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Brigitte Macron : découvrez son interview exclusive en intégralité

Rédigé par leral.net le Jeudi 31 Août 2017 à 14:24 | | 0 commentaire(s)|

Tout ou presque a été écrit sur Brigitte Macron, mais elle n'avait jamais pris la parole. Pour la première fois, l'épouse du Président de la République raconte son enfance, son histoire d'amour, sa vie à l'Elysée, ses doutes et ses combats. Confidences d'une femme libre.


Brigitte Macron : découvrez son interview exclusive en intégralité
C'est sa première interview. Jusqu'ici, ses confidences glanées par des journalistes s'étaient transformées en petites phrases reprises partout, et souvent reprisées de travers, laissant cette ancienne professeure de lettres férue de mots un peu perplexe : « Quand on explique mon histoire, elle devient complètement désuète, cloche, petite. »

Mais la sincérité de Brigitte Macron n'en est pas entamée et c'est une femme à la parole libre qui s'exprime à l'Élysée. Elle n'esquive aucune question, y répond avec le naturel que ses proches louent si souvent. D'ailleurs, elle est tout ce qu'on dit d'elle, spontanée, rieuse, sympathique, empathique. Mais Brigitte Macron happe aussi par son intelligence tout-terrain. La gravité de son regard contredit son sourire éclatant et la longueur tant commentée de ses jupes.

Elle sait l'importance de la fonction si singulière qu'elle occupe, le flou qui l'entoure et qu'une charte de transparence devrait contribuer à éclairer, les attentes parfois démesurées, les critiques si promptes à tomber. Derrière la chevelure blondissime qui lui sert de carapace, elle cache ses doutes. Et comme toute bonne angoissée, elle ne connaît qu'une parade, le travail.

Chaque matin, dans son bureau élyséen, elle fixe son emploi du temps de la journée sur des feuilles de papier, avec un stylo plume. Évoque Michel Butor pour parler de la sensualité de l'écriture à la main. Vous emmène découvrir l'acte d'abdication de Napoléon Ier et, d'un empereur l'autre, cite « Les Châtiments ».
 
C'est tout le paradoxe de cette femme surgie d'un temps où l'on connaissait Hugo comme sa poche et qui aime ce vers d'Apollinaire : « À la fin tu es las de ce monde ancien. » Mariée, trois enfants, elle menait une vie dans les clous jusqu'à sa rencontre avec « un fou qui sait tout sur tout » de vingt-quatre ans de moins qu'elle.

Transgressive ? Elle réfute le mot. Brigitte Macron n'est pas transgressive, elle est romanesque, une héroïne de Françoise Sagan, courtoise et bourgeoise, qu'une passion a rendue libre. La tradition conjuguée à la modernité. Rien ne la prédestinait à vivre cette histoire d'amour insensée, ni à se retrouver à l'Élysée.

Et pourtant, en une année de campagne, elle est devenue un symbole dans le monde, et en trois mois de Première dame, ce job impossible, elle a trouvé sa juste place. Comment ? Parce qu'elle est avant tout l'épouse d'Emmanuel Macron et que, pour lui, elle est prête à tout assumer, ou à s'effacer. Rencontre avec une femme exceptionnelle, quoi qu'elle en dise.
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ELLE. En moins d'une semaine, vous êtes passée du quotidien un peu artisanal de la campagne présidentielle à une vie de palais, comment avez-vous vécu ce changement ?
BRIGITTE MACRON. Avec Emmanuel, je suis tellement habituée à ce qu'il m'arrive des choses extraordinaires que je me demande toujours quelle va être la prochaine aventure. Et cela dure depuis vingt ans. En fin de compte, je n'ai été vraiment déconcertée qu'un soir, celui du second tour de l'élection. Beaucoup ont cru qu'après le premier tour nous pensions que c'était gagné. À tort. Jamais, nous n'avons pensé ça. D'autant que je ne suis pas dans l'anticipation, pour moi, une chose n'existe que quand elle arrive, pas avant.
ELLE. Alors, le soir de l'élection d'Emmanuel Macron, n'avez-vous pas éprouvé un sentiment vertigineux ?
BRIGITTE MACRON. Si, cela m'est arrivé au QG de campagne, assise sur le canapé, quand j'ai vu le visage d'Emmanuel apparaître à la télévision. J'ai pris conscience et là... l'inquiétude. « Vais-je savoir ? » À propos de lui, je n'ai aucun doute, je sais comme il s'est préparé, comme il a travaillé, je connais sa volonté de réformer. Mais ce vertige... D'autant que, comme j'ai fait campagne avec lui, j'ai entendu les attentes parfois démesurées.
ELLE. Comment se traduit votre angoisse ?
BRIGITTE MACRON. Je suis mutique. C'est très mauvais signe, parce que ce n'est pas ma nature. J'ai besoin de parler, quand je ne dis rien, mon mari s'inquiète ! Le soir du second tour, j'étais au Louvre et je le voyais avancer... J'étais totalement saisie, c'était comme un dédoublement. Et puis, mes enfants sont venus me chercher : « Bon, il faudrait peut-être que tu montes. » J'ai dit : « Non, non, je reste en bas. » Et mes filles m'ont prise par le bras : « Hop ! tu y vas ! » J'avais envie de pleurer. Je suis montée et je voyais Emmanuel, pas la foule. Je pensais à la montagne qu'il avait gravie. Parce qu'il y a un an, il n'y avait rien. En dehors du fait qu'il soit mon mari, j'ai vu tout ce qu'il a accompli. Après, tout a été si vite ! Emmanuel m'a dit en souriant : « Au cas où tu envisagerais de prendre vingt-quatre heures de repos, tu y renonces. » Je lui ai répondu : « Ça tombe bien, je n'envisageais même pas de prendre une heure. »
ELLE. Les premières dames avaient un peu déserté l'Élysée, Cécilia Sarkozy a divorcé, Carla Sarkozy n'y habitait pas, Valérie Trierweiler a dû le quitter. On parle même de malédiction, l'avez-vous ressentie ?
B.M. J'ai plutôt senti l'empreinte des femmes qui y ont vécu et je pense qu'elles ont aussi connu des moments heureux ici... Une malédiction ? Moi, je suis plutôt leibnizienne, je pense qu'il y a toujours un juste équilibre entre le bonheur et le malheur. Je ne suis pas une optimiste invétérée, mais quand on regarde l'ensemble des choses, le monde n'est pas si mal : « Si tout n'est pas bien, tout est passable », rappelait Voltaire dans « Le Monde comme il va ». Et l'inquiétude nous permet aussi d'apprécier les moments de bonheur.

Je ne me sens pas Première dame

ELLE. Vous n'êtes pas née Première dame, mais après trois mois, l'êtes-vous devenue ?
BRIGITTE MACRON. Je ne me sens pas Première dame, c'est la traduction d'une expression américaine, une périphrase dans laquelle rien ne me plaît. Quand je l'entends, j'ai toujours envie de regarder derrière moi : mais de qui parle-t-on ? Je ne me sens ni première - ni dernière - ni dame ! Je suis Brigitte Macron.

Lorsque le père Pedro, de Madagascar, est venu me rencontrer, il m'a demandé : « Comment dois-je vous appeler ? » J'ai répondu « Brigitte. » De la même manière, j'ai appelé Melania Trump par son prénom. C'est une femme très soucieuse d'éducation, de faire et de bien faire. Touchante. J'ai eu de nombreux échanges avec les conjointes de chefs d'État ou de gouvernement. Elles ont toutes le désir d'être utiles. C'est le cas notamment de María Clemencia Rodríguez de Santos, l'épouse du président colombien. Et je vais également travailler avec d'autres femmes engagées, comme Son Altesse Royale Marie de Danemark ou Alice Albright, la directrice générale du Partenariat mondial pour l'éducation.
ELLE. Vous qui êtes une femme active, vous voilà super-épouse et super-maîtresse de maison, n'est-ce pas une atteinte à votre liberté, voire un enfermement ?
BRIGITTE MACRON. Il n'est pas né celui qui m'enfermera ! Il y a des contraintes, mais ce n'est pas un enfermement, même si pour sortir de l'Élysée, je dois me déplacer avec un ou deux officiers de sécurité. Je sors tous les jours du palais. Je me promène sans soucis et je prends plaisir à dialoguer avec les personnes que je rencontre. Avec un bonnet, des écouteurs et des lunettes, on peut aller au bout du monde ! J'ai pris le métro jusqu'à très récemment... Si on ne voit pas mes cheveux, je suis tranquille, si on les voit, c'est fichu ! J'adore rencontrer des gens, mais parfois j'ai envie d'être discrète.
ELLE. Votre mari dit de vous que vous êtes « le fil qui [le] relie à la vraie vie ». Comment faites-vous pour garder les pieds sur terre dans ce palais éloigné de la réalité des Français ?
BRIGITTE MACRON. Je suis une femme exactement comme vous, ancrée dans la réalité. Et la vie d'en ce moment durera juste un moment, je le sais. Ce que je vis ne modifie en rien ma perception du monde. Emmanuel travaille énormément et reste sans cesse en contact avec la réalité. D'ailleurs, il ne déconnecte jamais et a toujours un oeil, même la nuit, sur ses deux téléphones. Je prends conscience de la forme physique qu'implique la fonction. Les présidents sont des forces de la nature, animés par une fibre, quelque chose d'intérieur. Ils sont habités, sans mysticisme.
ELLE. Pendant la campagne, vous avez comparé votre mari à Jeanne d'Arc !
BRIGITTE MACRON. C'était une boutade au moment du déplacement à Orléans, avant le début de la campagne. J'ai beaucoup lu sur Jeanne d'Arc, elle n'est pas la pucelle que l'on croit, cette bergère niaise qui a entendu des voix. C'est une femme guerrière et courageuse, qui valait beaucoup mieux que son Charles VII de roi !
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ELLE. Depuis trois mois, vous êtes allée à la rencontre des Français, sans journalistes, pour déterminer quel sera votre engagement. Qu'en avez-vous retenu ?
BRIGITTE MACRON. Pendant la campagne, lorsque j'étais avec mon mari sur le terrain, je me suis rendu compte que les gens s'exprimaient peu lorsqu'ils étaient filmés ou enregistrés. C'est pour cela que je me suis déplacée sans médias et, là, les gens m'ont dit des choses inouïes. Il faut aussi savoir prendre du temps. On ne dit pas la même chose à quelqu'un après trente minutes ou au bout de deux heures d'échanges et de dialogues.
ELLE. L'une de vos anciennes élèves, Domitille Cauet, vous a sensibilisée à la détresse des enfants autistes et de leurs parents. Qu'allez-vous faire dans ce domaine ?
BRIGITTE MACRON. Je suis pour l'inclusion, je pense qu'il y a beaucoup d'efforts à faire. Pour avoir eu dans mes classes des élèves soit handicapés moteurs soit présentant des syndromes Asperger, je sais qu'il est possible de les intégrer. C'est fou le bien que ça fait également aux autres élèves. Donner une place à chacun, réduire les différences suppose de vivre ensemble.
ELLE. Vous avez dit : « Les jeunes à qui on donne comme avenir la cage d'escalier, forcément ça va nous exploser à la figure un jour... »
BRIGITTE MACRON. On leur doit l'éducation. Si on rate ça, je ne sais pas comment on va pouvoir construire une société. Mais si on réussit, on pourra avancer et espérer.

Il est important de tout faire pour lutter contre les exclusions

ELLE. Et de quelle manière allez-vous agir concrètement ?
BRIGITTE MACRON. Pour l'instant, à travers des rencontres. J'ai voulu voir sur le terrain ce qui allait et ce qui se passait moins bien. Il est important de tout faire pour lutter contre les exclusions, notamment ce qui touche au handicap, à l'éducation et à la maladie. Je suis allée à l'institut Gustave-Roussy de Villejuif pour comprendre comment les enfants hospitalisés suivaient leur scolarité. Cela a été mon premier déplacement. Tout ce qui touche à l'école me passionne. Je pense qu'elle doit être un lieu encore plus ouvert, un lieu de vie. Il faut aussi favoriser l'accès à la culture.
ELLE. Vous avez adoré être professeure et vous avez dit, paraphrasant Flaubert dans « l'Éducation sentimentale » : « Ce fut comme un éblouissement ! » Qu'aimiez-vous tant dans l'enseignement ?
BRIGITTE MACRON. Mais je ne suis pas Frédéric Moreau ! Parce que lui, c'est le champion du ratage, comme beaucoup de héros flaubertiens. À la naissance de mon troisième enfant, j'ai eu envie d'exercer un autre métier. Une amie m'a dit que l'académie de Strasbourg, où nous vivions alors, recherchait des enseignants, et comme j'avais une maîtrise de lettres, j'ai postulé et été retenue. Je suis arrivée dans une classe de collège où l'on devait étudier des subordonnées conjonctives.

Et moi, les conjonctives, les relatives, les circonstancielles, je n'en avais aucune idée, je n'avais étudié que la littérature ! La première heure a été vertigineuse. J'ai passé quinze jours sans dormir, à seulement travailler. Et très vite, enseigner a été un vrai bonheur et même, c'est peut-être naïf, une fierté. Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu'en sortant d'un cours qui s'est bien passé. Quand un cours se passe mal, en revanche, c'est terrible. Parce qu'on a perdu plus qu'une heure, on a perdu l'occasion de transmettre, un auteur, un savoir, une envie.
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ELLE: Quelles sont les lectures qui vous ont construite ?
BRIGITTE MACRON. J'ai une passion sans bornes pour Flaubert. C'est impensable pour moi qu'on ne lise pas « Madame Bovary ». Son écriture est au scalpel. Une fois que chaque mot était pesé, il s'enfermait dans son gueuloir et il criait ses phrases ! « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue », écrit-il et, en une phrase, Charles est tué, réduit à sa médiocrité. Flaubert est le meilleur traqueur de stupidités de toute la littérature. Il décèle la méchanceté crasse, la sottise partout où elle est. La pièce montée du mariage d'Emma Bovary, porte en elle seule l'échec à venir de son union. Tout en Flaubert est signifiant. Mes élèves n'avaient pas le droit de ne pas l'aimer ! J'adorais leur transmettre ma passion. Ensuite, en poésie, le génie, c'est Rimbaud. Et mon livre de chevet, c'est « Les Fleurs du mal », de Baudelaire. L'itinéraire du recueil, je le connais par coeur, avec une prédilection pour « Une charogne », au milieu de « Spleen et Idéal », et puis « Tableaux parisiens », « Le Vin », « Les Litanies de Satan » dans « Révolte », cette fascination pour la chute. Les poètes savent dire l'indicible.
ELLE. Vous avez confié aussi aimer Maupassant parce que la mort est partout dans son oeuvre... Que voulez-vous dire ?
BRIGITTE MACRON. Je suis comme lui... Dans « Bel-Ami », à la veille d'un duel, le héros ne pense pas en réchapper, il se voit déjà mort le lendemain. Cette terreur de la mort, je l'ai toujours connue. Parce que, toute petite, elle est arrivée dans ma vie. Et quand elle surgit, vous êtes totalement décontenancé. Rien ne vous aide. J'étais la dernière d'une fratrie de six enfants. Ma grande soeur s'est tuée dans un accident de voiture, avec son mari, et l'enfant qu'elle portait. J'avais 8 ans. Elle est avec moi, tous les jours de ma vie. Un an après, une de mes nièces de 6 ans est partie. Et ma grand-mère me disait : « Mais pourquoi ce n'est pas moi ? » C'est là qu'on comprend qu'il n'y a pas d'ordre des choses. J'ai revécu ce sentiment en rencontrant au ministère des Armées, des parents de soldats morts au combat. Un jeune homme avait échappé à tout et, trois mois plus tard, il est mort du paludisme. Que peut-on faire à part pleurer dans les bras des parents ?
ELLE. Vous avez rencontré des familles de victimes de l'attentat de Nice, comment se prépare-t-on à une telle expérience ?
BRIGITTE MACRON. On n'est jamais préparé. On se sent si impuissant. La mort, c'est une horreur, une abomination quelle qu'elle soit, mais pour cette mort-là, il n'y a pas de mots. Ce papa, avec son bébé de 2 mois dans les bras, qui me confie : « Madame, j'ai eu cette petite fille pour ne pas mourir, parce que l'autre est passée sous les roues du camion. » On ne peut rien dire. On demande pardon. Parce qu'on est humain et que c'est quand même un homme qui a fait ça. Ces familles se reconstruisent de manières différentes. Je trouve que quelle que soit la manière, tout est bon pour vivre.
ELLE. À vous écouter, vous qui avez une aura si joyeuse, on vous découvre aussi mélancolique...
BRIGITTE MACRON. Je n'ai pas apprécié l'adolescence et c'est pour ça que j'ai aimé passer une partie de ma vie professionnelle au milieu des ados, il y a tant de fêlures en eux. Soit ils regrettent leur enfance, soit ils veulent être adultes, mais ils ne sont jamais là où ils se trouvent. Je me souviens d'avoir éprouvé ce sentiment. Pourtant, j'ai eu la chance d'avoir des parents incroyables, et une famille très aimante et soudée.

Je n'étais pas une jeune fille très sage

ELLE. Quelle éducation vous ont-ils donnée ?
BRIGITTE MACRON. Ce qu'ils m'ont surtout transmis c'est le respect des autres. Je pouvais tout faire, même ramener des mauvaises notes, mais ils étaient extrêmement stricts sur le respect que nous devions à l'autre. Je n'étais pas une jeune fille très sage. J'étais souvent collée pour impertinence. Parce qu'à l'école du Sacré-Coeur d'Amiens, je ne baissais pas les yeux, jamais. Et on ne me faisait pas entrer dans le crâne une chose à laquelle je ne croyais pas. J'ai eu très tôt un esprit critique.
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ELLE. Vous êtes devenue une icône dans le monde entier et le hashtag #ilestmariéavecunefemmequia24ansdeplusquelui a été utilisé 6 millions de fois sur Weibo, le twitter chinois. Vous vivez-vous comme un symbole ?
BRIGITTE MACRON. Pas du tout. Parce que le seul défaut d'Emmanuel c'est d'être plus jeune ! C'est une plaisanterie entre nous, on ne se vit pas un instant dans la différence d'âge. Je n'ai jamais été attirée par les hommes plus jeunes que moi, ça ne m'a pas effleurée. Et Emmanuel n'a d'ailleurs jamais été dans ma classe : l'imbécile heureux qui raconte que je lisais ses poèmes et ses devoirs raconte des mensonges.
ELLE. Mais vous étiez sa professeure de théâtre ?
BRIGITTE MACRON. Oui, mais là, dans cet atelier de théâtre, on écrivait des pièces ensemble, on avait un rapport d'égalité artistique.
ELLE. Quand avez-vous réalisé que votre relation se transformait ?
BRIGITTE MACRON. Je pense que c'est quand on a travaillé sur la pièce d'Eduardo De Filippo, « L'Art de la comédie ». On écrivait tous les deux le vendredi soir et, à partir du samedi, j'attendais le vendredi. Je ne comprenais pas pourquoi. Cela me paraissait tellement insensé.
ELLE. Avez-vous essayé de résister ?
BRIGITTE MACRON. Oui, c'est moi qui ai dit à Emmanuel de partir faire sa terminale à Paris parce que je pensais que c'était mieux pour lui. Il n'y avait rien entre nous à ce moment-là, mais les commérages allaient bon train. Je ne me préoccupais que de mes enfants, Sébastien, Laurence et Tiphaine. Pas du reste du monde.
ELLE. Comment avez-vous vécu les calomnies, la misogynie que votre différence d'âge a de nouveau suscitée pendant la campagne présidentielle ?
BRIGITTE MACRON. Mal. Mais j'ai fini par me dire : « Bon, tu les vis mal, mais tu te tais. » Après, ça passe.
ELLE. Qu'est-ce qui a été le plus dur pour vous dans cette histoire hors norme ?
BRIGITTE MACRON. Les distances incessantes qui nous ont physiquement séparés jusqu'en 2007. Mais pendant cette période, on s'écrivait énormément.

Les vingt ans d'écart, c'est tellement rien

ELLE. Vous vivez-vous comme transgressive ?
BRIGITTE MACRON. Pas du tout. Parce que cette histoire s'est faite doucement. J'ai amené progressivement ma famille à se rendre compte que... Emmanuel a amené progressivement sa famille à se rendre compte que... On n'a pas tout cassé même si on a brisé des choses forcément. De toute façon, les séparations font toujours des dégâts. Les enfants souffrent souvent. Je sais que j'ai fait du mal à mes enfants, et c'est la chose que je me reproche le plus.

Mais je ne pouvais pas ne pas le faire. Il y a des moments dans votre vie où vous faites des choix vitaux. Et pour moi, ça l'a été. Donc, les vingt ans d'écart, ce qui a pu être dit, c'est tellement rien. Bien sûr, on petit-déjeune, moi avec mes rides, lui avec sa fraîcheur, mais c'est comme ça. Si je n'avais pas fait ce choix, je serais passée à côté de ma vie. J'avais beaucoup de bonheur avec mes enfants et, en même temps, je sentais que je devais vivre « Cet amour »-là, comme disait Prévert, pour être pleinement heureuse.
ELLE. Votre époux a dit : « Je ne réussirai pas mon quinquennat si Brigitte n'est pas heureuse. »
BRIGITTE MACRON. Emmanuel a le souci de l'autre, toujours. Il ne supporte pas qu'on aille mal autour de lui. Et c'est pareil avec les enfants et les petits-enfants, il s'en préoccupe sans cesse, pas un jour sans qu'il demande de leurs nouvelles. Quant à moi, j'ai un certain talent pour le bonheur. Je suis dix-huitièmiste à fond. Le siècle des Lumières et la recherche du bonheur me correspondent. Vous voyez « Le Mondain » de Voltaire, le bonheur est là où je suis ? C'est cela à quoi je crois.
ELLE. La famille semble être une part non négociable de votre bonheur, arrivez-vous à la voir autant depuis votre installation à l'Elysée ?
BRIGITTE MACRON. Oui, je les appelle, je les vois. Évidemment, Emmanuel un peu moins. Mais il faut aller dans un magasin de jouets avec lui et les enfants, c'est toujours une fête ! Au début, il les emmenait dans les librairies, mais au bout d'un moment, ils lui ont dit : « Bon, Daddy, les jouets ça existe aussi. » Le mieux, c'est quand il leur raconte des histoires qu'il imagine, qu'il s'endort avant eux et qu'ils le réveillent pour connaître la suite.
ELLE. D'ailleurs, il a écrit trois romans que vous êtes la seule à avoir lus, qu'en avez-vous pensé ?
BRIGITTE MACRON. « Babylone, Babylone » est remarquable. Emmanuel est fasciné par le Mexique, il connaît ce pays sans jamais y être allé. Il lit, il se souvient de tout, de toutes les personnes qu'il a rencontrées. Il fixe le vent. Et dans sa tête, tout est au bon endroit, bien rangé. Moi, c'est plus romantique, plus fouillis. Je suis saisie par ses capacités intellectuelles. Il est extraordinaire. Et je parle de l'homme, pas de mon mari.
ELLE. Pendant la campagne, on vous a entendue le critiquer. Depuis qu'il est président, avez-vous la même liberté de parole ?
BRIGITTE MACRON. Je ne le critique pas. Je lui donne mon avis et il en fait ce qu'il veut. Ce que je souhaite plus que tout, c'est ne jamais lui porter préjudice, c'est mon obsession. Si je sens un jour que ma présence est compliquée pour sa présidence, je m'effacerai. Je serai toujours à ses côtés évidemment, mais en retrait.
ELLE. Votre époux s'était engagé à sortir d'une certaine hypocrisie, mais la création d'un statut de Première dame suscite une polémique ? Qu'en est-il aujourd'hui ?
BRIGITTE MACRON. Il va être déterminé, non par une loi, mais par une charte de transparence qui expliquera que je ne suis pas rémunérée, quels sont mes missions et les moyens. Sur le site de l'Élysée, seront mis en ligne mes rendez-vous, mes engagements, afin que les Français sachent exactement ce que je fais. Ce qui est important, c'est que tout soit très clair : comme toutes celles qui m'ont précédée, j'assumerai mon rôle public, mais les Français sauront désormais quels moyens sont mis à ma disposition.
ELLE. Michelle Obama disait : « Etre Première dame, c'est un cadeau parce qu'on peut définir son rôle sans être élue », mais est-ce vraiment un cadeau ?
BRIGITTE MACRON. Oui, c'est très juste, cette idée de cadeau. Et mes parents m'ont appris que lorsqu'on reçoit, on dit merci. Le cadeau, c'est avant tout pour moi les rencontres que j'ai la chance de faire. Mais c'est très clair dans mon esprit, les Français ont élu Emmanuel, ils ne m'ont pas élue moi, même s'ils savaient, bien sûr, que nous formions un couple.

Ce sont les femmes qui peuvent trouver une issue à ce monde

ELLE. Vous avez assisté à la cérémonie en hommage à Simone Veil, a-t-elle joué un rôle dans l'éveil de votre conscience féministe ?
BRIGITTE MACRON. Ce que j'ai dans l'oreille, ce sont les battements de coeur de foetus que ses adversaires avaient diffusés à l'Assemblée nationale lors du vote de la loi légalisant l'IVG. Je n'oublierai jamais. Ni la manière si digne avec laquelle elle a répondu. Simone Veil, je l'ai rencontrée à deux reprises et on ne dit rien face à une femme pareille. Elle porte en elle ce qu'elle a vécu. C'était une présence. On s'incline devant ce qu'elle est. J'avoue que j'ai toujours été davantage fascinée par les destins de femmes que par les destins d'hommes. Je pense que le XXIe siècle sera féminin, que ce sont les femmes qui peuvent, peut-être, trouver une issue à ce monde. Si c'est cela être féministe, je le suis, mais auprès des hommes, pas contre.
ELLE. Vous recevez cent quarante lettres par jour, du jamais-vu. Que contiennent-elles ?
BRIGITTE MACRON. Beaucoup de personnes m'expriment les difficultés qu'elles rencontrent au quotidien dans une société qui, parfois, n'est pas assez inclusive. Cela m'oblige à être à la hauteur et j'ai envie d'agir pour elles. Cela me permet aussi d'être en prise constante avec les Français et de mieux connaître leurs préoccupations.
ELLE. Vous êtes une femme lettrée et féministe, n'en avez-vous pas assez qu'on parle tant de vos vêtements ?
BRIGITTE MACRON. Si cela fait du bien à la mode française, pourquoi pas ! Je suis très sensible à la mode . Il existe une certaine idée de la femme française dans le monde. J'ai toujours fait attention à ma manière de m'habiller, demandez à mes filles ou à mes élèves ! Je ne suis jamais sortie de chez moi sans être coiffée, habillée, c'était plus ou moins réussi, mais je ne sais pas faire autrement.

Aujourd'hui, j'ai la chance d'avoir rencontré Nicolas Ghesquière, le créateur de Vuitton, qui me comprend et me connaît, dont j'admire la sensibilité et le talent. Karl Lagerfeld est également un immense créateur et artiste pour lequel j'ai amitié et admiration. Mais je porte aussi d'autres créateurs, j'adore Olivier Rousteing, Alexandre Vauthier et tant d'autres encore. J'aime aussi beaucoup Alaïa, mais ses jupes sont courtes !

Les miennes sont au-dessus du genou, pas mini ! Les minijupes, j'en ai porté, plus jeune. On en cachait une dans notre sac pour sortir... Et on mettait un bloomer en dessous parce qu'on dansait le rock. Puis on est passé du très court au très long, et un jour que je portais justement une jupe longue, ma grand-mère m'a dit : « Oh bah dis donc, on dirait une grand-mère à poussière. » Terminé !
ELLE. On murmure que vous ne voulez pas passer une nuit séparés l'un de l'autre, votre mari et vous : est-ce vrai ?
BRIGITTE MACRON. On n'aime pas trop ! Ça me rassure qu'Emmanuel soit à mes côtés. Lui, je n'ose pas répondre à sa place, mais j'ai l'impression que c'est la même chose. Et ça l'a toujours été. On se vit comme un couple parmi d'autres. Depuis qu'on s'est rencontrés, on est d'accord, on n'est pas d'accord. On se dispute, on arrête de se disputer. C'est très fluide. Tout a de l'importance et rien n'en a. On n'est jamais inquiets. Moi qui étais une angoissée terrible, je ne le suis plus depuis que je connais Emmanuel.

C'est très curieux, je ne peux pas l'expliquer. C'est quelque chose de l'ordre de : « parce que c'était lui, parce que c'était moi ». Un peu comme la conception platonicienne qui veut qu'on rencontre la bonne moitié, qu'elle coïncide. Pour nous, la coïncidence, avec autant d'écart d'âge, n'était pas évidente, mais elle est. Quand je lis des choses sur notre couple, j'ai toujours l'impression de lire l'histoire de quelqu'un d'autre. Pourtant, c'est une histoire simple.



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