D. R. Lors de l’édition 2010 du pèlerinage de Poponguine. La communauté musulmane participe elle aussi à ce temps fort, dans un pays où les chrétiens ne représentent que 5 à 10 % de la population.
Assis devant une mosquée, dans la rue principale de Poponguine baignée par le soleil, Ousmane Faye affiche un calme que rien ne semble devoir altérer. Pas même les 100 000 personnes qui vont affluer dès samedi dans le sanctuaire marial pour la 123e édition du pèlerinage marial organisé chaque année pour la Pentecôte.
D’ailleurs, est-il concerné par cet événement phare de la communauté catholique sénégalaise, lui le représentant de l’imam dans cette petite station balnéaire bordée par l’océan, à 70 kilomètres de Dakar ? La question lui arrache un petit sourire, en forme d’évidence.
« Mais le pèlerinage, c’est pour tout le monde ! Chacun prie dans sa religion car elles viennent toutes de Dieu. » Un démenti aussi clair qu’assuré aux paroles du président Abdoulaye Wade, qui avaient ébranlé le légendaire modèle sénégalais de tolérance religieuse, en déclarant en décembre 2009 que les « chrétiens prient un homme qui n’est pas Dieu ». Les chrétiens représentent 5 à 10 % de la population.
LES PROPOS DU PRÉSIDENT ONT CHOQUÉ
Théodore Sene, menuisier de 52 ans et président du conseil paroissial de Poponguine, ne cache pas que les mots présidentiels l’avaient aussi « choqué » à l’époque. Le cardinal Sarr, archevêque de Dakar, avait alors fait part de sa ferme réprobation.
Dans la capitale sénégalaise, aux abords du palais présidentiel, des débordements de violence avaient opposé de jeunes catholiques aux forces de l’ordre. D’autres témoignent avoir été « blessés » par ces paroles, même s’ils les attribuent à un « dérapage » plus ou moins volontaire d’Abdoulaye Wade.
La construction à Dakar du Monument de la Renaissance africaine – statue pharaonique de 52 mètres surplombant l’océan dont le coût est estimé entre 15 et 23 millions d’euros – lui attirant de vives critiques, le chef de l’État aurait cherché à souder les musulmans en s’en prenant verbalement aux catholiques.
« D’abord, il avait cherché à diviser les marabouts. En vain. Il a donc tenté d’opposer chrétiens et musulmans mais ce n’est pas possible », s’indigne l’abbé Jacques Seck, figure tutélaire du dialogue islamo-chrétien.
« NOUS AVONS TOUS LES MÊME SANG »
Pourtant, les esprits ont manqué de s’enflammer. « À Poponguine, les jeunes du village étaient en particulier fougueux, ils étaient prêts à prendre le car pour Dakar. Heureusement, les frères de Saint-Jean, qui animent le sanctuaire, nous ont beaucoup calmés », raconte Théodore Sene.
La communauté musulmane elle-même a joué un grand rôle d’apaisement. « Ils se sont désolidarisés de leur président et nous ont réconfortés », reprend le responsable catholique, qui donne la même explication que tout le monde à cette volonté de concorde.
« Ici, la différence religieuse, ce n’est pas un problème car nous la vivons tous au quotidien. Moi-même, j’habite dans le même carré que l’imam du village. Dans toutes les familles catholiques, quelqu’un a un parent musulman. Y compris un fils ou une fille. Chacun prie comme il veut. On ne peut pas séparer les familles, nous avons tous le même sang. »
DIALOGUE AVEC LES CHEFS MUSULMANS
Vicaire général de l’archidiocèse de Dakar, curé de la paroisse Saint-Paul de Grand Yoff, dans un quartier très populaire de la capitale, Alphonse Seck fait le même constat : « Quand je regarde ce qui se passe ailleurs, je rends grâce pour la situation sénégalaise. Il y a bien quelques problèmes d’ostracisme pour l’attribution d’emplois et de logements mais la cohabitation, au sein des familles, se passe bien. L’incident provoqué par le président Wade est vraiment derrière nous. L’islam, dans son ensemble, n’était pas concerné. »
De même qu’il se souvient encore de l’accueil réservé par l’ensemble des chefs musulmans à Jean-Paul II lors de sa visite en 1992 à Dakar comme à Poponguine, le P. Seck a été témoin, près de vingt ans plus tard, de leurs visites au cardinal Sarr pour l’assurer de leur soutien.
Tout aussi naturellement, les responsables du culte musulman seront présents, en ce lundi de Pentecôte, au sanctuaire de Poponguine pour la messe dont l’affluence record met les autorités en émoi.
« LES CATHOLIQUES SONT INTOUCHABLES »
« Cette communion avec nos frères musulmans est dans nos racines », indique Marie-Rosalie NDiaye, 24 ans, présidente de la coordination des jeunes de la paroisse de Grand Yoff qui effectueront cette année le pèlerinage. Au total, 2 000 adolescents et jeunes adultes – soit la moitié du nombre total de jeunes pèlerins – partiront de Dakar dès dimanche à 5 heures du matin pour relier la côte près de 12 heures plus tard, sous un soleil de plomb.
Marie-Rosalie a accompagné des journalistes musulmans le long de la route l’an dernier. « Depuis le cardinal Hyacinthe Thiandoum (NDLR : archevêque de Dakar de 1962 à 2000 et natif de Poponguine), l’Église sénégalaise a toujours prôné le dialogue islamo-chrétien », rappelle la jeune femme, qui dit ne pas se reconnaître dans la réaction violente de ses compatriotes en décembre 2009.
Son collègue Jean-Paul Nunez, 27 ans, tout aussi impliqué dans l’organisation du pèlerinage de Poponguine, abonde dans son sens. « Au Sénégal, les catholiques sont intouchables », affirme cet éducateur spécialisé, dont la mère s’est mariée avec un musulman : « Je crois qu’Abdoulaye Wade a compris qu’on ne peut pas attenter aux valeurs fondamentales de notre pays. »
BRUNO BOUVET, à Dakar et Poponguine (Sénégal)
D’ailleurs, est-il concerné par cet événement phare de la communauté catholique sénégalaise, lui le représentant de l’imam dans cette petite station balnéaire bordée par l’océan, à 70 kilomètres de Dakar ? La question lui arrache un petit sourire, en forme d’évidence.
« Mais le pèlerinage, c’est pour tout le monde ! Chacun prie dans sa religion car elles viennent toutes de Dieu. » Un démenti aussi clair qu’assuré aux paroles du président Abdoulaye Wade, qui avaient ébranlé le légendaire modèle sénégalais de tolérance religieuse, en déclarant en décembre 2009 que les « chrétiens prient un homme qui n’est pas Dieu ». Les chrétiens représentent 5 à 10 % de la population.
LES PROPOS DU PRÉSIDENT ONT CHOQUÉ
Théodore Sene, menuisier de 52 ans et président du conseil paroissial de Poponguine, ne cache pas que les mots présidentiels l’avaient aussi « choqué » à l’époque. Le cardinal Sarr, archevêque de Dakar, avait alors fait part de sa ferme réprobation.
Dans la capitale sénégalaise, aux abords du palais présidentiel, des débordements de violence avaient opposé de jeunes catholiques aux forces de l’ordre. D’autres témoignent avoir été « blessés » par ces paroles, même s’ils les attribuent à un « dérapage » plus ou moins volontaire d’Abdoulaye Wade.
La construction à Dakar du Monument de la Renaissance africaine – statue pharaonique de 52 mètres surplombant l’océan dont le coût est estimé entre 15 et 23 millions d’euros – lui attirant de vives critiques, le chef de l’État aurait cherché à souder les musulmans en s’en prenant verbalement aux catholiques.
« D’abord, il avait cherché à diviser les marabouts. En vain. Il a donc tenté d’opposer chrétiens et musulmans mais ce n’est pas possible », s’indigne l’abbé Jacques Seck, figure tutélaire du dialogue islamo-chrétien.
« NOUS AVONS TOUS LES MÊME SANG »
Pourtant, les esprits ont manqué de s’enflammer. « À Poponguine, les jeunes du village étaient en particulier fougueux, ils étaient prêts à prendre le car pour Dakar. Heureusement, les frères de Saint-Jean, qui animent le sanctuaire, nous ont beaucoup calmés », raconte Théodore Sene.
La communauté musulmane elle-même a joué un grand rôle d’apaisement. « Ils se sont désolidarisés de leur président et nous ont réconfortés », reprend le responsable catholique, qui donne la même explication que tout le monde à cette volonté de concorde.
« Ici, la différence religieuse, ce n’est pas un problème car nous la vivons tous au quotidien. Moi-même, j’habite dans le même carré que l’imam du village. Dans toutes les familles catholiques, quelqu’un a un parent musulman. Y compris un fils ou une fille. Chacun prie comme il veut. On ne peut pas séparer les familles, nous avons tous le même sang. »
DIALOGUE AVEC LES CHEFS MUSULMANS
Vicaire général de l’archidiocèse de Dakar, curé de la paroisse Saint-Paul de Grand Yoff, dans un quartier très populaire de la capitale, Alphonse Seck fait le même constat : « Quand je regarde ce qui se passe ailleurs, je rends grâce pour la situation sénégalaise. Il y a bien quelques problèmes d’ostracisme pour l’attribution d’emplois et de logements mais la cohabitation, au sein des familles, se passe bien. L’incident provoqué par le président Wade est vraiment derrière nous. L’islam, dans son ensemble, n’était pas concerné. »
De même qu’il se souvient encore de l’accueil réservé par l’ensemble des chefs musulmans à Jean-Paul II lors de sa visite en 1992 à Dakar comme à Poponguine, le P. Seck a été témoin, près de vingt ans plus tard, de leurs visites au cardinal Sarr pour l’assurer de leur soutien.
Tout aussi naturellement, les responsables du culte musulman seront présents, en ce lundi de Pentecôte, au sanctuaire de Poponguine pour la messe dont l’affluence record met les autorités en émoi.
« LES CATHOLIQUES SONT INTOUCHABLES »
« Cette communion avec nos frères musulmans est dans nos racines », indique Marie-Rosalie NDiaye, 24 ans, présidente de la coordination des jeunes de la paroisse de Grand Yoff qui effectueront cette année le pèlerinage. Au total, 2 000 adolescents et jeunes adultes – soit la moitié du nombre total de jeunes pèlerins – partiront de Dakar dès dimanche à 5 heures du matin pour relier la côte près de 12 heures plus tard, sous un soleil de plomb.
Marie-Rosalie a accompagné des journalistes musulmans le long de la route l’an dernier. « Depuis le cardinal Hyacinthe Thiandoum (NDLR : archevêque de Dakar de 1962 à 2000 et natif de Poponguine), l’Église sénégalaise a toujours prôné le dialogue islamo-chrétien », rappelle la jeune femme, qui dit ne pas se reconnaître dans la réaction violente de ses compatriotes en décembre 2009.
Son collègue Jean-Paul Nunez, 27 ans, tout aussi impliqué dans l’organisation du pèlerinage de Poponguine, abonde dans son sens. « Au Sénégal, les catholiques sont intouchables », affirme cet éducateur spécialisé, dont la mère s’est mariée avec un musulman : « Je crois qu’Abdoulaye Wade a compris qu’on ne peut pas attenter aux valeurs fondamentales de notre pays. »
BRUNO BOUVET, à Dakar et Poponguine (Sénégal)