Dans cette interview accordée à la BBC, l’attaquant d’Antalya en Turquie estime que la mobilisation internationale n’est pas à la hauteur de la menace, qui a coûté la vie à des milliers de personnes et fait des centaines de milliers de déplacés. Il se prononce également sur les accusations de racisme dans le football en Russie, sur la FIFA.
Pourquoi avoir décider de lutter contre la secte islamiste Boko Haram?
Samuel Eto’o: Si vous voyez un peu l’histoire de ma vie, j’essaie de lutter contre l’ignorance. Quand vous ne savez pas, quand vous ne comprenez pas, vous êtes exposés à beaucoup de choses, surtout à la manipulation. Ce qui se passe dans le Nord Cameroun, ce qui se passe au Nigeria, au Tchad et au Niger, vous voyez qu’on utilise des enfants, parce qu’il est plus facile de manipuler un enfant qu’un adulte, même si certains adultes en font partie. Donc, il est important pour nous de lutter contre ça en créant des écoles, en donnant la possibilité aux jeunes africains d’aller à l’école. Voilà pourquoi dans l’indifférence pratiquement de l’étranger, on a décidé de dénoncer, mais surtout de sensibiliser les jeunes en leur disant de faire très attention, parce que ce problème est beaucoup plus sérieux que vous ne le croyez et personne d’autre ne trouvera de solutions à notre place. C’est notre Afrique, c’est chez nous. Vous avez pu voir quand l’attentat de Charlie Hebdo s’est produit, nous étions tous attristés, nous avons apporté notre soutien à ce beau continent qui est l’Europe, nos chefs d’état se sont déplacés en masse pour être auprès de ces frères de l’autre côté, mais vous avez pu aussi voir que quand Boko Haram s’est installé dans la sous-région, nous étions seuls, on ne voyait presque personne. Il y a eu des centaines de morts, si tous ensemble nous ne nous y mettons pas, il est impossible de lutter contre cette barbarie. Je reste convaincu que l’éducation est l’âme la plus redoutable contre toutes ces choses.
Est-ce qu’il y a eu un déclic ou un fait précis à un moment donné qui a conduit Samuel Eto’o à prendre la décision de s’engager?
Quand c’était un problème juste au Nigeria, c’était un problème interne du Nigeria, on ne comprenait pas. On se disait il y a des problèmes, il y a des gens qui se sont levés parce qu’ils ne sont pas d’accord, ils veulent l’exprimer d’une certaine façon. Après on a compris que c’était quelque chose de beaucoup plus important. Je suis footballeur, mais je refuse d’être ignorant parce que je comprends les choses et je refuse de voir mon Afrique, notre Afrique être traitée de la sorte. Voilà pourquoi on a décidé de dire aux jeunes africains, à nos parents, à nos valeureux soldats qui sont au front, et aux populations que nos forces de l’ordre défendent, qu’ils ne sont pas seuls. Nous allons essayer de mener des actions concrètes pour apporter un soutien à notre niveau et je pense que chacun à son niveau, peu importe l’argent que vous avez, parce que, souvent on dit non parce qu’eux ils gagnent très bien leur vie, peut le faire. Pensez-vous que nous sommes les plus riches en Afrique? Je pense que non? Le déclic ce n’est pas d’être riche. C’est d’avoir une idée pour une cause et pouvoir se dire que l’on va réunir des gens autour d’une table pour qu’ensemble on défende cette cause qui me semble juste. Et je pense que les Africains doivent porter cette cause. Parce qu’elle ne touche pas seulement le Nigeria, elle ne touche pas seulement mon Cameroun, elle touche aussi le Niger, elle touche aussi le Tchad et qui sait demain? Ce sont nos enfants qui sont au front (victimes). Quand on vous dit par exemple qu’à Fotokol il y a eu 300 morts, et qu’il y a deux jeunes garçons qui portaient tel nombre de kilos d’explosifs, nous sommes tous tristes parce qu’il y a eu des morts, nous sommes aussi tristes parce qu’on utilise nos enfants, on utilise nos jeunes frères pour commettre ces actes de barbarie.
Que pensez-vous de la stratégie de lutte contre Boko Haram?
Je ne peux critiquer nos dirigeants. Par contre je salue nos vaillants soldats. Ils essaient de défendre nos pays comme ils le peuvent. Mais je veux vous dire qu’on est face à quelque chose qu’on ne connaissait pas en Afrique. Quand on parlait de terrorisme, on voyait plutôt les pays européens, les Etats Unis. Je me disais que ça ne pouvait arriver chez nous parce que, quel intérêt ces gens peuvent avoir chez nous? Mais très vite, c’est arrivé chez nous. Alors nous devons encourager nos dirigeants. Et encourager nos dirigeants ce n’est pas seulement organiser des marches pour dire que nous vous soutenons, il faut agir.
Parlant maintenant de football. Comment ça se passe dans votre nouveau club en Turquie?
Ça se passe bien. Je vieillis très bien. Je suis très heureux, je continue à prendre du plaisir. Il est vrai que je suis plus proche de la fin que du début de ma carrière et plus je me rapproche de la sortie, j’ai envie de profiter au maximum. J’ai la chance d’être dans une magnifique ville où il fait tout le temps beau. On a une très bonne équipe et on espère faire une très bonne saison.
Est-ce que c’est le coup de la Russie ou vous avez décidé de quitter les grands championnats pour aller en Russie et revenir ensuite en Europe. Est-ce que Samuel Eto’o retournera dans un grand championnat plus tard?
Le plus important c’est d’être heureux. La communication avait été mauvaise, mais elle a été mauvaise volontairement pour ceux qui voulaient présenter mon départ vers la Russie comme autre chose. Valbuena (NDLR : joueur de l’olympique lyonnais) était bien parti en Russie pour revenir ensuite dans l’un des plus grands clubs en France, mais il n’a pas été critiqué. Quand je suis parti en Russie, j’avais mes raisons. J’avais déjà presque tout gagné en Europe. J’avais besoin d’autre chose qui pouvait me motiver. Je voulais partir dans un club amateur et gagner avec ce club. Il est vrai qu’ils m’ont donné la possibilité et des moyens de travailler dans un environnement incroyable et je dis merci à Suleyman Kerimov (NDLR : propriétaire de FC Anzhi Makhachkala). Je ne vois aucun footballeur qui veut devenir numéro 1, penser à l’argent pendant qu’il est au stade. Quand il fait un mauvais match, il est triste.
Il y a des inquiétudes par rapport aux incidents racistes en Russie, et certains grands joueurs africains notamment Yaya Touré ont parlé de boycott. Qu’est-ce que vous vous en pensez?
Je ne sais pas quelle expérience mon jeune frère (Yaya Touré) a eu en Russie, mais moi j’ai eu la chance de vivre et de jouer en Russie, je n’ai pas connu ça. Je me rappelle que les gens me disaient que quand tu vas arriver à Saint Petersburg, tu vas voir. Mon premier match à Saint Pétersbourg quand je suis sorti après l’échauffement, il y avait une standing ovation, tout le monde avait commencé à applaudir. J’étais heureux parce que c’était une façon de dire merci pour tout ce que j’ai pu apporter au football et c’était beau. Ce n’était pas des noirs, mais c’était des blancs et des Russes qui étaient en train de dire à un jeune Africain: vraiment on t’a vu dans différents clubs et tu as bien travaillé. Après, vous pensez qu’en Angleterre, on ne connaît pas ça? Vous pensez qu’en France on ne connaît pas le racisme? Je pense que cette Coupe du monde comme celle en Afrique du Sud que certains critiquaient, et qui a été d’ailleurs la meilleure coupe du monde et l’une des Coupes du monde qui a le plus rapporté d’argent à la Fifa, la coupe du monde en Russie sera une très belle expérience.
Vous-même vous avez été victime de racisme sur le terrain. Racontez-nous votre expérience?
J’ai connu le racisme et ce n’était pas en Russie. C’est très facile de parler de la Russie. J’ai joué en Espagne et j’ai eu cette malheureuse expérience lors d’un match avec Barcelone. J’ai d’autres copains qui ont eu ces expériences quand ils jouaient en Italie, Alves (NDLR: joueur de Barcelone et de l’équipe nationale du Brésil) le joueur de Barcelone a eu la même expérience. Les mauvais ils sont partout et les bons ils sont partout.
Que vous évoque la crise à la FIFA ?
Si je dois parler de la Fifa, je dois retourner au Cameroun. Il y a quelques temps, j’ai essayé et j’ai compris qu’il fallait que je me concentre plutôt sur la fin de ma carrière et au début de ma future carrière.
On sait ce que vous avez dit et ce que vous avez fait par rapport au Cameroun mais la question c’est plutôt sur la Fifa, et non le Cameroun?
Je ne réponds pas par rapport la fédération camerounaise, mais posez-vous la question: pourquoi en Afrique le fonctionnement des fédérations ne peut pas être comme pour certaines fédérations européennes? J’ai joué pour mon continent, j’ai joué pour l’un des meilleurs pays en Afrique qui est le Cameroun, mon pays. J’ai défendu le Cameroun corps et âme avec tout l’amour, toute la passion possible, tous les dangers possibles. Quand vous essayez de changer les choses pour le bien de tout le monde et que les autres refusent délibérément de comprendre et vouloir même vous diaboliser; parce que j’ai tout entendu. J’ai vu des choses se passer de manière incroyable mais je garde tout ça si un jour, je décidais d’écrire un livre et apporter ma vérité. Donc si je parle de la FIFA, je serai obligé de parler du Cameroun et j’ai décidé de ne pas faire de commentaire.
Est-ce que vous pensez, comme certains, que le temps est venu pour un Africain de devenir président de la FIFA?
Mon souhait serait toujours de voir un Africain occuper un poste important. C’est important pour nous. Ca permettra à la future génération de pouvoir avoir des repères. Mais toujours est-il que cela serve l’Afrique.
Est-ce que l’on peut s’attendre à ce que Samuel Eto’o occupe un poste politique, président de la République?
Non, non je ne touche pas à la politique. Je ne le souhaite même pas. Le peu d’amis qu’il me restera si un jour je décide de faire la politique, qu’ils me fouettent.
Pas de projet pour être entraîneur ?
Je n’en ai pas.
Times24.info – Source : BBC