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Vendredi 7 Octobre 2016

Cheikh Kanté (DG du Port) –Portrait d’un golden-boy controversé…




Directeur général du Port autonome de Dakar depuis le 9 mai 2012, Cheikh Kanté s’est exposé à l’opinion publique par des pratiques jugées indélicates telle que la distribution facile d’argent à des fins politiciennes. Lui met en avant sa volonté de soutenir des couches défavorisées de la population à travers les possibilités que lui offre une station presqu’arrachée à Macky Sall dont il fut un ennemi irréductible au service…d’Abdoulaye Wade. Mais ça, c’était avant l’alternance. La transhumance est passée par là. Portrait d’un golden-boy écartelé entre racines sérères et origines bambara

Pas trop connu des Sénégalais, à part les frasques qui semblent lui coller à la peau. Cheikh Kanté occupe le devant de la scène depuis que le Président Macky Sall l’a nommé au poste de Directeur général du Port autonome de Dakar (Pad). Ange pour les uns, démon pour d’autres, cet homme qui a refusé de nous dire son âge – à quelle fin ? – semble vivre entre deux époques, ni vraiment jeune, ni franchement vieux. Un entre-deux qu’on rattacherait aisément au doublon de ses origines : fils d’une sérère de Fatick (Sénégal) et d’un bambara de Ségou (Mali).

De capacitaire en droit au doctorat

Ses collaborateurs le décrivent comme un bosseur qui a fait son trou en surmontant les obstacles d’un chemin sinueux. Son curriculum vitae officiel en témoigne. Modeste capacitaire en droit venu du bled fatickois, il parvient à obtenir deux doctorats en sciences de gestion de l’université d’Orléans et de Paris Dauphine. Auparavant, il avait déjà défriché le terrain des études avec un brevet technique de comptabilité et de gestion d’entreprise, une maîtrise professionnalisée de gestion des entreprises et des organisations au Cesag de Dakar…

La liste est longue qui justifie que, dans ses cercles d’amitiés et de fréquentation, on l’affuble du qualificatif de «tête bien faite». Pourquoi pas pleine ? Sauf que, indique un membre de la mouvance présidentielle, accumuler les diplômes aujourd’hui à l’heure des séminaires en tous genres ici et ailleurs ne coûte plus vraiment les yeux de la…tête. «Avec des moyens, de l’organisation et un calendrier de cours bien ficelé et respecté, on y arrive», persifle-t-il.

Diplômé, mais également écrivain, à sa manière, rappelle son cv. À son actif, Cheikh Kanté a produit des ouvrages comme «La camisole de force», «Les 500 mots de la gestion à l’ère du numérique» ou encore «Management du capital humain». Ce dernier livre a été coécrit avec des auteurs dont le professeur Paul Valentin Ngobo de l’Institut d’administration des entreprises à l’Université d’Orléans. «C’est un homme qui a beaucoup travaillé dans sa vie pour arriver à ce stade. Il n’a pas froid aux yeux lorsqu’il s’agit du travail. En réalité, c’est un bosseur. Or au Sénégal, on n’aime pas les bosseurs», se désole Aby Ndiaye, fraîche retraitée du Pad.

L’arme de Wade contre Macky et vice-versa
Avant de poser ses baluchons à l’alliance pour la république (Apr), Cheikh Kanté a pourtant été un farouche adversaire du chef de l’Etat Macky Sall. «Ses affaires marchaient très bien, elles étaient florissantes même, raconte un militant de la première heure du parti démocratique sénégalais. C’est en 2009 que Me Wade l’a spécialement affecté à Fatick pour qu’il combatte Macky Sall.»

Ce dernier avait quitté le Pds quelques mois auparavant et était en quête d’un nouveau destin politique. Et même après la victoire de Sall à la mairie de Fatick, dans la foulée des grandes performances de l’opposition dans les grandes villes, « une lutte fratricide a opposé les deux hommes jusqu’en 2011.»

A en croire Cheikh Kanté, c’est Ousmane Masseck Ndiaye qui lui avait demandé d’être le candidat du Pds à Fatick lors des locales de 2009. «Il était un ami très proche avec qui j’ai fait le Cesag. C’est bel et bien lui qui m’a fait la proposition, même s’il était certain que Macky Sall y était imbattable.»

Pour ce qui est de sa transhumance à l’Apr, il semble que les choses aient été un peu plus compliquées. Selon nos informations, l’ex-futur directeur général du Pad a été débauché du Pds par Diène Farba Sarr «qui avait de l’influence sur Macky, notamment grâce à sa perspicacité». Sall avait refusé, jugeant problématique d’offrir un poste à celui qui était venu le combattre sur ses propres terres après son deuil du Pds.

D’autant plus réticent d’ailleurs que Kanté, selon nos informations, avait clairement formulé son souhait, une exigence : la direction générale du…Port autonome de Dakar. Dans le « processus » de négociations établi entre lui et Diène Farba Sarr, le clap de fin ne sonna qu’à l’entame du second tour de la présidentielle de mars 2012. « Macky avait positivement évolué », indiquent nos interlocuteurs.

«Il y a du népotisme dans l’air»

Bien en place à l’Apr, il y fait son trou et acquiert même le sobriquet de sergent-recruteur au service de la base électorale du Président Macky Sall. Il s’en défend. «Je ne suis le sergent-recruteur de personne. Mais, si véritablement sergent-recruteur signifie massifier son parti, travailler à faire du port un port émergent, recruter des jeunes frappés par un chômage endémique, oui, je suis alors un sergent-recruteur.»

A ce niveau, les critiques ne manquent pas. Un travailleur s’est confié en off. «Il recrute des personnes qui sont de sa localité ou, mieux, des jeunes de l’Apr ou d’autres personnes qu’il veut transformer en militants à son service pour faire plaisir au Président Macky Sall. À vrai dire, il y a du népotisme dans l’air et une mauvaise gestion.»

«Dilapidateur de deniers publics»
Mais si Cheikh Kanté mobilise souvent les attentions, c’est qu’il est perçu comme un distributeur automatique de billets de banque. Partout où il passe, les millions pleuvent. De quoi scandaliser une bonne partie de l’opinion publique. De quoi également faire réagir nombre de Sénégalais d’horizons divers réclamant l’audit du Port de Dakar.

Le député Moustapha Cissé Lô, responsable à l’Apr et actuel président du Parlement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait publiquement formulé une demande dans ce sens.

«Je demande l’audit de la gestion du Port autonome de Dakar. Parce que Cheikh Kanté ne peut pas continuer à distribuer, au quotidien, des dizaines de millions de francs CFA, sans qu’on sache d’où il tire sa fortune», disait-il. Son collègue Mamadou Lamine Diallo soutenait lui que «le Port est l’entreprise la plus stratégique du pays. Et évidement, je ne suis pas satisfait de (sa) gestion.» D’autres personnes ressources n’ont pas manqué de défendre une telle position, indiquant ne pas comprendre qu’un Directeur général puisse détenir autant de millions à distribuer.

«Je ne vole pas et je ne volerai pas de deniers publics»

Interpellé par Nouvel hebdo, le Dg Kanté monte sur ses grands chevaux pour jurer : je ne peux voler, je ne vole pas et je ne volerai pas des deniers publics. «Il y a un budget que j’ai trouvé sur place et qui continue d’exister. Il est voté et surveillé par un Conseil d’administration avec des représentants de toutes les sphères de l’État, de l’Assemblée nationale, de la société civile et j’en passe. Je suis surveillé comme du lait sur le feu par deux commissaires aux comptes et à chaque occasion, les organes de contrôle viennent me fouiller. Je rends grâce à Dieu car, jusqu’à présent, aucun cafard n’a été trouvé dans ma gestion.»

Sur le mode de la raillerie, il lâche : «Et puis, quelqu’un qui vole, comment peut-il prendre l’argent volé et le distribuer sur la place publique au vu et au su de tout le monde ? C’est insensé ! Je dis que dans le cadre de la responsabilité sociétale d’entreprise (Rse), le Port de Dakar soutient les couches défavorisées, les femmes, les jeunes, les imams, les écoles et les élèves, les mosquées, les églises, les hôpitaux… »

Pour étayer ses propos, un exemple. «Il y a eu des femmes que le port, dans le cadre de sa Rse, a financées à hauteur de vingt-millions de francs Cfa. Elles prenaient le matin des produits halieutiques à 5 000 francs Cfa ; le soir, elles payaient 7000 francs Cfa. C’était de l’esclavage ! Nous les avons aidées à mettre sur pied leur propre organisation afin qu’elles soutiennent bien leurs familles. Donc, ce n’est rien d’autres que des soutiens avec un budget qui est là et non une distribution de billets fait par un distributeur automatique. Donc, permettez-moi de dire que le port est bien géré et tout est clair dans la démarche et les choix.»

Deux de ses collaborateurs, Isma Kâ et Adji Mergane Kanouté, montent au front et entonnent un refrain identique : «ce sont les envieux qui disent du n’importe quoi sur lui, mais les portuaires ainsi que les autorités compétentes savent que le port est très bien géré. Il y a un budget alloué à la politique de la Rse définie par le conseil d’administration du Pad. C’est de l’argent qui était détourné vers d’autres objectifs que Dr Cheikh Kanté a réorienté vers les couches vulnérables de la société sénégalaise.»

Accroc à la musique, il l’est. Tendances Aretha Franklin, Miles Davies, Louis Armstrong. Mais par-dessus tout, «j’adore Youssou Ndour», dit-il. Sapeur invétéré, il dit bien connaitre les marques de luxe comme Calvin Klein, Pierre Cardin, etc. «Je déteste les nœuds papillons et préfère les costumes avec cravates. Cela a commencé avec mon père qui voulait que l’on soit toujours bien habillé. Et puis, avec les formations reçues, on nous a toujours appris à bien nous habiller. Il est important d’être toujours présentable et bien coiffé.»

impact.sn
Ndèye Fatou Kébé






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