SAHITE SARR SAMB, DIRECTEUR GENERAL DE LA COMPAGNIE DU THEATRE NATIONAL DANIEL SORANO
Il a traîné sa bosse un peu partout dans le secteur de la culture. Conseiller technique, directeur du livre, directeur de l’Ena. Sahite Sarr Samb est actuellement directeur de la compagnie du Théâtre national Daniel Sorano, ce depuis 2014. L’ancien professeur d’histoire et de géographie revient, dans cet entretien, sur ses principaux défis, notamment la relance du théâtre, afin de lui redorer le blason.
Pouvez-vous brièvement retracer votre parcours ?
J’ai commencé dans l’éducation comme professeur d’enseignement secondaire d’histoire et de géographie. Ensuite, je me suis retrouvé au ministère de la Culture en 1984. Parce que j’avais réussi au concours des conseillers aux affaires culturelles, où, depuis 84, je suis en train de faire ma carrière au ministère de la culture professionnelle. Entre temps, j’avais interrompu cette carrière sur trois ans, de 1989 et 1993 pour faire mon 3e cycle à l’Université de Bruxelles en information et communication. J’ai travaillé aussi dans les régions comme directeur de centres régionaux et j’ai été plusieurs fois conseiller technique au ministère de la Culture. Pour les postes de responsabilités, j’ai été directeur de l’école nationale des arts en 2000, ensuite directeur du Livre et de la Lecture et aussi directeur de Cabinet du ministre de la Culture... Et depuis 2014, je me retrouve directeur de la Compagnie du théâtre national Daniel Sorano. A part la petite expérience que j’ai eu à faire dans l’éducation que je poursuis toujours, mais comme activité secondaire, je suis le produit de ce ministère de la Culture où j’aime à dire que si c’était une maison, je pourrais dire que j’ai dormi dans toutes les pièces.
En tant qu’acteur culturel, que diriez-vous si vous deviez faire un diagnostic du secteur ?
C’est d’abord qu’il y a beaucoup de potentialités, que ça suscite beaucoup d’espoir pour les jeunes, un background important, des acquis. C'est-à-dire que la culture ce qu’elle a représenté pour ce pays est énorme. Mais présentement, il y a un problème d’organisation et de méthode qui existe dans la culture. C’est un environnement favorable qu’il faudrait reprendre et réorganiser. Ça, c’est la position et le rôle de l’Etat. Parce que, souvent, on oublie que les acteurs qui sont dans le secteur de la culture sont des opérateurs privés. L’Etat a le devoir de les aider en créant un environnement favorable pour la promotion des artistes et de leurs œuvres. Mais aussi pour avoir toutes les réglementations requises pour aller vers une véritable économie de la culture.
Quelle est la situation de Sorano par rapport aux troupes, aux prestations…
Je pense que c’est la situation de la structure. D’abord, c’est une structure qui est extrêmement importante pour le Sénégal et je ne dis pas parce que j’en suis l’actuel directeur. Mais c’est que tous les acquis de la culture au Sénégal, il y a ce que je pourrai appeler les trois mousquetaires qui l’ont représenté. C’est Sorano, les Manufactures des arts décoratifs de Thiès et les Neas. Donc, le Sénégal comme pays de culture, c’est surtout la production de ces trois entités et nous vivons toujours avec les acquis qu’il faudrait cependant réorienter. Parce que l’environnement a beaucoup changé. C’est pourquoi d’ailleurs quand j’ai eu cette chance, ce destin d’être le directeur de Sorano, je me suis dit le premier défi c’est la relance du théâtre et lui redonner son lustre d’antan. Parce que je pense que les gens sont nostalgiques des époques de Sorano bouillant. Donc, il fallait ramener cette nostalgie à une réalité, c'est-à-dire relancer la production et ramener le public à Sorano. Du coup, il fallait jouer sur trois leviers. Le principal levier, c’est de donner des moyens au théâtre. Parce que la culture coûte cher, surtout celle institutionnelle, donc il fallait avoir des ressources additionnelles. Car c’est la modernité qui nous l’exige. Le théâtre, c’est une administration qu’il faut gérer selon des principes managériales modernes, pas artistiques seulement. Nous sommes une structure administrative, un établissement public à vocation culturelle et nous devons veiller à l’équilibre de notre budget, à l’allocation des ressources qui nous ont affectées par l’Etat, à une gestion parcimonieuse mais aussi efficace et efficiente de ces ressources. L’autre défi, c’est de moderniser nos outils de travail qui, pour certains, sont obsolètes.
Parlez nous un peu du budget que l’Etat vous accorde ?
Le budget est simple. Il n’y a que deux rubriques. Il y a la subvention de l’Etat qui s’élève à 376 millions de francs Cfa. Et étant établissement public, nous devons aussi générer des ressources additionnelles pour compléter. Et ça, c’est le chiffre d’affaires de Sorano qui tournait entre 60 et 65 millions Cfa par an. C’est ce que l’on tire de l’exploitation des troupes, surtout de la salle en location. Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse qui d’ailleurs amène une confusion dans l’analyse de la vocation de Sorano. Notre vocation ce n’est pas de louer la salle, mais c’est de faire des spectacles dans le domaine de la danse, de la musique traditionnelle, de l’expression dramatique pour les Sénégalais. Et pour le répertoire culturel du Sénégal, de le montrer à Dakar, à l’intérieur du pays, mais aussi à l’étranger pour le rayonnement de notre culture. Car Sorano est un outil de préservation de la diversité culturelle du Sénégal. C’est enfin un outil de défense de ce que son créateur, feu Léopold Sédar Senghor, disait : l’enracinement et l’ouverture. Mais aussi un laboratoire expérimental dans le domaine des arts plastiques.
Maintenant, arrivé à un certain moment, les ressources de l’Etat étant insuffisants, il nous fallait des ressources additionnelles, c’est de pouvoir accueillir des spectacles d’autres producteurs. Mais la priorité, c’est les spectacles qui sont produits et diffusés par Sorano. Donc, la sommation de ces chiffres, les 376 millions et environ 60 à 65 millions, voilà les ressources, le budget financier de Sorano. Et vous conviendrez avec moi que c’est insuffisant. Parce qu’un grand spectacle pour le produire, on peut aller jusqu’à 30 millions de francs Cfa minimum. Cela a oblitéré même la capacité de production artistique de Sorano. Car, l’essentiel de ces ressources vont aux salaires et aux charges d’une entreprise. C’est le lieu de remercier le président de la République, le ministre de la Culture mais aussi le ministre des Finances. Je pense que ce plaidoyer qu’on a modestement essayé de faire, ça a eu un écho favorable. En 2015, il y a une première rallonge budgétaire de 30 millions francs Cfa. Et cette année, il y a moins de deux mois, sur instruction du chef de l’Etat, une partie du budget qui était ponctionnée en 2016 nous a été retournée, soit 24 millions de francs Cfa. Donc, en deux ans, quand même c’est une augmentation du budget et une subvention de 54 millions francs Cfa.
Nous nous sommes dit aussi qu’on doit faire des efforts à l’interne en augmentant le chiffre d’affaires. Et le chiffre d’affaires de Sorano qui tournait entre 60 et 65 millions, déjà en fin juillet, avant de partir en vacances, nous sommes à près de 80 millions de francs Cfa. Cela veut dire que cette année, nous pourrons avoir un nouveau chiffre d’affaires plus consistant. Ce qui va nous permettre de rétablir notre équilibre financier. Car nous sommes dans un déficit financier de 50 millions de francs Cfa par an. Nous sommes sous moratoire vis-à-vis de la Senelec, parce que l’électricité est l’intrant essentiel de production dans cette salle. Pour vous dire que l’Etat fait des efforts. Mais nous avons encore besoin d’être plus aidés. Et c’est un peu sous la reprise de l’outil de travail pour rendre la salle plus attractive.
On sent aussi que Sorano est moins vivant. Est-ce qu’il n’est pas victime du Grand Théâtre qui lui a ravi la vedette ?
Je pense que le mot vivant, plus vivant, c’est toujours ce que nous faisons ? Est-ce que nous produisons ? Est-ce que l’on produit? On essaie de le montrer aux Sénégalais, aux étrangers ? C’est pourquoi, je disais que l’un des défis essentiel, c’est la relance de la production. On ne peut avoir des subventions de l’Etat et ne rien faire en production. J’ai dit aux artistes, nous avons un répertoire de plus de 200 œuvres, si on veut relancer la production, faisons des reprises, comme cela se fait dans tous les théâtres. Mais aussi, faisons de nouvelles créations. Et cette année, nous avons pu faire «La farce de Me Parlas 2015», une comédie jouée en français que nous avons présentée à Qatar à la semaine de Francophonie. C’est une production destinée aux jeunes et au public scolaire. Nous avons aussi un spectacle total «D’ici et d’ailleurs», qui intègre la danse, la musique traditionnelle et l’expression dramatique… Et pour être dans cette directive du président de la République qui est de reprendre des œuvres à connotation historique, nous avons fait «Indépendance Tay», «Pot de vin» pour rendre hommage au première directeur de Sorano, Maurice Sonar Senghor, ainsi que «Le choix de l’Ori», un conte Yorouba écrit par Louis Camara qui a été Grand prix du Chef de l’Etat en 1996.
Un théâtre doit vivre avec de nouvelles créations, même si on n’a pas le public, nous devons jouer. Car notre vocation c’est de créer et de jouer. C’est de participer à la réécriture du Sénégal. Cela aide les jeunes à avoir les repères qu’il faut, à savoir qui ils sont, à avoir la trajectoire historique du Sénégal. Il faut aussi que le théâtre soit joué sur scène. Parce que c’est un peu le théâtre télévisé qui a fait que ce théâtre joué sur scène n’a plus cette valeur-là. La tranche des 25 à 35 ans ont découvert le théâtre avec la télé, donc ils ne voient pas l’utilité d’aller dans un théâtre. C’est pourquoi nous les retrouvons dans leur milieu scolaire pour leur donner un goût du théâtre. Parce que c’est différent.
Maintenant, par rapport au Grand théâtre, nous ne pouvons pas être des concurrents, car nous avons le même ministère. Parce que nous n’avons pas la même histoire, nous n’avons pas la même âme, nous n’avons pas les mêmes ressources humaines. Sorano, c’est 50 ans, c’est même l’héritier du théâtre du Palais. Le Grand théâtre, c’est bon, car ça complète dans le dispositif infrastructurel. Mais nous n’avons pas la même trajectoire, donc on ne peut pas être comparé.
Comment comptez-vous redonner à Sorano, qui était un creuset culturel et qui a formé des artistes de renom, sa place d’antan ?
Il y avait un lien entre Sorano et l’ancien Ecole des arts et le conservatoire. Sorano était le lieu d’expérimentation. C’est pourquoi, tous les anciens de la troupe nationale, c’est des produits de l’Ecole des arts ou bien des produits de l’ancien conservatoire qui est devenue l’actuelle Ecole nationale des arts et dont j’ai été directeur. Il y a avait ce lien très fort entre la formation et la représentation en l’expérimentation et la professionnalisation se déroulaient ici. Mais nous, nous n’avons pas vocation de former. Nous avons vocation à professionnaliser, à renforcer des capacités. Nous avons ce projet de mettre en place un centre de perfectionnement sur les métiers des arts de la scène. C’est le seul théâtre qui a eu à abriter deux Fesman, en 1966 et 2010. Donc, nous avons acquis des expériences pratiques qui peuvent être utiles pour les jeunes qui s’activent dans le secteur de la culture. C’est une manière de redorer le blason de Sorano. Parce que nous ne pouvons pas rester seulement dans la production et la diffusion. Déjà, nous avons un projet qui est d’avoir un embryon de musée à Sorano, ne serait que tous les costumes qu’on les présente quelquefois à l’occasion au public sénégalais.
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