Etes-vous surprise de voir Marine Le Pen atteindre un score de 17,9 % et rassembler 6,4 millions de suffrages ?
Cette montée du Front national, nous l'avions sentie pendant la campagne de porte-à-porte. Outre le noyau dur des militants FN, beaucoup d'électeurs, qui ont le sentiment de perdre la main sur leur vie et que la France perd la main sur son destin pendant qu'une oligarchie financière continue à s'enrichir, ont exprimé à la fois une colère et une peur.
De plus, ceux qui avaient voté Sarkozy en 2007 se sont sentis trahis par les promesses non tenues sur la valeur travail ou sur la sécurité. Ils sont donc revenus au FN.
En quoi le chef de l'Etat est-il responsable de cette situation ?
Sa responsabilité, c'est d'avoir bafoué ses engagements. Ça a porté un coup au crédit de la politique. Plus personne ne croit à la sortie de crise, annoncée en 2010. Il avait parlé de la valeur travail, mais il a favorisé ceux qui s'enrichissent en dormant. Il a fustigé l'assistanat, mais il a assisté les riches par les avantages fiscaux. Il avait promis un Etat fort : nous avons eu le laisser-aller, sans aucun contrôle du système financier. Il avait promis de protéger les Français, or jamais les insécurités économiques, sociales, culturelles, éducatives n'ont été aussi fortes, sauf pour les privilégiés. Des millions de Français ont le sentiment d'être déclassés, et même de "dévisser".
Nicolas Sarkozy, en reprenant les thèmes du Front national, a-t-il selon vous favorisé la diffusion d'un lepénisme culturel ?
En essayant de capter dès le premier tour les voix de l'extrême droite, il a légitimé un certain nombre de débats et validé des idées que tout républicain humaniste combat. Avec un seul résultat, la montée du FN. A tel point qu'il est aujourd'hui embarqué dans une logique qu'il n'arrive plus à maîtriser. Il est allé tellement loin qu'il ne peut plus se dédire, provoquant un malaise au sein de son propre camp.
Le FN a conquis de nouveaux territoires, notamment dans les espaces ruraux. Comment l'expliquez-vous ?
On trouve là des paysans paupérisés par la crise de l'élevage qui voient disparaître le travail et la raison de vivre de plusieurs générations. Ou des ouvriers contraints de quitter les centres-villes, trop chers, pour partir vers les zones rurales ou péri-urbaines et rattrapés par le coût de l'essence et la solitude des territoires désindustrialisés. Des citoyens qui se sentent abandonnés, en perte de repères et révoltés par tant d'injustices.
L'aspect féminin de la candidature de Marine Le Pen a-t-il joué ?
C'est moins le fait d'être une femme que de parler de vie quotidienne et de sujets concrets. A l'époque de son père, qui était un repoussoir, moins de femmes votaient pour le FN. Une partie de cet électorat féminin paupérisé affirme aujourd'hui comprendre ce qu'elle dit. Ces femmes seules avec leurs enfants, davantage victimes de l'insécurité, ces femmes âgées avec de très petites retraites, ces salariées précaires ont basculé dans la peur du lendemain. Elles veulent crier leur attente d'une politique qui s'occupe d'elles. C'est ce que nous ferons, comme François Hollande s'y est engagé.
Le PS a-t-il échoué à renouer avec les classes populaires, comme vous aviez commencé à le faire en 2007 ?
Les quartiers ont moins voté qu'en 2007, mais plus que les sondages le prédisaient. Et le candidat socialiste y est en tête.
Comment François Hollande peut-il convaincre ces électeurs qui ont choisi le Front national au premier tour ?
Il s'agit de montrer que son projet répond aux préoccupations de ceux qui subissent les désordres et les insécurisations. Apporter les sécurités que les gens attendent, placer en priorité le travail, la réforme financière, la protection contre la mondialisation sauvage, c'est répondre à ces électeurs. Et c'est bon pour tout le pays. D'autres propositions de François Hollande, comme le blocage du prix de l'essence ou l'encadrement des marges dans la grande distribution, correspondent à ces attentes.
L'époque où Bernard Tapie, alors classé à gauche, traitait de "salauds" les électeurs du FN est donc bien révolue...
Il ne s'agit ni de cajoler ni de dénigrer et encore moins d'insulter, tout en combattant le poison de ces idées. Ce sont ceux qui exploitent la pauvreté et les peurs qui sont méprisables. Les habitants des quartiers populaires qui s'inquiètent des flux migratoires clandestins ne sont pas des racistes.
Pourquoi avoir affirmé que le droit de vote des étrangers aux élections locales "n'a jamais été une priorité" pour le Parti socialiste ?
Parce que la nouvelle stratégie de l'UMP est de cibler le débat uniquement sur l'immigration en déformant grossièrement les propositions. Il fallait donc absolument remettre leurs pendules à l'heure et rappeler que les priorités sont l'emploi, la justice sociale, la jeunesse, l'éducation.
Le camp présidentiel affirme aussi que M. Hollande vise une "régularisation massive" des sans-papiers. Est-ce exact ?
Non. Sur ce sujet comme sur d'autres, c'est une caricature, mais cela n'abuse personne.
François Hollande a-t-il mené la campagne qu'il fallait ?
Oui. Il ne s'est pas laissé détourner de sa méthode ni de sa ligne, il a su cristalliser le rejet de Sarkozy, il n'a pas fait d'erreur. Et il a gagné la première manche : arriver en tête.
Le score de Jean-Luc Mélenchon est-il un atout ou un caillou dans la chaussure du candidat Hollande ?
Son discours de soutien a été fait avec panache, sans réserve. Il n'a pas attendu un jour ou deux, envoyé des questionnaires... Et puis, avec 11 %, il a réussi à créer un vrai courant d'idées intéressantes. Ce score lui permet d'exister et de continuer à défendre ses convictions, sans pour autant nous prendre en otage ni fragiliser le cœur de notre projet.
Que vous inspire, vous qui l'avez affronté en 2007, la proposition de Nicolas Sarkozy de multiplier les débats d'entre-deux-tours ?
Il a la mémoire courte ! Je rappelle qu'en 2007, j'avais demandé plusieurs débats, et qu'il avait refusé.
Etes-vous optimiste pour le second tour, le 6 mai ?
Les dynamiques de rassemblement font plus que s'additionner, elles se multiplient, comme disait François Mitterrand. Le camp de l'espoir va l'emporter sur celui de la peur.
Et la suite des opérations, à quel poste l'envisagez-vous ?
Le sujet n'est pas d'actualité. Toutes nos forces sont mobilisées sur le 6 mai.
Propos recueillis par David Revault d'Allonnes
Cette montée du Front national, nous l'avions sentie pendant la campagne de porte-à-porte. Outre le noyau dur des militants FN, beaucoup d'électeurs, qui ont le sentiment de perdre la main sur leur vie et que la France perd la main sur son destin pendant qu'une oligarchie financière continue à s'enrichir, ont exprimé à la fois une colère et une peur.
De plus, ceux qui avaient voté Sarkozy en 2007 se sont sentis trahis par les promesses non tenues sur la valeur travail ou sur la sécurité. Ils sont donc revenus au FN.
En quoi le chef de l'Etat est-il responsable de cette situation ?
Sa responsabilité, c'est d'avoir bafoué ses engagements. Ça a porté un coup au crédit de la politique. Plus personne ne croit à la sortie de crise, annoncée en 2010. Il avait parlé de la valeur travail, mais il a favorisé ceux qui s'enrichissent en dormant. Il a fustigé l'assistanat, mais il a assisté les riches par les avantages fiscaux. Il avait promis un Etat fort : nous avons eu le laisser-aller, sans aucun contrôle du système financier. Il avait promis de protéger les Français, or jamais les insécurités économiques, sociales, culturelles, éducatives n'ont été aussi fortes, sauf pour les privilégiés. Des millions de Français ont le sentiment d'être déclassés, et même de "dévisser".
Nicolas Sarkozy, en reprenant les thèmes du Front national, a-t-il selon vous favorisé la diffusion d'un lepénisme culturel ?
En essayant de capter dès le premier tour les voix de l'extrême droite, il a légitimé un certain nombre de débats et validé des idées que tout républicain humaniste combat. Avec un seul résultat, la montée du FN. A tel point qu'il est aujourd'hui embarqué dans une logique qu'il n'arrive plus à maîtriser. Il est allé tellement loin qu'il ne peut plus se dédire, provoquant un malaise au sein de son propre camp.
Le FN a conquis de nouveaux territoires, notamment dans les espaces ruraux. Comment l'expliquez-vous ?
On trouve là des paysans paupérisés par la crise de l'élevage qui voient disparaître le travail et la raison de vivre de plusieurs générations. Ou des ouvriers contraints de quitter les centres-villes, trop chers, pour partir vers les zones rurales ou péri-urbaines et rattrapés par le coût de l'essence et la solitude des territoires désindustrialisés. Des citoyens qui se sentent abandonnés, en perte de repères et révoltés par tant d'injustices.
L'aspect féminin de la candidature de Marine Le Pen a-t-il joué ?
C'est moins le fait d'être une femme que de parler de vie quotidienne et de sujets concrets. A l'époque de son père, qui était un repoussoir, moins de femmes votaient pour le FN. Une partie de cet électorat féminin paupérisé affirme aujourd'hui comprendre ce qu'elle dit. Ces femmes seules avec leurs enfants, davantage victimes de l'insécurité, ces femmes âgées avec de très petites retraites, ces salariées précaires ont basculé dans la peur du lendemain. Elles veulent crier leur attente d'une politique qui s'occupe d'elles. C'est ce que nous ferons, comme François Hollande s'y est engagé.
Le PS a-t-il échoué à renouer avec les classes populaires, comme vous aviez commencé à le faire en 2007 ?
Les quartiers ont moins voté qu'en 2007, mais plus que les sondages le prédisaient. Et le candidat socialiste y est en tête.
Comment François Hollande peut-il convaincre ces électeurs qui ont choisi le Front national au premier tour ?
Il s'agit de montrer que son projet répond aux préoccupations de ceux qui subissent les désordres et les insécurisations. Apporter les sécurités que les gens attendent, placer en priorité le travail, la réforme financière, la protection contre la mondialisation sauvage, c'est répondre à ces électeurs. Et c'est bon pour tout le pays. D'autres propositions de François Hollande, comme le blocage du prix de l'essence ou l'encadrement des marges dans la grande distribution, correspondent à ces attentes.
L'époque où Bernard Tapie, alors classé à gauche, traitait de "salauds" les électeurs du FN est donc bien révolue...
Il ne s'agit ni de cajoler ni de dénigrer et encore moins d'insulter, tout en combattant le poison de ces idées. Ce sont ceux qui exploitent la pauvreté et les peurs qui sont méprisables. Les habitants des quartiers populaires qui s'inquiètent des flux migratoires clandestins ne sont pas des racistes.
Pourquoi avoir affirmé que le droit de vote des étrangers aux élections locales "n'a jamais été une priorité" pour le Parti socialiste ?
Parce que la nouvelle stratégie de l'UMP est de cibler le débat uniquement sur l'immigration en déformant grossièrement les propositions. Il fallait donc absolument remettre leurs pendules à l'heure et rappeler que les priorités sont l'emploi, la justice sociale, la jeunesse, l'éducation.
Le camp présidentiel affirme aussi que M. Hollande vise une "régularisation massive" des sans-papiers. Est-ce exact ?
Non. Sur ce sujet comme sur d'autres, c'est une caricature, mais cela n'abuse personne.
François Hollande a-t-il mené la campagne qu'il fallait ?
Oui. Il ne s'est pas laissé détourner de sa méthode ni de sa ligne, il a su cristalliser le rejet de Sarkozy, il n'a pas fait d'erreur. Et il a gagné la première manche : arriver en tête.
Le score de Jean-Luc Mélenchon est-il un atout ou un caillou dans la chaussure du candidat Hollande ?
Son discours de soutien a été fait avec panache, sans réserve. Il n'a pas attendu un jour ou deux, envoyé des questionnaires... Et puis, avec 11 %, il a réussi à créer un vrai courant d'idées intéressantes. Ce score lui permet d'exister et de continuer à défendre ses convictions, sans pour autant nous prendre en otage ni fragiliser le cœur de notre projet.
Que vous inspire, vous qui l'avez affronté en 2007, la proposition de Nicolas Sarkozy de multiplier les débats d'entre-deux-tours ?
Il a la mémoire courte ! Je rappelle qu'en 2007, j'avais demandé plusieurs débats, et qu'il avait refusé.
Etes-vous optimiste pour le second tour, le 6 mai ?
Les dynamiques de rassemblement font plus que s'additionner, elles se multiplient, comme disait François Mitterrand. Le camp de l'espoir va l'emporter sur celui de la peur.
Et la suite des opérations, à quel poste l'envisagez-vous ?
Le sujet n'est pas d'actualité. Toutes nos forces sont mobilisées sur le 6 mai.
Propos recueillis par David Revault d'Allonnes