L’histoire de Lisa S. Davis est extraordinaire. En 1998, à 26 ans, Lisa Selin Davis décide de louer une voiture pour aller voir de la famille en Floride. Rien d’anormal jusqu’ici, avant que l’employé ne lui annonce que son permis de conduire a été suspendu. Improbable. À la première personne pour le Guardian, elle explique que vivant à New York, elle ne conduit pas. Comment aurait-elle pu se faire confisquer son permis? Pourtant, une semaine plus tard, le département des véhicules motorisés (DMV) lui explique que c’est bien son nom qui apparaît sur la contravention. Lisa Davis pense directement à un vol d’identité. La situation se répète à plusieurs reprises pendant près de 18 ans. Son usurpatrice vote à sa place, téléphone au volant, a des contraventions pour vol, pour avoir traversé en dehors du passage clouté, pour ne pas avoir attaché son chien. Toutes relativement mineures, à part une citation à comparaître pour violence.
À chaque fois, la même chose. Lisa S. Davis est obligée d’aller devant le juge. Expliquer qu’il s’agit d’une erreur, que cela ne peut pas être elle. En 2013, son permis est de nouveau suspendu. Même paperasse. Elle remplit une nouvelle fois un formulaire d’«utilisation non autorisée», sans faux espoirs. C’est alors que le DMV, lui annonce qu’elle ne sait pas fait voler son identité, mais qu’il existe à New York une autre Lisa S. Davis, avec la même date de naissance. L'employé lui explique qu’elles sont aux yeux des services de police new-yorkaise et du département des véhicules motorisés, la même et unique personne. Ce qui ressemblait à une malheureuse histoire d’usurpation d’identité s’est transformé en une rencontre inattendue. Lisa S. Davis contacte sur Facebook l'autre Lisa S. Davis, sans jamais avoir de réponse. Sur sa photo de profil une grande femme noire, sportive et souriante. Tout l’inverse d’elle.
La vie de son double
De nouveau en 2015, elle est confrontée à la vie de son double. Lisa reconstitue petit à petit la vie de son homonyme à travers ses contraventions. Elle a dû donc à se présenter devant un tribunal au nord de Manhattan pour faire supprimer le contenu de son casier judiciaire car elle espère obtenir un nouvel emploi, qu'on lui refuse à cause d'une énième contravention impayée. C’est à cet instant, en regardant autour d'elle avant de passer devant le juge qu’elle a compris. Ce n'est pas elle la victime, mais les «gens de couleur», l'autre Lisa. La pièce dans laquelle elle se trouvait confirme les statistiques:
«75,6% des personnes arrêtées pour crimes contre les infractions sont des Afro-Américains ou des Hispaniques». «La pièce était presque entièrement remplie de personnes de couleur, sauf le juge, l'avocat commis d’office par le tribunal et moi. La plupart d'entre eux avaient des convocations parce qu'ils avaient fumé de l’herbe, l'une des moins graves ici», raconte-t-elle dans le Guardian.
Dans son quartier composé de 76% de Blancs, continue-t-elle, «je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un qui a reçu une contravention pour l'une des infractions commises par Lisa Davis». Motivée par ce sentiment d’injustice, elle redouble d’efforts pour la retrouver afin de régler ce problème de double identité, mais surtout pour lui parler comme si elle la comprenait déjà, après avoir passé 18 ans dans son ombre.
Arrivée sur le pas de sa porte grâce aux différentes contraventions, elle frappe, sans savoir comment les choses vont se passer. La rencontre et l’explication entre les deux femmes sont faites de rire et de gêne. Tout ce temps, Lisa pensait avoir à faire à une femme qui volait son identité, dit-elle, «en réalité, elle essayait de chercher la sienne». Lisa et Lisa, aujourd'hui âgées de 45 ans, sont devenues de vraie amies:
«D'une certaine manière, le mieux dans notre amitié, ce sont nos conversations franches sur la race, sur la réalité de la vie dans les logements sociaux et le nombre ridicule de Blancs de classe moyenne supérieure, des différences énormes entre Brownsville et Park Slope, des quartiers très différents de Brooklyn, mais tout deux souffrant d'un grave manque de diversité.»
source:m.slate.fr