Dans le quartier de Musaga (sud), un des bastions de la contestation, la police a poursuivi ses opérations de "restauration de l'ordre" lancées la veille. Des tirs sporadiques ont été entendus toute la nuit et ont repris un rythme soutenu dans la matinée, alors que des manifestants tentaient de se regrouper dans les ruelles et harcelaient les forces de l'ordre à coups de pierres.
Les policiers ripostaient avec leurs kalachnikov, tirant au jugé et parfois à hauteur d'homme. Un manifestant a été mortellement touché au dos, selon des témoins.
Plus d'une vingtaine de personnes ont été tuées depuis le début fin avril des manifestations contre une candidature du président Nkurunziza à un troisième mandat à l'élection présidentielle du 26 juin. Ce mouvement, qui touche essentiellement la capitale Bujumbura, a été sévèrement réprimé par la police.
Le pays est depuis lors plongé dans une grave crise politique, avec un coup d'Etat manqué la semaine dernière, et des élections générales censées débuter le 5 juin, qui ont déjà été reportées d'une semaine sous la pression internationale.
Comme quasi-quotidiennement maintenant depuis 25 jours, les manifestations ont repris de plus belle jeudi dans plusieurs quartiers de la capitale, jusqu'au centre-ville, où des dizaines de femmes sont parvenues brièvement à se regrouper.
Arrivées discrètement, ces femmes se sont rassemblées sur la place de l'Indépendance, petite victoire symbolique et objectif sans cesse proclamé par les figures du mouvement anti-troisième mandat.
La police est rapidement intervenue pour les disperser à coup de grenades lacrymogènes, verrouillant les accès à la place, chassant manu militari les badauds et ordonnant la fermeture des magasins.
"C'est notre droit de manifester notre opposition à un troisième mandat de Nkurunziza, et nous allons continuer à le crier haut et fort malgré cette police au service du pouvoir", a lancé l'une des protestataires, Sandrine, âgée d'une vingtaine d'années. Le calme est néanmoins revenu peu après.
- Militaires en fuite -
A Ngagara, des affrontements ont éclaté avec un groupe d'une centaine de contestataires près de l'[Assemblée nationale]url:http://www.lepoint.fr/tags/assemblee-nationale , qui devait se réunir ce jour en session extraordinaire pour la prestation de serment de trois nouveaux ministres.
Les policiers, déployés en nombre autour du bâtiment, ont ouvert le feu au-dessus des protestataires qui se réfugiaient dans des rues voisines et tentaient de mettre le feu à des barricades de fortune. Au moins deux manifestants ont été blessés par balle, dont l'un a été grièvement touché à la tête, selon des sources médicales.
Des tirs ont été un moment audibles en direction de cette zone, tandis que des panaches de fumée noire s'élevaient de plusieurs quartiers environnant. Sortant de l'Assemblée, le convoi présidentiel, mitrailleuse en tête, est passé à proximité peu après, comme si de rien n'était.
Mercredi, le président Nkurunziza avait assuré que "la paix et la sécurité règnent sur 99,9% du territoire burundais", jugeant que le mouvement "d'insurrection" actuel n'était "signalé que dans quatre quartiers" de Bujumbura uniquement.
Secouée par le coup d'Etat manqué, l'armée a appelé ses troupes à la "cohésion", condition de la "survie du [Burundi]url:http://www.lepoint.fr/tags/burundi en tant que nation". Le nouveau ministre de la Défense et le chef d'état-major, fidèle parmi les fidèles du chef de l'Etat ont recommandé "de ne pas s'ingérer dans la gestion des affaires politiques, et d'éviter toute forme de violence (...)".
"Certains militaires ont été roulés (par les putschistes) sans savoir où ils allaient et se cachent jusqu'à l'heure actuelle", ont-ils reconnu, les appelant à "regagner leurs unités".
Depuis le début de la contestation contre un troisième mandat présidentiel, l'armée est jugée plus neutre que la police, accusée d'être aux ordres du parti au pouvoir.
Après la sanglante guerre civile qui a opposé la minorité tutsi et la majorité hutu (1993-2006), l'armée était parvenue, au terme des accords de paix d'Arusha, à incarner la réconciliation et l'unité retrouvée du pays. Mais elle se retrouve aujourd'hui traversée par de fortes tensions, notamment autour de la gestion du maintien de l'ordre des manifestations.
Le Conseil national de la communication (CNC) a par ailleurs demandé aux journalistes internationaux, convoqués pour l'occasion, de "bien travailler sur le terrain". "Certains d'entre vous affichent un comportement peu professionnel", a accusé son président Richard Gihamahoro. "Beaucoup de journalistes sont venus couvrir le processus électoral en cours mais on constate" que leur couverture de ce processus "est très minime", a-t-il estimé, déplorant la trop grande attention médiatique accordée aux manifestations et aux violences.
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