C’est incontestablement une des figures majeures de la diplomatie burkinabè. Et il faut espérer qu’il va trouver le temps de rédiger ses mémoires. Michel Kafando était ambassadeur, représentant permanent du Burkina Faso auprès de l’ONU depuis… le 15 avril 1998 ; et il avait été ministre des Affaires étrangères et de la Coopération dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo au temps du CMRPN mais également dans les gouvernements du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo au temps du CSP. C’est dire qu’il connaît mieux que quiconque l’histoire diplomatique de la Haute-Volta et du Burkina Faso.
Né le 18 août 1942 à Ouagadougou, Michel Kafando a suivi ses études secondaires au collège Jean-Baptiste de la Salle (1956-1963) où il obtiendra son BEPC puis un bac « sciences ex » comme on disait alors. Ses études supérieures vont le conduire à Dakar (1964-1968), Bordeaux (1968-1970), Paris (1970-1972) et Genève (1972). Licence de droit public, licence de sciences politiques, diplôme du Centre européen de la dotation Carnegie pour la paix internationale en poche, il rejoindra le ministère des Affaires étrangères où, après avoir fait ses premières armes en tant que diplomate, il sera successivement directeur de la coopération internationale (1976-1978), directeur des relations internationales (1978-1979), directeur des organisations internationales (1979-1981), conseiller technique du ministre des Affaires étrangères - en l’occurrence Moussa Kargougou - pour les questions juridiques et de coopération internationale (1978-1980). Kargougou était un instituteur formé à l’Ecole normale William Ponty de Dakar engagé dans les rangs de l’UDV-RDA ; il avait été ministre dès 1958 au temps de « Monsieur Maurice » mais avait été exclu brutalement du gouvernement en octobre 1963. C’est le général Sangoulé Lamizana qui, le 13 janvier 1977, en fera son ministre des Affaires étrangères à l’occasion de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. C’est dans ce contexte que Kafando va s’initier aux arcanes de l’univers politique voltaïque.
Le 25 novembre 1980, le colonel Saye Zerbo évincera du pouvoir le général Lamizana. Dans le gouvernement formé le 7 décembre 1980, c’est le lieutenant-colonel Félix Tientarboum qui deviendra le numéro 1 avec le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération. Le 30 septembre 1982, c’est Kafondo - représentant permanent de la Haute-Volta auprès des Nations unies depuis 1981 - qui le remplacera (mais il n’est que le numéro 6 du gouvernement). Quelques semaines plus tard, le 7 novembre 1982, un coup d’Etat militaire va renverser Saye Zerbo. Le CSP remplace le CMRPN. Jean-Baptiste Ouédraogo se retrouve chef de l’Etat. Kafando va conserver son portefeuille et devient le numéro 3 du gouvernement ; il est, me semble-t-il, le seul « survivant » du précédent gouvernement. Il conservera son poste dans le gouvernement formé le 4 juin 1983 dont il sera, alors, le numéro 2 derrière l’homme clé du régime, le commandant Moné Harouna Tarnagba, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Entre-temps, du 19 janvier au 17 mai 1983, le capitaine Thomas Sankara aura été nommé premier ministre (il avait été, déjà, secrétaire d’Etat à l’Information, de septembre 1981 à avril 1982, au temps de Saye Zerbo).
Kafando sera alors considéré comme un de ceux qui ont suscité l’arrestation de Sankara (officiellement pour ses connexions avec Mouammar Kadhafi qui avait débarqué à Ouagadougou le 30 avril 1983, quelques mois après le séjour à Syrte de Sankara). Je rappelle que Jean-Baptiste Lingani, alors secrétaire permanent du CSP, a été arrêté en même temps que Sankara (ils seront libérés le 31 mai 1983 ainsi que les anciens dirigeants politiques : Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo) tandis que le capitaine Henri Zongo envisageait de faire du camp Guillaume un pôle de résistance et que Blaise Compaoré, ayant échappé au piège qui lui était tendu à Ouagadougou, avait regagné Pô. C’est le fameux « 17 mai 1983 » que la gauche révolutionnaire qualifiera de « nouveau coup d’Etat » : Guy Penne (« Monsieur Afrique » de François Mitterrand) est, à ce moment-là, en visite officielle à Ouaga ! Kafando, en charge des affaires étrangères, sera considéré comme un des promoteurs de ce « coup d’Etat » au nom du « libéralisme économique » et de « l’anti-communisme marxiste-léniniste ». Le 4 août 1983, Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo s’emparent du pouvoir. Hama Arba Diallo (futur candidat à la présidentielle 2010) devient ministre des Affaires étrangères (Relations extérieures dans la dénomination d’alors) dans le gouvernement du CNR formé par Sankara le 24 août 1983.
Kafando est « out » tandis que la « Révolution » renforce ses positions diplomatiques. On le retrouvera bientôt sur les bancs de la Sorbonne. Il y prépare une thèse de doctorat qui a pour sujet « les Etats du Conseil de l’Entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Togo) et les pays de l’Est : de l’hostilité idéologique à l’ouverture diplomatique ». Nous sommes alors en 1990. A Ouaga, Compaoré a pris la suite de Sankara ; la « Rectification » est en marche, qui aboutira à la mise en place des institutions « démocratiques » (le premier congrès du Front populaire se tiendra du 1er au 4 mars 1990), et à Berlin le mur vient de tomber. C’est dire que la réflexion de Kafando s’inscrit dans l’air du temps. Un air du temps qui lui sera favorable et va lui permettre de revenir sur le devant de la scène, non pas politique mais diplomatique (quoi que l’ONU soit à la confluence des deux domaines d’action) : le 15 avril 1998, il présente ses lettres de créance au secrétaire général des Nations unies en tant qu’ambassadeur, représentant permanent du Burkina Faso. Ainsi, il aura exercé la même fonction pour la Haute-Volta (1981-1982) puis pour le Burkina Faso (1998-2011). Belle performance !
A New York, il prend la suite de Gaëtan Rimwanguiya Ouédraogo. 1998 est une année magique pour le Burkina Faso qui organise deux événements continentaux majeurs : la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football et le sommet des chefs d’Etat de l’OUA. Président en exercice de l’organisation panafricaine, Compaoré va s’exprimer dans Le Figaro (samedi 6-dimanche 7 juin 1998) sur les ambitions qui sont les siennes pour l’OUA, l’Afrique et les relations internationales de l’Afrique ; ce sera, en quelque sorte, la feuille de route de Kafando (bien plus que « Les voies de l’espérance », le fascicule publié par Compaoré en août 1998 qui, en matière d’action diplomatique, ne sort pas des grandes généralités). Kafando va débarquer à New York en un temps où, dix ans après l’accession au pouvoir de Compaoré, le Burkina Faso pense pouvoir émerger sur la scène sous-régionale, continentale et internationale. Mais « l’affaire Norbert Zongo » va mettre un coup d’arrêt à cette ambition.
On rappelle alors, à Paris comme à New York et Washington, que Compaoré c’est « la révolution marxiste », le soutien à Charles Taylor, l’amitié avec Kadhafi, etc. Pas de quoi enthousiasmer l’Amérique et les Nations unies. Il faudra, qu’à New York comme à Washington, les représentants burkinabè (qui ne seront jamais des ex-« révolutionnaires », bien au contraire : Kafando en est la preuve) multiplient les efforts pour redonner au Burkina Faso une visibilité internationale et une crédibilité diplomatique. L’implication de Compaoré dans la résolution des crises togolaise et ivoirienne (après sa gestion des dossiers touareg et tchadien) va changer la donne : le 16 octobre 2007, le Burkina Faso sera élu membre non permanent du Conseil de sécurité pour 2008-2009 et les 22-23 avril 2008, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, se rendra en visite officielle au Burkina Faso.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Né le 18 août 1942 à Ouagadougou, Michel Kafando a suivi ses études secondaires au collège Jean-Baptiste de la Salle (1956-1963) où il obtiendra son BEPC puis un bac « sciences ex » comme on disait alors. Ses études supérieures vont le conduire à Dakar (1964-1968), Bordeaux (1968-1970), Paris (1970-1972) et Genève (1972). Licence de droit public, licence de sciences politiques, diplôme du Centre européen de la dotation Carnegie pour la paix internationale en poche, il rejoindra le ministère des Affaires étrangères où, après avoir fait ses premières armes en tant que diplomate, il sera successivement directeur de la coopération internationale (1976-1978), directeur des relations internationales (1978-1979), directeur des organisations internationales (1979-1981), conseiller technique du ministre des Affaires étrangères - en l’occurrence Moussa Kargougou - pour les questions juridiques et de coopération internationale (1978-1980). Kargougou était un instituteur formé à l’Ecole normale William Ponty de Dakar engagé dans les rangs de l’UDV-RDA ; il avait été ministre dès 1958 au temps de « Monsieur Maurice » mais avait été exclu brutalement du gouvernement en octobre 1963. C’est le général Sangoulé Lamizana qui, le 13 janvier 1977, en fera son ministre des Affaires étrangères à l’occasion de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale. C’est dans ce contexte que Kafando va s’initier aux arcanes de l’univers politique voltaïque.
Le 25 novembre 1980, le colonel Saye Zerbo évincera du pouvoir le général Lamizana. Dans le gouvernement formé le 7 décembre 1980, c’est le lieutenant-colonel Félix Tientarboum qui deviendra le numéro 1 avec le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération. Le 30 septembre 1982, c’est Kafondo - représentant permanent de la Haute-Volta auprès des Nations unies depuis 1981 - qui le remplacera (mais il n’est que le numéro 6 du gouvernement). Quelques semaines plus tard, le 7 novembre 1982, un coup d’Etat militaire va renverser Saye Zerbo. Le CSP remplace le CMRPN. Jean-Baptiste Ouédraogo se retrouve chef de l’Etat. Kafando va conserver son portefeuille et devient le numéro 3 du gouvernement ; il est, me semble-t-il, le seul « survivant » du précédent gouvernement. Il conservera son poste dans le gouvernement formé le 4 juin 1983 dont il sera, alors, le numéro 2 derrière l’homme clé du régime, le commandant Moné Harouna Tarnagba, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Entre-temps, du 19 janvier au 17 mai 1983, le capitaine Thomas Sankara aura été nommé premier ministre (il avait été, déjà, secrétaire d’Etat à l’Information, de septembre 1981 à avril 1982, au temps de Saye Zerbo).
Kafando sera alors considéré comme un de ceux qui ont suscité l’arrestation de Sankara (officiellement pour ses connexions avec Mouammar Kadhafi qui avait débarqué à Ouagadougou le 30 avril 1983, quelques mois après le séjour à Syrte de Sankara). Je rappelle que Jean-Baptiste Lingani, alors secrétaire permanent du CSP, a été arrêté en même temps que Sankara (ils seront libérés le 31 mai 1983 ainsi que les anciens dirigeants politiques : Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana et Saye Zerbo) tandis que le capitaine Henri Zongo envisageait de faire du camp Guillaume un pôle de résistance et que Blaise Compaoré, ayant échappé au piège qui lui était tendu à Ouagadougou, avait regagné Pô. C’est le fameux « 17 mai 1983 » que la gauche révolutionnaire qualifiera de « nouveau coup d’Etat » : Guy Penne (« Monsieur Afrique » de François Mitterrand) est, à ce moment-là, en visite officielle à Ouaga ! Kafando, en charge des affaires étrangères, sera considéré comme un des promoteurs de ce « coup d’Etat » au nom du « libéralisme économique » et de « l’anti-communisme marxiste-léniniste ». Le 4 août 1983, Sankara, Compaoré, Lingani et Zongo s’emparent du pouvoir. Hama Arba Diallo (futur candidat à la présidentielle 2010) devient ministre des Affaires étrangères (Relations extérieures dans la dénomination d’alors) dans le gouvernement du CNR formé par Sankara le 24 août 1983.
Kafando est « out » tandis que la « Révolution » renforce ses positions diplomatiques. On le retrouvera bientôt sur les bancs de la Sorbonne. Il y prépare une thèse de doctorat qui a pour sujet « les Etats du Conseil de l’Entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Togo) et les pays de l’Est : de l’hostilité idéologique à l’ouverture diplomatique ». Nous sommes alors en 1990. A Ouaga, Compaoré a pris la suite de Sankara ; la « Rectification » est en marche, qui aboutira à la mise en place des institutions « démocratiques » (le premier congrès du Front populaire se tiendra du 1er au 4 mars 1990), et à Berlin le mur vient de tomber. C’est dire que la réflexion de Kafando s’inscrit dans l’air du temps. Un air du temps qui lui sera favorable et va lui permettre de revenir sur le devant de la scène, non pas politique mais diplomatique (quoi que l’ONU soit à la confluence des deux domaines d’action) : le 15 avril 1998, il présente ses lettres de créance au secrétaire général des Nations unies en tant qu’ambassadeur, représentant permanent du Burkina Faso. Ainsi, il aura exercé la même fonction pour la Haute-Volta (1981-1982) puis pour le Burkina Faso (1998-2011). Belle performance !
A New York, il prend la suite de Gaëtan Rimwanguiya Ouédraogo. 1998 est une année magique pour le Burkina Faso qui organise deux événements continentaux majeurs : la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football et le sommet des chefs d’Etat de l’OUA. Président en exercice de l’organisation panafricaine, Compaoré va s’exprimer dans Le Figaro (samedi 6-dimanche 7 juin 1998) sur les ambitions qui sont les siennes pour l’OUA, l’Afrique et les relations internationales de l’Afrique ; ce sera, en quelque sorte, la feuille de route de Kafando (bien plus que « Les voies de l’espérance », le fascicule publié par Compaoré en août 1998 qui, en matière d’action diplomatique, ne sort pas des grandes généralités). Kafando va débarquer à New York en un temps où, dix ans après l’accession au pouvoir de Compaoré, le Burkina Faso pense pouvoir émerger sur la scène sous-régionale, continentale et internationale. Mais « l’affaire Norbert Zongo » va mettre un coup d’arrêt à cette ambition.
On rappelle alors, à Paris comme à New York et Washington, que Compaoré c’est « la révolution marxiste », le soutien à Charles Taylor, l’amitié avec Kadhafi, etc. Pas de quoi enthousiasmer l’Amérique et les Nations unies. Il faudra, qu’à New York comme à Washington, les représentants burkinabè (qui ne seront jamais des ex-« révolutionnaires », bien au contraire : Kafando en est la preuve) multiplient les efforts pour redonner au Burkina Faso une visibilité internationale et une crédibilité diplomatique. L’implication de Compaoré dans la résolution des crises togolaise et ivoirienne (après sa gestion des dossiers touareg et tchadien) va changer la donne : le 16 octobre 2007, le Burkina Faso sera élu membre non permanent du Conseil de sécurité pour 2008-2009 et les 22-23 avril 2008, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, se rendra en visite officielle au Burkina Faso.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique