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Vendredi 4 Août 2017

Chômage, déperdition scolaire, drogue, urbanisation…: La violence gagne l'élite sénégalaise





La violence reste au cœur des préoccupations des autorités politiques et sportives des différents pays du monde. Elle devient inquiétante, suite à la diversité et la gravité des problèmes, auxquels les jeunes sont confrontés : chômage, déperdition scolaire, drogue, urbanisation etc. Autant de facteurs, favorisant la violence. Prétexte de cette enquête : les scènes de violence, ayant entraîné huit (8) morts et plus d’une centaine de blessés, lors de la finale de la Ligue, opposant Us Ouakam et Stade de Mbour au Stade Demba Diop. L’équipe de Leral, a fait une incursion dans cet univers de la violence. Enquête…

Le «hooliganisme » avait rendu "institutionnelle" la violence dans certaines compétitions en Europe. En Afrique, la recrudescence de celle-ci, dans les stades, malgré une embellie enregistrée depuis cinq ou six ans, est une évidence. Ainsi, le Sénégal n'est pas épargné, même si, la violence n'avait pas encore atteint la proportion de certains pays.

Depuis quelques années, malgré les innombrables sanctions, la violence dans le mouvement « navétanes»- jeux organisés par les jeunes pendant les vacances, se développe de manière « vertigineuse » et « dangereuse ». Puisque, constate-t-on, des morts commençaient à être dénombrés. 

« Malheureusement, le phénomène commence à gagner l'élite dans tous les sports collectifs, ainsi que les sports traditionnels nationaux comme la lutte et les régates. La saison sportive 2000-2001 a été émaillée de violence. Notamment, dans le football, le handball, les régates et le basket-ball. Ceci, a entraîné la suspension d'un certain nombre de stades Alassane Djigo, Alboury Ndiaye, Ely Manel Fall », a révélé l’élève Inspecteur de l'Education Populaire de la Jeunesse à l’Institut national supérieur de l’Education populaire et du Sport, Cheikh Diaw.

L’élève inspecteur de la 9e Promotion (2000-2002) à l’Inseps, auteur d’un sujet de recherche sur la violence dans les stades, prévient que le stade Léopold Sédar Senghor, seule infrastructure, capable d'accueillir de grandes compétitions, n'est pas épargnée. « Car, étant sursitaire, du fait de velléités de violence, envahissement et jet d'objets sur la main courante, lors de certains matches de l'équipe nationale de football.

Durant l'année 2002, au moment où on s'acheminait allègrement vers la fin de la saison sportive, trois événements, certes différents, de par leur nature, leurs conséquences et peut- être leurs motivations, survinrent
 », se rappelle-t-il.

Des supporteurs de l'Asfa, dira-t-il, se sont défoulés sur les partisans de l'Usg qui venaient de s'adjuger, au stade Marius Ndiaye, de la coupe 2 de basket de la ville de Dakar, laissant sur le plancher des blessés.

Ou, ces « tristes bandits » qui, alors que les vrais turfistes, vivaient leur passion à l'hippodrome Tanor Anta Mbaxan de Rufisque, firent une incursion à l'Ecurie de Cheikh Tidiane Niang, à Sangalkam, pour s'en prendre au personnel trouvé sur place.

Armés, tels des brigands, avec le dessein d’écarter à jamais certains jockeys des champs de course. Voire, des échauffourées au stade municipal de Mbour, pour un penalty non sifflé, des échanges de projectiles et de grenades lacrymogènes, ont écourté la vie d'un garçonnet qui ne comprenait peut-être, même pas, les enjeux du match.

« Le hooliganisme n'est plus rampant chez nous. Il a carrément installé ses quartiers. Vu la variété des situations, aucune discipline n'est apparemment, épargnée. A travers le succès grandissant des rencontres de football et l'impact télévisuel des spectacles, on assiste à la transformation du statut des jeunes supporteurs dans les stades bondés. Devenant eux-mêmes, un spectacle, ils manifestent sur les gradins ou sur la main courante « une rage » de paraître», reconnaît Cheikh Diaw dans l’enquête de Leral.

Jeunesse et attitudes de vie
Lors de violences dans un stade, on a tendance à chercher l'explication dans les comportements et dispositions des responsables à titre individuel. Parmi les principales dispositions personnelles, mises en évidence, il y a la jeunesse des supporteurs. Il s'agit, de plus en plus, de jeunes de moins de vingt-cinq ans.
« II n'est pas étonnant qu'il en soit ainsi, dans la mesure où cette catégorie est la plus importante dans la population du Sénégal. En effet, le recensement général de 1988 montre que 58% de la population, sur un total, estimé à plus de 8.000.000 d’âmes, ont moins de vingt ans et la Direction de la statistique, maintient ce rapport jusqu'au-delà de 2015. Le poids démographique de la jeunesse pèse fortement, sur la société. Si, l'on sait que la croissance de la population demeure difficilement soutenable par l'économie sénégalaise », s’inquiète l’élève Inspecteur.

Ce dernier, indique qu’il se pose beaucoup de problèmes, liés à l'éducation, à la santé et l'insertion socio-économique des jeunes. « Nous avons affaire à des jeunes qui ne sont pas socialement intégrés. Dès lors, leur trait de personnalité résulte de leur aptitude à recourir à la violence en toute circonstance, même en dehors d'une quelconque manifestation sportive. Aussi, notons-nous, le développement assez rapide et inquiétant, d'une délinquance juvénile sans précédent, dans les centres urbains et particulièrement à Dakar », constate-t-il.

Déjà entre 1991-1992, les mineurs représentaient respectivement 5,02 % et 5,74 % de la population pénale du Sénégal. Les statistiques du Ministère de la Justice et de la Direction de l'Education surveillée, révèlent, en substance que leurs services ont accueilli au 1er mars 1997, 8041 jeunes en conflit avec la loi, à l'internat (Centre d'adoption sociale) ou en demi- pensionnat (Centres de sauvegardes, centres polyvalents) ou en milieu familial. Cette population se répartit comme suit: 2921 jeunes en conflit avec la loi, 520 jeunes pris en charge dans le cadre de la prévention générale.

« La délinquance juvénile se manifeste essentiellement, sous forme de vols simples ou aggravés avec effraction, violence et menace. Par ailleurs, la violence dite de voie publique, a incontestablement augmenté ces dernières années. Elle alimente un sentiment d'insécurité de plus en plus fort, dont la présence dans les stades, est de plus en plus marquée du fait de la conjonction de facteurs personnels et sociaux », évoque-t-il.

« Les violents chauvins »
Le fait qu'il s'agisse, le plus souvent de jeunes garçons, âgés de moins de vingt-cinq ans est le premier aspect observé. Les plus âgés prennent manifestement, leurs distances par rapport aux violences et les filles, sont quasiment absentes de ces groupes.

La deuxième caractéristique concerne l'origine sociale de ces jeunes. Il s'agit le plus souvent des jeunes au chômage ou très tôt déscolarisés. Ceux qui ont des responsabilités sociales, telle qu'une famille ou un métier, évitent de recourir à des actes de violence.

 « Une autre particularité qui n'étonnera d'ailleurs personne, est que les supporteurs violents, sont singulièrement chauvins. Plus l'on souhaite la victoire de son équipe, plus on participe aux violences. Les supporteurs déçus doivent remporter la victoire d'une autre manière, par exemple en provoquant ceux de l'équipe adverse et, en leur infligeant une défaite d'un autre genre », a renseigné Cheikh Diaw.

A côté de ces diverses dispositions personnelles, relève-t-il, existe certainement d'autres qu'il serait nécessaire d'appréhender. « Mais, en tout état de cause, il faut surtout noter que l'action de l'ensemble de ces dispositions ne combinent pas avec celles des facteurs sociaux.  C'est une erreur de vouloir expliquer le phénomène des violences perpétrées par les supporteurs par la seule influence des dispositions personnelles. Inévitablement, d'autres facteurs vont intervenir », projette-t-il.

Fléchissement de l’emploi
A travers l’enquête de Leral, l’élève Inspecteur reste d’avis que les facteurs d’ordre environnementaux, ne relèvent pas certes de difficultés, liées au droit reconnu à l’éducation, à la santé, aux loisirs et, à la protection.

Mais, surtout à la conjoncture, du fait de profondes mutations, entraînant des déséquilibres sociaux, renforcés par le chômage, la drogue, les délinquances, la discrimination etc. Et parmi, lesquels deux retiennent l’attention. Il s’agit de l'emploi des jeunes et les problèmes, liés à la drogue.

Les problèmes, liés à l'emploi des jeunes, expose-t-il, a fait que la demande de travail au Sénégal a connu, depuis ces deux dernières décennies, un fléchissement régulier chez les jeunes. Il en résulte une difficulté de plus en plus croissante d'insérer les jeunes dans le circuit de production.

Et, par conséquent, il a été relevé un taux de chômage relativement, élevé de cette couche de la population.

 Ainsi, selon les données fournies par le Ministère du Travail et de l'Emploi en 1999, près de 63% des chômeurs sont en milieu urbain sous l’effet d’une accentuation de l'exode rural, du fait que les opportunités d'occupation, y sont plus importantes.

Si, le phénomène du chômage ne touche pas dans les mêmes proportions, les jeunes urbains et les jeunes ruraux, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là, d'un phénomène qui affecte toute cette frange de la population, quel que soit son milieu d'origine et son niveau de qualification initiale.

 Le Sénégal, 3ème pays producteur de Cannabis en Afrique de l’Ouest

La consommation de la drogue est devenue un véritable fléau du fait de facteurs tels que le désœuvrement de la jeunesse et sa vulnérabilité, des nombreuses démissions dans l'éducation et l'encadrement de la jeunesse, surtout en milieu urbain.

 « L'effritement du rôle de la famille, l'influence de divers groupes extérieurs, mais aussi des raisons socio-économiques (caïds de la drogue) expliquent en grande partie, le développement fulgurant de la consommation et la vente de drogues dans le pays », regrette-t-il.

Le Sénégal est considéré comme un pays de transit, mais également de production de cannabis. Il occupe la 3e place en Afrique de l'ouest, après le Ghana et le Nigéria. En 1996, sur un échantillon de 1322 personnes, soit 19,70 de la population carcérale, 1148 hommes et 6 femmes font usage ou s'adonnent au trafic de la drogue (Ministère de la Justice, 1997).

Ces statistiques placent le Sénégal devant le Nigéria. Les mêmes statistiques révèlent que, sur cette population, 479 hommes et 2 femmes ont, entre 19 et 25 ans, et sont par conséquent, des jeunes.
« Nous aurions pu parler des problèmes, liés à l'implication des jeunes dans les violences perpétrées pendant les campagnes électorales », signale-t-il.

Ainsi, des supporteurs fanatisés, adoptent des comportements, pouvant conduire à la transformation des stades en arènes où ils s'affrontent sans merci ou retenue. Les conflits politiques se prolongent dans le monde sportif. Ils empêchent quelques fois, le sport de remplir sa mission humaniste et pacifique. « C'est dans un tel environnement que vivent les jeunes supporteurs. Celui-ci joue un rôle important dans la production de la violence », confesse-t-il.

Si, tous les jeunes faisant usage de la drogue ou ceux victimes du chômage, ne sont pas forcément violents. La plupart d'entre eux, trouvent ces lieux, dits stades, comme des cadres propices pour proférer des menaces qui aboutissent le plus souvent, à la violence.

D'autant plus que leur présence dans les stades est aujourd'hui, assurée la plupart du temps par les collectivités locales qui fournissent le transport et le prix du billet d'entrée. Ce qui n'était pas le cas dans un passé récent, où les vrais supporteurs se déplaçaient et payaient leurs places.

A titre d'exemple, prenons la Coupe du Maire de Dakar en basket, pendant laquelle, la salle Marius Ndiaye est remplie de jeunes, venus de partout. Cette affluence dans cette salle fermée, ne va pas sans inconvénient.

Au regard de ce qui précède, il a été constaté que les prémisses de la violence dans les stades, sont liés, en grande partie, aux problèmes auxquels, les jeunes sont confrontés dans leurs milieux de vie. En effet, ce phénomène qui se développe dans le sport repose sur des soubassements, soutenus par des comportements, issus de conséquences néfastes d'une société en perte de valeurs et de repères, et, en quête du bien-être.

 La crise socio-économique, regrette Cheikh Diaw, contribue pour beaucoup à la propagation de cette violence. Et, l'indiscipline qui sert d'explosif dans les stades pendant les matches « navétanes », n'est et ne peut être nullement causé par un appétit illimité de matches gagnés. Mais par le milieu, les conditions et le manque de conscience dû au laisser-aller.

Violences faites aux femmes
Une autre étude d’un groupe de chercheurs de l’Université Gaston berger de St-Louis, sur les violences, faites aux femmes, a dévoilé qu’elle prend de l’ampleur au Sénégal. Sur un échantillon de 1 200 ménages, étudiés dans les régions du Sénégal, 55% des femmes affirme avoir subi des violences, des injures, des coups, des viols.

Un chiffre qui est bien au-dessus de ceux que l’on possédait sur le sujet, selon Fatou Diop Sall, professeure de sociologie, coordinatrice du groupe d'études et de recherches genre et sociétés de l'université de Saint-Louis.

 « La violence basée sur le genre est considérée comme privée, entre deux personnes, et cela fait que, c’est une question qui est étouffée dans l’espace familial. C’est peut-être la première difficulté. Très peu de cas, sont donc déclarés, très peu de cas, sont dénoncés dans les structures de sécurité et de justice », a expliqué la professeure de sociologie, Fatou Diop Sall.

Les femmes souffrent aussi de violences psychologiques : le chantage à la polygamie, le dénigrement, les pressions incessantes. Pas seulement dans les maisons, mais aussi au travail, précise Fatou Diop Sall : « Un tiers des répondants, sur les 300 personnes qui ont été enquêtées dans le milieu professionnel, affirme avoir été victime de cas de harcèlement. Il y a des cas d’abus d’autorité, il y a eu quelques cas de viols qui ont aussi été dénoncés. Il y a la culture de l’impunité qui s’est installée, autant dans l’espace privé que dans l’espace public ».
 
Violence du système éducatif
D’autres types de violences sont relevés dans les écoles. Pour des observateurs, cette violence, se manifeste de façon verbale ou psychologique, à travers un harcèlement sexuel ou viol, des mouvements de grève, des vols et rackets. La vie en société, constate-t-on, est souvent source de conflits, en raison des intérêts divergents, des besoins et des valeurs qui ne sont pas toujours, les mêmes.

L’école, se démarquent-ils, est une institution de la société qui reproduit souvent, ses conflits de valeur et ses problèmes. « L’école sénégalaise, société en miniature, n’est pas en reste. Les conflits éclatent souvent, entre acteurs de l’éducation, élèves, enseignants, membres de l’administration et parents d’élèves. Ils sont souvent résolus par la violence avec diverses manifestations », a théorisé ces observateurs du système éducatif.
 
Autant de motifs sont exposés pour expliquer les sources de violence. Il y a la dégradation des valeurs, la dislocation des familles, le dérèglement de la société, les grèves excessives dans le système éducatif, le chômage, l’injustice. Mais aussi, la libre circulation des armes, l’absence de rigueur dans l’application des lois, l’usage abusif de l’alcool, de la drogue et de stupéfiants, et l’absence de contenus dans les médias. 
 
La dégradation de l’état de santé mentale des populations, les troubles du comportement, notamment chez les jeunes, la promiscuité au niveau des habitations, la floraison des salles de jeux, la violence dans la lutte et les matchs de «navétanes», les discours incendiaires dans l’espace politique, les conflits d’intérêts dans les couples polygames, la banalisation du mensonge et des propos insultants et le surpeuplement de la banlieue sont pointés du doigt. 

                                                           
L’application des lois dans toute sa rigueur
Une exigence…
 
Les analystes, contactés par Leral, n’ont pas observé que les causes du problème. Ils ont formulé des pistes de solutions. Lesquelles, tournent autour de l’application des lois dans toute sa rigueur, la lutte contre l’injustice sous toutes ses formes, l’institutionnalisation de la Haute Autorité de la famille, le renforcement de la sécurité des personnes et des biens.
 
Les ébauches de solutions s’intéressent aussi, à l’encouragement de l’élaboration de la Charte nationale sur le civisme et sa promotion, la poursuite du programme de retrait des enfants de la rue, la prise en charge des malades mentaux errants, la prise en charge des toxicomanes.
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Parmi celles-ci, il a été également évoqué le respect des cahiers de charges des médias, l’interdiction de la vente d’alcool à moindre coût, dans les stations d’essence et les grandes surfaces. 
 
Autre élément fondamental, insiste-t-on, reste l’implication des chefs religieux et coutumiers pour la résolution des conflits, la revalorisation du métier d’enseignant. Ils exhortent à l’enseignement de nos modèles dans les programmes éducatifs, la diffusion d’émissions sur la santé mentale dans les médias.

Et aussi, la mise à disposition de psychologues pour les populations, la règlementation des permis de port d’armes, la régularisation de la circulation des armes blanches. Surtout, développer une culture de la paix et du travail, ainsi qu’une interdiction de la vente de jouets, incitant à la violence, préconisés. 
 
O. WADE Leral
 






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