Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, quelques centaines d'hommes armés venus du nord du pays avaient attaqué plusieurs camps de police, de gendarmerie, de l'armée, avant d'être repoussés et de se replier sur Bouaké (environ 350 km d'Abidjan).
Les combats avaient fait trois cents morts, dont le ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo et le général Robert Gueï, auteur du coup d'Etat du 24 décembre 1999 qui avait renversé Henri Konan Bédié, le successeur d'Houphouët-Boigny (le premier président du pays).
Refusant de venir au secours de Gbagbo, la France avait déployé une force d'interposition, entraînant une partition du pays, les rebelles au nord, les loyalistes au sud, qui a perduré jusqu'à la fin de la crise post-électorale en avril 2011
«Comment et pourquoi ils sont bravé la dictature de Gbagbo», titre Le Patriote, un journal pro-Ouattara en publiant une galerie de portraits de miltaires rebelles.
«Dix ans de massacres, de pillages, de mensonges», réplique le Temps, un organe pro-Gbagbo, qui tire à boulets rouges sur le nouveau régime Ouattara.
Pas un mot à la une de la revue Notre Voie sur cet anniversaire, car l’organe officiel du FPI (Front populaire ivoirien) a des préoccupations plus immédiates. Il publie des «révélations d’un conseiller de la CPI (Cour pénale internationale)» sur une prochaine audience qui doit se pencher sur l’état de santé de l’ex-président.
Gbagbo pourrait retrouver le soleil africain
Dix sept mois après son arrestation dans les décombres de sa résidence présidentielle, Laurent Gbagbo, détenu à La Haye, n’a toujours pas été jugé.
L’audience de confirmation des charges, préalable à un procès, n’a même pas eu lieu. Et la CPI, qui manifestement ne sait pas quoi faire de cet hôte encombrant, a commandé, à la demande de la défense, un bilan médical pour savoir si, à 67 ans, il est apte à assister à une audience de plusieurs jours.
Ou, comme l’espèrent ses partisans, s'il pourrait retrouver le soleil africain pour y soigner son arthrose, en résidence surveillée à Kampala (Ouganda), où une villa est prête à l’accueillir.
Fraternité Matin, le quotidien gouvernemental célèbre l'anniversaire de façon très discrète: «Tout va changer», claironne la manchette du journal. «Tout va changer»… pour le personnel de maison…
En pied de une, dans une interview, Sidiki Konaté (ex-porte-parole des Foces nouvelles et actuel ministre du Tourisme et de l'Artisanat) explique qu’il «fallait mettre fin au déficit démocratique».
Nous voilà replongés dans le coup d’Etat manqué de 2002. Ce compagnon de route de Guillaume Soro (président de l'Assemblée nationale), a manifestement été chargé de porter la parole de l’ex-rébellion car on le retrouve à la une de Nord Sud, où il explique «ce qui opposait Soro à IB», l’imparfait étant de mise puisque IB, le rebelle à la carrure de basketteur de la NBA, a été liquidé le 27 avril 2011 dans son fief d’Abobo (quartier nord d’Abidjan), où il s’était retranché avec son «commando invisible».
Invisible, le mot est lâché. Dix ans après le coup d’Etat manqué, de nombreuses pièces du puzzle ont été dissimulées ou ont été escamotées.
De nombreux chapitres restent à écrire.
«Comment a été montée l’attaque du 19 septembre 2002? Qui a financé la rébellion de septembre 2002? Comment le syndicaliste Soro Guillaume s’est retrouvé subitement à la tête du secrétariat général des Forces nouvelles…? D’où l’argent est-il venu?», s’interroge L’Intelligent.
Et d’abord, qui a fait le coup?
«Ce sont les militaires qui ont tiré les premiers, répond Sidiki Konaté. Et le monde entier a entendu ces tirs et beaucoup de gens sont venus aux nouvelles pour comprendre les raisons de cette révolte militaire.»
Au départ, une revendication corporatiste de quelques centaines de zinzins et bahéfoués, ces soldats démobilisés et rappelés dans l’armée début 2000 après le coup d’Etat réussi du général Gueï contre Bédié en décembre 1999, qui refusaient de retourner à la vie civile sous Gbabgo.
En leur sein, de fortes têtes et quelques gueules cassées dans des séances de bastonnades dans des camps militaires.
Mais point de civils, de Soro et autres Konaté, qui attendront quelques semaines pour apparaître comme les chefs politiques de la rébellion. Soro, lui, se défend d’avoir pris le train en marche et raconte avoir participé à l’attaque manquée du 19 septembre 2002, et fui Abidjan déguisé en femme.
Le rôle de la France dans cette affaire
Des incertitudes, mais aussi des évidences. Le coup d’Etat est parti de Ouagadougou, au Burkina Faso, où Soro et IB ont été gracieusement hébergés pendant des mois dans le quartier des hôtes. Et dans leur ombre, deux hommes, Djibril Bassolé, l’éternel ministre des Affaires étrangères burkinabé et Mustapha Chafi, un mauritanien âgé aujourd’hui de 52 ans.
Entré au service de Blaise Compaoré en 1995, on retrouve ce dernier comme acteur et médiateur dans de nombreuses crises africaines (RDC, Côte d’Ivoire, Niger, Guinée, Libéria). Et aujourd’hui accusé par la justice mauritanienne «d’appui financier au terrorisme» d’Aqmi. Un homme rompu à la technique du pompier-pyromane, chère au président burkinabè.
Cette piste burkinabè mène immanquablement au coffre-fort où la rébellion a puisé ses fonds pour s’installer.
Quant à l’accusation directe contre Alassane Ouattara, reprise de façon lancinante depuis dix ans par les partisans de Gbabgo, elle n’a jamais été étayée par des preuves tangibles, même si le nouveau président ivoirien a le profil du «coupable idéal».
De nombreux rebelles, Soro en premier, n'ont jamais caché avoir pris les armes en raison du rejet de la candidature de Ouattara à la présidentielle de 2000.
Une élection sans Ouattara qui avait permis à Laurent Gbagbo de l'emporter dans des conditions qualifiées par lui-même de «calamiteuses» contre le général Gueï.
Il faut cependant noter que Ouattara qui se trouvait le 19 septembre 2002 dans son domicile au bord de la lagune d’Abidjan, a lui-même été une victime indirecte du coup d’Etat.
Menacé par les pro-Gbagbo, il a dû se réfugier dans une ambassade voisine avant d'être exfiltré par les militaires français et de trouver asile pendant de longs mois à l’ambassade de France. Sa maison a été brûlée et certains de ses proches tués.
Autre question sans réponse définitive: quel rôle a joué la France de Jacques Chirac et de Villepin? A-t-elle sauvé Gbagbo en s’interposant pour empêcher l’avancée des rebelles comme le proclame la doctrine officielle? Ou a-t-elle appuyé Gbagbo comme la corde soutient le pendu?
En lui apportant une aide minimale et en lui savonnant systématiquement la planche pour aboutir à l’objectif final, son départ du pouvoir.
Dans son face-à-face télévisé avec Gbagbo à la veille du second tour de l’élection présidentielle de 2010, Ouattara avait promis une commission d’enquête sur tous les événements qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire depuis plus de dix ans. Y compris sur le coup d’Etat manqué de 2002. On l’attend toujours.
Si le nouveau président ivoirien lance des investigations, elles sont toujours à sens unique et ne visent que les pro-Gbagbo, alors que des crimes ont été commis dans les deux camps.
Cette politique du tout répressif a pour effet d’empêcher la réconciliation indispensable à la bonne marche du pays. Elle exacerbe les tensions et engage les protagonistes dans des affrontements sans fin.
En 2002, explique Sidiki Konaté, «nous étions dans un blocage politique, ajouté à une illégitimité politique, et la pression et la tension politique surtout dirigées contre une communauté. Les ingrédients d’une lutte armée pointaient à l’horizon».
En lisant ces lignes, il n’est pas sûr que les pro-Gbagbo, qui contestent toujours l’élection de Ouattara, ne puissent pas les reprendre à leur compte.
Pour l’empêcher d’appliquer son programme, comme Gbagbo en 2002. Et pour enfoncer la très grande majorité des Ivoiriens dans une pauvreté toujours croissante.
Philippe Duval
Les combats avaient fait trois cents morts, dont le ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo et le général Robert Gueï, auteur du coup d'Etat du 24 décembre 1999 qui avait renversé Henri Konan Bédié, le successeur d'Houphouët-Boigny (le premier président du pays).
Refusant de venir au secours de Gbagbo, la France avait déployé une force d'interposition, entraînant une partition du pays, les rebelles au nord, les loyalistes au sud, qui a perduré jusqu'à la fin de la crise post-électorale en avril 2011
«Comment et pourquoi ils sont bravé la dictature de Gbagbo», titre Le Patriote, un journal pro-Ouattara en publiant une galerie de portraits de miltaires rebelles.
«Dix ans de massacres, de pillages, de mensonges», réplique le Temps, un organe pro-Gbagbo, qui tire à boulets rouges sur le nouveau régime Ouattara.
Pas un mot à la une de la revue Notre Voie sur cet anniversaire, car l’organe officiel du FPI (Front populaire ivoirien) a des préoccupations plus immédiates. Il publie des «révélations d’un conseiller de la CPI (Cour pénale internationale)» sur une prochaine audience qui doit se pencher sur l’état de santé de l’ex-président.
Gbagbo pourrait retrouver le soleil africain
Dix sept mois après son arrestation dans les décombres de sa résidence présidentielle, Laurent Gbagbo, détenu à La Haye, n’a toujours pas été jugé.
L’audience de confirmation des charges, préalable à un procès, n’a même pas eu lieu. Et la CPI, qui manifestement ne sait pas quoi faire de cet hôte encombrant, a commandé, à la demande de la défense, un bilan médical pour savoir si, à 67 ans, il est apte à assister à une audience de plusieurs jours.
Ou, comme l’espèrent ses partisans, s'il pourrait retrouver le soleil africain pour y soigner son arthrose, en résidence surveillée à Kampala (Ouganda), où une villa est prête à l’accueillir.
Fraternité Matin, le quotidien gouvernemental célèbre l'anniversaire de façon très discrète: «Tout va changer», claironne la manchette du journal. «Tout va changer»… pour le personnel de maison…
En pied de une, dans une interview, Sidiki Konaté (ex-porte-parole des Foces nouvelles et actuel ministre du Tourisme et de l'Artisanat) explique qu’il «fallait mettre fin au déficit démocratique».
Nous voilà replongés dans le coup d’Etat manqué de 2002. Ce compagnon de route de Guillaume Soro (président de l'Assemblée nationale), a manifestement été chargé de porter la parole de l’ex-rébellion car on le retrouve à la une de Nord Sud, où il explique «ce qui opposait Soro à IB», l’imparfait étant de mise puisque IB, le rebelle à la carrure de basketteur de la NBA, a été liquidé le 27 avril 2011 dans son fief d’Abobo (quartier nord d’Abidjan), où il s’était retranché avec son «commando invisible».
Invisible, le mot est lâché. Dix ans après le coup d’Etat manqué, de nombreuses pièces du puzzle ont été dissimulées ou ont été escamotées.
De nombreux chapitres restent à écrire.
«Comment a été montée l’attaque du 19 septembre 2002? Qui a financé la rébellion de septembre 2002? Comment le syndicaliste Soro Guillaume s’est retrouvé subitement à la tête du secrétariat général des Forces nouvelles…? D’où l’argent est-il venu?», s’interroge L’Intelligent.
Et d’abord, qui a fait le coup?
«Ce sont les militaires qui ont tiré les premiers, répond Sidiki Konaté. Et le monde entier a entendu ces tirs et beaucoup de gens sont venus aux nouvelles pour comprendre les raisons de cette révolte militaire.»
Au départ, une revendication corporatiste de quelques centaines de zinzins et bahéfoués, ces soldats démobilisés et rappelés dans l’armée début 2000 après le coup d’Etat réussi du général Gueï contre Bédié en décembre 1999, qui refusaient de retourner à la vie civile sous Gbabgo.
En leur sein, de fortes têtes et quelques gueules cassées dans des séances de bastonnades dans des camps militaires.
Mais point de civils, de Soro et autres Konaté, qui attendront quelques semaines pour apparaître comme les chefs politiques de la rébellion. Soro, lui, se défend d’avoir pris le train en marche et raconte avoir participé à l’attaque manquée du 19 septembre 2002, et fui Abidjan déguisé en femme.
Le rôle de la France dans cette affaire
Des incertitudes, mais aussi des évidences. Le coup d’Etat est parti de Ouagadougou, au Burkina Faso, où Soro et IB ont été gracieusement hébergés pendant des mois dans le quartier des hôtes. Et dans leur ombre, deux hommes, Djibril Bassolé, l’éternel ministre des Affaires étrangères burkinabé et Mustapha Chafi, un mauritanien âgé aujourd’hui de 52 ans.
Entré au service de Blaise Compaoré en 1995, on retrouve ce dernier comme acteur et médiateur dans de nombreuses crises africaines (RDC, Côte d’Ivoire, Niger, Guinée, Libéria). Et aujourd’hui accusé par la justice mauritanienne «d’appui financier au terrorisme» d’Aqmi. Un homme rompu à la technique du pompier-pyromane, chère au président burkinabè.
Cette piste burkinabè mène immanquablement au coffre-fort où la rébellion a puisé ses fonds pour s’installer.
Quant à l’accusation directe contre Alassane Ouattara, reprise de façon lancinante depuis dix ans par les partisans de Gbabgo, elle n’a jamais été étayée par des preuves tangibles, même si le nouveau président ivoirien a le profil du «coupable idéal».
De nombreux rebelles, Soro en premier, n'ont jamais caché avoir pris les armes en raison du rejet de la candidature de Ouattara à la présidentielle de 2000.
Une élection sans Ouattara qui avait permis à Laurent Gbagbo de l'emporter dans des conditions qualifiées par lui-même de «calamiteuses» contre le général Gueï.
Il faut cependant noter que Ouattara qui se trouvait le 19 septembre 2002 dans son domicile au bord de la lagune d’Abidjan, a lui-même été une victime indirecte du coup d’Etat.
Menacé par les pro-Gbagbo, il a dû se réfugier dans une ambassade voisine avant d'être exfiltré par les militaires français et de trouver asile pendant de longs mois à l’ambassade de France. Sa maison a été brûlée et certains de ses proches tués.
Autre question sans réponse définitive: quel rôle a joué la France de Jacques Chirac et de Villepin? A-t-elle sauvé Gbagbo en s’interposant pour empêcher l’avancée des rebelles comme le proclame la doctrine officielle? Ou a-t-elle appuyé Gbagbo comme la corde soutient le pendu?
En lui apportant une aide minimale et en lui savonnant systématiquement la planche pour aboutir à l’objectif final, son départ du pouvoir.
Dans son face-à-face télévisé avec Gbagbo à la veille du second tour de l’élection présidentielle de 2010, Ouattara avait promis une commission d’enquête sur tous les événements qui ont endeuillé la Côte d’Ivoire depuis plus de dix ans. Y compris sur le coup d’Etat manqué de 2002. On l’attend toujours.
Si le nouveau président ivoirien lance des investigations, elles sont toujours à sens unique et ne visent que les pro-Gbagbo, alors que des crimes ont été commis dans les deux camps.
Cette politique du tout répressif a pour effet d’empêcher la réconciliation indispensable à la bonne marche du pays. Elle exacerbe les tensions et engage les protagonistes dans des affrontements sans fin.
En 2002, explique Sidiki Konaté, «nous étions dans un blocage politique, ajouté à une illégitimité politique, et la pression et la tension politique surtout dirigées contre une communauté. Les ingrédients d’une lutte armée pointaient à l’horizon».
En lisant ces lignes, il n’est pas sûr que les pro-Gbagbo, qui contestent toujours l’élection de Ouattara, ne puissent pas les reprendre à leur compte.
Pour l’empêcher d’appliquer son programme, comme Gbagbo en 2002. Et pour enfoncer la très grande majorité des Ivoiriens dans une pauvreté toujours croissante.
Philippe Duval