recours à la force, NDLR). Pourtant, nous ne perdons pas espoir. Nous cherchons à faire valider, de nouveau, cet accord de Genève par le Conseil de sécurité de l'ONU. C'est la seule feuille de route actuellement sur la table, le seul document consensuel existant. J'en ai parlé aux opposants que j'ai vus à Paris et aux dirigeants français. On ne peut plus nous répondre: on oublie tout ce qui a été fait dans le passé, et à la place, on fait voter des sanctions qui toucheront autant le peuple que le régime.
Soutenez-vous l'idée, défendue par les opposants du Comité de coordination nationale, d'un cessez-le-feu?
Oui. Et nous réclamons une nouvelle fois de toutes les parties qu'elles cessent la violence. Il n'y a pas d'autre solution. En 18 mois, la crise a entraîné la destruction de quantité de villes et de villages, et des pertes humaines importantes. Si les parties continuent à augmenter leur potentiel militaire, cela les conduira vers une impasse encore plus dangereuse. Et le conflit durera encore longtemps. Car nous voyons bien comment la situation évolue sur le terrain. Les opposants engagent des offensives, l'armée parvient à les déloger, puis les rebelles reviennent plus tard dans leurs positions. Nous n'excluons pas que l'opposition renverse le pouvoir à Damas, et que ce pouvoir passe dans l'opposition. Ce qui n'empêchera pas la guerre civile de continuer. Les parties se déplaceront simplement géographiquement.
Le régime peut-il tenir encore longtemps?
Le régime est encore solide. Il jouit d'un soutien important de la population. Ce soutien n'est pas motivé par l'amour des Syriens envers Bachar el-Assad, mais plutôt par la crainte de ceux qui lui succéderaient. Se pose alors la question à laquelle personne en Occident n'est capable de répondre: quel pouvoir après Assad? Et comment assurer la stabilité et la sécurité, y compris des minorités? On ne peut pas prétendre régler le drame syrien simplement en donnant plus d'armes aux rebelles. Quelle Syrie comptez-vous faire émerger, en offrant des armes aux extrémistes islamistes?
Avez-vous la garantie que Bachar el-Assad quittera le pouvoir au terme d'une transition politique?
Assad lui-même nous l'a dit. Je ne sais pas à quel point il est sincère. Mais il nous a clairement déclaré que si le peuple ne voulait plus de lui, et s'il se choisissait un autre leader lors d'une élection présidentielle, il partirait. Nous n'avons jamais dit que le maintien d'el-Assad au pouvoir était un préalable à toute négociation. Mais nous disons également que ce n'est pas aux Russes, ni aux Français, de décider du sort du président syrien.
Confirmez-vous l'existence de zones libérées par les rebelles?
Nous aimerions savoir où elles sont. Pour l'instant, aucune des parties ne parvient à garder ses positions, c'est bien pourquoi le conflit s'éternise.
Par Georges Malbrunot
LE FIGARO. - Comment sortir de l'impasse en Syrie?
Mikhaïl BOGDANOV. - Compte tenu des divisions de l'opposition et des armes qui parviennent aux rebelles, le risque d'une somalisation de la Syrie existe, si jamais le régime tombait brutalement demain. Il faut tout faire pour éviter cette désagrégation d'un État centralisé, et son éclatement entre communautés, qui se retrancheraient dans leurs bastions pour se défendre. C'est pourquoi nous proposons à nos partenaires occidentaux l'organisation d'une «conférence de Taëf» entre tous les acteurs du conflit, du type de celle qui a permis la fin de la guerre civile libanaise en 1990. Cette conférence devrait réunir des représentants de l'opposition et du régime, mais aussi des communautés chrétienne, alaouite, druze. Elle devra garantir une sortie de crise non violente et permettre de dessiner les contours de la Syrie de demain.
N'est-ce pas irréaliste de penser qu'une issue diplomatique est encore possible?
Non. C'était la finalité de l'accord de Genève, auquel nous étions parvenus avec nos partenaires occidentaux durant l'été. Nous étions tous d'accord pour créer un organisme de transition. Nous avions signé un document très détaillé, qui s'appuyait sur le plan de Kofi Annan et qui avait été approuvé par le Conseil de sécurité de l'ONU. Tous les acteurs extérieurs s'étaient engagés à influencer leurs alliés, ce que nous avons fait auprès du régime syrien, qui a mis en place une équipe pour participer à ces discussions. Mais nous avons été stupéfaits de constater que quelques jours après l'accord de Genève, nos amis occidentaux ont commencé à discuter d'une nouvelle résolution de l'ONU sous chapitre VII (qui inclut le recours à la force, NDLR). Pourtant, nous ne perdons pas espoir. Nous cherchons à faire valider, de nouveau, cet accord de Genève par le Conseil de sécurité de l'ONU. C'est la seule feuille de route actuellement sur la table, le seul document consensuel existant. J'en ai parlé aux opposants que j'ai vus à Paris et aux dirigeants français. On ne peut plus nous répondre: on oublie tout ce qui a été fait dans le passé, et à la place, on fait voter des sanctions qui toucheront autant le peuple que le régime.
Soutenez-vous l'idée, défendue par les opposants du Comité de coordination nationale, d'un cessez-le-feu?
Oui. Et nous réclamons une nouvelle fois de toutes les parties qu'elles cessent la violence. Il n'y a pas d'autre solution. En 18 mois, la crise a entraîné la destruction de quantité de villes et de villages, et des pertes humaines importantes. Si les parties continuent à augmenter leur potentiel militaire, cela les conduira vers une impasse encore plus dangereuse. Et le conflit durera encore longtemps. Car nous voyons bien comment la situation évolue sur le terrain. Les opposants engagent des offensives, l'armée parvient à les déloger, puis les rebelles reviennent plus tard dans leurs positions. Nous n'excluons pas que l'opposition renverse le pouvoir à Damas, et que ce pouvoir passe dans l'opposition. Ce qui n'empêchera pas la guerre civile de continuer. Les parties se déplaceront simplement géographiquement.
Le régime peut-il tenir encore longtemps?
Le régime est encore solide. Il jouit d'un soutien important de la population. Ce soutien n'est pas motivé par l'amour des Syriens envers Bachar el-Assad, mais plutôt par la crainte de ceux qui lui succéderaient. Se pose alors la question à laquelle personne en Occident n'est capable de répondre: quel pouvoir après Assad? Et comment assurer la stabilité et la sécurité, y compris des minorités? On ne peut pas prétendre régler le drame syrien simplement en donnant plus d'armes aux rebelles. Quelle Syrie comptez-vous faire émerger, en offrant des armes aux extrémistes islamistes?
Avez-vous la garantie que Bachar el-Assad quittera le pouvoir au terme d'une transition politique?
Assad lui-même nous l'a dit. Je ne sais pas à quel point il est sincère. Mais il nous a clairement déclaré que si le peuple ne voulait plus de lui, et s'il se choisissait un autre leader lors d'une élection présidentielle, il partirait. Nous n'avons jamais dit que le maintien d'el-Assad au pouvoir était un préalable à toute négociation. Mais nous disons également que ce n'est pas aux Russes, ni aux Français, de décider du sort du président syrien.
Confirmez-vous l'existence de zones libérées par les rebelles?
Nous aimerions savoir où elles sont. Pour l'instant, aucune des parties ne parvient à garder ses positions, c'est bien pourquoi le conflit s'éternise.
Par Georges Malbrunot