Jamais il ne fut plus écouté que lorsqu’il s’est tu. Parti le 15 mars 1998, Serigne Sam Mbaye récolte de plus en plus une audience chez des jeunes nés peu avant ou bien après sa mort et qui redécouvrent les enseignements de celui qui passait, à son époque, pour n’être qu’un parmi de multiples prédicateurs. Pas moins de deux pages officielles sur Internet. Plus de 16000 vidéos disponibles sur Youtube, dont les vues culminent entre 10.000 et 200.000. Toute une collection audio de ses 842 conférences à la bibliothèque universitaire de Dakar. Et un nombre incalculable d’auditeurs qui se comptent autant dans les confréries religieuses que dans un milieu académique plus ouvert au discours cartésien, où les sciences islamiques sont dispensées avec un art consommé de l’argumentation. Le tout pour le rayonnement de l’Islam. C’est tout cela Serigne Sam. Une vie au service de Dieu. De son Prophète. De ses Saints. Serigne Sam, c’est aussi une voie différente de ses contemporains et qui aujourd’hui, parle aux oreilles les plus réfractaires aux créations ex-nihilo. Parce que d’abord, lui ne sort pas de nulle part. Son statut n’est pas hérité et son savoir est loin d’être le fruit subliminal d’une ascendance vertueuse. Mame Mor Diarra Mbaye, ainsi que l’a nommé son père, est de l’ancienne école. Doublement.
Lorsqu’il entame l’apprentissage du français, il est déjà adulte et a fait le tour de l’école coranique. Coki pour la mémorisation, Saint-Louis du Sénégal pour la théologie et le droit islamique et la Tunisie pour les exégèses, les traditions orientales et le perfectionnement de la langue arabe. Serigne Ibrahima Mbaye, 50 ans, deuxième de ses fils, lève un pan de l’histoire sur ce séjour. «Mon père arrive en Tunisie en pleine année scolaire, on lui refuse une place, parce que la salle est pleine, il supplie pour suivre les cours à partir de la fenêtre. Subjugué par sa motivation, sa discipline et son intelligence, le professeur finit par lui aménager une place à ses côtés». Serigne Sam ne passe son brevet et son baccalauréat que lorsqu’il rentre de son séjour tunisien. A Saint-Louis où il est auditeur libre, les instituteurs qui l’initient à la langue de Molière rient de sa prononciation. A l’approche de l’examen, c’est pourtant lui qui se substitue à eux pour leur apprendre les techniques de la dissertation. Le gouvernement sénégalais ne s’y trompe pas, en le recrutant en qualité de moniteur de français. Le baccalauréat l’envoie à Dakar, à la Faculté de Lettres, où il obtint tour à tour la licence, la maîtrise, le doctorat de premier cycle. Baye Sam écrit même sa thèse de troisième cycle, mais sans jamais réussir à obtenir une date de soutenance. «Problème de jurés», tente d’expliquer d’une voix dubitative, Kabir Mbaye, professeur de Lettres qui a étudié l’homme sous toutes les coutures. Et ce qui en ressort, c’est qu’au-delà de tout projet de vie, le prédicateur n’avait pas soif de réussite, mais de savoir. A la fin de sa vie, il ne lisait plus que des livres en anglais. La légende dit qu’il est né avec cette inclination, qu’elle n’a fait qu’amplifier avec le temps et qu’au moment de recueillir les bénédictions et prières de son illustre paternel, il choisit la modestie de l’érudition, alors que son jeune frère, El Hadj Djily Mbaye, prit le faste de la richesse. L’Apparent et le Caché. Deux faces d’une même pièce façonnée par Mame Cheikh Mbaye, un grand soufi dont la tradition orale rapporte les dons et miracles.
Le père, ce trésor du Très-Haut.
Louga, à 186 km de Dakar, quartier Santhiaba nord. Une énorme concession tient lieu d’habitations pour la famille de Mame Cheikh Mbaye. L’endroit est fait comme les concessions léboues. A chaque descendant sa portion de terre, ce qui n’empêche pas toute la famille de partager les lieux communs. Au fond de la maison, une bâtisse plus moderne que les autres tient lieu de logement de fonction pour le calife de la famille. En face, un petit carré de sable fin est protégé par un mur blanc. C’est là que pour la première fois, Mame Cheikh Mbaye reçut la bénédiction divine pour sa mission. C’est ici que naquit Mame Mor Diarra Mbaye, d’un père réputé pour son érudition et sa vertu religieuse. Mame Cheikh Mbaye est l’océan dans lequel s’est abreuvé le fils. Originaire de Boukoul près de Coki, l’homme, raconte-t-on, manifeste les signes de l’érudition dès le berceau. Serigne Ibrahima, son petit-fils : «Il fut rapporté que jamais sa mère ne put l’emmener hors de la maison sans qu’il ne se mette à pleurer. Il fallait le mettre à l’abri du ciel pour calmer ses crises. A l’âge adulte, il apporta lui-même l’explication à ce comportement. Il disait ainsi apercevoir tous les habitants du ciel». Un début d’explication à ses habitudes d’enfant qui ne mettait jamais le bout du nez dehors sans son châle sur la tête. Un comportement qui trouve aussi son explication avec l’intéressé lui-même. «Il m’était interdit de sortir sans me couvrir la tête». Par qui ? Sourire en coin de Serigne Ibrahima et réponse qui dépasse l’entendement. «Mame Cheikh recevait directement ses ordres de son Créateur». Sur terre, l’érudit se forge une réputation qui dépasse les frontières de Pété où il habite et arrive aux oreilles d’un certain Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Ce dernier qui fait une tournée des saints hommes de la région, fait une étape à Pété pour le voir. Ils se rencontrent à la sortie de la ville, discutent et promettent de se retrouver. Serigne Touba met du temps à revenir à Pété, Mame Cheikh, impatient, part chercher le savoir dans le Walo chez Seydi El Hadj Malick Sy. Son apprentissage est très avancé lorsque Serigne Touba revint le chercher. «Il fut dit qu’on accueillit le saint homme avec un plat de bouillie de mil. Après y avoir jeté un coup d’œil, il le repoussa au loin. Ce fut le premier enseignement que Mame Cheikh perçut de Serigne Touba, qui lui dit. «J’ai ouvert, regardé et repoussé le plat, pour inciter mon âme et mieux lui interdire les passions de ce bas-monde»», rapporte Serigne Ibrahima. Son grand-père reste quatre ans à Mbacké Kadior à profiter des enseignements en théologie et grammaire de Khadimou Rassoul, avant de retourner à l’école de El Hadj Malick Sy. Mais il ne tarde pas non plus à quitter le saint homme pour les enseignements de Mame Ass Camara, le représentant de Cheikh Saad Bou à Saint-Louis, lieu de convergence de la communauté arabe à l’époque. Il y reçoit le titre de Caadi (juge) et est affecté à Yang Yang à la cour de Alboury dans le Djoloff. Au terme de ses pérégrinations, Mame Cheikh Mbaye finit par s’établir à Welingara Tall à 5km du tribunal de Louga où il exerce ses talents dans la jurisprudence musulmane et conforte définitivement sa place de choix aux côtés du Seigneur. Son petit-fils dit qu’il était du niveau des prophètes, sans en avoir le grade. «La prophétie est une nomination et Mame Cheikh est arrivé au moment où elle avait été close par le Sceau des prophètes», dit-il. Et pourtant, même avec cette station, il est resté à l’ombre d’autres grands hommes qui ont marqué durablement leur époque. Là aussi, l’explication est toute simple. A en croire la famille, le père de Serigne Sam faisait partie des trésors cachés du Très-Haut. «Il jouissait de beaucoup de respect de la part de ses contemporains, mais lui a toujours préféré se détourner des honneurs qu’on lui faisait pour ne pas trahir le pacte qui le liait à son Seigneur. Celui de demeurer caché». L’Apparent dans la famille, c’est la descendance. D’abord, Serigne Ahmadou Sakhir Lô, son fils spirituel et fondateur du daara de Coki. Ensuite, El Hadj Djily Mbaye, le marabout milliardaire et enfin, Serigne Sam, dont l’universalisme fait voyager ses enseignements à travers le temps.
Propriété privé des Mourides.
Serigne Sam s’est toujours targué d’être universel. On le serait à moins avec son pedigree. Son père a appris à combattre ses passions entre les mains du précurseur du Mouridisme. Sidy El Hadj Malick, chantre du Tijanisme au Sénégal, lui parfait son apprentissage de la grammaire arabe. Mame Ass Camara, représentant de Cheikh Saad Bou, lui inculque l’astrologie. Un héritage que Serigne Sam a conforté avec un parcours académique et coranique diversifié, qui lui permet de transcender les tarikhas et autres cloisonnements religieux. Et pourtant, la plupart de ses admirateurs classent l’islamologue du côté des Mourides. A tort, mais avec quelques raisons. D’abord parce que Serigne Touba et son père avaient la même ascendance. Deuxièmement parce que le dernier est passé entre les mains du premier dans un même itinéraire spirituel. Troisièmement, parce qu’il fut baptisé Mame Mor Diarra, le frère utérin de Serigne Touba et fondateur du village de Sam (d’où le nom de Serigne Sam). Et enfin, parce que – et c’est là peut-être la principale raison – Serigne Sam a été un peu poussé au métier de conférencier par les mourides, qui l’ont découvert lors de la présentation de sa thèse de doctorat.
Retour à Dakar à l’université Cheikh Anta Diop. Serigne Sam est déjà en âge avancé et parfaitement inséré dans le milieu professionnel lorsqu’il décide d’approfondir ses connaissances en français. Il s’inscrit à la Faculté des Lettres et Sciences humaines, où il obtient une licence en arabe et en Lettres option grammaire linguistique. En octobre 1973, il soutient son mémoire de maîtrise sur «L’influence de Al-Muhasidi sur Al-Ghazali». Mais le tournant arrive avec sa thèse, qui décortique le «Massalikal jinaan (Les itinéraires du Paradis) de Cheikh Ahmadou Bamba. «Massalikal jinaan» est le livre fondateur du mouridisme et la quintessence de tout ce qui a été fait sur le soufisme. La maîtrise qu’a Serigne Sam des langues arabes et du français lui permet d’en faire une brillante traduction, éditée quelque temps après par Serigne Abdou Lahad, le troisième khalife de Serigne Touba. Pourtant à l’université de Dakar, impossible de trouver une trace de ses écrits à la bibliothèque du département Arabe et à la Faculté des Lettres. Il faut, redirigé par le professeur Dieng du département de Lettres modernes, contacter le professeur Kabir Mbaye pour avoir une idée des travaux académiques et de la ferveur déchaînée par le génie de Serigne Sam Mbaye. «Nous autres universitaires, sommes charmés de lire ses traductions», dit le professeur Mbaye de l’illustre étudiant, découvert ainsi par les Mourides, qui en feront une propriété privée et une priorité dans leurs conférences. En 1979, la journée culturelle de Serigne Touba est célébrée par l’Unesco à Paris. Serigne Sam est à la tribune pour vulgariser le «Soufisme de Cheikh Ahmadou Bamba». «Waouh ! Il faut l’écouter», s’émerveille encore son fils. Plus d’une heure de tribune en français, où l’érudit confronte son savoir à ceux d’autres universitaires et finit par rallier tout le monde à sa cause dans le débat académique et religieux. Les Mourides ne le lâchent plus et Serigne Sam le leur rend bien. Il oriente quelques-unes de ses études sur Cheikh Ahmadou Bamba. «Cela n’empêche qu’il étudiait tous les saints et pouvait rester des heures à disserter sur eux. Une fois, nous avons reçu une délégation de la famille Tall à la maison, mon père a tellement disserté sur El Hadj Omar qu’ils étaient au bord de la transe», dit son fils en riant. Serigne Ibrahima Mbaye rit moins de voir le nom de son père sali par un certain Moustapha Mbaye, qui profite de l’aura de Serigne Sam pour se faire de l’argent. Ce qui n’a jamais fait partie des visées de l’islamologue. Dans une de ses conférences données à la Sicap, on l’entend clairement mettre les choses au point. «J’aime et respecte tous les hommes de Dieu. Je vulgariserai tout le bien que je sais d’eux». Une humilité et une générosité dans le partage qui ne sont pas sans rappeler celles légendaires de son frère Djily, de 5 ans son cadet.
A la vie, à la mort
Discret en public sur ses affinités avec Djily Mbaye, Baye Sam ne cachait pas son affection pour son frère. Qui le lui rendait bien. A Louga près du tribunal, le milliardaire a fait ériger sur des hectares, une mosquée attifée d’une bibliothèque et d’un grand appartement. Désert, l’appartement a été témoin des derniers jours de Serigne Sam, pour qui son frère l’a fait construire. Au moment de mettre sur pied la bibliothèque de la mosquée, Djily Mbaye a demandé à Serigne Sam de lui fournir une liste des ouvrages à acheter. Des livres qui ornent toujours les deux niveaux d’une bibliothèque qui emprunte son architecture aux bâtiments orientaux. Une complicité qui remonte à leurs premiers pas dans la vie. Serigne Ibrahima : «Mon père était plus âgé de 5 ans, mais lorsque fut venu le moment de l’envoyer à Coki, Djily a insisté et obtenu de son père de l’accompagner. Plus tard, mon père nous racontait que lorsqu’il est rentré de la Tunisie, son petit frère n’avait cesse de lui demander qu’il troque toutes ses affaires dans ses valises contre les siennes». Un amour fraternel qui s’est consolidé au fil du temps et même au-delà. Dans le majestueux «Palais» de Djily Mbaye à Louga où le temps semble suspendu, Baye Sam Mbaye repose aux côtés de son frère dans un mausolée digne des grands marabouts, à l’abri de la chaleur, sous les ombres fraîches des nombreux arbres qui ornent la résidence, et sous la surveillance continuelle d’un gardien qui ce jour-là, lit le «Huqqa-l-bukau» de Bamba. «Faut-il pleurer les nobles morts ?»
AICHA FALL THIAM (ENVOYEE SPECIALE A LOUGA) pour Observateur
Lorsqu’il entame l’apprentissage du français, il est déjà adulte et a fait le tour de l’école coranique. Coki pour la mémorisation, Saint-Louis du Sénégal pour la théologie et le droit islamique et la Tunisie pour les exégèses, les traditions orientales et le perfectionnement de la langue arabe. Serigne Ibrahima Mbaye, 50 ans, deuxième de ses fils, lève un pan de l’histoire sur ce séjour. «Mon père arrive en Tunisie en pleine année scolaire, on lui refuse une place, parce que la salle est pleine, il supplie pour suivre les cours à partir de la fenêtre. Subjugué par sa motivation, sa discipline et son intelligence, le professeur finit par lui aménager une place à ses côtés». Serigne Sam ne passe son brevet et son baccalauréat que lorsqu’il rentre de son séjour tunisien. A Saint-Louis où il est auditeur libre, les instituteurs qui l’initient à la langue de Molière rient de sa prononciation. A l’approche de l’examen, c’est pourtant lui qui se substitue à eux pour leur apprendre les techniques de la dissertation. Le gouvernement sénégalais ne s’y trompe pas, en le recrutant en qualité de moniteur de français. Le baccalauréat l’envoie à Dakar, à la Faculté de Lettres, où il obtint tour à tour la licence, la maîtrise, le doctorat de premier cycle. Baye Sam écrit même sa thèse de troisième cycle, mais sans jamais réussir à obtenir une date de soutenance. «Problème de jurés», tente d’expliquer d’une voix dubitative, Kabir Mbaye, professeur de Lettres qui a étudié l’homme sous toutes les coutures. Et ce qui en ressort, c’est qu’au-delà de tout projet de vie, le prédicateur n’avait pas soif de réussite, mais de savoir. A la fin de sa vie, il ne lisait plus que des livres en anglais. La légende dit qu’il est né avec cette inclination, qu’elle n’a fait qu’amplifier avec le temps et qu’au moment de recueillir les bénédictions et prières de son illustre paternel, il choisit la modestie de l’érudition, alors que son jeune frère, El Hadj Djily Mbaye, prit le faste de la richesse. L’Apparent et le Caché. Deux faces d’une même pièce façonnée par Mame Cheikh Mbaye, un grand soufi dont la tradition orale rapporte les dons et miracles.
Le père, ce trésor du Très-Haut.
Louga, à 186 km de Dakar, quartier Santhiaba nord. Une énorme concession tient lieu d’habitations pour la famille de Mame Cheikh Mbaye. L’endroit est fait comme les concessions léboues. A chaque descendant sa portion de terre, ce qui n’empêche pas toute la famille de partager les lieux communs. Au fond de la maison, une bâtisse plus moderne que les autres tient lieu de logement de fonction pour le calife de la famille. En face, un petit carré de sable fin est protégé par un mur blanc. C’est là que pour la première fois, Mame Cheikh Mbaye reçut la bénédiction divine pour sa mission. C’est ici que naquit Mame Mor Diarra Mbaye, d’un père réputé pour son érudition et sa vertu religieuse. Mame Cheikh Mbaye est l’océan dans lequel s’est abreuvé le fils. Originaire de Boukoul près de Coki, l’homme, raconte-t-on, manifeste les signes de l’érudition dès le berceau. Serigne Ibrahima, son petit-fils : «Il fut rapporté que jamais sa mère ne put l’emmener hors de la maison sans qu’il ne se mette à pleurer. Il fallait le mettre à l’abri du ciel pour calmer ses crises. A l’âge adulte, il apporta lui-même l’explication à ce comportement. Il disait ainsi apercevoir tous les habitants du ciel». Un début d’explication à ses habitudes d’enfant qui ne mettait jamais le bout du nez dehors sans son châle sur la tête. Un comportement qui trouve aussi son explication avec l’intéressé lui-même. «Il m’était interdit de sortir sans me couvrir la tête». Par qui ? Sourire en coin de Serigne Ibrahima et réponse qui dépasse l’entendement. «Mame Cheikh recevait directement ses ordres de son Créateur». Sur terre, l’érudit se forge une réputation qui dépasse les frontières de Pété où il habite et arrive aux oreilles d’un certain Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Ce dernier qui fait une tournée des saints hommes de la région, fait une étape à Pété pour le voir. Ils se rencontrent à la sortie de la ville, discutent et promettent de se retrouver. Serigne Touba met du temps à revenir à Pété, Mame Cheikh, impatient, part chercher le savoir dans le Walo chez Seydi El Hadj Malick Sy. Son apprentissage est très avancé lorsque Serigne Touba revint le chercher. «Il fut dit qu’on accueillit le saint homme avec un plat de bouillie de mil. Après y avoir jeté un coup d’œil, il le repoussa au loin. Ce fut le premier enseignement que Mame Cheikh perçut de Serigne Touba, qui lui dit. «J’ai ouvert, regardé et repoussé le plat, pour inciter mon âme et mieux lui interdire les passions de ce bas-monde»», rapporte Serigne Ibrahima. Son grand-père reste quatre ans à Mbacké Kadior à profiter des enseignements en théologie et grammaire de Khadimou Rassoul, avant de retourner à l’école de El Hadj Malick Sy. Mais il ne tarde pas non plus à quitter le saint homme pour les enseignements de Mame Ass Camara, le représentant de Cheikh Saad Bou à Saint-Louis, lieu de convergence de la communauté arabe à l’époque. Il y reçoit le titre de Caadi (juge) et est affecté à Yang Yang à la cour de Alboury dans le Djoloff. Au terme de ses pérégrinations, Mame Cheikh Mbaye finit par s’établir à Welingara Tall à 5km du tribunal de Louga où il exerce ses talents dans la jurisprudence musulmane et conforte définitivement sa place de choix aux côtés du Seigneur. Son petit-fils dit qu’il était du niveau des prophètes, sans en avoir le grade. «La prophétie est une nomination et Mame Cheikh est arrivé au moment où elle avait été close par le Sceau des prophètes», dit-il. Et pourtant, même avec cette station, il est resté à l’ombre d’autres grands hommes qui ont marqué durablement leur époque. Là aussi, l’explication est toute simple. A en croire la famille, le père de Serigne Sam faisait partie des trésors cachés du Très-Haut. «Il jouissait de beaucoup de respect de la part de ses contemporains, mais lui a toujours préféré se détourner des honneurs qu’on lui faisait pour ne pas trahir le pacte qui le liait à son Seigneur. Celui de demeurer caché». L’Apparent dans la famille, c’est la descendance. D’abord, Serigne Ahmadou Sakhir Lô, son fils spirituel et fondateur du daara de Coki. Ensuite, El Hadj Djily Mbaye, le marabout milliardaire et enfin, Serigne Sam, dont l’universalisme fait voyager ses enseignements à travers le temps.
Propriété privé des Mourides.
Serigne Sam s’est toujours targué d’être universel. On le serait à moins avec son pedigree. Son père a appris à combattre ses passions entre les mains du précurseur du Mouridisme. Sidy El Hadj Malick, chantre du Tijanisme au Sénégal, lui parfait son apprentissage de la grammaire arabe. Mame Ass Camara, représentant de Cheikh Saad Bou, lui inculque l’astrologie. Un héritage que Serigne Sam a conforté avec un parcours académique et coranique diversifié, qui lui permet de transcender les tarikhas et autres cloisonnements religieux. Et pourtant, la plupart de ses admirateurs classent l’islamologue du côté des Mourides. A tort, mais avec quelques raisons. D’abord parce que Serigne Touba et son père avaient la même ascendance. Deuxièmement parce que le dernier est passé entre les mains du premier dans un même itinéraire spirituel. Troisièmement, parce qu’il fut baptisé Mame Mor Diarra, le frère utérin de Serigne Touba et fondateur du village de Sam (d’où le nom de Serigne Sam). Et enfin, parce que – et c’est là peut-être la principale raison – Serigne Sam a été un peu poussé au métier de conférencier par les mourides, qui l’ont découvert lors de la présentation de sa thèse de doctorat.
Retour à Dakar à l’université Cheikh Anta Diop. Serigne Sam est déjà en âge avancé et parfaitement inséré dans le milieu professionnel lorsqu’il décide d’approfondir ses connaissances en français. Il s’inscrit à la Faculté des Lettres et Sciences humaines, où il obtient une licence en arabe et en Lettres option grammaire linguistique. En octobre 1973, il soutient son mémoire de maîtrise sur «L’influence de Al-Muhasidi sur Al-Ghazali». Mais le tournant arrive avec sa thèse, qui décortique le «Massalikal jinaan (Les itinéraires du Paradis) de Cheikh Ahmadou Bamba. «Massalikal jinaan» est le livre fondateur du mouridisme et la quintessence de tout ce qui a été fait sur le soufisme. La maîtrise qu’a Serigne Sam des langues arabes et du français lui permet d’en faire une brillante traduction, éditée quelque temps après par Serigne Abdou Lahad, le troisième khalife de Serigne Touba. Pourtant à l’université de Dakar, impossible de trouver une trace de ses écrits à la bibliothèque du département Arabe et à la Faculté des Lettres. Il faut, redirigé par le professeur Dieng du département de Lettres modernes, contacter le professeur Kabir Mbaye pour avoir une idée des travaux académiques et de la ferveur déchaînée par le génie de Serigne Sam Mbaye. «Nous autres universitaires, sommes charmés de lire ses traductions», dit le professeur Mbaye de l’illustre étudiant, découvert ainsi par les Mourides, qui en feront une propriété privée et une priorité dans leurs conférences. En 1979, la journée culturelle de Serigne Touba est célébrée par l’Unesco à Paris. Serigne Sam est à la tribune pour vulgariser le «Soufisme de Cheikh Ahmadou Bamba». «Waouh ! Il faut l’écouter», s’émerveille encore son fils. Plus d’une heure de tribune en français, où l’érudit confronte son savoir à ceux d’autres universitaires et finit par rallier tout le monde à sa cause dans le débat académique et religieux. Les Mourides ne le lâchent plus et Serigne Sam le leur rend bien. Il oriente quelques-unes de ses études sur Cheikh Ahmadou Bamba. «Cela n’empêche qu’il étudiait tous les saints et pouvait rester des heures à disserter sur eux. Une fois, nous avons reçu une délégation de la famille Tall à la maison, mon père a tellement disserté sur El Hadj Omar qu’ils étaient au bord de la transe», dit son fils en riant. Serigne Ibrahima Mbaye rit moins de voir le nom de son père sali par un certain Moustapha Mbaye, qui profite de l’aura de Serigne Sam pour se faire de l’argent. Ce qui n’a jamais fait partie des visées de l’islamologue. Dans une de ses conférences données à la Sicap, on l’entend clairement mettre les choses au point. «J’aime et respecte tous les hommes de Dieu. Je vulgariserai tout le bien que je sais d’eux». Une humilité et une générosité dans le partage qui ne sont pas sans rappeler celles légendaires de son frère Djily, de 5 ans son cadet.
A la vie, à la mort
Discret en public sur ses affinités avec Djily Mbaye, Baye Sam ne cachait pas son affection pour son frère. Qui le lui rendait bien. A Louga près du tribunal, le milliardaire a fait ériger sur des hectares, une mosquée attifée d’une bibliothèque et d’un grand appartement. Désert, l’appartement a été témoin des derniers jours de Serigne Sam, pour qui son frère l’a fait construire. Au moment de mettre sur pied la bibliothèque de la mosquée, Djily Mbaye a demandé à Serigne Sam de lui fournir une liste des ouvrages à acheter. Des livres qui ornent toujours les deux niveaux d’une bibliothèque qui emprunte son architecture aux bâtiments orientaux. Une complicité qui remonte à leurs premiers pas dans la vie. Serigne Ibrahima : «Mon père était plus âgé de 5 ans, mais lorsque fut venu le moment de l’envoyer à Coki, Djily a insisté et obtenu de son père de l’accompagner. Plus tard, mon père nous racontait que lorsqu’il est rentré de la Tunisie, son petit frère n’avait cesse de lui demander qu’il troque toutes ses affaires dans ses valises contre les siennes». Un amour fraternel qui s’est consolidé au fil du temps et même au-delà. Dans le majestueux «Palais» de Djily Mbaye à Louga où le temps semble suspendu, Baye Sam Mbaye repose aux côtés de son frère dans un mausolée digne des grands marabouts, à l’abri de la chaleur, sous les ombres fraîches des nombreux arbres qui ornent la résidence, et sous la surveillance continuelle d’un gardien qui ce jour-là, lit le «Huqqa-l-bukau» de Bamba. «Faut-il pleurer les nobles morts ?»
AICHA FALL THIAM (ENVOYEE SPECIALE A LOUGA) pour Observateur