- YouTube a démocratisé le streaming, la lecture progressive des contenus disponibles sur leurs serveurs plutôt que d'avoir à télécharger des fichiers directement sur son ordinateur, ce qui a obligé les fournisseurs de stockage et de bande passante à repenser leurs infrastructures.
- Un accès libre à des contenus quasiment illimités qui pose depuis dix ans la question toujours sans réponses de la propriété intellectuelle et des droits d'auteur, de moins en moins respectés.
- Youtube permet à tout un chacun de se réapproprier des contenus pour en faire sa propre création. C'est aujourd'hui une nouvelle forme d'art.
- C'est aussi et surtout une source inépuisable d'informations et de formations désormais accessible à tous, mais aussi de désinformation et de déformations ouvertes au plus grand nombre.
Atlantico : Il y a 10 ans, la première vidéo de Youtube était publiée. Qu’est-ce que la plateforme de visionnage en ligne a changé d’un point de vue technique ? Comment Internet a-t-il évolué pour permettre le stockage de fichiers lourds tels que des vidéos ? Près de 300 heures de vidéos sont chargées sur le site chaque minute : comment la technologie a-t-elle évolué pour permettre un tel flux ?
Gilles Babinet : Les coûts technologiques se sont effondrés, et notamment celui de la bande passante. En 1995, je payais une ligne sécurisée de 128 kilo-octets par seconde pour 10 000 francs par mois (environ 2 000 euros), aujourd’hui pour le même prix vous avez 20 000 fois plus de puissance. Les coûts de stockage ont aussi beaucoup diminué. L’infrastructure d’Internet a été complètement retravaillée. C’est la loi de Moore : la puissance du matériel double tous les 18 mois, ce qui engendre une croissance exponentielle.
Sylvain Frigui : Lancé en 2005 et racheté en 2006 par Google, Youtube est devenu une des premières plateformes de diffusions de vidéos destinées au grand public.
Il permet à tout un chacun d'accéder à la plus grande banque de vidéos existante depuis la création de l'humanité, mais surtout d'y ajouter sa pierre : d'y diffuser ses propres vidéos. Pour cela, YouTube a popularisé la technique du streaming : c'est-à-dire la lecture progressive des contenus disponibles sur leurs serveurs, plutôt que d'avoir à télécharger des fichiers directement sur son ordinateur.
Contrairement au peer-to-peer, qui est une architecture décentralisée, le streaming coûte cher en bande passante, en serveurs et, en conséquence, en électricité. Les responsables des serveurs ont donc été confrontés, plus que n'importe quel administrateur, à la question de l'optimisation permanente des ressources tout en offrant toujours plus de qualité au service, notamment les vidéos en haute définition (et maintenant en 4K), un ogre pour les réseaux.
L'ADSL et la fibre ont permis une augmentation significative des débits, augmentant mécaniquement sa popularité. On estime que Youtube peut consommer jusqu’à 20% de la bande passante mondiale lors de pics de consultations. Cette consommation démesurée de bande passante fait d'ailleurs grincer les dents des FAI, qui supportent une grosse partie de la charge en acheminant la vidéo jusque chez nous, et ont, à ce titre, relancé le débat sur la neutralité du réseau.
Du fait de sa popularité, Youtube est aussi devenu un "édicteur" de standards pour le web. Concernant l'encodage des vidéos, le lecteur, les aperçus ; mais aussi en favorisant la diffusion des vidéos depuis des sites tiers, la fameuse <iframe> que vous copiez/collez sur votre site, pour diffuser une vidéo là où vous voulez. Cette possibilité d'embarquer du contenu a constitué une partie de ce qui sera appelé le web 2.0.
Youtube a fait l’objet de nombreuses critiques relatives à la violation de droits d'auteur. Chaque jour, l’équivalant de 100 années de vidéos sont vérifiées pour la gestion des droits d’auteur. Qu’a-t-il changé dans notre conception de la propriété intellectuelle ?
Stéphane Hugon : La pratique de l’échantillonnage et du mixage qui s’est imposée avec Youtube a produit une manière de créer des contenus avec des éléments qui ne vous appartiennent pas. Pour le meilleur et pour le pire. C’est à la fois un détournement massif mais aussi une nouvelle idée de la création par le copier-coller. Le montage de choses qui n’étaient pas faites pour se rencontrer devient une pratique d’auteur. C’est une reprise de la tradition surréaliste d’après les années 1920 et des années 1960. Cette pratique du détournement était autrefois propre aux artistes, elle est aujourd’hui reprise par tout le monde.
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