La lutte contre l’oppression coloniale a connu une autre forme avec l’avènement d’Ahmadou Bamba qui a choisi de mener sa résistance sur le terrain culturel et idéologique. Après avoir étudié et réfléchi mûrement sur les méthodes utilisées par ses prédécesseurs qui avaient opté pour la résistance armée, soit à des fins politiques ou djihadistes, le Cheikh a pu réaliser l’inefficacité des moyens de résistance employés par ces derniers. Ainsi a-t-il contourné la méthode forte jadis connue pour faire face à l’envahisseur, pour organiser son djihad autour du concept de la non-violence.
Accusé à tort par le colon de nourrir des intentions djihadistes armées, Cheikhoul Khadime réaffirme son engagement à servir la cause de l’Islam et hisser son étendard au-dessus de toute autre volonté mais d’une manière basée sur « les sciences et la piété », non pas sur les armes conventionnelle connues pour cet effet. S’adressant à ses persécuteurs, il explique la nature du djihad qu’il mène et dans lequel il compte demeurer, et les armes dont il dispose pour faire capituler ses ennemis : « Vous m’avez déporté alléguant que je suis un adorateur du Seigneur doublé d’un djihadiste. Vous avez certes raison car je mène le djihad pour l’amour de Dieu. Mais mon djihad se fait à travers les sciences et la piété, en ma qualité d’esclave de Dieu et de serviteur de son Prophète ; et Allah qui régente toute chose en est témoin. ( …) Si mes ennemis possèdent des armes pour lesquelles ils sont redoutés, mes armes quant à moi, sont le Coran et les hadiths du Prophète (PSL) et c’est ainsi que je mène le djihad »
Pour cerner la capacité prospective qui a abouti à la méthode utilisée par le guide des mourides, il convient de rappeler ici que contrairement à l’occupation anglaise, l’objectif de l’occupation française ne se limitait pas seulement à l’exploitation des richesses dans les territoires contrôlés. Mais la France à travers sa mission dite « civilisatrice » des africains, visait également à coloniser les esprits et les cœurs par sa politique d’Acculturation et d’Aliénation des Indigènes. C’est pour cette raison que le fondateur du Mouridisme a consacré plus d’effort durant son combat à la lutte contre l’objectif numéro deux de l’impérialisme français c'est-à-dire l’aliénation intellectuelle et culturelle mise en pratique par des missionnaires chrétiens et autres précepteurs au service commandé de la prétendue mission civilisatrice, fardeau de l’occident. Il préférait de très loin le pillage de nos ressources économiques et leur exploitation ailleurs, au formatage de nos esprits, gage de la perte de notre identité culturelle et cultuelle.
Pour expliquer cette préférence, le Cheikh avait l’habitude de dire à ses disciples que : « tôt ou tard, l’occupation partira un jour et qu’après son départ, la terre continuera toujours à fournir des richesses dont nous pourront profiter librement. Mais si par malheur, l’envahisseur réussissait à coloniser nos esprits et nos cœurs, ce sera alors nous-mêmes qui nous précipiterions chez lui, même après son départ, pour lui apporter nos richesses sur un plateau d’argent ».
Serigne Touba n’a jamais cessé de conscientiser ses coreligionnaires sur le complexe d’infériorité auquel l’homme noir était toujours confronté vis-à-vis des occidentaux. Pour annihiler toutes formes de complexe du cœur des africains en général et de ses compatriotes en en particulier envers les autres civilisations et cultures, il avait l’habitude de tenir un discours révolutionnaire aux relents de la révolte que l’administration coloniale qualifiait de subversif. Ce passage extrait de son ouvrage « Ilhâmu Salâm » (Inspiration procédant du [Seigneur] qui assure la Paix, nous dit assez long de sa détermination contre l’ancrage de contre valeurs dans la société sénégalaise : « Sachez que ces Occidentaux ont été égarés par] Satan qui les a menés vers la désobéissance divine, l'audace et la perdition. Il les a leurrés de par son stratagème au point qu'ils se sont mis à parcourir, avec arrogance, le monde entier et à opprimer [les peuples].
Cependant, ceux [d'entre les indigènes] qui ne suivent que leurs passions et les ignorants en sont arrivés à penser
qu'ils sont d'un genre supérieur et dotés d'une suprématie naturelle. Ces stupides insensés n'hésitent même pas à les considérer comme les seigneurs des nobles hommes de Dieu, le Détenteur de la Majesté ! (…) Aussi les imitent-ils dans la débauche et le vol, de même que dans des habitudes immorales autres que celles- ci. (…) Certains d'entre ces indigènes en arrivent à oublier [DIEU], le MAJESTUEUX, et Son Prophète (…) Ils sont désormais convaincus que "la Force et la Puissance" en actes sont entièrement dévolues aux colons, au même titre que le Pouvoir. Alors qu'en réalité la Force et la Puissance véritables reviennent exclusivement au Créateur des cieux, notre SEIGNEUR, le Novateur (...) D'aucuns, parmi ces autochtones, ne pensent qu'à les imiter, ne se souciant point, ce faisant, [de suivre les traces du Prophète Élu] selon la Volonté du Créateur, l'Infiniment Capable. (…) Sachez que je n'ai relevé [tous ces travers] que dans le seul but de faire reprendre conscience. Ô vous les miens, réveillez- vous de l'ivresse du sommeil ! (...) ».
La peau noire a eu en la personne de Cheikh Ahmadou Bamba un défenseur infatigable et objectif contre un préjugé délibérément entretenu par les occidentaux et naïvement accepté par beaucoup d’africains admirateurs de l’autre monde. En effet, il s’est fortement employé à briser les idées préconçues qui font des noirs des sous hommes dotés d’une intelligence naturellement inférieure à celle des blancs. Il est important de souligner ici, que le serviteur du Prophète a mené ce combat de réhabilitation de la peau noire, des années durant, avant l’émergence de grandes figures noires considérées comme précurseurs du panafricanisme ou plus tard de la négritude. Le panafricanisme qui d’autant plus, est véritablement enfanté par la Diaspora africaine. Ses premiers concepteurs sont en effet, les élites Noirs descendants des esclaves.
Les Africains du continent ne rejoindront le mouvement qu’à la moitié du 20ème siècle. Ces mouvements sont certes, révélateurs d'une idée fondamentale, qui est celle d'accorder au peuple noir, principalement issu de l'esclavage, une Histoire, une place essentielle dans l'apport culturel de la société et par le fait pour se défaire du clivage moral qu’a entraîné la traite négrière, et la négation de soi, pour chaque noir d'Occident. Mas situer leur naissance à l’émergence de figures comme William Edward Burghardt Du Bois plus connu sous l’acronyme de: « W. E. B. » Du Bois, Marcus GARVEY et Kwame N’KRUMAH, chantres du panafricanisme relève d’une distorsion des faits historiques et à la limite, d’une malhonnête intellectuelle qui ne dit pas son nom. De même que, quand on parle de la négritude, on pense immédiatement à Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas qui mirent en avant pour la première fois le terme et la notion de Négritude dans la revue « L'Etudiant noir », en 1934, soit sept ans après la disparition de Cheikh Ahmadou Bamba.
De toute évidence, W.E.B Du Bois, l’aîné des panafricanistes précités est moins âgé d’au moins dix ans par rapport à Cheikh Ahmadou Bamba et la précocité intellectuelle du saint homme lui a permis, dès son adolescence, d’écrire des ouvrages et de mener des actions inhabituelles d’un adolescent. Donc à partir de là, la paternité, nous ne disons pas, de ces concepts et notions, mais de ce combat peut être aisément situé dans le temps et dans l’espace pour essayer un peu, de reconstituer une déformation de l’histoire de la révolution africaine.
Bien que la motivation des panafricanistes caractérisée par une ambition de certains d’entre eux d’accéder au pouvoir, soit complètement différente de celle de Cheikh Ahmadou Bamba, qui n’avait aucune ambition autre que de renforcer l’Islam dans continent où le lavage de cerveau des indigènes et la campagne d’évangélisation par les missionnaires français étaient à leur comble. Donc, la nature de leurs combats diffère dans une certaine mesure, mais du point de vue de leurs aspects identitaires, il est possible de les mettre en parallèle. D’autant plus qu’ici, nous nous intéressons plus à la dimension humaine, ésotérique et logique saisissable par tout individu doté d’un minimum potentiel de comprendre, qu’à la dimension religieuse et exotérique du Cheikh.
Il est raisonnable d’admettre que la simple évocation du panafricanisme ou de la négritude renvoient aux noms des personnes citées en haut, si l’on considère que ce sont elles qui en ont crée les concepts et les notions. Mais du point de vu de l’apport culturel et de la défense de la dignité africaine, Ahmadou Bamba est hors catégorie. Dans tous les congrès et conférences panafricains organisés, de la première conférence tenue en juillet 1900 à Londres, aux deux dernières tenues sur le continent africain en 1953 à Kumassi et en 1958 à Accra, un discours plus révolutionnaire et plus fier que ce qu’Ahmadou Bamba énonce dans son livre intitulé « Les itinéraires du paradis » (Masaalikul Jinaan), n’a été prononcé. Ici, le guide spirituel invite les gens qui ont un complexe de supériorité envers le noir de juger ses idées et ses écrits sur la base de leur pertinence ou non, sans considérations subjectives sur sa qualité d’homme noir dont il affiche d’ailleurs pleinement, la fierté: « Ne te laisse pas abuser par ma condition d’homme noir pour ne pas profiter de mon ouvrage. Car, l’homme le plus honorable auprès de Dieu est, assurément, celui qui le craint le plus et cela, sans distinction d’aucune sorte ! En effet, la couleur noire de la peau ne saurait en aucune façon, être l’origine de la bêtise d’un homme ou de sa compréhension défectueuse ». Cette prise de conscience de soi et de son identité fût prégnante dans toute l’œuvre intellectuelle du Cheikh, bien que son message global s’adresse à toute l’existence.
Son engagement religieux, ses prise de positions jugées radicales par l’administration coloniale et le fort sentiment de défiance suscité par l'incroyable affluence faisant jour auprès de Cheikh Ahmadou BAMBA et les effets radicaux que produisait sa formation sur les nouveaux mourides, furent à la base de fortes oppositions de certains guides envieux et des chefs indigènes désemparés. Tout ceci a valu au serviteur du prophète (PSL) de subir entre les mains des colons ce qu’aucun autre résistant n’a subi dans l’histoire coloniale de l’Afrique. Trente et un an de privation de liberté, avec quelques fois un traitement inhumain qui bafoue les règles les plus élémentaires des droits de l’homme: sept ans et huit mois d’internement au Gabon, quatre ans d’exil en Mauritanie, quatre ans et demi de résidence surveillée à Thiéyène et quinze ans encore de résidence surveillée à Diourbel jusqu’à son rappel à Dieu en 1927. Ceci, depuis son déferrement à la convocation du Gouverneur Général suite à une alarmante correspondance du Commandant LECLERC, Administrateur de Saint-Louis l’incriminant pour « agitations causées par son enseignement ».
Ce jour de 18 du mois de Safar 1313 de l'Hégire, correspondant au samedi 10 Août 1895, constituera, plus tard, celui de la célébration du grand Magal de Touba, car cette épreuve préfigurait déjà aux yeux du Cheikh le Succès et les Avantages Inestimables que le TOUT-PUISSANT dissimulait dans le service qu'il comptait effectuer pour le Meilleur des humains, le Prophète (PSL). Toutes ces péripéties et tant d’autre sur lesquelles l’exigüité de l’espace dont nous disposons ne permet pas de revenir, n’ont pas empêché à Ahmadou Bamba de continuer sa marche victorieuse, qui aboutit à la création de la Mouridiya en 1882 alors qu’il était âgé seulement, de 29 ans. Cela, dans un contexte socioculturel marqué par la prééminence de deux confréries en Afrique ; à savoir : la Quadriya et la Tidjaniya.
Fidèle à ses visées spirituelles inégalables, Cheikhoul Khadime, appartenant au paravent et par héritage de son père, à la Tariqua Quadiriya née en Irak et pratiquant de sa propre volonté la Tarîqa Tidjaniya née au Maroc, avait une ambition religieuse qui surpassait de très loin tout ce que ces cadres de dévotion offraient comme opportunités pour répondre à ses aspirations spirituelles et celles de ses disciples. Ainsi, a-t-il proposé au sénégalais une offre made in Sénégal, tout en suivant une approche prospective efficace et adaptée aux réalités du milieu, avant de mettre sur le marché islamique un produit appelé Almouridiya. Ce produit, bien que sénégalais étant né au Sénégal, s’inscrit dans une dynamique universelle, de par ses normes d’un Bien commun non appropriable, et ciblant toute l'humanité.
Par un souci d’inclusion évitant toute forme d’exclusion, il a chois la dénomination commune que tous les Maîtres Soufis appliquent sur celui qui embrasse le soufisme (Al mouride) signifiant l’aspirant à Dieu, pour nommer celui qui lui fait acte d’allégeance, et Almouridiya constituant le cadre d’épanouissement religieux du Mouride, pour désigner la voie qu’il a fondée. Qui alors parmi tous les musulmans ne se réclamerait aspirant à Dieu ?
Le respect et la vénération que le fondateur de la Mouridiya, ou Mouridisme, voue aux guides des anciennes confréries qu’il a pratiquées ne lui ont pas empêché de croire qu’avec la forte conviction et la persévérance dans la voie de Dieu, il est possible d’arriver à leurs niveaux ou pourquoi pas, les dépasser. Pour Khadimou Rassoul, ces guides ont obtenu leurs rangs auprès du SEIGNEUR, et atteint leurs niveaux de spiritualité grâce à leur engagement indéfectible sur la voie de Dieu. Il dit dans Masaalikul Jinaan – ce qui fait montre de son affranchissement dès le bas âge du complexe racial et idéologique - afin de prouver que rééditer la même prouesse est possible : « N’accordez pas l’exclusivité des Avantages de Dieu aux seuls anciens car vous tomberez alors dans l’égarement. Il arrive souvent qu’un homme des temps modernes maîtrise des secrets qu’ignoraient les hommes des temps anciens… ».
Pour témoigner le mérite de ces érudits de l’Islam, ce qui dénote de son ouverture d’esprit, il écrit à leur égard : « Tous les wirds (confréries) mènent le disciple qui s’y consacre assidument vers le voisinage de Dieu. Peu importe que ce wird provienne de Cheikh Abdoul Khadre Al-djlîânî, de Cheikh Ahmed At-tîdjânî ou d’un autre parmi les pôles spirituels. Car, ils sont tous, dans la bonne direction et incitent les disciples dans l’adoration du Maître du Trône et les conduisent vers le droit chemin. Gardez-vous donc de jamais mépriser un quelconque wird ou d’en critiquer un autre » (Masaalikul Jinaan). Cet extrait montre la conviction qu’Ahmadou Bamba a toujours eu que dans son Khidma (service rendu au Prophète), il pouvait allait plus loin que n’importe quel autre serviteur et jusqu’à surtout, offrir aux disciples qui le suivent un cadre de pratique religieuse, qui leur facilite l’accession au voisinage de Dieu. Mais également, son ouverture aux vents fécondants des autres voies et opportunités offertes par ses prédécesseurs en Islam.
Dans le contexte actuel où l’islam souffre du terrorisme, par le fait de Jihadistes ayant une lecture biaisée du message coranique transmis le Prophète Mouhamed (PSL), et mis en pratique de la meilleure des façons par Cheikh Ahmadou Bamba ; et que des jeunes qui ont subi un lavage de cerveau servent de cobayes à ces djihadistes pour exécuter leurs plans macabres, son enseignement doit être assimilés pour de bon. La forme du djihad mené par Ahmadou Bamba et les résultats qu’il a donnés, invitent à revisiter son œuvre, au grand bénéfice de l’Homme. Si les combattants «au nom de l’Islam» des temps qui courent s’inscrivaient dans la logique que le saint homme nous a léguée, basée sur les sciences et la piété, et mettant l’accent sur le verstes 125 de la Sourate 16 du Coran, qui s’adressait ainsi prophète de l’Islam : « Appelle vers la voie de ton Seigneur par la sagesse et la belle prédication… », il n’y aurait pas aujourd’hui, de menace terroriste attribuée à l’Islam qui est pourtant une religion de paix, encore moins d’attentats opérant des carnages sur de paisibles innocents qui n’ont rien à voir avec les tensions et autres positionnements géopolitiques de certains pays occidentaux et par fois provocateurs, souvent à l’origine de ces attaques ciblées et imprévisibles.
Dieureudieuf Serigne Touba !
Serigne Saliou FALL
Petit Fils de Cheikh Ibra FALL
Mail : serignesalioufall2@gmail.com
Accusé à tort par le colon de nourrir des intentions djihadistes armées, Cheikhoul Khadime réaffirme son engagement à servir la cause de l’Islam et hisser son étendard au-dessus de toute autre volonté mais d’une manière basée sur « les sciences et la piété », non pas sur les armes conventionnelle connues pour cet effet. S’adressant à ses persécuteurs, il explique la nature du djihad qu’il mène et dans lequel il compte demeurer, et les armes dont il dispose pour faire capituler ses ennemis : « Vous m’avez déporté alléguant que je suis un adorateur du Seigneur doublé d’un djihadiste. Vous avez certes raison car je mène le djihad pour l’amour de Dieu. Mais mon djihad se fait à travers les sciences et la piété, en ma qualité d’esclave de Dieu et de serviteur de son Prophète ; et Allah qui régente toute chose en est témoin. ( …) Si mes ennemis possèdent des armes pour lesquelles ils sont redoutés, mes armes quant à moi, sont le Coran et les hadiths du Prophète (PSL) et c’est ainsi que je mène le djihad »
Pour cerner la capacité prospective qui a abouti à la méthode utilisée par le guide des mourides, il convient de rappeler ici que contrairement à l’occupation anglaise, l’objectif de l’occupation française ne se limitait pas seulement à l’exploitation des richesses dans les territoires contrôlés. Mais la France à travers sa mission dite « civilisatrice » des africains, visait également à coloniser les esprits et les cœurs par sa politique d’Acculturation et d’Aliénation des Indigènes. C’est pour cette raison que le fondateur du Mouridisme a consacré plus d’effort durant son combat à la lutte contre l’objectif numéro deux de l’impérialisme français c'est-à-dire l’aliénation intellectuelle et culturelle mise en pratique par des missionnaires chrétiens et autres précepteurs au service commandé de la prétendue mission civilisatrice, fardeau de l’occident. Il préférait de très loin le pillage de nos ressources économiques et leur exploitation ailleurs, au formatage de nos esprits, gage de la perte de notre identité culturelle et cultuelle.
Pour expliquer cette préférence, le Cheikh avait l’habitude de dire à ses disciples que : « tôt ou tard, l’occupation partira un jour et qu’après son départ, la terre continuera toujours à fournir des richesses dont nous pourront profiter librement. Mais si par malheur, l’envahisseur réussissait à coloniser nos esprits et nos cœurs, ce sera alors nous-mêmes qui nous précipiterions chez lui, même après son départ, pour lui apporter nos richesses sur un plateau d’argent ».
Serigne Touba n’a jamais cessé de conscientiser ses coreligionnaires sur le complexe d’infériorité auquel l’homme noir était toujours confronté vis-à-vis des occidentaux. Pour annihiler toutes formes de complexe du cœur des africains en général et de ses compatriotes en en particulier envers les autres civilisations et cultures, il avait l’habitude de tenir un discours révolutionnaire aux relents de la révolte que l’administration coloniale qualifiait de subversif. Ce passage extrait de son ouvrage « Ilhâmu Salâm » (Inspiration procédant du [Seigneur] qui assure la Paix, nous dit assez long de sa détermination contre l’ancrage de contre valeurs dans la société sénégalaise : « Sachez que ces Occidentaux ont été égarés par] Satan qui les a menés vers la désobéissance divine, l'audace et la perdition. Il les a leurrés de par son stratagème au point qu'ils se sont mis à parcourir, avec arrogance, le monde entier et à opprimer [les peuples].
Cependant, ceux [d'entre les indigènes] qui ne suivent que leurs passions et les ignorants en sont arrivés à penser
qu'ils sont d'un genre supérieur et dotés d'une suprématie naturelle. Ces stupides insensés n'hésitent même pas à les considérer comme les seigneurs des nobles hommes de Dieu, le Détenteur de la Majesté ! (…) Aussi les imitent-ils dans la débauche et le vol, de même que dans des habitudes immorales autres que celles- ci. (…) Certains d'entre ces indigènes en arrivent à oublier [DIEU], le MAJESTUEUX, et Son Prophète (…) Ils sont désormais convaincus que "la Force et la Puissance" en actes sont entièrement dévolues aux colons, au même titre que le Pouvoir. Alors qu'en réalité la Force et la Puissance véritables reviennent exclusivement au Créateur des cieux, notre SEIGNEUR, le Novateur (...) D'aucuns, parmi ces autochtones, ne pensent qu'à les imiter, ne se souciant point, ce faisant, [de suivre les traces du Prophète Élu] selon la Volonté du Créateur, l'Infiniment Capable. (…) Sachez que je n'ai relevé [tous ces travers] que dans le seul but de faire reprendre conscience. Ô vous les miens, réveillez- vous de l'ivresse du sommeil ! (...) ».
La peau noire a eu en la personne de Cheikh Ahmadou Bamba un défenseur infatigable et objectif contre un préjugé délibérément entretenu par les occidentaux et naïvement accepté par beaucoup d’africains admirateurs de l’autre monde. En effet, il s’est fortement employé à briser les idées préconçues qui font des noirs des sous hommes dotés d’une intelligence naturellement inférieure à celle des blancs. Il est important de souligner ici, que le serviteur du Prophète a mené ce combat de réhabilitation de la peau noire, des années durant, avant l’émergence de grandes figures noires considérées comme précurseurs du panafricanisme ou plus tard de la négritude. Le panafricanisme qui d’autant plus, est véritablement enfanté par la Diaspora africaine. Ses premiers concepteurs sont en effet, les élites Noirs descendants des esclaves.
Les Africains du continent ne rejoindront le mouvement qu’à la moitié du 20ème siècle. Ces mouvements sont certes, révélateurs d'une idée fondamentale, qui est celle d'accorder au peuple noir, principalement issu de l'esclavage, une Histoire, une place essentielle dans l'apport culturel de la société et par le fait pour se défaire du clivage moral qu’a entraîné la traite négrière, et la négation de soi, pour chaque noir d'Occident. Mas situer leur naissance à l’émergence de figures comme William Edward Burghardt Du Bois plus connu sous l’acronyme de: « W. E. B. » Du Bois, Marcus GARVEY et Kwame N’KRUMAH, chantres du panafricanisme relève d’une distorsion des faits historiques et à la limite, d’une malhonnête intellectuelle qui ne dit pas son nom. De même que, quand on parle de la négritude, on pense immédiatement à Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas qui mirent en avant pour la première fois le terme et la notion de Négritude dans la revue « L'Etudiant noir », en 1934, soit sept ans après la disparition de Cheikh Ahmadou Bamba.
De toute évidence, W.E.B Du Bois, l’aîné des panafricanistes précités est moins âgé d’au moins dix ans par rapport à Cheikh Ahmadou Bamba et la précocité intellectuelle du saint homme lui a permis, dès son adolescence, d’écrire des ouvrages et de mener des actions inhabituelles d’un adolescent. Donc à partir de là, la paternité, nous ne disons pas, de ces concepts et notions, mais de ce combat peut être aisément situé dans le temps et dans l’espace pour essayer un peu, de reconstituer une déformation de l’histoire de la révolution africaine.
Bien que la motivation des panafricanistes caractérisée par une ambition de certains d’entre eux d’accéder au pouvoir, soit complètement différente de celle de Cheikh Ahmadou Bamba, qui n’avait aucune ambition autre que de renforcer l’Islam dans continent où le lavage de cerveau des indigènes et la campagne d’évangélisation par les missionnaires français étaient à leur comble. Donc, la nature de leurs combats diffère dans une certaine mesure, mais du point de vue de leurs aspects identitaires, il est possible de les mettre en parallèle. D’autant plus qu’ici, nous nous intéressons plus à la dimension humaine, ésotérique et logique saisissable par tout individu doté d’un minimum potentiel de comprendre, qu’à la dimension religieuse et exotérique du Cheikh.
Il est raisonnable d’admettre que la simple évocation du panafricanisme ou de la négritude renvoient aux noms des personnes citées en haut, si l’on considère que ce sont elles qui en ont crée les concepts et les notions. Mais du point de vu de l’apport culturel et de la défense de la dignité africaine, Ahmadou Bamba est hors catégorie. Dans tous les congrès et conférences panafricains organisés, de la première conférence tenue en juillet 1900 à Londres, aux deux dernières tenues sur le continent africain en 1953 à Kumassi et en 1958 à Accra, un discours plus révolutionnaire et plus fier que ce qu’Ahmadou Bamba énonce dans son livre intitulé « Les itinéraires du paradis » (Masaalikul Jinaan), n’a été prononcé. Ici, le guide spirituel invite les gens qui ont un complexe de supériorité envers le noir de juger ses idées et ses écrits sur la base de leur pertinence ou non, sans considérations subjectives sur sa qualité d’homme noir dont il affiche d’ailleurs pleinement, la fierté: « Ne te laisse pas abuser par ma condition d’homme noir pour ne pas profiter de mon ouvrage. Car, l’homme le plus honorable auprès de Dieu est, assurément, celui qui le craint le plus et cela, sans distinction d’aucune sorte ! En effet, la couleur noire de la peau ne saurait en aucune façon, être l’origine de la bêtise d’un homme ou de sa compréhension défectueuse ». Cette prise de conscience de soi et de son identité fût prégnante dans toute l’œuvre intellectuelle du Cheikh, bien que son message global s’adresse à toute l’existence.
Son engagement religieux, ses prise de positions jugées radicales par l’administration coloniale et le fort sentiment de défiance suscité par l'incroyable affluence faisant jour auprès de Cheikh Ahmadou BAMBA et les effets radicaux que produisait sa formation sur les nouveaux mourides, furent à la base de fortes oppositions de certains guides envieux et des chefs indigènes désemparés. Tout ceci a valu au serviteur du prophète (PSL) de subir entre les mains des colons ce qu’aucun autre résistant n’a subi dans l’histoire coloniale de l’Afrique. Trente et un an de privation de liberté, avec quelques fois un traitement inhumain qui bafoue les règles les plus élémentaires des droits de l’homme: sept ans et huit mois d’internement au Gabon, quatre ans d’exil en Mauritanie, quatre ans et demi de résidence surveillée à Thiéyène et quinze ans encore de résidence surveillée à Diourbel jusqu’à son rappel à Dieu en 1927. Ceci, depuis son déferrement à la convocation du Gouverneur Général suite à une alarmante correspondance du Commandant LECLERC, Administrateur de Saint-Louis l’incriminant pour « agitations causées par son enseignement ».
Ce jour de 18 du mois de Safar 1313 de l'Hégire, correspondant au samedi 10 Août 1895, constituera, plus tard, celui de la célébration du grand Magal de Touba, car cette épreuve préfigurait déjà aux yeux du Cheikh le Succès et les Avantages Inestimables que le TOUT-PUISSANT dissimulait dans le service qu'il comptait effectuer pour le Meilleur des humains, le Prophète (PSL). Toutes ces péripéties et tant d’autre sur lesquelles l’exigüité de l’espace dont nous disposons ne permet pas de revenir, n’ont pas empêché à Ahmadou Bamba de continuer sa marche victorieuse, qui aboutit à la création de la Mouridiya en 1882 alors qu’il était âgé seulement, de 29 ans. Cela, dans un contexte socioculturel marqué par la prééminence de deux confréries en Afrique ; à savoir : la Quadriya et la Tidjaniya.
Fidèle à ses visées spirituelles inégalables, Cheikhoul Khadime, appartenant au paravent et par héritage de son père, à la Tariqua Quadiriya née en Irak et pratiquant de sa propre volonté la Tarîqa Tidjaniya née au Maroc, avait une ambition religieuse qui surpassait de très loin tout ce que ces cadres de dévotion offraient comme opportunités pour répondre à ses aspirations spirituelles et celles de ses disciples. Ainsi, a-t-il proposé au sénégalais une offre made in Sénégal, tout en suivant une approche prospective efficace et adaptée aux réalités du milieu, avant de mettre sur le marché islamique un produit appelé Almouridiya. Ce produit, bien que sénégalais étant né au Sénégal, s’inscrit dans une dynamique universelle, de par ses normes d’un Bien commun non appropriable, et ciblant toute l'humanité.
Par un souci d’inclusion évitant toute forme d’exclusion, il a chois la dénomination commune que tous les Maîtres Soufis appliquent sur celui qui embrasse le soufisme (Al mouride) signifiant l’aspirant à Dieu, pour nommer celui qui lui fait acte d’allégeance, et Almouridiya constituant le cadre d’épanouissement religieux du Mouride, pour désigner la voie qu’il a fondée. Qui alors parmi tous les musulmans ne se réclamerait aspirant à Dieu ?
Le respect et la vénération que le fondateur de la Mouridiya, ou Mouridisme, voue aux guides des anciennes confréries qu’il a pratiquées ne lui ont pas empêché de croire qu’avec la forte conviction et la persévérance dans la voie de Dieu, il est possible d’arriver à leurs niveaux ou pourquoi pas, les dépasser. Pour Khadimou Rassoul, ces guides ont obtenu leurs rangs auprès du SEIGNEUR, et atteint leurs niveaux de spiritualité grâce à leur engagement indéfectible sur la voie de Dieu. Il dit dans Masaalikul Jinaan – ce qui fait montre de son affranchissement dès le bas âge du complexe racial et idéologique - afin de prouver que rééditer la même prouesse est possible : « N’accordez pas l’exclusivité des Avantages de Dieu aux seuls anciens car vous tomberez alors dans l’égarement. Il arrive souvent qu’un homme des temps modernes maîtrise des secrets qu’ignoraient les hommes des temps anciens… ».
Pour témoigner le mérite de ces érudits de l’Islam, ce qui dénote de son ouverture d’esprit, il écrit à leur égard : « Tous les wirds (confréries) mènent le disciple qui s’y consacre assidument vers le voisinage de Dieu. Peu importe que ce wird provienne de Cheikh Abdoul Khadre Al-djlîânî, de Cheikh Ahmed At-tîdjânî ou d’un autre parmi les pôles spirituels. Car, ils sont tous, dans la bonne direction et incitent les disciples dans l’adoration du Maître du Trône et les conduisent vers le droit chemin. Gardez-vous donc de jamais mépriser un quelconque wird ou d’en critiquer un autre » (Masaalikul Jinaan). Cet extrait montre la conviction qu’Ahmadou Bamba a toujours eu que dans son Khidma (service rendu au Prophète), il pouvait allait plus loin que n’importe quel autre serviteur et jusqu’à surtout, offrir aux disciples qui le suivent un cadre de pratique religieuse, qui leur facilite l’accession au voisinage de Dieu. Mais également, son ouverture aux vents fécondants des autres voies et opportunités offertes par ses prédécesseurs en Islam.
Dans le contexte actuel où l’islam souffre du terrorisme, par le fait de Jihadistes ayant une lecture biaisée du message coranique transmis le Prophète Mouhamed (PSL), et mis en pratique de la meilleure des façons par Cheikh Ahmadou Bamba ; et que des jeunes qui ont subi un lavage de cerveau servent de cobayes à ces djihadistes pour exécuter leurs plans macabres, son enseignement doit être assimilés pour de bon. La forme du djihad mené par Ahmadou Bamba et les résultats qu’il a donnés, invitent à revisiter son œuvre, au grand bénéfice de l’Homme. Si les combattants «au nom de l’Islam» des temps qui courent s’inscrivaient dans la logique que le saint homme nous a léguée, basée sur les sciences et la piété, et mettant l’accent sur le verstes 125 de la Sourate 16 du Coran, qui s’adressait ainsi prophète de l’Islam : « Appelle vers la voie de ton Seigneur par la sagesse et la belle prédication… », il n’y aurait pas aujourd’hui, de menace terroriste attribuée à l’Islam qui est pourtant une religion de paix, encore moins d’attentats opérant des carnages sur de paisibles innocents qui n’ont rien à voir avec les tensions et autres positionnements géopolitiques de certains pays occidentaux et par fois provocateurs, souvent à l’origine de ces attaques ciblées et imprévisibles.
Dieureudieuf Serigne Touba !
Serigne Saliou FALL
Petit Fils de Cheikh Ibra FALL
Mail : serignesalioufall2@gmail.com